Amour mystique
Write by Farida IB
Chap 21 : amour mystique
Nahia…
Moi (dépassant Khalil) : et bien bonne soirée.
Khalil : merci, de même.
Je pénètre l'appartement après le clic-clac dans la serrure. Je pose les clés sur la commode de l’entrée et vais m’affaler sur le canapé du salon. J’allume la télévision aux abords et finis par porter toute mon attention sur mon téléphone. Les photos que nous avons publiées sur la campagne de Tina ont eu le vent en poupe auprès de nos abonnées qui lancent tout le temps des commandes. C’est ainsi que je passe environ une heure à répondre aux messages, par écrits, par vidéos à des moments donnés. Je ne bouge de là que lorsqu’une fringale me terrorise le ventre, je m’active donc à me faire une omelette avec de la salade de légumes. Je finis de manger ensuite, je lave les assiettes et range la cuisine pour finir dans la chambre où j’entreprends de choisir mes vêtements du lendemain. Quand c’est fait, je décide de me couler un bain moussant. Et en attendant que le morceau de bain moussant finisse de buller sous le jet d’eau, je m’applique un masque facial après quoi j’allume des bougies parfumées. Quelques minutes plus tard, je me laisse aller dans le creux de la baignoire en sentant toutes les frustrations que j’ai endiguées ces dernières semaines fondre dans la marre.
Tête posée contre le repose-tête sur le rebord de la baignoire, je trouve le moment propice pour me retrouver avec moi-même et faire le point sur ma vie. En effet, j’ai l’impression de perdre le contrôle. Tout est emmêlé dans ma tête, dans mon corps, dans ma vie tout simplement. Bref, j’ai besoin de prendre du recul pour retrouver un peu de lucidité. J’ai vraiment besoin de redevenir l’acteur de ma vie parce que la fille qui est allongée là, ce soir, ce n’est pas Nahia Assibi Adja. C’est juste ce qui reste d’elle. Je veux retrouver la fille joviale pleine de vie que j’étais, mais comment ? C’est bien là une question existentielle.
À cette pensée, j’entends la sonnerie de l’appartement retentir. À coup sûr, ce serait mon voisin. Je m’allonge encore plus comme si je voulais disparaître au fond de l’eau et reste encore plusieurs minutes oscillant entre aller ouvrir et rester dans mon confort. Les coups insistants m’obligent à pencher pour la première option, ce qui fait que je rage un peu avant de me lever. Je chope un peignoir sur l’étagère à tiroir que j’enfile en prenant tout mon temps.
Une colère noire m’envahit dès que j’ouvre la porte. En un clin d’œil, tout mon corps s’embrase et c’est avec une haine viscérale que je pousse la porte dans le but de la refermer. Il anticipe mes gestes et s’introduit dans l’habitacle puis va m’attendre au milieu du salon, le visage inquiet.
Manaar : Nahia qu’est-ce qui se passe ? Pourquoi tu fais la morte ?
Moi simplement : sors de chez moi !
Manaar : non, pas avant que tu m’expliques ce qui se passe.
Moi lui criant dessus : tu sors de chez moi, j’ai dit ! Va retrouver ta chère et tendre !!
Manaar (se passant la main sur le visage) : c’est donc ça ? Écoute, je n’ai pas mis ces photos en ligne, c’était Mounir (son cousin).
Moi faisant de grands gestes de la main : Manaar sors de chez moi !!!
Manaar : Nahia calme-toi s’il te plaît.
Il essaie de m’attraper, mais je me défile.
Moi plus que vénère : Manaar, sors de chez moi ! Sors !!!
D’un geste précipité, il se rapproche et pose une main sur ma bouche avant de ligoter les miennes de l’autre. Il commence à parler pendant que je lutte pour me dégager de son emprise.
Manaar calmement : je veux bien qu’on parle, je suis venu pour qu’on crève l’abcès. Écoute ce que j’ai à te dire tout au moins.
Il libère ensuite ma bouche et me traîne dans la chambre où il me fait asseoir sur le lit et commence à faire des va-et-vient l’air déboussolé.
Manaar : Nahia, je sais qu’au début, c’est moi qui ai coupé les ponts entre nous. Et si je l'ai fait c'était pour ton bien, pour notre bien à nous deux. Je l’ai choisi à tes frais certes, mais là, je ne sais vraiment plus où j’en suis. Je suis de plus en plus partagé entre l’envie d’être avec toi et le devoir de ne pas la faire souffrir elle à son tour. Ce choix, je l’ai fait en connaissance de cause, néanmoins, c’est tout simplement difficile pour moi de vivre sans toi et ce n’est pas faute d’avoir essayé. Tu comprends ? J’ai besoin de toi pour un parfait équilibre dans ma vie.
Je pars d'un rire nerveux.
Moi : elle est vraiment bonne celle-là. Non mais...
Manaar levant une main : laisse-moi finir s’il te plaît.
Il soupire et se passe la main sur le visage.
Manaar : à ce moment-là, j'étais convaincu de ne plus t'aimer. J'en étais certain. Elle, Prisca (il prend une grande inspiration.) je ne voulais pas que les choses arrivent où nous en sommes. Tu le sais, tu… (croisant les deux mains sur sa tête) J’ai… J’ai besoin de toi dans ma vie, il m’est difficile de rester loin de toi. J’ai essayé, j’essaie, tous les jours, je livre un combat sans merci contre moi-même pour me tenir loin de toi. Je n’y arrive simplement pas, il y a cette force invisible qui m’attire indéniablement vers toi.
Il tourne en rond un moment puis s’arrête brusquement.
Manaar : ces deux jours, sans nouvelles de toi étaient invivables, j’avais l’impression d’étouffer. Je ne suis pas heureux sans toi dans ma vie…
Moi le coupant net : mais est-ce que tu t’entends parler ? (secouant la tête dépassée) Tu es vraiment pathétique Haroun. Lol ma vie hein, toi, tu ne peux pas vivre sans moi. (sarcastique) Très bonne la blague, tellement j’en ris !
Manaar : je suis sérieux…
Moi l’interrompant une nouvelle fois : tu veux quoi ? Le beurre et l’argent du beurre, c’est ça ? (lancée) Haroun, j’ai supporté les plus grandes humiliations avec toi, j’en suis venue à perdre ma dignité, j’ai envoyé mes principes balader pour toi et je continue de faire l’impensable. Mais cela ne t’empêche guère de mener la vie paisible avec elle. Tu as besoin de moi oui, pour vider tes couilles (il remue la tête.) si parce qu’une fois que tu seras sorti d’ici c’est pour direct allé te réfugier dans ses bras. (m’indexant) En attendant, c’est moi qui souffre le plus dans cette histoire. C’est moi qui ai tout le temps mal au cœur !! Le pire c'est qu'à chaque fois je réussis l’exploit de me passer de toi tu reviens troubler ma vie et à chaque fois que j’envoie mes résolutions paître pour toi, tu rebondis dans ta relation avec elle. À chaque fois que tu reviens avec une nouvelle promesse, la bêtasse que je suis se mets à faire des plans sur les comètes pour en sortir encore plus meurtrie. Tu me fais revivre cette douleur constamment. (sanglots) Manaar je n’ai pas mal de te voir avec cette fille, j’ai mal parce que malgré tout ça, je t’aime encore. C'est pour ça que j’essaie de me reconstruire Manaar, j’essaie d’outrepasser toutes les brisures que j’ai au cœur. Le moins, que tu puisses faire pour m‘aider, c’est de t’éloigner une fois pour toutes.
Il s’agenouille devant moi et me regarde bien en face.
Manaar : je te demande pardon Nahia.
Moi : sniff, ″no need your forgiveness, sniff I want you to free my life. I want to heal from you″. (Je n'ai pas besoin de ton pardon, je veux que tu libères ma vie. Je veux guérir de toi.
Manaar : ne me demande pas ça s’il te plaît.
Moi criant à travers mes larmes : mais tu veux quoi au juste ? Tu m’as trompé avec elle, et maintenant, tu la trompes avec moi et tu veux que je m'accomode à cette situation. Si ça ce n'est de la sorcellerie.
Manaar : je veux être avec toi.
Moi rire jaune : et avec elle aussi ?
Manaar :…
Moi : c’est ce que je pensais. Haroun fais ce que tu veux de ta vie, mais ne m’entraîne pas dans ton gouffre parce que ce n’est pas un caillou que j’ai à la place du cœur. (me levant) Maintenant rentre chez toi s’il te plaît, j’ai besoin de dormir.
Manaar : Nahia s’il te plaît.
Drinnng Drinng.
C’est son téléphone. Il le prend de sa poche et vérifie l’appel avant de le remettre à sa place initiale.
Moi le fixant avec mépris : voilà, elle te cherche déjà, va la rejoindre.
Il marque un temps comme s’il était en pleine concertation avec lui-même.
Manaar : je vais rompre avec elle.
Moi pince-sans-rire : toujours le même refrain !
Manaar : comprends-moi ce n’est pas facile, je lui ai pris sa virginité.
Moi : parce qu’on ne m’a pas pris la mienne aussi ? Parce que je ne vaux pas la peine, c’est ça ?
Manaar d’une voix brisée : ne dis pas ça…
Moi : qu’à cela ne tienne, tu as fait ton choix. Tout ce que je te demande moi c’est de ne plus revenir foutre le bordel dans ma vie.
Je me lève et sors de la chambre, Il me suit jusqu'à la porte que j'ouvre en le regardant droit dans les yeux.
Moi : maintenant sors d’ici et ne reviens plus jamais.
Manaar : laisse-moi rester cette nuit s’il te plaît, tu sais bien que je viens de loin.
Moi : à ce que je sache, tu n’es pas un sans-abri ici à Lomé.
Manaar implorant : Nahia… Il est 23 h s'il te plaît.
Je referme la porte et le dépasse sans un regard pour lui.
Moi cinglante : je ne veux pas te voir dans ma chambre, dans aucune de mes chambres d’ailleurs.
Manaar dans un souffle : merci…
Je vais directement me coucher avec une grande amertume et le cœur en miette.
Manaar…
C’est à cinq heures, très tôt le matin que Nahia me dépose à la gare routière d’agbalépédogan où je prends un bus pour le nord. J’ai dû interrompre une mission à Bafilo (ville) pour descendre à Lomé hier parce que c’était impératif pour moi de lui parler, même si cela devrait empiéter sur mon travail.
Pour ceux que ça intéresse de savoir, je suis Manaar Haroun. Le seul garçon parmi une fratrie de quatre enfants. Je suis Benino-Togolais, résidant au Togo depuis cinq ans déjà. Actuellement, je vis en nomade, le travail oblige. En fait, je suis superviseur des travaux à Huawei Togo. C’est un métier qui requiert que je sois tout le temps sur le terrain et c’est dans ce cadre que j’ai rencontré Nahia dans un avion au retour d’une mission au Cameroun dans le temps. J’avoue que je l’ai kiffé dès la première minute pour un tout, ensuite j’ai tout fait pour la mettre en confiance parce qu’au début elle était vraiment réticente à l’idée dé s'engager dans une relation sérieuse. Elle était plutôt portée sur une relation libre et moi aussi d’ailleurs parce qu’en réalité, des histoires poignantes j'en ai également connues. Il faut le dire que la vie ne m’a pas souvent fait cadeau sur ce côté-là. Chemin faisant, une passion fulgurante s’est glissée entre nous sans qu’on ne s’en rende compte. On s’était aimé fougueusement, démesurément, à nous deux, on pouvait conquérir le monde tellement notre amour était plus fort que tous les évènements extérieurs. Puis j’ai rencontré Prisca, et comme la plupart des hommes, je l’ai intégré dans ma liste de conquêtes. Je l’ai négligé aux abords, mais elle s’est immiscée subrepticement dans ma vie tout en faisant fi de l’existence de Nahia. Elle m’a offert ce qu’elle a de plus cher, sa virginité. Puis j’ai commencé à développer des sentiments pour elle jusqu’au point où je m’étais complètement détaché de Nahia. J’en étais même arrivé à ressentir pour elle plus que ce que je ressentais pour Nahia et bien entendu, elle autre m’aimait encore plus tous les jours. J'ai d'abord voulu les gérer toutes les deux pour éviter de les faire souffrir toutes les deux, mais ma balance penchait en défaveur de Nahia. Je suis longtemps resté dans sa vie dans l’optique de ne pas rebéloter l’histoire avec le père de son fils, mais quoi que j’aie fait, elle en a souffert et continue d’en souffrir. J’avais donc fini par décider de la libérer, convaincu que c’était le mieux à faire pour nous deux. Elle a déprimé, elle a longtemps déprimé, et lorsqu’elle s’est relevée elle était méconnaissable. Ma tendre Nahia à l’apparence doucereuse s’est métamorphosée en une criarde, une acariâtre, sans aucune joie de vivre.
Pour ma part, je me suis rendu compte bien trop tard, je dirai, que je l’avais toujours dans la peau alors que j’étais déjà à fond dans ma relation avec Prisca. J’ai essayé de faire ma vie sans elle, j’ai essayé d’assumer mon choix. Vous me croirez ou non, je n’y arrive simplement pas. Ça paraît égoïste, mais c’est juste plus fort que moi. Plus je veux m’éloigner d’elle, plus je sens comme une alchimie qui me pousse à revenir vers elle. J’ai envie d’être avec elle, j’ai besoin d’être avec elle. L'entendre pleurer cette nuit m’a brisé et savoir qu’elle est déterminée à s’éloigner de moi me brise encore plus. Je l’ai senti lorsque je me suis imposé dans son lit et que je me suis glissé en elle de force. Je n’ai pas senti cette connexion, cette paix que je ressens lorsque je suis en elle. C’est évident qu’elle me file du doigt, c’est plus évident qu’elle veut passer à autre chose. C’est pour cela que j’ai passé la moitié de la nuit à cogiter et j’ai décidé de mettre un terme à ma relation avec Prisca. Je redoute ce dont il adviendra d’elle, mais je ne me vois pas non plus vivre sans ma Nahia.
Dès que le bus démarre, je sors mon téléphone et compose le numéro de Prisca. Ça sonne plusieurs fois avant qu’elle ne décroche.
Prisca (la voix ensommeillée) : oui babe.
Moi : ça va ?
Prisca (s’éclaircissant la voix) : oui ça va, tout va bien ?
Moi : oui
Prisca : tu es sûr que ça va ? T’as une drôle de voix.
Moi (ignorant sa remarque) : je rentre ce week-end à Lomé et je voudrais qu’on ait une discussion tous les deux.
Prisca ton inquiet : chéri, qu’est-ce qui se passe ?
Moi : rien qu'on ne puisse gérer.
Prisca : Manaar tu me dis en prenant un ton grave si tôt le matin qu’on doit parler et tu me dis qu’il n’y a rien de grave ?
Moi plus sec que je l’aurais voulu : tu en sauras d’avantage le week-end.
Prisca haussant le ton : tu es même sérieux là ? Tu…
Moi l’interrompant : wow wow wow tu baisses d’un ton compris ? J’ai dit qu’on en parlera le week-end lorsque je serai là, et puis c’est tout.
Prisca maugréant : si c’est pour en parler le week-end, pourquoi tu viens me mettre en alerte ce matin alors qu’on…
Click !!
Je raccroche très remontée, qu’est-ce qui est si difficile à comprendre dans ce que j’ai dit ? Pfff !!!
Khalil…
Je regarde Nahia sortir de son appartement et avancer vers moi un peu perplexe. J’avoue que j’appréhende un peu cette journée, je ne sais pas comment elle réagirait après ce qui s’est passé avec son type cette nuit. Tout ce que je sais, c’est que c’est Ben Zayid qui subira ses foudres. Encore que la mine qu’elle affiche en ce moment ne me dit rien qui vaille.
Nahia la voix cassée : bonjour,
Moi : bonjour, comment allez-vous ?
Nahia : je vais bien merci et vous ?
Moi : je vais bien également.
Nahia : c’est bien de le savoir (enchaînant d’un ton calme) vous pouvez rester à la maison si vous voulez, je ne serai pas à l'agence aujourd'hui. Je dois honorer des rendez-vous d’affaires extérieures presque toute la journée.
Moi : je préfère être à l’agence, je n’ai rien de particulier à faire ici.
Nahia : ok, je peux vous déposer et revenir vous chercher à l’heure de sortie. Ou si vous préférez, je vous laisse ma seconde caisse. Elle a un GPS intégré et je crois que vous vous retrouveriez facilement.
Moi sceptique : je pense que j’aurai besoin d’un peu d’entraînement pour pouvoir conduire ici donc ce serait mieux que vous me déposiez.
Nahia simplement : ok, si vous préférez.
Je la suis complètement perdu, enfin voir cette expression de mélancolie dans son regard m’a fait tout drôle, vu la personne à qui j'ai eu affaire tout ce temps. Enfin, il y a aussi cette impression que j'ai d’avoir ressenti tout le poids de sa douleur et il faut dire que ça pèse une puissance à douze chiffres. Bof je ne sais vraiment pas comment l'expliquer. Je me mets à analyser tout ça durant tout le trajet jusqu’à l’agence où elle me dépose avant de disparaître dans la circulation.
Bon, il faut le dire, j’ai suivi leurs échanges cette nuit et avec intérêt en plus. Sauf que je suis resté bloqué sur « je n’ai pas mal de te voir avec cette fille, j’ai mal parce que malgré tout ça, je t’aime encore. » Cette phrase a tourné en boucle dans ma tête un moment qui m'a semblé une éternité. J’ai voulu comprendre comment on peut aimer à ce point et dans ces conditions en plus. Finalement, je me suis endormi sans pouvoir saisir la quintessence de cet amour et il faut le dire le mec n’est pas non plus indifférent à son égard. Moi, je vois deux personnes qui s’aiment plus que de raison et qui se font délibérément du mal. C'est d’ailleurs ce qui m’intrigue dans cette histoire. L’amour, je n’en sais rien. Toutefois, j’ai toujours pensé qu’il suffisait d’aimer pour former un couple solide et être heureux. Je n’ai jamais su que l’amour pouvait faire souffrir, de cet étau de souffrance que j’ai lu dans les yeux de la miss toute à l’heure. Bref ça c'est un level de compréhension qui me dépasse donc mieux j’arrête de vouloir l’appréhender mieux je me porterai. Au moins ça m’aurait servi à comprendre qu’elle est indifférente à mon charme parce qu’elle est éprise d’un autre. Au fait, j’ai ce don de faire succomber toutes les filles à mon charme, sauf si leur cœur appartient à quelqu’un d’autre. D’autant plus qu’elle ne lui a pas juste confié son cœur, mais son âme aussi.
Au bureau, je passe la matinée à me tourner les pouces parce qu’il n’y a pas grandes choses à faire. Enfin, il y a bien des dossiers en instances, mais rien ne se fait ici sans la présence de la patronna. Enfin, c’est ce que ses employés m’ont laissé entendre. C’est plus tard dans l’après-midi que je reçois les documents de tonton Sharif d’un coursier de DHL. Je les ouvre et commence à peine la lecture que Nahia fait son entrée dans le bureau. Je la laisse s'installer avant de lui donner la nouvelle.
Moi : euh les documents dont nous avons besoin pour travailler sont arrivés cet après-midi. Nous pouvons nous y mettre si vous voulez.
Nahia soupirant : est-ce qu’on peut reporter ça sur demain s’il vous plaît ?
Moi sur le ton de la plaisanterie : mademoiselle Adja, je pensais que la rigueur, la disponibilité, l’efficacité et surtout la rapidité étaient les points forts de votre structure ?
Nahia me suppliant presque : je vous promets de me rattraper demain, là franchement, je n’ai pas la tête à travailler.
Moi sur le cul : euh ok.
Nahia (le regard fuyant) : ça vous dérangerait si on rentre maintenant ?
Moi : aucunement.
Elle reprend son sac et attend que je m’apprête puis nous descendons ensemble après qu’elle ait laissé quelques consignes à son assistante. Elle conduit jusqu’au carrefour déterminant et prend la direction de chez nous.
Moi : vous ne partez pas chez vos parents ce soir ?
Nahia : si, je veux d’abord vous déposer à la maison.
Moi : ça vous fera un grand détour, ne vous inquiétez pas pour moi. Je vous attendrez.
Nahia : j’en suis fort aise
Quelques minutes plus tard, elle gare devant la villa et me demande de la suivre. Ce que je fais sans protester. Toute la maisonnée m’accueille avec joie comme d’habitude. Je tripe avec les enfants, mamie, sa sœur et son mari qui me rassure de son état. Ses parents ne sont toujours pas de retour lorsque nous les quittons deux heures plus tard. A la maison, elle me tend la gamelle qu’elle avait ramenée de là et se précipite vers son appartement sans me laisser en placer une. Ensuite, elle a passé toute la nuit à pleurer pour se ruer dans le travail le lendemain. Le même scénario se répète jusqu’à ce vendredi. L’ambiance était relativement morose, même en présence des enfants. Elle se mure dans un silence troublant la plupart du temps et se nourrit à peine, par contre au bureau elle est beaucoup plus active. Il faut dire qu’elle travaille sans relâche de jour comme de nuit, je pense que c’est sa manière à elle de faire passer son chagrin. Parfois, elle finit par éclater en sanglots en pleine nuit et dans la journée elle se cache dans les toilettes pour pleurer. Je le sais parce qu’elle revient toujours de ses pauses-pipi avec des yeux bouffis. Les cernes sont maintenant encrés dans son visage, pis, bof elle est simplement méconnaissable. C’est une situation qui ne me plaît pas particulièrement, je préfère mille fois la miss grande gueule que j’abhorrais à cette fille taciturne et vide de vie qu’elle a été cette semaine. Pour être honnête, la miss hautaine et sarcastique me manque et pas qu’un peu.
On dépose donc les enfants à la maison ce soir et elle fait ce qu’elle a à faire. Sa sœur me rejoint dans leur grand salon juste après qu'elle soit montée voir un truc que voulait lui montrer son fils.
Amou se triturant les doigts : euh, je suis un peu gênée de vous demander ça. Je ne sais pas si Nahia vous a parlé de notre déménagement.
Moi sourire rassurant : non non. (ajoutant) Laissez-moi deviner, vous voulez de l’aide, c’est ça ?
Amou sourire gênée : oui, un gros bras supplémentaire ne serait pas de trop.
Moi amusé : ok pas de soucis, c’est prévu pour quand ?
Amou : dans deux semaines.
Moi : je serai là sans faute.
Amou (posant la main sur le cœur) : vous m’en voyez rassurée.
Moi : je suis là au besoin.
Amou souriant : ça peut aller pour le moment. (pause) Euh dites, je sais que vous êtes le moins placé pour pouvoir éclairer ma lanterne par rapport à ce revirement soudain de l’humeur de ma petite sœur. (donnant l’air de réfléchir) Euh, ça devient inquiétant et nous avons peur que… Enfin, je voudrais vous demander si vous êtes au courant de quelque chose. Je ne sais pas, ça peut être au boulot.
Moi : pas vraiment, je suis aussi surpris et curieux que vous de savoir ce qu’il en retourne.
J’estime qu’elle se dévoilera quand elle sera prête à le faire, si tant est qu’elle veuille le faire.
Amou soupirant profondément : d’accord, je vois.
Nahia arrivant à ce moment là : on peut y aller.
Moi : ok.
Elle nous escorte en lui parlant dans leur patois et nous laisse ensuite au portail. J’attends qu’on se retrouve à mi-chemin pour mettre à nu mon idée.
Moi : ça vous dit de sortir ce soir ? (elle me jette un coup d’œil.) Rien de compliqué, on se pose dans un endroit discret de votre choix.
Nahia : oui, pourquoi pas ?
Moi la fixant avec un étonnement non feint : euh, ok, je vous laisse nous guider.
Nahia simplement : ok.
Elle nous conduit dans un bar à terrasse où on se trouve un coin intime pour s’asseoir. Au début, c’était vraiment incommodant, personne ne parlait. Puis après quelques verres de mocktails (spécialité du bar) nous entamons une grande discussion autour de la ville et du pays en général. J’ai réussi l’exploit de lui arracher quelques sourires, discrets, mais c’était mieux que rien. Au retour je prends le volant parce qu’elle s’est plainte d’une fatigue accablante. Elle active le GPS et se laisse aller dans un sommeil que je qualifierai de comateux parce que ses yeux sont restés fermés jusqu’à ce que je la pose sur son lit. J’ai mis une couverture sur elle et je suis resté un moment à l’observer. Elle semble si fragile, si petite, si adorable. C’est dans ses moments qu’on comprend que l’apparence est vraiment trompeuse. Je sors de sa chambre, déterminé à l'aider à surmonter cette dépression.