Chapitre 1
Write by Meyroma
Les yeux braqués sur le grand écran fixé devant elle, Maria regarde sa série novelas avec tellement de concentration que le bruit ambiant de la salle du restaurant Bab Salam ne semble point la perturber. D'ailleurs, sans visiblement s'en rendre compte, elle retreci les yeux comme si elle souffrait inconsciemment de myopie et tend largement les oreilles pour mieux entendre ce qui se dit à la télévision. De temps à autre, elle sirote la canette de Pepsi light posée sur sa table pour digerer les émotions que lui suscite la serie télévisée. Elle est à ce point captivée qu'elle n'entends même pas arriver Aïcha, sa meilleure amie, son rendez-vous.
- L'infatigable adepte novelas, se moque Aïcha en lui faisant la bise. Si je pouvais rencontrer le PDG de cette chaîne, j'irai moi même lui réclamer un prix de fidélité pour toi. Je suis sûre que tu es leurs plus fidèle téléspectatrice, en éclatant de rire.
- Si je ne peux vivre l'amour en life, laissez moi au moins m'en délecter à la télé, lance Maria en détachant enfin ses yeux de l'ecran, avec un sourire amusé, puis un autre empreint d'amertume.
Aïcha reconnais cette mélancolie ancrée dans son sourire, son regard, sa voix , et même son silence qui depeignent ouvertement l'affliction qui la ronge silencieusement. Maria n'a même pas besoin de s'exprimer que Aicha devine ses cris de coeur et vis versa. Cette connaissance si approfondie qu'elles ont l'une de l'autre s'est acquise en vingt longues années d'amitié, au cours desquelles elles se sont fidèlement témoigné un amour sincère et une confiance réciproque.
Les deux trentenaires se sont rencontrées sur les bancs de l'école primaire, lorsque le hasard a fait qu'elles soient voisines de tables. Elles ont parcouru ensemble le long trajet du niveau primaire, secondaire et terciaire, voguant entre aventures et mésaventure, jusqu'aux études supérieures où chacune à suivi sa vocation.
Tandis que Aïcha, s'oriente vers la medecine pour en sortir quelques années plutard gynécologue obstétricien, Maria décide de cultiver son talent de dessinatrice et designer en optant pour l'architecture dans une prestigieuse école d'architecture à Paris, que la situation financière aisée de sa famille lui a permis d'intégrer. Il faut dire que ses parents sont les richissimes propriétaires de la plus grande firme agroalimentaire du pays. Son frère aîné qui assure la direction de l'entreprise familiale et elle, sont les uniques enfants du couple Maitouraré. Autant dire qu'ils sont vraiment de la Haute.
À la fin de son cursus, dès son retour au bercail, elle est recrutée dans un grand cabinet de la place. D'ailleurs, c'est là-bas qu'elle rencontre pour la première fois celui qui est aujourd'hui son mari.
Ingénieur en génie civil, Soumana Siddo à rencontré Maria il y'a cinq ans lorsqu'ils ont dû travailler ensemble sur un projet commun, la construction d'un échangeur.
Les métiers du bâtiment étant habituellement exercés par la gente masculine, Soumana n'avais pas l'habitude de cotoyer des femmes dans son travail. C'est ainsi qu'il s'est épris d'une grande admiration pour la seule fille de l'équipe.
Maria est une femme dotée d'une très grande beauté. De prime abord, son visage candide illuminé par un teint naturellement clair et ses longues jambes fuselées sur lesquelles se dresse un corps svelte et parfaitement sculpté lui donne un air fragile, raffiné, "une fille à papa". Mais il faut la voir dans son uniforme de travail bleu assorti du casque jaune, à mesurer les angles et les dimensions le long de l'itinéraire à construire, sous le soleil ardent et agressif pour comprendre que l'habit ne fait pas le moine, que derrière ce masque frêle se cache une femme forte qui a mérité son poste par son acharnement au travail, pas une "fille à papa", mais une vraie battante.
Par un après midi de la saison alternative entre la chaleur et l'hivernage, cette période où le climat est au comble de son intolérance, Maria épuisée par sa dure journée de labeur s'étend sur une petite étendue de gazon à proximité du rond point Mali Béro,où se trouvait leurs chantier. Elle voulait se relaxer et surtout faire sécher sa sueur à l'air libre avant de rentrer chez elle.
- Tenez, lui dis Soumana qui venait de la rejoindre en lui tendant une bouteille d'eau minérale Telwa avant de prendre place à côté d'elle.
Maria s'en saisi et vide la bouteille d'un trait avant de se laisser tomber, dos à terre, à la manière d'un garçon raté.
Pourtant, ce bonnet dissimule une chevelure abondante et soyeuse et dans cette camisole bleue se cache une féminité authentique. Maria était consciente de sa beauté et de l'effet qu'elle avais sur les hommes partout sur son passage et cette assurance la rendait encore plus séduisante.
- Je vous trouve vraiment très forte de travailler aussi dur que les hommes, la complimente t-il pour engager la discussion.
Elle se contente de sourire comme pour lui dire que la conversation n'ira pas plus loin que ça. En joignant l'acte à la pensée, elle prend congé de lui.
C'est ainsi que pendant toute la durée de leurs travaux, un an jour pour jour, Soumana n'a pas cessé de multiplier ses efforts pour se rapprocher d'elle, en vain. Plus il avançait, plus elle restait de marbre.
En ce temps, Maria était éperdument amoureuse de son cousin Agi Maï Moussa, un officier des forces armées nigériennes qui était en mission de deux ans au mali . Ils projettaient de se marier dès son retour au pays. D'ailleurs la cérémonie de la dote à eu lieu et tous les préparatifs du mariage étaient en cours.
Un soir, bien après la fin de leurs projet, alors qu'elle pensais ne plus revoir Soumana de sa vie puisque le travail qui les liait était terminé et qu'elle avait carrément oublié son existence, ce dernier lui rend visite chez elle.
- Comment connais-tu mon domicile, demande t'elle à son ex-collègue contrariée. Qu'est- ce qui me vaut ta visite? Mon père n'apprécierait pas de te voir ici. Je suis fiancée. Tu ferais mieux de partir.
Tel fût l'accueil que reçu celui qui a remué ciel et terre pour dénicher l'adresse de la résidence des Maitouraré dans le seul but de voir Maria. Plus persévérant que jamais, il se lance quand même.
- je sais que tu es engagée ailleurs. Mais cela ne m'empêchera pas de tenter ma chance. Voilà plus d'un an que j'étouffe mes sentiments, mais là je n'en peux plus, je suffoque. Je t'aime Maria, je suis fou de toi et je me battrait pour que ça soit réciproque. Je t'en supplie donne moi une chance, laisse moi faire mes preuves.
Pressée de se débarrasser de lui, Maria ne l'écoute même pas et le pousse vers le portail.
-Maintenant part, ne me crée pas de problème je t'en prie. Si tu veux, on se voit demain au cabinet.
Aussitôt, elle regrette sa dernière phrase en maudissant l'impulsion qui l'a poussé à donner un rancard à cet homme qu'elle n'a aucune envie de côtoyer.
De son côté, c'est un Soumana heureux d'avoir pu obtenir un rendez-vous avec la femme qui nourrit ses rêves qui sort de la résidence des Maitouraré.
Le lendemain, il se présente au bureau de Maria comme convenu. Pour la première fois depuis qu'elle a fait sa connaissance, elle le regarde avec des yeux de femme, pas ceux de simple collegue.
C'est vrai que déjà dans son uniforme de terrain, Soumana était un bel homme. Mais cette tenue décontractée qu'il avait porté ce jour le rendait encore plus beau. Quand il pénétra son bureau, Maria le scruta de haut en bas, de sa tête complètement rasée mettant en exergue les virils traits de son visage, en passant par son polo blanc immaculé qui laissait deviner un buste scuptural, un Jean qui dessinait parfaitement des jambes athlétiques jusqu'à la paire de Sebago qui donnait sa touche d'allure à son style désinvolte.
Ce rendez-vous fût dès plus fructueux pour lui et des plus déroutants pour Maria qui s'est surprise à apprécier la compagnie de cet homme dont l'éloquence et la rhétorique l'ont doucement charmé.
Depuis, les rencards se sont multipliés tissant entre eux dès sentiments d'abord confus et indiscernables qui se sont progressivement affinés, puis affirmés.
Quant à son fiancé Agi, cette nouvelle idylle avec Soumana qu'elle surnommait affectueusement Soum l'a complètement effacé du coeur de Maria. C'est comme si l'amour qu'elle lui portait s'était volatilisé subitement, pire comme si cet amour n'avait jamais existé. On aurait dit qu'avec Soum , elle découvrait enfin le vrai sens du mot "aimer".
Quand elle annonce à son père son désir de rompre avec Agi pour se marier avec Soum, elle reçoit une telle gifle que sa tête vacille dans les étoiles.
-As tu perdu le réseau? Lui cria-t-il vieux furieux, en gesticulant violemment.
C'était la toute premiere fois de sa vie qu'il posait la main sur elle. Certes, l'hostilité de son père était prévisible, mais elle n'avais jamais imaginer qu'il en arriverait à ce point.
Elle était sa petite princesse et ses désirs étaient supposés être des ordres.
Elle le regarde effarée et incrédule, la main sur la joue comme pour cacher une marque indélébile.
Certainement motivé par le remords d'avoir brutalisé sa fille, le père reprends cette fois de manière diplomatique.
- Si tu ne veux pas être responsable de la dislocation de notre famille, n'évoque plus cette sordide histoire. C'est pour éviter ce genre de désagrément que dès le départ, je t'ai demandé de bien réfléchir avant de t'engager avec ton cousin Agi. Maintenant que nous avons accepté la dote, tu veux ramener la honte sur nous? Tu es malade? Lui demande encore le père qui est passé de la manière douce à une colère incontrôlable sans s'en apercevoir.
-Jamais je n'accepterai cette union, conclut-il, d'un ton ferme. Maintenant hors de ma vue espèce d'inconsciente.
Depuis cette violente altercation avec son père dont la décision est sans appel, Maria a complètement perdu goût à la vie. Elle sombre petit à petit dans une dépression qui l'altère tant physiquement et psychologiquement qu'elle est devenue méconnaissable, une sorte de fantôme, une ombre d'elle-même. Son père l'a fait consulté par des psychiatres et des marabout de grande renommée. Leur réponse reste unanime: il faut lui consentir ce que son coeur desire, sinon la conséquence seras lourde et irrévocable.
Le père n'eut d'autre choix que d'accepter ce mariage, malgré lui. Contre toute attente, la famille de Agi se montre compréhensive et lui même accepte dignement sa défaite.
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De son coté, son amie Aïcha n'a pas eu un parcours aussi tumultueux et parsemé d'embûches. Elle s'est mariée avec son amour de jeunesse Ali Ibn Abdourahamane, le fils aîné d'une fratrie de huit enfants d'une famille vraiment modeste, pour ne pas dire pauvres. D'ailleurs il est le seul ayant poursuivi de longues études et aujourd'hui, il représente l'enfant prodigue, l'espoir et le pilier de la famille, celui qui a réussi plus que tous les autres.
Lui et Aïcha sont partis d'un amour estudiantin, ont gravi les escaliers et atteint le sommet ensemble, main dans la main.
Aujourd'hui , cinq ans après elle sont toutes les deux mariées, mais sont t'elles heureuses dans leurs foyers respectifs ?