37. La fin d'un homme

Write by Samensa

NANCY

Ma paire de lunettes de soleil posée sur les yeux pour cacher mes yeux rougis par les larmes que je n’ai cessé de couler depuis plus d’une semaine maintenant, j’observe les gens aller et venir près du cercueil. La famille est inconsolable. Chaque fois que mon regard croise Mme Tra Lou effondrée dans les bras de son mari tout aussi anéanti qu’elle, je ne peux m’empêcher d’avoir mal. Les parents ne devraient jamais avoir à enterrer leurs enfants. Jamais.

J’ai un enfant et à la seule pensée que je puisse le perdre, j’ai la tête qui tourne et le cœur qui fait mal.

Bientôt, les gens se succèdent au lutrin.

Vraiment, c’est quand la mort vous emporte que toutes vos qualités ressortent. Les membres de la famille et d’autres personnes que je ne connais pas ne tarissent pas d’éloges envers le défunt. Un homme bon, un ami exceptionnel qui avait des défauts certes mais qui restait bon.

Un dernier tour est autorisé pour permettre aux personnes présentes de faire leurs adieux au défunt  avant que le cercueil ne soit scellé. Je suis incapable de faire un pas en avant pour le faire. Je suis tellement troublée que je préfère rester assise pour éviter de tomber dans les pommes.

L’homme n’est rien. Cette assertion est juste. Un homme que j’ai connu, fort et débordant d’énergie est aujourd’hui dans une boîte et pour parler de lui, on emploie le terme « le corps ». On parle de lui au passé. Seigneur.

Soudain, la quiétude de la cérémonie est troublée par les cris d’une femme. Pensant au début à quelqu’un qui n’arrive pas à contenir son chagrin, je n’y prête pas attention. Mais j’entends le mot « sorcière », je lève la tête. Une belle jeune femme est en train de vociférer des méchancetés à Ela.

-Tu n’es qu’une sorcière ! Tu es contente, j’espère ? Tu l’as tué comme tu l’as planifié ! Sorcière ! Femme de malheur !

Les gens sont obligés de l’entrainer de force dehors. Apparemment, elle s’appelle Raïssa. C’est par ce nom que tout le monde l’appelle du moins. Ela a le visage inondé de larmes.

Quand je la vois, j’ai juste envie de sauter de mon siège pour lui régler son compte. Heureusement que je fais preuve de self contrôle sinon j’aurais eu une réaction plus violente que celle de la jeune femme. Tout ce qui se passe ici aujourd’hui, c’est de sa faute. Elle le sait très bien et j’espère qu’actuellement sa conscience la fait souffrir. Si elle s’était comporter comme une bonne femme, si elle avait su garder ses jambes fermées, il n’y aurait pas eu mort d’homme.

Je me lève de mon siège. En passant devant elle, je lui lance un regard mauvais comme bon nombre de personnes le font déjà.

Au cimetière, c’est encore les pleurs et les soupirs. Le cercueil est déposé au fond d’un trou puis il disparait sous les pelletés de sable.

La fin d’un homme.

Je retourne chez les Tra Lou où j’ai élu domicile depuis peu à cause des cérémonies. Une fois à la maison, je m’assure que tout est prêt auprès du service traiteur pour recevoir les personnes venues soutenir la famille et monte dans ma chambre. Je cours retrouver mon homme.

Quand j’entre dans la chambre, il est éveillé comme je m’y attendais. Je m’assieds doucement près de lui et prend sa main dans la mienne.

-Eric, il faut que tu te reposes.

Une larme s’échappe de ses yeux ouverts et tournés vers le plafond.

-C’était mon frère. Arrive-t-il à dire au prix de mille efforts.

-Je sais.

J’aide Eric à prendre ses antidouleurs après m’être assurée qu’il mange, même si ce n’est que deux cuillérées. Il insiste pour que je me couche près de lui alors que chaque mouvement que je fais dans le lit lui arrache des grimaces.

-Tu as mal mais tu veux forcément que je me couche là. Je peux rester dans le canapé.

-J’ai besoin de toi Nancy. J’ai tellement… mal…. C’était mon frère, bon sang, mon frère.

Il étouffe un sanglot en grimaçant.

Je souffre de le voir souffrir. Je ne peux que poser ma main sur son épaule non touchée pour le consoler.

-Malgré tout ce qui s’est passé entre nous, jamais je n’aurais souhaité cela pour lui. Jamais. On a eu des désaccords. Dans quelle famille n’y a-t-il pas de problèmes hein ? me demande-t-il désespérément.

-Toutes les familles ont leurs lots de problèmes. Répondis-je douloureusement.

-Mais pourquoi il a fallu que cela se termine ainsi hein ? Je l’aimais malgré tout. C’est mon grand frère. Il a veillé sur moi, il m’a défendu tellement de fois. Il a été présent pour moi. Et aujourd’hui, il est où ? Et pourquoi ?

- Calme-toi Eric. Doucement. Murmurai-je alors qu’il s’agite dans tous les sens.

-Il n’aurait pas dû mourir !

-Alors ça aurait dû être toi ? Remercie Dieu d’être encore en vie.

-Personne n’aurait dû mourir. Juste au moment où tout s’arrangeait.

-On ne connait pas la volonté de Dieu.

Il me regarde avec incompréhension avant de rejeter son regard vers le plafond. Il ne me dit plus un mot alors je reste près de lui pour le veiller.

 

ERIC

Chaque fois que je ferme les yeux, j’ai les images de ce qui s’est passé cette nuit fatidique. Des images que j’aimerais effacer de ma mémoire. Malheureusement, cela est impossible. Même mon corps, portant les stigmates, me rappelle à chaque fois la tragédie.

Je m’en souviens comme si c’était hier.

Je quittais l’appartement de Nancy en colère après notre dispute. Occupé à réfléchir à ce que j’aurais à faire pour la convaincre, je n’avais remarqué la présence d’un individu à bord de mon véhicule qu’une fois à bord. C’est avec surprise que je vis mon frère assis dans le siège passager, l’air grave.

-David ? Qu’est-ce que tu fais ici ? Demandai-je.

J’étais vraiment surpris d’autant plus qu’il devait se trouver à des milliers de kilomètres de là.

-Tu pensais t’être débarrassé de moi, c’est cela ?

-Qu’est-ce que tu racontes ?

-Trêve de bavardages ! Démarre ! M’intima-t-il.

-Pour aller où ? On ne bougera pas d’ici tant que tu ne m’auras pas dit ce qui se passe exactement. Tu montes dans ma voiture comme un voleur et maintenant, tu me hurles dessus ? Soyons sérieux.

Tout d’un coup, il pointa une arme sur moi puis me fis signe de démarrer. Il n’avait pas l’air de plaisanter alors je ne cherchais plus à discuter. Je démarrai et suivi en silence ses indications. Nous nous éloignâmes de la ville. A cet instant, plusieurs idées m’étaient passées par la tête. Je cherchais le moyen de m’enfuir car visiblement, cette histoire ne se terminerait pas bien pour moi.

A la sortie de la ville alors que je ralentissais à un feu rouge, il m’obligea à continuer tout de même. Cela signa son arrêt de mort. Un remorqueur que nous n’avions pas vu venir, nous rentra en plein dedans. Le choc fut tel que nous fûmes projetés à des centaines de mètres. Dans mon bref instant de lucidité, j’eu le temps d’apercevoir très rapidement, le bitume et le ciel sans étoiles tourner autour. Et ce fut tout.

Plus tard, à l’hôpital, je pus voir les images de l’accident. J’ai pu en conclure que j’étais un miraculé. La voiture formait une boule comme du papier qu’on aurait vulgairement froissé et jeté.

Mon grand frère est mort peu après son arrivé à l’hôpital. Dans l’état dans lequel il se trouvait, il était impossible de faire quoi que ce soit. Quant à moi, je suis passé sur le billard plusieurs fois avant de sortir du coma. J’ai eu assez de séquelles internes. Ma colonne vertébrale a aussi été touchée, voilà pourquoi, je me retrouve aujourd’hui incapable de bouger mes membres inférieurs. Selon les médecins, je devrais en théorie pouvoir marcher un jour mais quand ? Nous l’ignorons.

 

Quelques mois plus tard…

Nancy m'aide à éponger la sueur sur mon front. Les rééducations sont vraiment intenses et douloureuses. J’arrive à tenir debout mais faire des pas, ne serait-ce qu’un, est un véritable calvaire.

Après avoir rangé mes affaires dans mon sac de sport, la jeune femme me conduit jusqu’à la voiture avant de me mettre sur le siège passager. Je suis en admiration devant cette femme qui a mis sa vie entre parenthèses pour moi. Elle s’assure que je ne manque de rien, m’accompagne à mes différents rendez-vous à l’hôpital et supporte mes mauvaises humeurs.

Etre dans un fauteuil roulant, se sentir diminuer et dépendre d’autres impactent gravement mes états d’âme. Je crie et rage pour rien, me permettant au passage même de lui die des méchancetés. Malgré cela, elle encaisse tout sans broncher et parfois, me sourit pour toute réponse. Elle me comprend.

 

ELA

Je rentre chez moi, le cœur lourd après l’humiliation que je viens de subir. Dans la cuisine, je me prépare un bol de bouillie mil puis m’assois devant la télé.

Ma bouillie finit par refroidir entre mes mains tellement je suis incapable de manger. Le regard perdu dans le vide, je pense et je repense à tout ce qui se passe dans ma vie. La culpabilité est en train de me ronger à petit feu. Je ne suis qu’une épave qui, si elle se maintien encore à flot, ne le fait qu’à cause du petit être en elle. Je fais des efforts pour manger correctement, pour vivre correctement à cause de mon bébé. Il ne mérite pas que je me laisse mourir. Mon enfant est la seule chose qui me reste au monde.

Je sors de ma torpeur lorsqu’on sonne à ma porte. Ma mère vient me rendre visite.

-Ela, ça va ? Me demande-t-elle en me regardant avec presque de la pitié.

-Maman, s’il te plait, ne me regarde pas comme ça.

-J’étais là quand Raïssa est venue faire sa scène et …

-Maman. La coupai-je. Je n’ai pas envie d’en parler. Merci !

-C’est compris.

Après un moment de pause, elle reprend la parole.

-Je suis venue te voir pour quelque chose de très important. Il faut qu’on se rende au village pour faire quelques sacrifices.

-Sacrifices ? Je sursautai à ces mots. De quoi tu me parles là ?

-Trop de choses se sont passées. De mauvaises choses. Il faut qu’on neutralise tout ça pour éviter les problèmes.

-Si je comprends bien, on rentre dans le mysticisme là ? Je ne suis pas faite pour ce genre de choses, tu le sais. Je n’y crois pas de toute façon, ce ne sont que des histoires à dormir debout. Et non, je ne te suivrai nulle part.

-Ela, tout ceci est bien réel. Nos coutumes, nos lois ancestrales, ces choses inexplicables. Tu dois me croire ma chérie. C’est pour ton bien. J’ai bien essayé de faire tout cela toute seule mais on a besoin de toi.

-Conneries. Murmurai-je.

- Ecoute-moi ma fille.

-Oh maman, je croyais que tu étais chrétienne !

Elle me lance un regard mauvais avant de me répondre.

-Je le suis.

-Alors, l’affaire est réglée. On va prier Dieu, criai-je en appuyant sur le dernier mot, et tout sera ok.

Contre toute attente, elle continue avec ses histoires de malédictions. Lasse, je la laisse seule dans le salon pour me rendre dans ma chambre. Je n’ai pas besoin d’être emmerdée avec d’autres histoires. Elle connait le chemin de la sortie.

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