Une soirée sensuelle.

Ecrit par Louise Pascale

Azalea…

         Farida ne répondait toujours pas à mes appels.

L’estomac noué, j’avais sauté dans le premier avion.

Dès la sortie du Boeing, j’avais contacté un chauffeur sur Uber pour Saint-Denis.

La petite cité était bien animée en ce début de soirée estivale. Devant les immeubles, des jeunes réunis en bandes se racontaient leurs aventures à voix haute. Certains fumaient tandis que d’autres se laissaient distraire par le défilé incessant de quelques demoiselles traversant les allées couvertes de pavés.

Un adolescent me siffla. Et lorsqu’il constata que je ne lui accordais aucun intérêt, il se mit à vociférer mille et une insultes à mon égard. Moi j’avançais. Si j’avais été avec Farida, elle se serait arrêté et aurait répondu à ces injures avec véhémence.

         J’entrais dans son immeuble en me dirigeant prestement  sans rien demander vers l’ascenseur.

Moi : Eh merde !

Je donnais un léger coup de pied aux portes métalliques de l’ascenseur en panne. Il se fondit dans la matière en un bruit sourd. Je venais de passer près de vingt-cinq heures dans un avion et voilà qu’il me faudrait monter cet escalier étroit. Je tournais mes talons et m’engageais sur les premières marches.

Mon pas était hésitant. A chaque fois que j’entendais une porte claquer, je sursautais. De grosses gouttes de sueur couraient le long de ma colonne vertébrale pour finir  par s’écraser à la naissance de mon pantalon couleur kaki. Farida m’avait raconté tellement d’histoires sordides. Dans ma tête, certaines d’entre elles défilaient. Je me souvenais alors de cette dame qui avait poignardé son petit ami infidèle et de cet adolescent qui avait battu sa sœur car elle entretenait une relation avec un jeune homme d’un groupe rival. Je déglutis.

J’avais fini par arriver à son étage. Un parfum fort flottait dans l’air. On aurait dit de l’encens. Les murs fins me laissaient deviner les activités des occupants dans les appartements. Au 301, je supposais qu’ils étaient en train de faire la cuisine. Au 302, on aurait dit qu’ils regardaient la télévision.

En frappant à la porte de Farida, j’écoutais les voisins du 303 en train de s’amuser.

Je frappais à nouveau.

Farida, sèchement : Allez-vous faire foutre bon sang !

La voisine, la voix mielleuse : Lèche alors, c’est ça tu veux non ? Faut prendre bien même.

Je déglutis face à cette conversation pornographique.

Moi, avec toute la douceur du monde : Fafa… ouvre, c’est moi.

La voisine : Tchiéé… Faut laisser ça ! Moi j’aime pas les capotes tu sais ça.

La porte s’ouvrit lentement. Et elle se jeta dans mes bras. Je sentis ses larmes mouiller mon épaule. Je la poussai délicatement à l’intérieur tout en tirant le trolley. Fermant la porte d’un léger geste du pied.

Farida : Qu’est-ce que j’ai fait au bon Dieu ?

Moi, ramenant mes bras sur son dos : Ne pleure pas s’il te plait.

Farida : Je ne pourrai pas. C’est trop dur.

La voisine : Oui, oui mon chéri. Vas-y comme ça.

Le voile obscur de la nuit s’était abaissé. Le petit studio était sombre. Je distinguais mal son aménagement.

Je sortis mon téléphone de ma poche pour faire un minimum de lumière. Je la conduisis doucement au sofa et je l’aidais à s’y asseoir avant d’aller appuyer sur l’interrupteur. Elle avait le visage tout enflé.

Farida : Non, éteint. La lumière me fait mal aux yeux.

J’exécutais. Elle avait dû pleurer pendant plusieurs heures pour être dans cet état. Je poussais la valise dans un petit coin. Pendant ce temps, chez le voisin, les choses allaient en s’améliorant.

Je m’installais près d’elle et nous restâmes là, écoutant le silence de la nuit. A quoi pouvait-elle penser ? Que pouvais-je faire ou dire pour lui venir en aide ?

Combien de temps avons-nous passé ainsi ? Je ne m’en souviens pas. Les cris de plaisir du voisin nous ramenèrent sur terre. Il venait de jouir.

Farida : Eh bah, y en a qui prennent du bon temps.

Moi : C’est le cas de le dire.

Farida, en posant une main tremblante sur me cuisse : t’es revenue plus tôt juste pour moi ?

Moi : Non ! Je suis revenue pour passer mes examens de rattrapage idiote.

Ma voix était ferme et sèche.

« Mais ça va pas de couper ton téléphone comme ça ? Tu sais tout ce que je me suis imaginée ? »

Farida : Rhoo, toi alors ! Respire un peu. Paris là te stresse trop hein ! Et puis, dis-moi, t’es venue ici seule alors que je t’ai toujours dit que moi je peux tout accepter sauf avoir la mort de quelqu’un sur ma conscience… et épouser ce chien d’Adoum.

J’aurai bien voulu voir sa tête à ce moment. Je suis sûre que je me serai tordue de rire.

Moi : Je suis fatiguée jeune fille. Faut que je prenne une douche.

Farida se leva et alluma les deux spots du coin cuisine. Ses yeux étaient encore rouges et enflés mais elle ne pleurait plus. C’était déjà ça de gagné. Malgré le faible éclairage, je pus remarquer que le studio était sens dessus dessous. Elle avait dû se déchainer.

Moi : T’as tout cassé je pense.

Farida en riant : Même pas, j’ai cassé les choses sans valeur. Tu vois pas que mon iPhone est toujours bien portant ?

En effet, son téléphone était sain et sauf. Elle avait passé deux mois très difficiles pour s’offrir ce petit bijou dès sa sortie.  Elle ne jurait que par lui.

Adossée à la porte d’entrée les mains croisées dans son dos : Alors dis-moi, t’es rentrée juste pour moi ou quoi ?

Pour toute réponse, je me levais tout simplement et je ramassais le portable cassé.

Farida : A voir ta tête suis sûre que tu pensais que je me suis suicidée.

Elle ne se rendait pas compte de la frayeur qu’elle m’avait faite cette folle. Qu’aurait-elle pensé si j’avais réagi ainsi à pareille nouvelle ? Je continuais de ranger son bazar sans piper mot. Elle aussi s’y était mise. Puis elle s’arrêta.

Farida : Ah ma chérie… Moi Farida Faha, wallah que j’aime trop la vie et le poulet pour aller me jeter dans la Seine. Ce n’est pas mon genre. Et puis c’est des trucs de petites blanches ça.

Elle avait dit cela en roulant des mécaniques. Une vraie poupée cette fille.

En un rien de temps, elle était passée de la peine à la joie. Si je ne la connaissais pas, je n’aurai jamais pu imaginer que sa vie future venait de prendre un sacré coup. Seuls les traits tirés de son visage trahissait de ce qui s’était passé.

Moi : Je n’en peux plus. Faut que je prenne une douche, je crois que je pue.

J’allais vers la minuscule salle d’eau quand poussée par les ailes invisibles de l’amitié, je revins vers elle et je la pris dans mes bras.

Moi : Je t’aime ma folle.

Un peu plus d’un mois s’était écoulé depuis mon retour express des paysages de Sydney.

Farida était venue s’installer dans mon appartement au centre de Paris afin de réaliser quelques économies.

Nous passions des nuits blanches sur internet espérant trouver ne serait-ce qu’un CDD. Les annonces auxquelles elle pouvait prétendre postuler étaient peu nombreuses.

Farida : Viens vite !!!

Je sortis avec empressement de la salle d’eau. J’étais toute dégoulinante. Je me dépêchais et juste quand j’arrivais dans le séjour, je glissais et me retrouvais sur mes fesses. Farida se mit à rire sans aucune gêne.

Moi, la mine râleuse : C’est ça ! Au lieu de venir me donner un coup de main, tu es là à te moquer.

Je me levais doucement et avec beaucoup de précaution j’avançais vers elle. 

Farida : Allez, pose tes fesses ici. Je crois que j’ai trouvé quelque chose. Regarde.

Je m’installais près d’elle et je lui arrachais le portable des mains pour lire l’annonce qui m’avait fallu une chute.

Le profil recherché correspondait au sien. Les cieux venaient-ils de lui offrir l’occasion d’échapper au destin triste que lui réservait son père ?

Je posais le portable sur la table basse et un large sourire se dessina sur mes lèvres.

Moi : Alors là ma belle…

Farida, toute heureuse : Pince-moi, je ne rêve pas n’est-ce-pas ?

Elle enfonçait ses doigts dans les chaires de ma cuisse nue.

Moi : Si tu ne me lâche pas, tu verras que oui, tu ne rêves pas.

Farida : Rhooo… toi alors !

Moi : Faut que tu envoies ton CV maintenant.

Elle s’empressa de récupérer le portable pour répondre à l’annonce.

Un rayon lumineux venait de percer le nuage épais qui recouvrait notre petit univers.

         Ce soir-là, nous avions décidé de sortir un peu profiter des plaisirs nocturnes de la capitale. Nos pas nous avaient mené au Harry’s New York Bar. Un petit coin cosy qu’André, le mari de Mellie m’avait fait découvrir quelques années auparavant. J’avais alors été agréablement surprise tant par la finesse des cocktails que par la qualité des artistes qui jouaient au sous-sol.

C’était un coin masculin où l’odeur de l’alcool se mélangeait agréablement à celle des cigares. L’atmosphère en était alors plus que virile. Malgré ma robe blanche et mon kimono Nanawax, j’avais l’impression d’être complètement nue sous ces regards.

Farida, faisant tinter les glaçons dans son verre: Toi, tu connais les bons coins. Je suis sûre que c’est ton côté africain.

Elle parlait et moi, je dégustais mon assortiment de bouchées apéritives. Les produits qui les composaient étaient frais. Ils avaient été travaillés dans la plus grande simplicité. La musique était sensuelle. Enivrante. Elle me donnait envie de danser.

Un serveur déposa deux flûtes de champagne à notre table avant de dire « de la part du monsieur là-bas ».

Liam le gérant s’approcha pour nous saluer. Son accent anglo-saxon me donnait des frissons. C’était le genre d’homme conscient de son charme. Il m’invita à jouer du piano. Et même si je n’étais pas vraiment d’humeur, j’acceptais.

Je choisis une chanson de Duke Ellington et de John Coltrane. Un air jazz intimiste et langoureux. C’était un genre de conversation, une espèce de rencontre entre deux géants de la musique. L’air frais que la climatisation soufflait me caressait la peau pendant qu’en moi, se diffusait la chaleur de la musique. J’avais perdu quelques notes mais tout ce qui comptait à cet instant là c’était la satisfaction que je lisais sur le visage de mon public d’un soir. Combien de femmes de mon âge auraient choisi cet air oublié ?

Farida s’était levée pour me faire un câlin. Son pantalon « palazzo » rouge faisait ressortir toute les rondeurs de sa croupe hyper féminine. Des regards furtifs se posèrent sur ses fesses alors que nous nous éloignions de la scène.

Farida : C’était juste « magnifaïque » !

Moi : Rappelle-moi de remercier ma mère pour les cours de musique.

Elle se contenta d’esquisser un sourire.

Les conversations avaient repris dans la salle aux parfums corsés. Quelques rires se faisaient entendre. Alors que le piano lâchait un air enjoué qui m’était inconnu.

« Mesdames, vous n’avez pas touché au champagne. »

Un monsieur en blanc venait de s’inviter à nos côtés. C’était la caricature même du type qui pensait avoir réussi sa vie. La grosse montre en or, une chemise déboutonnée dévoilant une poitrine entretenue par des heures de musculation. Les cheveux couverts d’une épaisse couche de gel.

Farida : Nous ne sommes pas trop champagne.

Lui : Vous avez tort.  Je me présente. Greg Mallet.

Je gardais le silence tout en expirant d’exaspération.

Greg Mallet : Touristes je présume.

Moi : Tout à fait.

Greg Mallet : Tu joues bien dis-donc.

Il jeta un coup d’œil à la grosse montre qui pendait à son poignée : Ça vous dirait qu’on change d’ambiance ?

Moi : Non. Nous sommes bien ici.

Greg Mallet : Y a d’autres endroits à découvrir à Paris vous savez. Je pourrai même être votre guide si vous êtes d’accord.

Farida : Vous pouvez aussi tout simplement nous laisser profiter de la musique.

Moi : Ou tout simplement vous en allez.

Greg Mallet : Allez les filles, je veux juste faire connaissance.

Je souris de malice.

Moi : D’accord ! Alors elle c’est Aïssa et moi Enora. Nous sommes lesbiennes.

Il avala rapidement une gorgée du verre qu’il tenait.

Greg Mallet : Vous n’êtes pas sérieuses hein.

Farida, en posant sa main sur la mienne : Et pourquoi ?

Greg Mallet : Vous êtes trop belles pour ça.

Moi : C’est bien ce que je me dis quand je la regarde ! Les courbes de son corps me donnent une folle envie de la déshabiller et de l’allonger sur ce piano. De lui caresser les seins au rythme de la musique avant de descendre jouer avec ma langue sur son nombril. Dis-lui que tu aimes ça Aïssa.

Farida déposa sur moi un regard langoureux. Passa une main sensuelle sur son cou avant de me demander de continuer.

Moi : Faire courir mes mains sur ses grosses fesses pendant qu’elle se tordrait de plaisir.

Je le sentais mal à l’aise. J’en riais dans mon for intérieur. Je trempais mon index gauche dans mon verre avant de le porter lentement à ma bouche. Il semblait bien intéressé par mon récit. Il aurait sans doute voulu que je continue.

Farida et moi, nous le regardions le sourire aux lèvres.

Farida : On va continuer la soirée à l’hôtel bébé ?

Pour toute réponse, je me levais et m’en allait au comptoir pour payer notre addition. De loin, j’observais Greg Mallet en pleine conversation avec Farida. Il devait être en train de se donner beaucoup de mal pour la convaincre de le suivre. Je le laissais faire quelques secondes encore avant de les rejoindre.

Moi : On y va Aïssa ?

Nous quittâmes le piano bar laissant un Greg Mallet tout émoustillé.

A peine nous franchissions les portes de l’établissement que j’inspirais une bonne quantité d’air frais. Harry’s c’était bien mais qu’est-ce que ça pouvait vous sembler étouffant. Il faisait chaud. J’ôtais mon Kimono et Je m’adossais à un lampadaire et je savourais cet instant de joie entre ma meilleure amie et moi.

Les autres jours de...