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Write by Lilly Rose AGNOURET
Il est 19h lorsque je rentre
du bureau après une longue réunion en visioconférence qui a duré près de trois
heures. C’est toujours ainsi à la veille du lancement d’un nouveau produit.
L’équipe marketing atteint un niveau de stress tel que la communication et la
finance, sont obligés de trouver les bons mots et surtout le bon ton pour faire
descendre la pression. Je suis le responsable financier de la boite. Au début
de ma carrière, pour survivre à ces réunions, j’ai abondamment profité des
séminaires en communication, gestion du stress et prise de parole, proposé
chaque année par la boite.
La maison est étrangement
calme quand j’y pénètre. Pourtant, mes narines, dès le vestibule, sont
titillées par un parfum assez particulier. Je pose mes clés de voiture sur le
guéridon à l’entrée, j’avance vers le salon en tirant sur ma cravate. Déjà, je me
débarrasse de ma veste. Je traverse le salon qui est plongé dans la pénombre.
J’arrive dans la salle à manger. La table est magnifiquement dressée pour un
repas intime. Mon épouse est là, splendide, vêtue d’une robe de soirée, de
style ethnique. Un style qu’elle affectionne depuis quelques années.
- J’adore les couleurs de ton
foulard, fais-je en m’approchant pour l’embrasser.
Je feins d’être intrigué par
le décor et les chandelles qui illuminent la table. En plein milieu, pour
repas, deux hamburgers, posés sur deux magnifiques assiettes en porcelaine.
- Des chandelles, du
champagne, des couverts argent et… Et des hamburgers ! Ai-je raté un épisode,
chérie ?
- Et si tu allais te changer ?
me fait-elle en souriant.
Cela fait 15 ans que nous
sommes mariés. Je n’ai bien sûr, pas oublié que nous sommes le 8 septembre. Vu
la canicule qui alourdit le ciel de France, il aurait été pénible que cette
soirée se termine en bouderies à cause d’une date symbolique telle que celle-là
!
Je me change, optant pour ce
costume en tissu Ankara ramené d’un séjour en Côte d’Ivoire. C’est relax et
très pratique, car j’ai l’intention de libérer mes pieds en mettant des
sandales en cuir souple.
En redescendant, mon esprit se
pose mille questions au sujet du menu de ce soir. Pourquoi manger des
hamburgers ce soir alors que nous avons de quoi nous faire livrer à domicile,
le menu d’un restaurant étoilé ? Je ne sais pas ce que me réserve mon épouse.
Je m’intime l’ordre d’être flexible, ce soir. Si elle a décidé que nous devons
manger des sandwichs pour fêter nos quinze ans de mariage, alors, je me plie à
sa décision. Après tout, il y a du champagne !
Il faut dire que le fast-food,
j’ai arrêté le jour où j’ai décroché mon premier emploi. Et puis mon épouse ne
m’a jamais habitué à ce genre de chose. J’ai épousé un vrai cordon bleu ! Et
dans la maison, nous avons une cuisine équipée qui m’a coûté bonbon. Mais vu le
temps que mon épouse y passe le week-end, je suis heureux de lui avoir offert
cet immense espace dont elle dit que c’est son refuge. Nous vivons à Bordeaux.
Mon épouse est professeur de droit et donne des cours à la fac et dans des
écoles supérieures de commerce. Pendant le week-end, elle passe énormément de
temps en cuisine pour s’évader à travers des recettes qu’elle glane ci et là
sur Internet !
Quand je viens la retrouver
dans la salle à manger, elle me sourit. Je lui demande alors :
- Des hamburgers ?
Sérieusement !
- Assieds-toi et respire ! me
fait-elle. Et ta journée ?
Je la regarde, lui souris et
lui dis :
- Joyeux anniversaire de
mariage, madame Rémanda.
- Joyeux anniversaire de
mariage, monsieur Rémanda.
Je reste là à la contempler.
Elle ne s’embarrasse jamais de make-up comme c’est la mode en ce moment. Elle
s’applique toujours à me séduire avec des couleurs singulières à ses lèvres.
Elle met un point d’orgue à ce que ses cheveux soient toujours impeccablement
coiffés ou tressés. Ce soir, j’ai droit à cet afro relevé par un foulard dont
les couleurs invitent à l’évasion.
- Je parie qu’il y a une
nouvelle boutique afro en ligne, lui dis-je.
- Tu paries bien ! Alors, ta
journée ?
Je souris et réponds :
- Mortelle.
Les yeux rivés sur ces deux
belles assiettes au milieu de la table, je lui demande :
- Des hamburgers ?
- Oui !
- Quel épisode ai-je raté ? Tu
sais, il n’est pas trop tard pour appeler un service traiteur, lui dis-je. Je
sais que tes journées sont longues et que tu prépares la rentrée des classes,
mais…
Elle me coupe la parole et me
demande :
- Prends l’une ou l’autre des
assiettes !
Je m’exécute. Je place
l’assiette face à moi. Je regarde le sandwich dont je raffolais quand j’étais
étudiant. J’étais boursier de l’état gabonais. Mes parents n’avaient pas
d’argent. Mon père a travaillé toute sa vie comme fonctionnaire municipale au
service courrier de la mairie de Port-Gentil. Ma mère était femme de ménage. Je
suis né deux ans après la mise à la retraite de mon père, qui était retourné
vivre dans son village natal. Je suis ce que l’on appelle, un enfant de la
retraite. Né sur le tard, mes parents m’ont élevé jusqu’à ce que je réussisse
mon entrée en 6ème.
J’ai atterri chez une tante
maternelle, institutrice à Port-Gentil, pour le collègue. Quand j’ai réussi mon
BEPC, je suis arrivé chez une tante paternelle, pâtissière, à Libreville pour
mes années lycée. Le bac en poche, il était question que j’aille grossir les
rangs de l’université Omar Bongo, de Libreville.
Ma tante, pâtissière de son
état, avait fait le pied de grue auprès d’un client de la
boulangerie-pâtisserie qui l’employait. Ce client était directeur du bureau des
Bourses et Stages. Ce fut ainsi que moi, qui jamais n’avais espéré quitter le
pays, me retrouvais à Paris pour mes études d’économie, avant de finir en
troisièmes cycles de comptabilité et finance, à l’École Supérieure de Commerce
et de Management de Bordeaux. Un long chemin.
- Bon appétit chéri !
- Euh ! Chérie, je n’ai pas
envie de gâcher la soirée et tout ça, mais… euh…
- Qu’y a-t-il, mon amour ? me
fait-elle avec douceur.
Je regarde mon assiette, je
regarde mon épouse. Je n’ai pas le loisir de m’exprimer, car elle vient
d’appuyer sur le clavier de son smartphone pour mettre de la musique. Les voix
des Destiny’ child s’évadent alors et viennent me rappeler que mon épouse, me
rendait dingue il y a quelques années, en écoutant ce groupe pendant toute la
journée. Ensuite, c’est la voix d’Alicia Keys, qui nous dit : « I keep on
fallin’… » C’est ainsi que débute notre voyage vers les années de frustration,
de bonheur, d’incertitudes. Ces années où nous partagions d’une studette de 22
mètres carrés à Nanterre, parce que la mère de mon épouse lui avait coupé les
vivres en apprenant qu’elle était en couple avec moi. Ces années, où après les
cours, je courrai nettoyer les bureaux dans le quartier des affaires à La
Défense, alors que mon épouse faisait trois heures de baby-sitting avant de
rentrer le soir.
Quand on se retrouvait, on
avait encore assez d’énergie pour rire et partager…
- Un hamburger ! Oui, je vois
où tu veux en venir. Et oui, ça nous ramène très loin, dis-je en riant. Je
t’avais invitée chez moi. J’étais fauché comme les blés. Je ne savais pas où
t’emmener dîner. Je… J’avais gardé mes doigts croisés pendant toute une journée
pour que tu ne joues pas à la diva en m’imposant un restaurant dont je ne
pourrais régler l’addition. Combien avais-je en poche à cet instant-là ? Oh là
là ! J’ai honte quand j’y pense.
Elle me sourit et me répond :
- J’avais compris ton embarras
avant même que tu ne m’indiques ton adresse. Je t’avais vu compter tes sous à
la caisse du McDo quelques jours avant, pour t’acheter un sundae caramel. Cela
m’avait intriguée. Quelques jours après, tu avais de nouveau fait la même chose
pour un brownie au chocolat. J’avais supposé que tu étais radin. Et en arrivant
chez toi, ce soir-là, tu tremblais tellement en ouvrant les placards de ta
kitchenette pour trouver un verre propre pour me servir à boire, j’avais ri en
voyant le contenu de tes placards.
- Des pains pour hamburger. Ça
coûtait tellement peu cher. J’étais idiot et fauché à l’époque, dis-je en
riant. Ce pain était assez pratique. Il me suffisait d’acheter des steaks
hachés et le tour était joué. Pour agrémenter le tout, il me suffisait de
changer de sauce pour avoir l’impression que l’hamburger était différent.
Je me passe la main dans les
cheveux en riant. L’évocation de cette époque me met souvent dans un état
émotionnel assez particulier. Pour dîner ce soir-là, j’avais commandé une pizza
en priant qu’au moment où celle qui est maintenant mon épouse, s’en irait, elle
ne raconterait pas à ses amies que j’étais un mec ringard.
- Je viens de loin ! dis-je en
prenant cet hamburger des deux mains. J’en croque une bouchée. Mon palais a
envie de danser la Macaréna, car, le goût de ce met est divin. Je ne sais pas
ce que mon épouse a mis comme ingrédient à l’intérieur ! Les larmes m’en
viendraient presque, tellement, c’est bon.
- Merci ! lui dis-je avant
d’en croquer une seconde bouchée.
Elle me regarde en souriant. A
son tour, elle croque dans son hamburger. A nouveau, tel un idiot, je lui
répète :
- Merci. Merci de ne pas avoir
fait la diva ce soir-là, il y a 20 ans.
Elle sourit et me répond :
- Pendant le repas, tu m’avais
parlé de ta scolarité au village, sur les bords de l’Ogooué. Tu parlais des
sensations que tu avais ressenties la première fois en allant à la pêche dans
une pirogue avec ton père. Tu parlais du cri des animaux dans la forêt, de la
façon qu’avait ta mère de tresser les feuilles de palmier pour fabriquer des
nattes. Je n’avais jamais mis les pieds dans un village. Je ne savais même pas
comment était fabriqué le gari dont je raffolais. Ma mère nous envoyait en
vacances en Italie chez ma tante, aux USA chez mon oncle, en Côte d’Ivoire chez
ses amies. Je ne savais même pas le nom du village de mes grands-parents, alors
que j’avais été à l’école primaire et au collège à Port-Gentil. Ce sont tous
les récits que tu faisais qui m’avaient poussé à accepter un second
rendez-vous.
Elle s’arrête un instant,
mange et reprend quelques minutes plus tard :
- Il y a une chose que je ne
t’ai jamais racontée. Quand j’étais allée voir ma grand-mère trois jours après
la scène d’hystérie que ma mère m’avait faite en apprenant notre histoire, ma
grand-mère m’avait dit : « Garde cet homme et dis-toi que personne ne devient
riche sans travailler. » Elle m’avait répété que tout le monde, un jour, part
de rien et que si tu étais un bon étudiant comme je le lui disais, tu
arriverais quelque part. Elle avait ajouté : « Pour ce qui concerne les
ingrédients que tu utilises pour cet hamburger dont tu dis qu’il aime bien ça,
change-les. Mets-y une tranche d’amour comme viande, une dose de patience comme
oignons, de la douceur comme fromage et dose de courage comme ketch-up. C’est
l’avenir qui te dira diras si cette recette mène au bonheur, et non pas les
élucubrations de ta mère ! »
Je regarde la dernière bouchée
d’hamburger qu’il me reste en main et je comprends mieux pourquoi c’était si
bon !
A savourez sans modération !
Jour 4
Bon dimanche à tous.
©Lilly Rose AGNOURET