2- Les couleurs de nos amours

Write by lpbk

Je crois que je vis l’une des plus belles journées de ma vie.

Je viens d’apprendre que dans quelques mois, je signerai mon premier vrai contrat de travail. Ce n’est qu’un CDD mais pour moi qui pensais me retrouver au chômage, c’est en quelque sorte Noël avant l’heure. Georgette, une autre stagiaire m’a même demandé si je venais de faire l’amour. Une question absurde. Je me suis bien gardée de lui expliquer la raison de mes sourires.

Je regarde tourner les aiguilles de ma montre. Je suis tellement excitée à l’idée d’annoncer la nouvelle à Iris que je ne tiens plus en place. Dans ma tête, c’est le carnaval et je danse déjà la bamboula.

12h30 ! J’ai attendu ce moment avec impatience. J’observe mes collègues se ruer vers la sortie. En tout cas, on a beau avoir quitté le lycée que la pause est toujours aussi sacrée. J’attends une dizaine de minutes avant de faire le tour de la grande pièce. Personne en vue. Je compose le numéro d’Iris. Ça sonne deux fois et elle décroche.

« Allo ma belle ! »

En voici une autre pour qui je suis une beauté fatale.

« T’es seule ? »

« Pourquoi ? »

« Ma parole, on ne t’a pas appris à répondre aux questions ? »

« Tu sais bien que je séchais les cours pour aller me promener avec Greg MINON. Ce connard qui a osé embrasser Michelle LOUMBAKA à ma fête d’anniversaire. »

« Qu’est-ce qu’il devient même ? »

« Aka, qui va chercher de ces nouvelles ? Sinon, tu voulais me dire quoi ? »

« Promets-moi de rester cool. »

« Promis, juré, craché ! »

« Je n’en demandais pas tant mais c’est bon. Je viens d’avoir une promesse de CDD ! »

Elle crie tellement fort que je suis obligée d’éloigner l’appareil de mon oreille.

« Mes fins de mois seront donc moins galères ! Merci Seigneur ! J’ai tellement prié pour cela. »

« Fais-moi rigoler. Tu as prié dans les maquis de Marcory ? »

« Dieu est partout, tu ne sembles ne pas le savoir.  On se reparle ce soir ! »

Elle me félicite encore une fois à sa manière avant de raccrocher. Je suis tellement heureuse que j’ai l’impression qu’il me pousse des ailes dans le dos. Pour le moment, je dois aller déjeuner, j’ai l’estomac dans les talons. J’attrape mon sac et je m’envole. Au moment de saisir la poignée de la porte, celle-ci s’ouvre dans un mouvement violent et je me la prends en plein dans le visage. Je crois que je viens de perdre une aile si ce n’est les deux.

« Aïe ! »

Fesses au sol, mains sur le visage je me tors de douleur. Je dois avoir l’arête du nez éclatée peut-être même broyée.

« Vous allez bien ? J’espère que je ne vous ai pas … »

Je n’ai même pas encore quitté le sol qu’il se demande si je vais bien. Un peu de patience assassin, tu auras la réponse bien assez tôt.

« Espèce de criminel ! Lâchez-moi ! Mais c’est quoi votre souci ? Lâchez-moi ou je crie ! »

Je vocifère une belle rafale d’injures en me mettant debout. Le spectacle doit être macabre mais je m’en fiche. J’ai hyper méga mal. Je penche ma tête en avant afin de vérifier que je ne fais pas de commotion cérébrale ou que je ne suis pas en train de faire une hémorragie. C’est bon, rien à signaler. J’attrape mon sac qui comme moi s’était lamentablement échoué sur le sol.

« Je suis désolé. »

« Mais je m’en fiche de vos ex… »

Je viens de ramener mes cheveux en arrière dans un geste empli de colère et c’est tout comme une levée de rideau après une tragédie shakespearienne. Rudy ou Calvin ! En fait, l’un des mecs du débarcadère est là devant moi en train de s’excuser. Mon cœur bat une fois puis il prend une courte pause et je frôle l’arrêt cardiaque. Je crois bien que lui c’est Rudy.

« Noëlla ? »

Où est-ce qu’il voit une Noëlla ? Il n’a même pas retenu mon prénom tellement il était occupé à se prendre la tête avec sa copine je parie. Sacré bleu, suis aussi mémorable ?

« C’est Nowa ! Pas Noëlla ! »

« Sorry ! »

Je profite de cette accalmie pour examiner les traits de son visage. Il va sans dire qu’il a un joli minois. Il a un truc de changé mais quoi ? Il se baisse sans que je ne sache pour quelle raison absurde. Ah oui, il a coupé ses cheveux. Erreur ou embrouille avec son coiffeur parce que là, plus un poil sur le caillou. Je n’aurai jamais cru trouver un chauve sexy. Même Bruce Willis n’a pas réussi à faire battre mon cœur.

« Je crois que c’est à toi ! »

Du bout de l’index, il brandit un bout de dentelle noir devant mon nez.

« Je ne pense pas ! Il pourrait bien être à toi. », dis-je sans vraiment réfléchir.

Il sourit.

« Tu crois que je porte ce genre de petite chose ? »

« Aucune idée. »

« Je pourrai te le prouver si nous étions ailleurs mais bon, nous sommes ici et je doute que tu sois prête à apprécier la bête. En ce qui concerne cette jolie trouvaille, il ne me reste plus qu’à la déclarer aux objets trouvés. Un string, un joli string qui va finir dans une veille corbeille. Dommage ! »

Il enfonce mon string dans la poche de son pantalon.

« Tu m’excuseras mais je dois y aller. »

C’est tout ? Il m’a pété le nez et il s’en va comme si de rien n’était et ce après avoir kidnappé mon string payé une fortune chez ETAM que dis-je après l’avoir pris en otage. C’est trop fort ça. Je jette un coup d’œil à ma montre. J’ai encore le temps d’avaler quelque chose mais je crois bien que perdre une aile m’a coupé l’appétit.

 

Je marche dans le hall d’un pas pressé. Je meurs d’envie d’annoncer la bonne nouvelle à ma famille. Je traverse les agents de sécurité qui comme d’habitude sont en pleine conversation. Ils croient peut-être attraper des bandits ou déjouer une attaque terroriste en faisant causette. Soudain, l’un d’entre eux me fait signe de m’approcher. J’exécute, on ne sait jamais. Peut-être suis-je recherchée quelque part.

« Bonsoir madame ! »

« Bonsoir chef ! »

En Afrique tout le monde est chef ! En plus quand vous prononcez ce mot, ils se sentent tout de suite important et sont moins belliqueux.

« On a laissé quelque chose pour vous. »

« Qui ? »

« Je ne sais pas hein ! Attendez ! »

Il se tourne et beugle pour demander à son collègue s’il a pris l’identité de celui qui m’a laissé la grande enveloppe qu’il me tend. Bien évidemment, lui aussi ne sait plus à quoi cet homme ressemblait. Quelle incompétence ! Je récupère l’enveloppe et je décroche mon téléphone qui sonne depuis un moment.

« Bonsoir Mimi ! »

« Bonsoir Nowa ! »

« Je sais que je te prends de cours mais tu peux passer ? »

« J’avais prévu passer à la maison tout à l’heure. Je peux passer après si tu veux. »

Je l’entends soupirer à l’autre bout.

« C’est urgent Nowa. »

Qu’est-ce que la maitresse de monsieur Luis NYANE peut-elle avoir à me dire ce soir ? J’espère qu’elle n’est pas à nouveau enceinte.

« OK ! J’arrive. »

Je suis bien obligée de changer mes plans pour ce soir. Dans le taxi qui me conduit jusqu’à chez Mimi, je n’arrête pas d’imaginer toutes les choses qu’elles pourraient bien me raconter. Mon père aurait-il une autre maitresse régulière cachée ? Peut-être a-t-il un autre enfant qu’elle vient de découvrir ? De toutes les façons avec lui, il faut s’attendre à tout.

 

Comme d’habitude, la maison de Mimi sent bon la pâtisserie. Mon demi-frère Quentin saute dans mes bras dès qu’il m’aperçoit. Qu’est-ce qu’il a grandi. J’ai honte de ne pas passer le voir plus souvent tout à coup. Mimi sort de la chambre dans une magnifique robe à fleurs.

« Bonsoir Nowa ! »

« Bonsoir Mimi ! Tu vas bien ? »

« On fait aller. », répond t-elle en s’asseyant dans un fauteuil.

Elle nous observe un moment avant de dire à Quentin d’aller dans sa chambre. Il boude mais je finis par le convaincre en lui promettant un nouveau jeu pour sa console. Même les enfants sont corruptibles dans ce pays.

« Tu as mangé ? »

« Non, je sors droit du boulot. »

« Je te sers quelque chose ? »

Elle fait quoi là ?

« Non, merci. Tu voulais me parler de quoi ? »

Elle prend un air un peu trop solennel. Je m’attends déjà au pire.

« Ton père veut demander le divorce. Il dit vouloir m’épouser. »

Quoi ? Mon cerveau est resté bloqué sur la première phrase. Luis NYANE ! Demander le divorce à qui ? Il ne la connait pas ou il fait semblant de ne pas la connaitre ?

« Comment ça ? »

« Ca fait déjà des mois qu’il m’en parle. Ce matin, il a appelé mon grand-frère pour prendre les renseignements à propos de la dot. »

« Tu es sérieuse ? »

« Oui ! C’est mon frère qui me l’a dit. »

Je ne peux m’empêcher de rire. Un rire nerveux mais un rire tout de même.

« Qu’est-ce qui te fait rire ? »

Je n’arrive pas à m’arrêter.

« Nowa, dis-moi ! »

« Mimi, il y a des femmes dont on divorce et il y en a dont on ne divorce pas. Moëra NYANE est de cette seconde catégorie. Le père là a oublié qu’ils sont mariés sous la communauté des biens ? »

« Même moi je le lui ai dit. »

« Il faut le laisser. C’est une lubie, ça lui passera. Il doit être en train de nous faire sa crise de la soixantaine. Et si ce n’est pas le cas, je te prierai de le convaincre de renoncer à cette stupide idée. »

« Humm ! »

Je m’attendais à tout sauf à ça. 25 ans et le bonhomme continue de me surprendre. Donc lui, à près de 57 ans, il veut divorcer pour se remarier. Il se croit à la télévision je suis sûre. Nous continuons de discuter un moment puis, tout d’un coup, elle m’interroge sur cette enveloppe près de moi.

« Merci, tu me rappelles de l’ouvrir. »

Après l’avoir ouverte, je la secoue et là c’est la surprise totale. Le fameux bout de dentelle noire est dans ma main, un bout de papier s’échappe de l’enveloppe et tombe à mes pieds.

« C’est quoi ça ? »

Je récupère le papier et je lis ce qui est écrit dessus.

« Tu m’as l’air de faire un petit 36. Rudy. »

« Alors ? »

Me voici en train de raconter ma vie à la maitresse de mon père. Celle-là même avec qui il a un fils de 7 ans et pour laquelle il envisage quitter ma mère. Quelle histoire !

Les couleurs de nos...