Yassir
Ecrit par FleurdeLhys
-Ton
pè…enfin…Yassir est mort tout à l’heure des suites d’un accident de voiture. Le
choc était tellement violent qu’il en est mort sur le coup.
-……………………..
-Yaëlle
es-tu là ?
-Oui
« tanti ». Je… C’est…. Je ne… Mais…Pourquoi maintenant ?
-Je
ne sais pas chérie. On dira que Dieu en a ainsi décidé…
-…..
-Yaëlle…Mes
condoléances.
-Merci…A
toi aussi… Qu’est ce qui va se passer maintenant ? demanda la jeune femme
après avoir rassemblé ses esprits ;
-Je
ne sais pas trop…Je suppose que tu devras rejoindre tes frères au Canada puisqu’il
a souhaité être enterré là-bas.
Cela
n’étonna guère Yaëlle ; son père avait tout construit en occident. Il
avait quitté le Bénin à l’âge de 25ans. Parti en aventurier, il est très tôt
devenu un homme d’affaire influent qui a construit un empire digne de ses ambitions.
Yassir avait toujours eu le flair pour les affaires ; les affaires qui demandaient
de gros risques mais qui rapportaient tout aussi gros. L’or, le cacao, le coton
et récemment les armes…
Les
armes à feux…Son père avait-il trempé dans une affaire louche qui avait fini
par avoir raison de lui ? Ce
commerce était illicite et il le savait mais tant que personne ne savait qu’il
investissait dans ce domaine ; il était à l’abri de toute déconvenue. Yaëlle
avait découvert cela il y a cinq ans ; lors de son seul et unique séjour
dans la maison de son oncle à Luxembourg.
David
l’avait appelée personnellement quand il avait su qu’elle était de passage à
Luxembourg pour une mission diplomatique. Il voulait la connaître et surtout il
voulait s’excuser de l’absence dans sa vie de sa famille paternelle. Yaëlle
avait accepté sans vraiment savoir pour quoi mais au bout du rouleau, elle
avait compris que son père était derrière tout ça. Il voulait la voir et donc
il fallait un intermédiaire qu’elle ne redouterait pas.
La
dernière image que Yaëlle avait gardé de Yassir était celle-là : Debout
dans le salon de son oncle, la dévisageant presque craintif. Yaëlle l’avait
salué du bout des lèvres avant de se tourner vers son oncle comme s’il n’y
avait personne d’autres dans la pièce. Puis le soir ; errant dans les
couloirs ; elle avait surpris une conversation entre David et Yassir.
-La
cargaison vient demain par voix aérienne. Le code de déchargement est
« friandise ». Nous devrions envoyer tes hommes sur le quai à 4
heures.
-heures…Reçu…J’appelle
Akim pour les instructions.
Son
père avait composé un numéro et sans autres formes de procès avait entamé une
conversation avec son interlocuteur invisible :
-Sois
demain sur le quai avec tes hommes. Nom
de code « Friandise » Chargement de 5000 BARRETT M82. Soyez
vigilants et proactifs. BONNE CHANCE comme d’habitude. Et il raccrocha.
Cela
était suffisant pour que Yaëlle comprenne la nature du travail qui se fera
demain pour le compte des deux cousins KPODEGBE.
C’était
donc ; l’une des sources de toutes cette richesse intarissable. Yaëlle
retourna vers sa chambre à pas de loups et s’y enferma jusqu’au petit matin. Jamais ;
elle n’en avait parlé à qui que ce soit. Même pas à sa mère. Encore moins à son
mari.
Trop
tôt…A 55 ans, l’homme qui hantait ses nuits et motivaient ses ambitions de réussir
venaient de tomber. Yaëlle avait senti son échine se glacer, sa gorge se
coincer et son cœur se serrer à la nouvelle. Pourtant aucune goutte de larmes
n’avait pu couler de ses yeux…
Yassir
s’était donc éteint. Vraiment ? Elle n’avait pas fini de le défier ;
de le surprendre. Pourquoi fallait-il que la mort le fauche si tôt. Son oncle
David lui avait confié récemment que son père même s’il ne le lui disait pas
était fier de ses succès ; de son ascension professionnelle et de sa
réussite sociale mais qu’il était trop guindé, trop snob pour le lui avouer….
Enfin
de compte ; Yaëlle devait sa réussite à cet homme, son géniteur. C’était à
cause de lui ; qu’elle avait veillé toutes ses nuits pour étudier ; qu’elle
avait rassemblé tous ses sous pour lancer son commerce de cosmétiques ; aujourd’hui
géré par sa mère ; c’était à cause de lui qu’elle avait choisi de devenir
une diplomate ; c’était à cause de lui ; qu’elle avait développé une
soif inextinguible d’ambitions. Et si elle avait réussi, c’était pour lui prouver
qu’elle pouvait réussir sans lui ; qu’elle pouvait construire un avenir sans
lui. A la réflexion ; Yaëlle nourrissait inconsciemment le désir de
devenir une fierté pour ce père qui l’avait de tout temps rejeté, ignoré.
Ce
soir-là, Yaëlle n’avait pas pu pleurer mais elle n’avait pas fermé l’œil de la
nuit. Après avoir couché les enfants ; Ben était venu sans mot dire se
blottir contre elle dans le lit conjugal.
-
Bae….
-
Oui chérie
-
Tu te décides à me dire enfin ce qui te
rends muette ?
-
Yassir est mort…Mon papa n’est
plus…enfin mon géniteur je veux dire…
-
Ella ; il n’y a aucune honte à
éprouver des sentiments pour quelqu’un aussi détestable que tu puisses penser
qu’il soit. Tu es son sang et que tu le veuilles ou non ; il est ton père.
Yaëlle
soupira :
-
Ils seront tous là…je ne les connais
même pas…Je ne sais pas si j’ai vraiment envie d’aller à cette rencontre.
-
Ce sont tes frères ; ils feront
avec et toi aussi. Je suppose qu’il s’agira d’obsèques et d’héritage ?
-
Héritage ? ricana Yaëlle. Je n’ai
pas envie d’en entendre parler. Sans fausse modestie, je me suffis et je vis
bien. Rien à foutre de l’héritage d’un homme qui n’en avait que faire de moi de
son vivant…
-
Soit…Il te faut dormir pour retrouver des
forces. Demain est un autre jour.
Ben
savait qu’une Yaëlle émotive n’était pas raisonnable pour deux sous et comptait
sur la nuit pour lui porter conseil.
Le
lendemain aux aurores après une nuit agitée ; Yaëlle se décida à informer
sa mère. Malgré le décalage horaire ; Geneviève serait déjà en éveil à
pareil moment. Il devrait être quatre heures du matin sur Cotonou. -Allô
maman. Comment vas-tu ? Bien j’espère ? -Bien
ma chérie et toi-même ? Ben ? Et mes amours ? -Ils
vont tous bien Dieu merci. Ecoute…Yassir est décédé. Tante Jacqueline m’a
appelée tard hier soir pour m’en faire part. La
jeune femme expliqua à sa mère, les conditions du décès et l’entendit soupirer
à l’autre bout du fil. -Je
mentirai ma fille si je disais que le décès de ton père ne m’émeut pas. Il
fut quand-même mon premier amour et le père de trois de mes enfants. Ce n’est
pas comme si il n’avait pas compté … -Je
sais maman…J’imagine…Mes sincères condoléances….Comment vas Sébastien? -Il
va bien. Il est à côté. Tu souhaiterais que je te le passes ? -Oui
maman mais avant je voudrais te dire que je dois me rendre au Canada dans une
semaine pour la réunion des enfants de Yassir. Il sera enterré là-bas. -Ok.
Compris ma fille. Que Dieu t’accompagne et te ramène et que les anges bienveillants
qui sont avec toi te protège de tout mal. Tu es fille de grâce et de
bénédictions et tu le demeureras. Tes frères jumeaux de l’autre côté du regard
t’accompagnent pour rendre encore plus légitime ta présence au milieu de vos
frères consanguins. -
« Amine nan ». Yaëlle s’était sentit fortifiée après cette litanie de
bénédictions venant de sa bien-aimée mère. La jeune-femme savait que cela
n’était pas vain. Les bienveillantes prières de sa mère l’avaient accompagnée
toute sa vie. La preuve partie de rien ; délaissée par son géniteur, elle
avait réussi malgré cette sensation d’injustice à se construire une vie non moins respectable. Sa
mère avait connu Yassir très jeune, très naïve aussi. Yassir était mariée à une
riche commerçante ; faisant croire à sa mère qu’il était célibataire ;
amoureux et désireux de l’épouser. L’idylle était parfaite mais s’écroula très
vite lorsque Yassir appris que Geneviève était enceinte de lui. -Tu
ne peux pas garder cet enfant ma chérie. Il faut que tu avortes. Nous ne sommes
pas prêts pour une grossesse. Ma
mère avait refusé puis le loup caché sous la face de brebis avait sorti ses
crocs. -Tu
avortes ou je te quitte. D’ailleurs, je suis mariée et je n’ai pas l’intention
de prendre une seconde épouse. Geneviève
avait accusé le coup et malgré la douleur de la déception avait gardé cet
enfant. Yassir avait reconnu l’enfant mais n’avait pas voulu que cela
s’ébruite. Sa mère certainement amoureuse avait continué a fréquenté l’homme
marié ; et au bout de deux ans ; une seconde grossesse s’en était
suivi. Yassir n’en voulait pas. Il l’aimait mais il ne pouvait pas prendre en
charge deux enfants. De plus, « sa madame » venait d’accoucher d’un
garçon. Geneviève
s’était détournée de lui, la mort dans l’âme mais avait gardé la grossesse. A
cinq mois, l’échographie montra que c’était deux garçons. Malheureusement, elle
fit une fausse couche dans le septième mois. Yaêlle
avait vu plus d’une fois sa mère pleurer dans son coin croyant qu’elle ne
remarquait rien. Elle pleurait seule dans sa chambre puis après elle sortait
vaquer à son commerce avec le sourire aux lèvres. Elle
avait élevé Yaëlle seule avec tout ce que cela impliquait ; mais elle
n’avait pas abdiqué puis un jour elle avait rencontré Sébastien ; le père
de ses demi-frères, un homme qui l’avait adopté comme sa fille et s’en était
occupée avec beaucoup de dévouement.