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Write by lpbk

Après neuf mois passés en Écosse, cent cinquante conversations Skype et une journée à Paris pendant les vacances de Noël, Zoé retrouva enfin les bras plus potelés de Vincent. À peine arrivée, elle s’était ruée dans son appartement. La course à pied sur le campus de Cornell n’était pas venue à bout de neuf mois d’orgies alimentaires auxquelles Vincent s’était adonné. Elle avait délicatement posé sa tête sur son torse moelleux et l’avait croqué de part et d’autre comme une pâtisserie dont on l’avait privée des siècles. Ils discutèrent de leurs expériences respectives. Elle avait bien sûr tu sa rencontre avec Bledji. Elle tentait, de son côté, de déceler si son regard trahissait un mensonge éhonté qu’il essayait de dissimuler. Elle n’avait rien perçu. Alors, elle le couvrit d’autant de baisers qu’il ne fallait pour rattraper une année passée loin de lui. La poitrine de Zoé se serra quand elle songea à la rentrée en master. Vincent évoluerait dans celui des affaires publiques spécialité culture tandis qu’elle continuerait en ressources humaines. « T’as fait le bon choix », se persuadait-elle. Certes, elle s’était bien moins concentrée sur les cours. Son oisiveté lui avait fait baisser la moyenne, mais tout de même. Elle avait intégré Sciences Po dans le but précis de travailler sur les grands enjeux contemporains de demain, d’être une force active au service des politiques du changement. C’était un peu son rêve d’enfant qu’elle abandonnait. Vincent lui avait avoué qu’il ne la pensait pas à la hauteur du master, ses notes, sa personnalité… Ses épaules lui paraissaient bien trop frêles pour supporter l’adversité dans ce milieu de requins. « Et puis en RH aussi tu auras des projets innovants au sein de ta future entreprise. Tu travailleras sur les grandes questions de ce siècle, l’intelligence artificielle, le bien-être au bureau, etc., mais au moins tu seras dans un environnement plus sain et plus adapté à toi ». Résignée, elle en avait conclu que son copain avait raison et qu’il serait vain de lutter contre cette nature pour échouer lamentablement. Elle avait donc coché sans regret la case ressources humaines. Leurs deux années suivantes se passèrent sans encombre. Quatre bougies d’amour soufflées à deux nourrissaient l’espoir de Zoé de porter un jour le nom de Vincent. Plus les années s’enchaînaient plus elle en était convaincue, il était l’homme de sa vie. À l’issue de sa troisième année, Zoé était retournée vivre chez ses parents pour pouvoir économiser des sous. Elle avait songé dix millions de fois à présenter Vincent à sa famille, mais n’avait jamais osé franchir le pas. Il était un secret qu’elle gardait jalousement dans son jardin. Elsa en avait vaguement entendu parler, mais elle n’était jamais allée plus loin. Elle de son côté connaissait les Héron et avait même déjà rencontré une cousine à lui. La notion de petit-ami n’existait pas chez les Sia. Tu présentes un fiancé ou tu ne présentes personne. Alors, elle décida que chez elle, Vincent Héron n’existait pas, bien qu’il fasse partie de sa vie depuis quatre ans déjà. Trouver un stage de fin d’études n’avait pas été une mince affaire, mais obtenir un emploi était un véritable parcours du combattant. Zoé connut des matinées entières à sillonner les offres, à déposer des CV sur les sites, à espérer décrocher un entretien suite à une énième lettre de motivation personnalisée en fonction du poste qu’elle visait. Rien n’y faisait, on ne daignait même pas la recevoir. Mais en plus, Zoé devait essuyer les remarques de ses proches. « Je ne comprends pas tu as étudié autant d’années pour finir au chômage comme les sans-diplômes », « t’étais pas censée devenir présidente avec ton école ? ». Autant de moqueries que Victoire ne se privait pas de formuler et qui avaient le don d’agacer Zoé. On lui aurait donc menti ? Elle était aussi désabusée que ses proches. Certains soirs, bien qu’elle détestait cette réflexion, elle pensait qu’elle était tout simplement le problème et qu’elle ne pouvait rien y faire. Soudain, elle se martelait les chiffres de ces grosses enquêtes dans sa tête. Était-elle une statistique supplémentaire ? Faisait-elle partie de ceux dont on refusait la singularité ? Parfois, la tentation était grande de juste retirer cette photo qui la privait peut-être d’un emploi et de laisser venir à elle les entreprises. Elle n’en fit rien. Zoé avait toujours aimé se bercer d’illusions. Et puis, elle voulait être sûre qu’on la prenne elle dans son entièreté. Intégrer une école prestigieuse ne suffisait pas pour qu’on lui déroule le tapis rouge. Huit mois avaient été nécessaires pour décrocher le sacro-saint CDI chez Milagro, pourtant, les brochures et enquêtes de Sciences Po se targuaient de l’insertion rapide des diplômés dans le monde du travail, « en six mois », soulignaient-ils. La désillusion avait découragé quelques connaissances de promos qui voyaient dans les boîtes étrangères un eldorado salarial. Ils avaient été nombreux à fuir en Amérique, en Australie ou encore en Afrique. Vincent, lui, n’avait pas eu de difficultés à être embauché dans l’administration publique. Il n’avait eu qu’à appeler son ancien maître de stage qu’il avait pu appeler grâce à son père qui auscultait très souvent l’oncle de cet ancien maître de stage. De coup de fil en aiguille, il avait eu son premier poste. Parfois sa suffisance et sa condescendance avaient le don d’énerver Zoé. Il lui reprochait un CV pas assez accrocheur, alors que le sien affichait peu de mots-clés et était d’une banalité, une lettre de motivation bateau, quand lui n’avait pas eu besoin d’en fournir une seule pour obtenir un entretien. Puis, il se permit de critiquer la non-mobilisation de son réseau. De quel réseau parlait-il au juste ? Celui de son quartier dont le taux de chômage chez les jeunes dépassait celui de la moyenne nationale ? De son entourage qui était encore plus en galère que sa famille ? Ou de celui de Sciences Po qui tout comme elle était à l’affût d’une opportunité ? Celui de son ancien stage n’avait pas abouti. Zoé ne voyait aucun autre réseau à activer comme lui avait pu activer le sien. Lorsqu’elle reçut enfin le coup de fil salvateur de Milagro, Zoé fut aux anges. Elle eut la sensation de retrouver grâce aux yeux de cette société et d’avoir de la valeur. C’est fou ce que le fait de posséder un travail peut vous donner un rang social ou pas. Un contrat signé dont elle se vanta auprès de sa famille et qu’elle brandit dans des soirées et apéros qu’elle s’autorisa de nouveau. Vincent l’avait invitée à dîner, pour fêter l’obtention de son CDI, pensait-elle. Adjoua y avait vu le signe d’une bague flottant dans une coupe de champagne ou dissimulée dans un fondant au chocolat que Zoé dégusterait avec attention. Zoé, persuadée que c’était le grand soir, s’était mise sur son 31 et avait prévu un maquillage waterproof. Un mascara qui lui éviterait le regard de panda qu’elle afficherait sur les photos et vidéos qui immortaliseraient cet instant. Tout au long du dîner, elle scrutait le moindre indice qui indiquerait que Vincent ferait sa demande. Elle avait inspecté la coupe de champagne avec laquelle elle avait trinqué. Elle avait observé Vincent pour deviner dans son comportement des signes de nervosité. Le jeune homme semblait effectivement agité. Elle avait disséqué chacune de ses paroles pour y entendre le début d’un discours. Soudain, Vincent prit ses deux mains. — Zoé, j’ai quelque chose à te dire. Il inspira profondément. Elle retint son souffle et ne put contenir un large sourire. Avant même qu’il n’ait commencé, les larmes lui montaient aux yeux. — Chérie, j’ai eu une promotion. Zoé, décontenancée, gardait la bouche ouverte. Ce n’est pas le discours auquel elle s’attendait. Elle avait alors essuyé les quelques larmes qui naissaient au coin de ses yeux. — Déjà ?! Ba écoute, c’est génial pourquoi tu fais cette tête ? — Parce que… c’est… c’est à Shanghai. — Shanghai ? Genre la Chine ? — Oui, mais rassure-toi, je… je ne sais pas encore, je leur ai demandé de me laisser réfléchir. Mais il faut que tu comprennes que c’est une très grosse opportunité pour moi. Ça va donner un de ces tournants à ma carrière. — Si t’essaies de me convaincre, c’est que c’est déjà tout réfléchi pour toi non ? Dis-moi la vérité Vincent, tu comptes accepter ? Il baissa la tête. — Je dois donner ma réponse demain matin et je crois que je vais dire oui. — T’as pris ta décision. La bouche de Zoé se crispa par un rictus. — Mais tu pourrais me suivre en Chine. Tu trouverais un tra… Zoé éclata de rire. — T’es pas sérieux ? J’ai mis huit putains de mois à trouver un boulot en France le pays dans lequel je suis née et dont je comprends la langue. Tu crois sincèrement que je vais trouver un boulot en Chine ?! Même toi, tu n’y crois pas. — Écoute, ça ne changera rien pour nous, la mission ne dure que deux ans et rappelle-toi on l’a déjà fait il y a deux ans. Ce sera comme pour la 3A et avec ton nouveau boulot le temps passera super vite. Tu verras. — C’est moi que tu essayes de rassurer ou ces paroles te sont adressées ? — …. Je suis désolé, je ne peux pas refuser, mais je ne veux pas te perdre non plus. Il pressa sa main contre sa joue. — Est-ce que tu comprends ? — Ouais, mais… — Il n’y aura toujours que toi, mais j’ai trop bossé pour laisser passer cette chance. Zoé eut la sensation une fois de plus que son monde s’écroulait. Pas étonnant, pensa-t-elle vu qu’il ne reposait que sur la présence ou non de Vincent. Rien n’était plus instable que les ambitions politiques du jeune Héron. Elle finit par réaliser que toutes ces années ensemble ne faisaient pas le poids face à ce que ce poste en Chine lui faisait miroiter. Elle ne serait jamais à la hauteur. Elle ne vaudrait jamais le sacrifice d’une carrière de diplomate. Zoé le savait, mais elle était incapable de se détacher de lui. Alors, elle réactiva son compte skype, elle prévit des congés à Shanghai et tenu son cœur. La troisième année l’avait rendue experte en relation à longue distance. C’est comme le vélo, ça ne s’oublie jamais.

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