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Zoé, essoufflée, foulait le boulevard Haussmann à la recherche d’une belle robe pour le mariage de Linda qui avait lieu dans un mois. Entre son aménagement, ses nouveaux horaires au boulot, elle s’était très peu attelée à la tâche, pourtant l’événement s’approchait dangereusement. Elle aurait à peine le temps de clore ses paupières, qu’en les rouvrant elle célèbrerait l’union de son amie d’enfance sur le parvis de leur mairie.

Elle avait écumé des semaines entières des boutiques physiques et en ligne de fashionistas en vain. La robe idéale était plus difficile à dénicher que le Saint Graal.

Aussi, le 10e fut son dernier espoir. La rue commerçante du faubourg du temple était bien connue pour ses enseignes de fast fashion, mais la qualité des vêtements qui meublaient les vitrines laissait à désirer. C’était Elsa qui lui avait filé ce bon plan. Sa sœur était dotée d’un sens aigu de la mode. Zoé décida de lui faire confiance. Elle pénétra sans grande conviction dans la boutique où des milliers d’habits pour toute occasion s’étalaient à perte de vue. Elle balaya des yeux à toute vitesse, une allée, puis une autre. Une robe fourreau attira son regard. Elle saisit alors le cintre pour l’observer de plus près. Les coutures étaient grossières. Elle la posa aussitôt. Zoé soupira. Elle fit défiler dans sa main des dizaines de tenues, mais un détail la titillait toujours. Elle avait du mal à se concentrer, perturbée par le bruit d’une enfant turbulente qui avait décidé de transformer l’immense magasin en son terrain de jeu. Elle entendait également les parents de celle-ci tenter de la canaliser. Inaya, elle s’appelait Inaya. Cela faisait dix bonnes minutes que son nom résonnait dans les allées à la même régularité qu’un réveil qu’on aurait plusieurs fois repoussé.

Elle fouillait encore dans les étals de robe quand elle rencontra la tempête Inaya. La petite fille aux couettes enrubannées, aussi haute qu’un tabouret, s’était empêtrée dans les jambes de Zoé. C’était donc elle, la terreur d’à peine un mètre dix ?

— Désolée, m’dame… s’excusa la fillette qui ressemblait à s’y méprendre à Rudy du Cosby Show.

— Mais ? c’est pas grave, répondit Zoé qui s’était penchée au niveau de son visage de poupon, lui adressant un large sourire.

Des pas se pressèrent en sa direction, puis une voix d’homme s’indigna.

— Inaya ! cria celui qui semblait vraisemblablement être son père derrière le dressing de robes, faisant sursauter la jeune disparue.

Zoé se releva, prête à défendre sa nouvelle amie qui s’était réfugiée derrière elle. Après tout, ce n’était qu’une enfant qui s’amusait. Son père apparut enfin dans l’allée. Zoé crut quitter son corps. Le flegme dont elle pensait faire preuve s’envola aussitôt. Sa bouche était devenue pâteuse et ses jambes aussi flasques qu’une gelée peinaient à la maintenir debout. Le temps s’était suspendu aux lèvres immobiles du nouvel individu. Alors qu’elle avait son argumentaire en tête, Zoé fut incapable de prononcer la moindre parole. La petite Inaya, interdite devant le mutisme des deux adultes, écarquillait ses deux yeux ronds, essayant de deviner ce qui avait bien pu leur couper la langue. Ils restèrent tous les deux, à s’observer en silence.

Depuis l’épisode écossais, il y avait environ dix ans, Zoé ne l’avait pas revu. Bledji était différent du jeune artiste à la voix envoûtante qu’elle avait entendue chanter dans un pub d’Édimbourg. L’homme qui se tenait en face d’elle avait rasé ses mini dreadlocks et s’était laissé pousser une barbe qui épousait son menton saillant. D’ailleurs, il ressemblait davantage à son premier amour de lycée. S’il avait porté un sweat à capuche, elle serait retournée sur les bancs de Louise Michel. Zoé aussi avait changé. Ses pommettes s’étaient arrondies, ses cheveux avaient raccourci et ses paupières s’étaient irisées. Pourtant, les voilà tous les deux, le souffle coupé au milieu de robes de soirée, cherchant désespérément à recouvrir la voix.

À l’instant où la bouche de Bledji s’entrouvrit, une femme élégamment habillée fit irruption dans le rayon visiblement agacée. Elle possédait ce genre de beauté froide que Zoé admirait.

— Inaya, cria-t-elle en se ruant sur la petite.

La femme, probablement la mère d’Inaya, s’immobilisa, ressentant cette tension qui flottait dans l’air. Elle y avait prêté attention une fraction de seconde puis avait saisi le bras de sa fille toute penaude. Elle dévisagea Zoé puis fit un signe de tête à Bledji pour l’inciter à la suivre. Ils avaient alors tourné les talons. Seule, Inaya la salua de sa petite main. Bledji, lui, avait disparu sans même lui jeter un regard.  

Lorsque l’allée fut déserte, Zoé se pressa contre la penderie. Lui en voulait-il encore pour ce qui ne s’était pas passé en Écosse ? Sa vie à lui avait l’air d’avoir bien changé, il était marié et père de famille quand elle possédait un T2. Il n’avait aucune raison de lui en tenir rigueur. Mais la perspective qu’il puisse être irrité la blessa. Elle ne sut exactement si c’était la solitude qui la torturait ou si cette flamme pour Bledji ne s’était jamais éteinte et qu’elle brûlait toujours, attendant la moindre étincelle pour être ravivée. Quoiqu’il en soit, poser de nouveau son regard sur lui, la renvoyait sur ce vieux sofa dans le studio miteux d’Édimbourg. Elle y était allongée et Bledji l’embrassait langoureusement, laissant glisser une main ardente sur sa cuisse. Ce n’était jamais arrivé, mais son esprit à l’époque l’avait fortement désiré… Elle l’avait repoussé alors que son connard d’ex ne s’était pas privé d’aller voir ailleurs. Penser à Vincent lui donna envie de brûler le magasin et les robes bon marché qui s’y trouvaient. Il n’eut pas autant de délicatesse à son égard qu’elle en avait eu pour lui. Elle avait peut-être laissé passer son âme-sœur. Puis, Zoé secoua la tête. Une nuit d’amour sur un vieux canapé n’aboutit pas toujours à une romance digne d’un Jane Austen. Bien au contraire.

Malgré sa rencontre bouleversante avec Bledji, elle ne perdit pas de vue son objectif. Trouver sa robe. D’ailleurs, elle n’avait plus entendu le nom d’Inaya couvrir la musique d’ambiance. Zoé avait fureté parmi les centaines de références de la boutique cérémonie. Elle eut un coup de cœur pour cette robe drapée ocre coincée entre deux robes fourreaux au deuxième étage à la quatrième rangée en partant de la gauche. Elle imaginait parfaitement sa soie délicate épouser ses courbes.

Bien qu’elle ait enfin trouvé sa tenue, Zoé flâna dans les rayons dans l’espoir de tomber de nouveau sur Bledji. « T’es ridicule », se moqua-t-elle quand elle attendait son passage à la caisse. Elle avait perdu un quart d’heure à poursuivre un homme qui n’avait pas daigné lui adresser la parole, ni même se retourner. La petite famille avait certainement dû fuir après leur rencontre. Et s’il avait été dans les parages qu’aurait-elle fait ? Bégayer, rester muette comme elle l’avait été une heure plus tôt ? Et que pouvait-elle espérer d’un mec on ne peut plus casé ? Père d’une fille et mariée à une belle et élégante femme. Elle tentait de verrouiller ses pensées quand elle reçut un simple message sur Messenger.  

Salut

L’icône était minuscule, mais elle n’eut pas besoin de cliquer pour savoir que c’était Bledji. Il devait être aussi torturé qu’elle l’était depuis qu’il l’avait croisée entre deux allées.

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