Bébé Fanta

Write by Dja

Aminata était dévastée.

 

Elle n’y comprenait rien. Elle se sentait perdue. Comment en était-elle arrivée là ? Elle avait pourtant fait attention. Elle avait suivi les conseils de Jeneba qui lui avait appris à calculer son cycle menstruel. Et puis, souvent, Joël s’était retiré avant qu’il ne soit trop tard. Et ils utilisaient le préservatif. Enfin, elle ne savait même plus. Mais, ce qui était sûr, c’était qu’elle faisait attention. Jamais pendant la mauvaise période.

 

Elle se mit à réfléchir. A quel moment avait-elle pu se montrer imprudente ?

 

Ho mon dieu ! Ce jour, cette nuit ! Ce fameux soir où elle s’était donnée à Joël par désespoir. Pourtant cela avait été sa première fois. Comment cela se pouvait-il ? Ou alors, cet autre jour, où elle avait menti à sa mère qu'elle était chez Jeneba alors qu'elle avait dormi chez lui? Ou même...?

 

A quoi cela lui servirait-il de se poser autant de questions? Elle se prit la tête entre les mains. Ce qui était sûre, c'est qu'elle était foutue !

 

Elle ne comprenait pas. Pourquoi cela lui arrivait-il ? N’avait-elle pas suffisamment de souci comme ça ? Hé Allah ! Que ferait-elle ? Elle se sentait seule au monde. Sa vie venait à peine de prendre une tournure compliquée qu’une autre catastrophe arrivait. Un enfant ? Qu’en ferait-elle ? Sa vie était pourrie ! Finie ! Gâchée ! 

 

Tout ça, c’était de la faute de cet idiot de Joël. Après l’avoir séduite, il lui avait fait cet enfant. Elle maudissait le jour où elle l’avait rencontré. Quelle idiote elle avait été.

 

Elle était par terre, les cheveux défaits, la tête entre les genoux et les joues inondées de larmes. Son cœur battait comme s’il était prêt à exploser. Elle voulait mourir. Mais, de toute façon, il ne lui restait sûrement que quelques jours à vivre. Un mois tout au plus. Dès que son père saurait, il la tuerait. Elle en était sûre !

 

Qu’avait-elle fait ?

   

Elle s’endormit là, à même le tapis du sol de sa chambre. Toute nue, la tête vidée. Elle avait versée toutes les larmes de son corps.

 

Des heures plus tard, Aminata se réveilla en sueurs, la peur au ventre. Elle avait rêvé de son père qui la poursuivait avec un couteau. Elle se leva d’un bond en espérant que le cauchemar avait commencé bien avant. Mais, en constatant son état et regardant son reflet dans la glace, elle recommença à pleurer.

 

Non, elle n’avait pas rêvé. Elle était bien enceinte et d’au moins un mois, sinon plus.

 

A cette pensée, elle n’eut que le temps de mettre une robe de chambre et courut dans les toilettes vomir. Sa mère la trouva allongée dans le lit, les yeux enflés d’avoir trop pleuré, le corps chaud d’une fièvre qui la cloua pendant trois jours. Elle refusait de s’alimenter. Et même la menace de son père de la faire hospitaliser ne réussit pas à lui redonner l’envie de se nourrir.

 

Quelques jours plus tard, alors que le médecin de la famille était passé et lui avait prescrit un traitement, Aminata se leva. Elle avait pris une décision. Elle allait enlever cet enfant qu’elle n’avait pas désiré et qui pourrait mettre un terme à ses rêves d’avenir.

 

Rassérénée, reboostée, elle prit un long bain qui la regonfla à bloc. Puis, elle choisit une tenue en lin, pantalon et chemise longue que sa mère lui avait ramenée d’un de ses voyages qu’elle faisait dans le cadre de ses recherches professionnelles. Ensuite, Ami sorti retrouver les autres. Elle les entendait rire dans le patio. C’était un samedi et il y avait du monde à la maison. Sa mère lui tournait le dos, mais Moussa l’un des triplés la vit. Il s’avança vers elle avec un sourire, mais une inquiétude dans les yeux :

 

« _ Bonjour Ami, comment ça va ? Tu n’es pas trop fatiguée ?

 

_ Bonjour Moussa, non, merci ça va.

 

_ Tu en es sûre ? (se tournant vers leur mère) Yaye, Ami est debout.

 

_ Ha ! Mon bébé revient parmi nous. Tu te sens mieux ?

 

_ Oui Yaye, ça va ! J’ai faim.

 

_ Enfin ! Viens avec moi à la cuisine mon bébé, tu vas prendre quelque chose qui va te redonner des forces. »

 

En entendant le mot « bébé », Ami faillit se remettre à pleurer. Mais, elle se reprit assez vite. Elle avait décidé de ne plus flancher. Cette graine à laquelle elle se refusait de penser comme d’un être vivant, ne devait pas l’empêcher de mener à bien ses projets. Elle irait voir Joël pour qu’il paie son avortement. Elle devait mettre un terme à cette grossesse.

 

Après son repas, elle s'installa avec la famille et ils devisèrent pendant toute une bonne partie de l’après-midi. Il y avait les amis des uns, des cousins et cousines, les domestiques à qui Fatou permettaient parfois de papoter avec les enfants.



En effet, ils seraient tous là jusqu’à une heure avancée de la nuit. Certains parents resteraient dormir sur place et s’en iraient le lendemain, sinon le lundi. Le statut d’Oumar et la gentillesse de Fatou faisaient que leur maison n'était jamais vide longtemps. Ils recevaient toujours du monde. Comme il y avait plusieurs appartements dans la concession, ce n’était jamais dérangeant. Il y avait toujours de la place pour installer ceux qui restaient plus longtemps.

 

C’était ainsi le week-end. Oumar restait cloîtré dans sa chambre sinon appelait sa femme avec qui il prenait le temps de parler de la semaine écoulée ou des questions importantes qu’ils n’avaient pas eu le temps d’aborder en semaine.

   

Fatoumata appréciait beaucoup ces moments auprès de son époux. Depuis le premier jour de leur mariage, elle se mettait en quatre pour lui plaire. Quand elle savait qu’ils allaient rester ensemble, elle renvoyait tout le monde du côté de la maison où ils ne seraient pas dérangés. Elle mettait une touche particulière et plus soignée à sa toilette et détachait ses cheveux qu’elle avait très longs et soyeux. Elle était toujours aussi amoureuse de son mari, malgré les années passées. Chaque soir, elle se faisait belle pour lui et, même lorsqu’ils étaient en froid, elle s’efforçait de répondre à ses besoins.

   

Fatoumata était de ces femmes qui restaient mariées malgré les difficultés que le couple pouvait rencontrer. Elle n’avait jamais déplu à son mari. Malgré ses infidélités, ses humeurs parfois noires, elle gardait toujours le sourire et respectait toujours ses décisions. Souvent, sa propre mère lui disait de se rebeller, mais elle considérait qu’il était son mari et selon la religion musulmane, elle se devait de ne pas le contrarier ni contrarier ses desseins. Elle ne l’avait défié que lorsqu’il s’était agi d’accepter ses enfants illégitimes, mais à ce moment, elle avait craint que les mères de ces derniers ne veuillent également venir vivre avec eux. Elle aimait son mari, et elle voulait le garder pour elle.

 

Ho, bien sûr ! Elle avait eu des occasions de se fâcher contre lui et de lui désobéir. Mais cela toujours sans qu’Oumar ne s’en aperçoive. Et quand il avait découvert ce qu’elle avait fait, le temps était déjà bien passé. Pour elle, le mariage était plus important que ce à quoi elle aurait pu aspirer avant de s’unir à Oumar. Elle avait juré de lui rester fidèle et d’accepter les aléas de leur vie. Aussi, elle le faisait sans aucun regret. Malgré les larmes quelques fois, les coups qu’elle avait reçus, elle restait avec lui. Elle était heureuse de la vie qu’elle menait et de ce que sa condition de femme mariée lui apportait. Elle n’en voulait pas plus, elle était épanouie ainsi.

 

Et, justement, en cette fin d’après-midi, Oumar la convoqua dans son appartement. Elle attendait qu’il le fasse. Depuis la veille, elle sentait qu’il cachait quelque chose. Lorsqu’il était rentré du travail, il n’avait pas dit un mot. Quelque chose le dérangeait et elle patientait, sachant qu’il finirait par le lui dire.

 

Alors que le soir tombait doucement et que Fatoumata se refaisait une tresse en sortant de leur lit conjugal, le sourire aux lèvres, elle se mit à le regarder, les yeux brillants d’un sentiment de satisfaction. Malgré les années passées, son mari restait toujours aussi fougueux et savait lui faire plaisir. Elle mit une nuisette en soie sur laquelle étaient dessinées de petites roses rouges en forme de cœur. Puis, elle s’installa devant la coiffeuse. Son regard croisa celui d’Oumar dans le miroir. Elle se retourna net, elle sut que ce qu’il s’apprêtait à dire n’allait pas lui plaire.

En effet, quelques minutes plus tard, Fatoumata s’éclipsa dans sa chambre pour n’en ressortir que le lendemain. Elle n’avait pas pu dormir de la nuit car, la nouvelle annoncée par son mari l’avait énormément bouleversée.

   

Le lendemain dimanche, alors qu’il ne restait que les habitants de la maison et quelques domestiques, Oumar fit appeler sa femme et les enfants :

 

« Fatoumata, Aminata, Moussa, Demba et Oumar Jr venez ici ! »

   

Yaye Fatou savait pourquoi son mari avait l’air énervé. Elle lui avait tenu tête hier alors qu’ils étaient en pleine discussion. Et Oumar en colère l’avait chassée de sa chambre. Elle hésitait à répondre à son appel. Mais, elle craignait qu’il ne se mette encore plus en colère si elle ne le faisait pas. Alors, elle les retrouva dans le salon principal.

 

Oumar les appela une deuxième fois, cette fois-ci avec plus de fermeté et une pointe d’agacement dans la voix.

   

Ami qui était dans la cuisine en train de terminer une mangue faillit s’étouffer avec. Elle avala rapidement le morceau qu’elle avait dans la bouche et couru se laver les mains. Elle n’aimait pas quand son père tonnait ainsi. Dans ces cas là, il était en colère contre elle ou un de ses frères.

Arrivée au salon, elle y trouva les triplés, sa mère, … ainsi qu’un bébé.

 

Fatoumata avait des larmes plein le visage. Elle regardait son mari avec une peine non dissimulée. Il était assis dans son fauteuil préféré. Les garçons entouraient leur mère.

 

Elle avait compris.

 

Ce bébé était un autre de ses enfants.

   

Elle s’assit aux pieds de Fatou, le visage fermé. Oumar la voyant ainsi se liguer contre lui plissa simplement le front. Puis, prenant une profonde inspiration, il leur dit :

 

« Si je vous ai tous appelé ici, c’est pour vous annoncer deux choses. Cet enfant que vous voyez là est le mien. Sa mère étant morte en couches, les parents n’ont pas voulu le garder. Ils vivent dans un des villages que j’ai parfois visité. Ils sont vieux et n’avait que leur fille avec eux. Désormais, ce bébé sera ici et Fatoumata, tu devras t’en occuper comme un des tiens.

 

La deuxième chose est que le mariage d’Aminata est prévue pour dans deux mois finalement. Aboubacar doit retourner aux USA tout de suite après. Il a eu un contrat là bas et Ami le suivra par la suite. Sa place sera désormais auprès de son mari. »

 

Ayant terminé de parler, il attendit quelques instants puis se leva. La séance était terminée. Personne n’aurait à redire sur ce qu’il venait d’annoncer. Il était le chef de famille et pas même sa femme n’avait le droit de le contredire.

Il avait laissé le bébé dans son couffin, sachant que Fatoumata le prendrait. Elle n’avait pas d’autre choix de toutes les façons. Son mari avait ordonné, elle se devait d’exécuter. Elle se leva donc et se dirigea vers le bébé. Alors qu’elle se baissait pour le prendre, Ami se mit en travers de son chemin.

 

« _ Mâ, que fais-tu ?

 

_ Comment ça Ami ?

 

_ Ce bébé, tu ne vas l’accepter hein ?

 

_ Hum, Ami ! S’il te plaît, laisse-moi passer.

 

_ Mais pourquoi ? Tu ne peux pas accepter d’élever l’enfant d’une autre femme. En plus, un bébé. Cela veut donc dire que papa t’a menti. Il t’a toujours été infidèle et qui plus est, il t’a fait un enfant dans le dos.

 

_ Tais-toi Ami ! Tu ne sais pas de quoi tu parles. Tu n’y comprends rien ! Tu ne sais pas ce que tu dis.

 

_ Ho, que si Yaye ! Je sais bien ! Tu n’es qu’une femme faible qui courbe l’échine devant son mari. Tu devrais avoir honte de toi. »

   

Yaye Fatou leva la main pour la gifler, tellement ses paroles l’avaient blessée. Mais, elle la rabaissa aussitôt. Les larmes ruisselaient de plus belle. Elle se pencha vers le couffin, fit un baiser sur le front de sa fille et se dirigea vers sa chambre. Celle qu’elle occupait lorsque son mari avait décidé de la punir. Mais, cette fois, c’est elle qui allait le punir. Elle venait de fermer son cœur à tout jamais à cet homme qui lui avait pourtant promis de ne plus jamais aller dehors. Cet homme qui à la naissance de leur fille avait juré que plus jamais elle n’aurait à pleurer car il avait enfin eu l’héritière qui lui manquait depuis des années.

 

Elle avait honte de ce qu’elle était devenue. Elle avait honte de ce que sa fille venait de lui dire. Car, ce n’était que la vérité. Elle avait honte de devoir élever l’enfant d’une autre. Elle avait honte de ne pas avoir la force de se rebeller.

 

Les enfants restés au salon, les garçons s’en prirent à Ami :

 

« _ Comment oses-tu parler de la sorte à Yaye ? (Demba et Oumar Jr s’étaient exclamés d’une seule voix)

 

_ Je ne fais que dire la vérité.

 

_ De quoi parles-tu ? Et puis d’ailleurs, cela ne te regarde pas. Tu n’avais pas le droit de lui parler ainsi

 

_ Je…

 

_ Tais-toi ! (Oumar était revenu) ils se retournèrent comme un seul homme.

 

Tu n’as rien à dire ! Tu n’es qu’une enfant et les décisions que je prends ne souffriront d’aucune objection. Je suis le seul (il avait prononcé ce mot avec le ton d’un général d’armée habitué à se faire obéir) à dire ce qu’il faut faire ici. Et personne, je dis bien personne n’a rien à en redire. Me suis-je bien fait comprendre ?

 

_ Oui Baye ! répondirent-ils

 

_ Bien ! Sur ce, allez-vous coucher ! »

   

Aminata qui était restée quelques secondes de trop, sentit l’étau de son père sur son bras :

 

« _ Quant à toi, si tu essaies encore une fois de me tenir tête ou de discuter mes ordres, je te le ferais regretter. Tu es avant tout ma fille. Et saches que j’ai droit de vie et de mort sur toi. Compris ?

 

_ Oui papa !

 

_ Bien ! Tu peux y aller maintenant. Bonne nuit ! »

   

Il la laissa là et se dirigea vers la chambre de Fatoumata. Il n’accepterait pas qu’elle lui fasse l’affront de l’ignorer devant leurs enfants. Il savait qu’il l’avait mise devant le fait accompli. Mais, qu’aurait-il pu faire quand on lui avait apporté l’enfant au portail avec pour seul message que la mère était morte en mettant cette fille au monde. Il ne pouvait pas la rejeter. Elle était son sang. La chair de sa chair.

   

Il avait pourtant essayé de lui expliqué la veille. Mais, elle s’était braquée. Elle n’avait rien voulu entendre. Pourtant, Fatoumata devait lui pardonner cet écart. Il s’était laissé séduire par cette jeune fille qui venait parfois lui vendre des oranges quand il allait se reposer à l’ombre du gros arbre dans son village. Elle avait réussi à lui faire perdre la tête lorsqu’il était allé se rafraîchir au bord d’une rivière en compagnie de son chauffeur.

 

Aussitôt, il se souvint de ce jour là, où Aïcha avait laissé tomber son pagne devant lui et qu’il avait été comme ensorcelé à la vue de ce corps si jeune, si frais et si parfait. Les courbes qu’elle lui présentait et les seins pesants qui pendaient de la lourdeur de sa jeunesse et de sa pureté encore intacte l’avaient complètement perdu. Alors qu’il avait souvent ri de ses avances sur la place du marché, là, il n’avait pu résister et le soir même, ils s’étaient retrouvés sur la même couche. Oumar allait désormais lui rendre visite plusieurs fois par mois jusqu’au jour où elle lui avait annoncé qu’elle attendait un enfant de lui.

   

Depuis ce jour, il avait cherché le meilleur moment pour l’annoncer à sa femme. Mais, il n’avait jamais pu le faire. Elle qui avait tant cherché à enfanter, même après la naissance de leur fille. Elle en aurait été affectée. Et, il ne pouvait pas accepter de la faire souffrir. Il ne voulait pas la blesser. Les années passées auprès d’elle lui avaient fait comprendre bien des choses et, il s’était surpris à s’adoucir à son contact et à ressentir de l’amour pour elle. Car, au contraire de ce que pensaient les gens, Oumar aimait sa femme et la chérissait du plus profond de son cœur. Même s’il ne le lui disait qu’à de très rares occasions sinon pour ainsi dire jamais.

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