5 - Yacine
Write by ACLIRL
Les épices, les pommes de terre en train de frire, les wings,
les tenders... Toutes les odeurs du fast-food me traversent les narines. Le
footing de ce matin, bien qu'il fût court, m'a littéralement affamée.
L'avantage lorsque l'on fait du sport, c'est de pouvoir se permettre quelques
écarts de temps en temps sans rien craindre pour sa silhouette. Là, je n'ai pas
tellement envie de faire un écart. Ce qu'il me faut, c'est un hors-jeu. Je
jette un bref coup d'œil à ma montre. Cela fait une bonne quinzaine de minutes
que je l'attends. Mais
qu'est-ce qu'il fout ?
Un long sifflement surgit derrière moi. Je me retourne pour voir l'autre adossé au mur, la jambe droite
nonchalamment redressée comme le beau gosse du lycée dans les films. Après
avoir brièvement parcouru son tee-shirt noir moulant et son jean bleu délavé je
plonge au cœur de ses yeux émeraude. Yeux qui passent de la satisfaction à la
déception. Puis après une brève révision de ma silhouette semblent comblés de
nouveaux. Je lui lance un air dubitatif. Il plonge son regard dans le mien.
- J'avais peur que la devanture ne supporte pas la concurrence
de ton cul, mais... (il s'attarde sur ma poitrine) putain j'avais tort.
Alors ça si je m'y attendais ! Sous le choc de ses paroles sans
retenue, je n'arrive pas à prononcer le moindre mot. Je reste muette une bonne
minute avant de me reprendre.
- On peut oublier les remarques sur le physique et passer à la
partie où tu me rends mon portable.
- Oh que non.
Oh que non ?
- Tu m'en dois toujours deux ma belle. Et puis les termes de
l'échange n'ont pas été respectés.
- Alors pour commencer, je ne t'en dois plus deux puisque tu as
embarqué mon portable ! (je baisse d'un ton lorsqu'il se rapproche
dangereusement de moi). Et ensuite, de quoi est-ce que tu parles ?
- Au téléphone tu m'as dit que l'on devrait se voir au KFC, n'est-ce pas? Techniquement, je
ne suis pas au KFC, mais devant le KFC.
Sortez la caméra. S'il-vous-plaît. Inspire. Expire.
- Entrons, je souffle.
- Merci Madame (il dit en creusant sa fossette que j'avais
oubliée. Presque. Bon d'accord, dont je me souvenais parfaitement.) J'ouvre les
négociations. Disons que le coup du portable fait que tu ne m'en dois plus
qu'une.
C'est légitime. Je hoche la tête en guise de réponse en entrant
dans le KFC. J'ai envie de ressortir. L'odeur me transperce le cœur et mon
ventre se met à gargouiller. Monsieur 'je veux négocier' me suis de prêt et je
me sens tout de suite moins à mon aise. Est-ce
qu'il me regarde ? Il était sérieux à propos de mon physique ?
Je ne me souviens pas avoir ressenti une telle excitation
lorsque Thomas me regardait au lycée. Je savais qu'il voulait quelque
chose et qu'il me plaisait. On était assez bons amis et tout s'est fait très
rapidement. Jamais il ne m'avait parlé ainsi. Rectification : jamais personne
ne m'avais parlé ainsi ni reluquée de manière aussi flagrante. C'était une
première. Dans un petit coin de ma tête, je suis flattée.
- C'est de bonne guerre. Qu'est-ce que tu veux ?
- Pas grand-chose. On mange ensemble ? dit-il le regard
interrogateur. C'est moi qui invite.
- Pourquoi ?
- Parce que tu m'en dois une, il répond comme si j'étais
stupide. J'ai fait un truc pour toi, t'en fais un pour moi. Fifty-Fifty.
En quoi manger avec lui serait lui rendre un service ? Je
penche légèrement la tête et effleure ses lèvres du regard avant de replonger
mes yeux dans les siens. Son regard s'assombri et il me sourit. J'expire
bruyamment.
- Je vais prendre ça pour un oui.
Quelques minutes plus tard, nous sommes à table. Face à face. Je
plonge mon regard dans le sien. Il cherche quelque chose dans sa poche puis
pose mon portable sur la boîte du Tower qu'il m'a commandé. Oui, j’ai bien dit « qu’il m’a commandé ».
- Merci pour hier, je dis avant qu'il n'ait la moindre chance de
débuter. Et merci pour le portable. N'importe qui en aurait profité.
- Mais je ne suis pas n'importe qui, me répond-il tout sourire.
Je réprime un sourire. Même si je ne le 'connaît' que depuis
hier, il a l'air cool. Son regard charmeur a beau m’intimer, il est difficile
de s’en détacher. Et à quoi bon m’en priver si je ne le revois pas ?
Tandis qu'il mord à pleines dents dans ses tenders imbibées de
ketchup, une série de question me traverse l'esprit. Ce mec descend-il de mes
rêves ? Je n'arrive pas à lui attribuer une origine. A la vue de ses biceps
irrités par son tee-shirt, de sa peau café au lait, et de la langue qui vient
lécher le ketchup oublié sur ses lèvres par les tenders, je n'arrive plus à
déterminer si je salive de faim ou si c'est lui qui me fait saliver.
- Déjà ?
- Qu'est-ce qu'il y a ? (j'ai dû manquer un épisode).
- Je pensais que ça prendrait plus de temps pour que tu
reconnaisses ton amour pour moi. Mais ton regard t'a trahie ma belle.
- Ce n'est pas possible...tu es si vantard que ça ? lui dis-je le
sourire aux lèvres.
- Quand on peut se le permettre, Yass. Je suis sûr que tu vois
de quoi je parle. (Il finit sa phrase en m’adressant un clin d’œil).
- Je suis sûre que tu n’as pas idées du sens du mot humilité…
Inconnu.
Il est très taquin, ce qui ne va pas pour me déplaire. Il
s'essuie avec sa serviette et continue. Peut-être vais-je enfin pouvoir apposer
un nom à ce visage.
- Où sont passées mes manières ? Je m'appelle Edinson. Mais
je préfère Ed. Et toi c'est Yass (je ne le corrige pas). Mignon.
Alors comme ça l'autre s'appelle Ed ? Intéressant comme nom.
Je décide de le taquiner sur le ton qu'il a employé avec moi.
- Alors... Ed, Ed, Ed (ce que je suis fière d'enfin connaître
son nom ! Je me penche sur la table me rappelant que je porte une brassière
lorsque ses yeux plongent dedans). Qu'est-ce qu'un gars de ton âge fait tout
seul dans un bar une première nuit de vacances ?
Il secoue la tête.
- Pas question que je te le dise.
- Pourquoi ?
- Qui me dit que tu n'es pas la nouvelle Ted Bundy ?
Je m'esclaffe. C'est la réplique que je lui ais sortie lorsqu'il
voulait mon adresse. Bien vu.
- Je plaisante. Je devais rencontrer quelqu’un qui m’a foutu un
plan. (Il mange quelques frites et fronce les sourcils en me regardant) Ça veut
dire quoi « un gars de ton âge » ?
Je réfléchis deux secondes avant de répondre.
- Je ne sais pas. Dix-neuf peut-être, je tente.
Maintenant qu'il est habillé plus simplement, je ne peux pas lui
donner plus. Cependant, lorsque je l'ai vu en chemise hier, je m'imaginais
qu'il tournait autour de vingt-deux ans.
Il m’observe, les lèvres retroussées en un petit sourire
approbateur.
- Pas mal ! Je les aurais bientôt. Et toi ?
- Je suis majeure depuis quelques mois seulement. Je ne t'ai
jamais vu dans le coin. Tu vis aussi à Villy ?
Il avale une bouchée.
- Non je ne vis pas ici. Je passe juste les vacances chez ma
tante. Mon père est parti en vacances (il ne précise pas pourquoi lui n'y ait
pas allé). Je ne connais pas trop le coin. Je ne serai pas contre une petite
visite. Il termine sa phrase en souriant.
Nous terminons le repas en silence.
Lorsque nous sortons du KFC j'envoie un texto à mon frère, ce
qui n'échappe pas à Ed.
- Tu parles à ton nouveau petit-ami... Martin ?
- Quoi ?! Non ! Qu'est-ce qui te fais penser ça?
C'est à ce moment que je me souviens qu'il a entendu ma
conversation au téléphone. Je me souviens avoir menti à Thomas la veille.
- Martin, c'est mon frère. Et le truc du nouveau petit-ami
c'était pour...
- Pour que l'autre con te laisse tranquille, il termine à ma
place.
J'acquiesce. Ed se balance d'une jambe à l'autre.
- C'était cool de faire ta connaissance, lance-t-il.
- J'admets que ce n'étais pas si nul que ça.
Il soulève le menton, un petit sourire aux lèvres. Il se
rapproche de moi et me tend la main. Il caresse le dos de la mienne lorsque je
la lui tends à mon tour. Lorsqu’elles ne se touchent plus, je frissonne encore.
- Rentre bien.
Il se retourne et commence à marcher dans la direction opposée à
la mienne. Je l'interpelle.
- Hey, Ed ? (il se tourne, interrogateur). C'est Yacine, mon
prénom, je lui dis, comme si ça allait changer quelque chose.
La petite voix dans ma tête me dit que je souhaite qu’il s’en
souvienne. Elle me murmure que mon petit univers ferait volontiers une place
pour un être qui semble tomber tout droit des cieux. Je tente d’éloigner cette
voix, mais le poids de ma volonté ne suffit pas à contrebalancer celui du
garçon qui s’éloigne de moi.
Il creuse la fossette que j'aime tant, déjà. Ses yeux émeraude
sont tout amusés. Il me regarde perplexe. Trouve-t-il
cela bizarre que lui ais balancé mon nom ? Il
me fait un clin d'œil que je m'empêche d'interpréter pour autre chose que ce
qu'il est.
- À très bientôt, Yacine.
***