4- Les couleurs de nos amours

Write by lpbk

« Mais elle est très bien cette tenue ! »

C’est la quatrième qu’elle met. A chaque fois il y a un truc qui ne va pas. C’était d’abord la couleur de la robe qui ne lui allait pas au teint, ensuite la jupe faisait ressortir son ventre et maintenant celle-ci marque sa cellulite. Le pire c’est qu’à chaque fois qu’elle change un tout petit élément de sa tenue, elle finit par se convaincre de changer tout le reste.

« Tu parles ! Toi tu ne sais pas ce que c’est d’être grosse. »

« Et toi tu ne sais pas ce que c’est d’avoir ma peau. »

« Désolée ! »

J’hoche la tête en la gratifiant d’une belle grimace.

« En plus tu n’es pas grosse, tu es juste enrobée ! »

« T’es pas au courant ? Enrobé, c’est le nouveau mot pour dire gros, obèse et tout ce que tu veux. »

Elle continue de se tortiller devant la glace comme un ver de terre.

« Je crois que tu as raison ! Regarde-moi cette tignasse, à elle seule elle doit bien faire cinq à six bon kilos. Et cette bague, j’ai l’impression qu’on frôle les deux kilos. »

« Tout à fait ! Je me rappelle que ce jour, tu leur avais demandé leur bague la plus lourde. »

Je me retiens de rire. Iris est dans un délire selon lequel ce n’est pas de sa faute si elle est en surpoids. Elle accuse la génétique pour commencer, ensuite ça va dans tous les sens. Les chaussures, les cheveux, les bijoux et même les couches de make-up dont elle se tartine. Elle applique son rouge à lèvres des grands soirs avant de se tourner vers moi.

« Tu es parfaite ! », fis-je en jurant presque.

C’est vrai qu’elle est belle ma cousine. Je regarde ma montre en sortant de la chambre espérant intérieurement pour qu’elle se dépêche.

« Il est en retard ! Ça commence mal. »

« Pas du tout, il me laisse juste le temps d’être parfaite. »

« Madonna mia* ! Il ne te connait même pas. »

« Je lui accorderai bien ce soir pour faire connaissance avec tout ça ! Si tu vois de quoi je parle. »

« Je préfère faire comme si je n’ai rien entendu ! Humm ! Et il y a ton Tony TOUCH qui me casse les oreilles. », fis-je en lui rapportant son portable.

Elle manque de trébucher dans sa course folle pour ne pas manquer cet appel dont je devine parfaitement l’auteur.

« Bonsoir ! », dit-elle de sa voix la plus sexy.

« … »

« Oui ça va ! », fait-elle en se posant sur le tabouret devant sa coiffeuse. Elle croise les jambes.

« … »

« On descend tout de suite. »

J’en profite pour faire un tour devant le miroir enfin libérer de son reflet. On dirait un clou de girofle. Ce bun fait ressortir ma tête et je ne sais pas mais on dirait qu’elle est disproportionnée.  

« On y va ! »

J’attrape mon mini sac et voilà, elle est encore devant la glace. Je soupire pour ne pas crier.

« Oh Narcisse, possiamo andare* ? »

 

A peine dehors, je ressens comme une boule dans l’estomac. Calvin est seul à nous attendre. Je regarde partout dans l’espoir de voir sortir de nulle part le seul chauve à m’avoir fait craquer mais personne. Il n’est bel et bien pas là. Nous sommes un samedi, il doit être assis à une terrasse en train de faire rire sa dulcinée.

« Salut beautés. »

Pluriel ou singulier ? La question a toute sa place vue la manière dont il dévore Iris du regard. Il me fait tout de même la bise et nous montons en voiture. Iris à l’avant et moi, seule à l’arrière. Ça commence !

« J’espère que vous n’avez pas de couvre-feu. », lance-t-il en me guettant par le rétroviseur.

« Même pas ! »

« Pourquoi ? », demandais-je

« Parce que je compte bien vous faire danser jusqu’à ce que vous ayez les pieds en compotes. En passant, je vais faire un petit détour, je récupère Rudy et on y va. Ça ne vous embête pas j’espère. »

« C’est bon pour nous ! N’est-ce pas Nowa »

J’hoche la tête en faisant semblant de n’avoir pas de réel avis sur la question.

Evidemment qu’il peut ! Finalement il n’a peut-être personne dans sa vie. Peut-être que « elle » avait été employé une semaine plus tôt pour désigner sa mère, une cousine, une sœur ou encore une nièce en couche culotte. Je veux bien croire que la vie me laissera le loisir de l’apprécier de plus belle. Rien que ça !

Calvin coupe le moteur devant une bien belle résidence avant de lancer un appel avec la fonction haut-parleurs activée. C’est sans doute l’immeuble dans lequel ils vivent. Ça sonne un bon moment et je commence à penser qu’il a dû s’endormir.

« Salut ! »

Oh la voix ! J’exagère sans doute mais voilà, j’ai bien le droit non ?

« Je suis en bas ! »

Petite hésitation… Pourquoi donc ?

« Finalement je ne pourrai pas sortir ce soir. »

Quoi ? Un vent violent balaie tout le film que je suis en train de me faire depuis ce moment où j’ai su qu’il serait de la partie. Est-il possible que la vie se joue autant d’une personne aussi innocente que moi. Ma marraine la fée aurait-elle oublié de se pencher sur mon berceau à la naissance ? Je pensais que chacun avait son heure de gloire à un moment donné. Et la mienne, elle est pour quand ? Petite, tout le monde se moquait de moi. Ado, je me cachais de tout le monde. Et là, c’est le monde qui m’encule en me foutant de grands coups de pieds dans le derrière. J’ai tout de suite une pensée pour Tina qui doit être à ce moment dans les bras de l’homme de sa vie. Je peste intérieurement prenant garde de ne rien laisser paraitre.

« Tu ne vas pas me faire ça ! »

Je ne sais pas mais j’ai l’impression que j’entends une autre voix en fond. Une voix assez féminine.

« Attends ! Elle est là ? »

Elle ?! Pitié ! Qu’on m’achève tout de suite.  Je suis sûre qu’elle ne représente personne de sa famille.

« Oui. »

Il a l’air de s’excuser mais bon, moi je m’en fiche. Je n’en veux pas d’excuse. Je veux juste qu’il descende tout de suite. Je veux le voir !

« Rudy … »

« Je sais ! »

Attendez un instant. Comment ça il sait ce que Calvin veut dire ? Et de quoi est-ce qu’ils sont en train de parler. Je veux comprendre ! Je regarde Iris qui visiblement n’a pas du tout l’air dérangé par quoique ce soit. Comme je la comprends.

« On se voit demain. Amusez-vous bien. »

Il raccroche. Calvin démarre. Il y a comme un malaise dans l’air. Heureusement qu’Iris est là pour tout de suite détendre l’atmosphère. Sacré Iris NYANE. Je ris de bon cœur à toutes ces histoires qu’elle raconte sauf que c’est juste un petit bout de mon cœur qui est là parce que la plus grande partie est restée devant cette magnifique résidence. Misérable bellâtre !

Calvin a réservé une table dans un bar hyper sympa quelque part sur la route de Bassam. Et pour ma plus grande joie, ce soir c’est soirée tapas avec la musique qui va avec.

« J’espère que ça vous plait ! »

« Ca fait plus que me plaire ! », répondis-je.

C’est décidé, je vais m’amuser ce soir et ce sans penser à ce crétin. J’ai tout, j’ai le reste de ma vie pour me rappeler son adorable joli minois. Je vide rapidement mon verre de pina-colada, j’avale deux tapas et me voici en train d’inviter Calvin à me suivre sur la piste. J’ondule au rythme des instruments de musique, m’accrochant aux airs langoureux et passionnés qu’ils crachent. Accrochée à mon tour de taille, la main de mon partenaire se fait tantôt pressante tantôt oppressante. Je me laisse bercer et caresser par les torrents d’une chaleur enivrante et presque étouffante. Nos jambes s’entre croisent et se décroisent tandis que nos regards se font de plus en plus perçants. Entend-t-il ces voix dans ma tête ? Entend-t-il les chuchotements de mon cœur ?

Quand la musique s’arrête, nous retournons à la table en riant. Il me fait tournoyer sur moi une dernière fois avant de dire à Iris.

« Waouh ! Elle est terrible la petite Nowa. »

« Je vois ça ! », fait Iris en prenant une gorgée de son gin.

« Pourquoi tu boudes ? »

« Pour rien ! »

Calvin l’attire à lui, ils sont l’un dans les bras de l’autre. Collés, serrés. Il pose un baiser à la commissure de ses lèvres.

« Tu n’as pas à être jalouse ! »

Elle se laisse entrainer jusqu’à la piste où commence un jeu de séduction dont je suis la triste spectatrice. Je la regarde bouger passionnément et rouler des hanches à seulement quelques centimètres du corps athlétique de Calvin. Les mains de ce dernier parcourent son dos et finissent leur course à la naissance de ses fesses. Quelque chose de torride se dégage de ces deux-là. Bien décidée à la faire chier, je vide le fond de mon verre et je m’en vais les rejoindre pour une petite battle familiale. Je la dégage gentiment d’un léger coup de hanche pour me retrouver une nouvelle fois dans les bras de Calvin. J’imagine qu’Iris doit être verte de rage. Il me pousse dans un geste délicat et m’attire vers lui puis, je sens mes pieds quitter le sol. Il tourne sur lui-même une, deux et trois fois avant de me poser comme une plume. J’ai la tête dans les nuages et un violent coup de hanche m’éloigne de lui. C’est l’arroseur arrosé ou plutôt l’arroseuse arrosée. Iris est dans ses bras alors que moi je suis en train de tituber recherchant mon équilibre. Qu’il le veule ou non, je doute qu’il puisse soulever ses 88 kilos donc 06 pour ses extensions et au moins 03 pour sa bague. Elle colle son dos à sa poitrine et laisse aller sa tête en arrière. Elle la repose sur ses épaules puissantes. Il doit être dans tous ces états. Elle frotte son gros derrière contre lui pendant que par-dessus le tissu de son vêtement il caresse les courbes vertigineuses de son corps. Quand il la soulève, je ne peux que m’avouer vaincue et je regagne la table. Je les laisse faire connaissance de leur corps. On enchaine danse sur danse, verres sur verres jusqu’à épuisement.

« Eh bah ! Les filles, vous m’avez achevé. »

Iris lui chuchote quelque chose à l’oreille et tous les deux partent dans un rire en s’installant. Le DJ passe de la musique moins entrainante. Nous en profitons pour échanger un peu.

« Vos déhanchés m’ont mis KO ! »

« Merci ! Mais toi aussi tu n’es pas en reste », rétorquai-je après un rire de faussement modeste.

Je suis heureuse de constater qu’Iris est redevenue cette grande gamine que j’ai toujours connue. Elle a sans doute eu la certitude que son Apollon n’a d’yeux que pour elle.

« Encore un tour sur la piste ? »

« Ce sera sans moi ! Je ne sens plus mes jambes. »

« Un peu normal, vu les tours sur lesquelles tu es perchée. »

Elle lui donne un gentil coup à l’épaule pendant que je me moque d’elle. Je lui avais fait la remarque mais elle n’a rien voulu entendre.

« J’arrête de te chambrer. Je propose qu’on aille manger quelque part. »

« Ça tombe bien, je meurs de faim. »

Nous nous retrouvons dans les rues d’Abidjan à chercher un restaurant qui serait encore ouvert parce qu’il est hors de question pour moi d’aller dans un de ces maquis précaires installés en bordure de la rue Princesse. Trop de mauvais souvenirs !

« J’ai une idée ! »

« Dit toujours. »

« On va chez moi et je vous prépare ma recette de grand chef. »

« Pourquoi pas », répond tout de suite Iris.

J’active le rétro éclairage de mon portable. Il est 02h48 et monsieur veut nous amener chez lui ? Permettez-moi de prendre peur.

C’est vrai que nous venons de passer un superbe moment mais de là à nous rendre chez lui … je ne suis pas vraiment partante. C’est tout de même risqué ! Et si jamais il nous arrivait quelque chose. Je me rappelle de tous ces films dans lesquels un malade traque des jeunes filles dans notre genre. Dans ce monde de fou, nous ne sommes à l’abri nulle part. Je saisir rapidement un texto à Iris, un peu trop emballée par cette nouvelle idée.

« Je peux savoir ce qui t’a pris d’accepter qu’on aille chez lui ? Et si c’était un tueur en série mieux, un violeur. »

« Alors je le supplierai de me violer. Encore et encore. »

« Tu peux te détendre Nowa ? »

« Tu pourrais tout aussi bien être victime de viol ou de meurtre dans ton appartement. »

Je dois avouer qu’elle a un tout petit peu raison.

« Si tu le dis ! Mais je tiens à te prévenir, si ça tourne mal tu auras malgré tout un bien bel éloge funèbre. »

Elle se croit sans doute drôle !

Je lève le nez de mon portable pour voir Calvin faire du charme à Iris. Je connais ma cousine, et je sais qu’il ne la laisse vraiment mais alors vraiment pas indifférente. Son téléphone sonne, il coupe le volume pour décrocher.

« Tout va bien ? »

« … »

« En voiture, on arrive chez moi ! Nous sommes affamés, je vais leur faire ma recette de grand chef. »

Ce doit être son sombre idiot d’ami. Je tourne mon visage vers la fenêtre, histoire d’apprécier le vent sur mon visage.

« … »

« Sur ? »

« … »

« Non, elles sont cools. »

« … »

« A toute ! »

Fin de l’appel. Il passe son portable à Iris et pousse le volume à fond. Il ne le coupera qu’au moment de se garer dans le parking de la résidence. Je sors du côté d’Iris.

« Un parking ? Coïncidence ou lieu de crime ? », fis-je en attrapant mon sac bien fort.

« Les escaliers ou l’ascenseur ? », demande-t-il.

« Ascenseur ! »

Je hâte le pas derrière eux en regardant sans cesse derrière moi. Ce genre d’endroit glauque me fou la trouille. Ajouter à cela l’écho de leurs voix mielleuses et je suis sur le point de faire un AVC. Quand les portes de l’ascenseur se ferment je pousse un « ouf » de soulagement. Calvin me regarde et je lui fais mon sourire commercial.

3ème étage !

« Nous y sommes ! »

Nous sommes derrière lui. Dans d’autres circonstances, je serai en train d’apprécier les couleurs et l’éclairage. Alors que là, je suis en train d’essayer de contrôler les battements de mon cœur. Nous arrivons devant une porte et il appuie sur le bouton de sonnerie. Il a perdu les clés de chez lui ou quoi ? Je déglutis, prête à détaler comme un lapin.

Une, deux, trois, quatre, … dix-sept secondes avant que la porte ne s’ouvre.

« Bonsoir ! »

Mon Dieu ! LA voix ! Je ne le vois pas encore mais je suis certaine que c’est lui qui parle. Oui, c’est bel et bien Rudy. Nous sommes chez lui.

 

* Madonna mia : Sainte Vierge

* possiamo andare : on y va

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