Casting (2)

Write by Aura

Je sors des toilettes avec Naomi et vais m’installer dans le couloir, dans lequel les autres candidates patientent. Je prends la peine d’observer chacune d’elle et je me rends compte qu’elles sont concentrées. Il y a de celles qui ont des AirPods vissés dans les oreilles. Je suppose qu’elles écoutent la musique. D’autres sont en train de manipuler leurs téléphones comme si leurs vies en dépendaient. D’autres encore somnolent comme si de rien n’était. Je me demande comment font-elles pour garder un tel sang-froid.  Moi je stresse tellement que ma transpiration est en train de coller mes vêtements à mon corps. Je me tortille les doigts pour garder mon calme, mais ça ne va toujours pas. Je suis encore en train de lutter contre toutes mes émotions lorsque je vois un groupe de personne faire son apparition. Je comprends tout de suite qu’il s’agit de l’équipe de casting. Le groupe est composé de deux femmes, des métisses probablement trentenaires. Elles ouvrent le cortège, suivi d’un homme au téléphone de tailles moyenne et de corpulence assez costaude. Il est suivi d’un jeune homme de la vingtaine je dirais, mince, élancé avec des lunettes on dirait Einstein, qui le suit de très près en portant son sac. Puis il y a cette…Mireille, qui boucle le cortège. Elle est toute de noire vêtue : un débardeur noir, un pardessus, un legging, des talons fermés vertigineux, un grand sac à main et des lunettes de soleil. Tous ses effets portent une seule et même couleur : le noir. Ses cheveux sont rassemblés en queue de cheval et font ressortir les traits fins de son visage. Elle est juste magnifique. Ouais, il ne faut pas être hypocrite devant les bonnes choses. Non seulement, elle a une peau claire caramélisée, mais encore elle a des formes acoustiques qui rendraient n’importe quel homme fou. Même si c’est ma rivale, il faut reconnaitre qu’elle a du goût. Je comprends mieux pourquoi Christian a craqué pour elle. Si elle était magnifique sur les photos, là elle est juste sublime. Elle a une démarche tellement sensuelle, qu’on croirait une gazelle. Donc Ngoma consomme cette nourriture tous les jours ? Il y a des gens qui sont vraiment chanceux quoi ? Je l’observe encore et quelque chose attire mon attention. Elle se cache presque derrière ses lunettes, sa tête baissée, elle semble fuir les regards de ceux qui l’entourent. C’est moi ou bien il y a quelque chose qui cloche ? Cette femme semble avoir de gros soucis. Je ne la connais pas personnellement mais elle a une mauvaise mine. On croirait qu’elle voudrait cacher quelque chose.

Je continue de me questionner, quand ma conscience me rappelle qui elle est vraiment : ma rivale, une voleuse de mari, une briseuse de foyer. Dès que je me souviens de cela, ma colère grimpe comme une flèche. Pourquoi est-ce que je m’intéresse à elle ? A-t-elle réfléchi à deux fois elle avant de briser mon couple ? Non, elle n’a eu aucune pitié de laisser mes enfants sans père et nous laisser tous croire qu’il était sous terre. Alors, je n’aurai aucune pitié pour une égoïste pareille. Au contraire, elle va devoir payer pour toutes les larmes que j’ai versées.

Le cortège passe devant nous. Si moi je suis concentrée sur ma vengeance, les autres par contre semblent émerveillées par Mireille. Elles la regardent toutes avec admiration et je ne peux que plaindre leur idiotie intérieurement. Si ce n’était pas à cause de Christian, je ne serais pas en train de venir jouer aux Barbies ici. Bref, je continue de les regarder en train de saliver comme des chiens devant un gros morceau de viande. Le groupe par contre s’éloigne de nous et va s’installer dans une salle au fond du couloir.

Après quinze minutes d’attente, le monsieur et l’une des femmes métisses reviennent. L’un vérifie les inscriptions des participantes et l’autre nous attribue nos numéros. On nous communique l’ordre de passage et il s’avère que je passe en dernière position. Cette annonce m’apaise et m’effraie en même temps. Passer en dernière position suppose que j’ai tout le temps pour me préparer en conséquence, mais aussi pour déstresser. Le risque c’est aussi de ne pas pouvoir impressionner le jury, car trop fatigué d’avoir vu tellement de visage. Bref, je reste sereine. Au moins, je pourrais en profiter pour demander une paire de talons à l’une d’entre elles, si elles peuvent me la prêter. Je sais que c’est osé, mais je n’ai pas d’autre choix. C’est ça, ou je risque de faire passer ma chance. J’observe chacune d’elle et je peux admettre qu’elles n’ont pas la même pointure que moi. Elles sont toutes trop grandes de tailles. Mince !!! Que faire ?

Je suis plongée dans mes pensées quand une idée me vient finalement en tête. Je quitte les lieux et retourne à la réception, non sans avoir mouillé ma robe avec ma sueur. Je redescends les marches d’escaliers doucement sans prendre de risques. Dès que j’arrive à l’accueil, je rencontre la jeune femme de tout à l’heure aux regard bizarres. Dès qu’elle me voit, elle fronce immédiatement les sourcils. Mais je fais comme si je n’ai rien vu.

-          Bonjour une fois de plus.

-          (silence)

-          Euh excusez-moi. En fait j’ai un souci.

-          Silence

-          Euh, je suis venue pour le casting de MK….

Elle me regarde avec des yeux ronds, prête à s’éclater de rire comme si ce que je disais était la blague la plus drôle qu’elle ait écoutée. Plutôt que de m’attarder sur ses mimes, je continue tranquillement

- …  je viens malheureusement de me rendre compte qu’on m’a volé ma paire de talons pendant que j’étais sur la route.

-  C’est quoi le souci ?

-  En fait j’aimerai savoir si quelqu’un parmi vous peut me prêter sa paire de talon juste pour la circonstance.

- Hum ! Il y a des gens culottés hein.

- Qu’est-ce que vous dites ?

- Je dis qu’il vous manque une case dans votre tête. La préparation tu ne connais pas ?

- C’est à moi que vous vous adressez ainsi ?

- Oui, oui. Donc quand toi tu te regardes, tu ressembles à quelqu’un qui peut faire du mannequinat ? Il ne faut pas se moquer des gens. Tu crois qu’on ne connait pas ton genre-là qui se pointe dans un grand hôtel, joue les demoiselles épeurées juste pour attirer l’attention après c’est pour voler les gens.

- Là je ne vous permets pas.

- Je m’en fiche de ce que tu peux me permettre. Tu n’es rien donc fous-le-camp. C’est sûr que tout ça c’est parce qu’elle a repéré un blanc ou une personne qui vient de l’étranger. On vous connait vous les filles de Kin. Vraiment les femmes avec ce genre de comportements doivent avoir honte surtout quand on est une grande femme comme ça.

Je ne la laisse pas continuer à bavarder. Je tourne juste le dos et m’en vais. Je ne veux plus être humiliée une fois de plus. C’en est trop. Je suis à bout. J’ai envie de casser les dents à cette petite peste. Mais mieux vaut ne pas tout gâcher, sinon ça risque de me compromettre complètement. Je reprends la direction des escaliers que je gravis une fois de plus en marquant des pauses pour souffler un peu. Dans le couloir, je constate que le passage est au niveau du numéro 15. Je m’assieds donc, pour attendre mon tour. J’ai déjà eu assez honte comme ça pour retenter quelque chose.

Une bonne heure s’écoule pratiquement, pendant que moi je reste assise. Je vois les unes sourire dès qu’elle sorte de la salle du casting. D’autres semblent déçues de la prestation. Il y a de quoi. La compétition est rude, les candidates sont toutes des filles du domaine et elles sont toutes douées. Alors la moindre erreur peu facilement vous faire perdre la place. Et il n’y a pas de seconde chance, donc c’est plutôt un gros risque. J’entends des filles chuchoter qu’elles ont presqu’été expulsées de la salle. D’autres se sont faites crier dessus. D’autres encore, elles ont impressionné les gens de l’intérieur. Je continue de les écouter et enregistre toutes ces informations en attendant mon tour.  Finalement, on vient annoncer mon numéro.

Je quitte le couloir tranquillement sous les regards moqueurs et les paroles grossières des candidates. Certaines se contentent de tchiper au lieu de gaspiller leur salive. J’entends des :

-          Laisses tomber mamie

-          Tu n’ y arriveras pas

-          Faut avoir du respect.

-          Avec les godasses en plus. N’importe quoi !

Enfin, j’entre dans la salle d’audition. Je constate que c’est une grande salle peinte en blanc. Elle est très vaste et lumineuse. Plusieurs personnes se trouvent à l’intérieur et ont toutes le regard posé sur moi, en train de me dévisager comme un objet rare sorti du sol. Je n’y prête pas trop attention, parce que assez intimidée par ce qui se passe. Je remarque que la salle est aménagée en trois parties.    Il y a un côté audition où une longue table a été dressée. On y trouve des bouteilles d’eau, des fleurs et des fiches. Je suppose qu’il s’agit des références de chaque candidate. Au milieu de la salle se trouve une espèce d’estrade ou de podium sur lequel on devrait défiler je suppose. Et dans la partie reculée de la salle, sont disposées des projecteurs pour un éventuel shooting photo.

Je m’avance en face du jury composé d’une des femmes métisses, du monsieur de tout à l’heure, d’un homme blanc que je n’avais pas encore remarqué et de Mireille qui semble en retrait, l’esprit ailleurs. Hum, je ne sais pas si elle travaille toujours ainsi, mais là, elle est vraiment dans un autre monde. La dame métisse, Sonia, me demande de me présenter, chose que je fais.

-          Je suis Liliane MPEMBE. J’ai 36 ans et je suis mère célibataire de 4 petits anges.

-          Ok. Bien, merci continue Sonia. De quelle agence êtes-vous ?

-          D’aucune.

-          Ah oui ? Ben, euh quelles sont les défilés auxquels vous avez déjà pris part ?

-          Euh, je n’ai jamais pris part à un défilé professionnel, juste à celui de la fac.

-          Depuis quand faites-vous du mannequinat ? J’ai pu constater que vous ne l’avez pas précisé dans votre expérience professionnelle. Et puis vous n’avez pas souligné de quelle école vous sortez.

-          Comme je le disais, je n’ai pas d’expérience professionnelle dans le domaine et je ne suis sortie d’aucune école, encore moins travaillé avec une agence.

-          Je vois dit-elle.

-          Vous savez commence le monsieur, nous sommes à la recherche des professionnels dans ce domaine. Alors nous sommes très exigeant.

-          Oui je sais. Mais j’aimerai pour une fois réaliser ma passion.

-          Laquelle ?

-          Défiler pour de grand créateurs.

-          On comprend très bien ce que vous dites poursuit le monsieur, mais madame, nous avons des critères qui doivent être respectés. Ce n’est pas une foire pour réaliser ses fantasmes mais bien autre chose. On ne se lève pas un matin pour devenir mannequin, mais il faut de la préparation.

-          Moi j’aimerai bien écouter ses motivations lance le blanc. Alors dites-nous Liliane pourquoi voulez-vous qu’on vous prenne ?

-          Merci déjà de m’écouter. En fait, j’ai toujours désirée être mannequin, mais je ne pouvais pas parce que je n’avais pas la bonne taille et encore moins le bon tour de rein. J’étais trop grosse pour ça. J’ai donc laissé tomber et fais taire mes rêves. Ensuite, j’ai eu mes enfants et je me suis consacrée entièrement à leur éducation en m’oubliant moi-même. A présent qu’ils ont grandi, je me sens inutile. En dehors de jouer le rôle de maman, je n’ai pas d’autre occupation. J’ai donc décidé de me donner la chance de vivre ce rêve, car je me suis trop laissée aller. J’ai suivi un régime alimentaire, perdu du poids et commencé à prendre plus soin de moi. Quand j’ai vu cette annonce, alors j’ai bondi sur l’occasion en faisant fi de mon âge et de mon manque d’expérience dans le domaine, parce que je suis quelqu’un de très motivée et déterminée.

-          D’accord. Admettons que vous soyez retenue, allez-vous prendre le risque d’abandonner vos enfants ?

-          Non ! Ils seront avec leur père.

-          Dites, reprend Sonia, entre votre enfant et un défilé déterminant pour le tournant de votre vie que choisiriez-vous ?

-           Mon enfant. Mais je veux aussi défiler. Alors je m’organiserais comme n’importe quelle autre femme qui travaille pour combiner ma vie de foyer à ma vie professionnelle. Sinon, ça ne sert pas de parler d’émancipation de la femme.

-          Ok merci Liliane. Je suis André lance le blanc et beau speech. Maintenant vous allez nous faire une démo sur l’estrade.

-          Ok. Mais s’il vous plait, est-ce possible qu’on me prête une paire de talon ? Je n’ai pas les chaussures qu’il faut.

Là je vois tous leurs regards se poser sur mes pieds. Et je peux lire qu’ils sont si surpris que je suis sûre de me faire braiser bientôt.  

                 

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