Chapitre 1 - #9

Write by BlackChocolate

Je me levai avec une boule au ventre, me demandant ce que Madjou pouvait bien me vouloir. Le fait qu'il me convoquait dans sa case à une heure aussi tardive m'inquiéta au plus haut point. Il n’allait quand même pas me tuer pour lui avoir sauvé la vie j’espère ? Ces hommes ont tellement de fierté et d’égos en eux qu’ils préfèrent parfois mourir plutôt que d’être sauvés pa...r une femme, une gamine de surcroit. Mais ce n’était pas ça ma plus grosse crainte. Non ! Je craignais surtout que l'alcool ingéré et la testostérone secrétée lors du combat aient réveillé ses plus bas instincts. Un viol de plus et je ne savais pas si j’aurais pu tenir le coup. La fois où ça a eu lieu, je suis restée enfermée 3 jours, sans voir personne et sans sortir parce que j’avais peur que ça se reproduise. Il n’y avait personne pour me réconforter, et je ne pouvais en parler à personne.

Pour le moment, il n’était pas question de fuir. Mon père devait me retrouver bientôt et il fallait que je sois dans les parages, en sécurité jusqu’à son arrivée. Quelques minutes plus tard, j’étais devant la case de Madjou. A l’intérieur, l'odeur de marijuana emplissait l'air. A même le sol, se trouvait une lampe qui semblait ne pas avoir servi depuis un bon moment, vu la façon dont elle éclairait faiblement la case. C'était d'ailleurs la seule case qui en possédait une. Dans cette partie du pays, l’électricité était encore malheureusement un luxe que tout le monde ne pouvait pas se permettre.

Madjou était couché, torse nu, son bras cassé sur le ventre, et de l’autre main, il fumait et recrachait la fumée en s’amusant à faire de petits cercles. Moi, je m'inquiétais toujours autant. Mon cœur battait à 200 à l'heure. Il se leva, m'invita à prendre place sur son lit et me présenta le joint qu'il fumait, une fois de plus. La dernière fois qu’il avait fait ce geste, c’était pour ensuite me demander de tuer mes agresseurs. Cette fois, ce serait pourquoi ? La guerre m’avait transformée ! J’avais vu tellement de morts, de souffrance et de haine que je n’étais plus la petite fille innocente qui pleurait quand elle n’avait pas de goûter ou qui détestait se faire tresser. En parlant de mes cheveux, ils étaient dans un sacré état. En attendant de m’en occuper, il fallait savoir ce que Madjou me voulait. Je pris le joint de ses grosses mains, et je me mis à fumer à mon tour. Madjou entama la conversation tout en me regardant droit dans les yeux:

- Madjou : Petite, t'es-tu déjà demandée pourquoi je t'avais prise? Pourquoi je t'ai toujours protégé? Pourquoi j'ai toujours puni ceux qui ont osé lever la main sur toi?

- Moi : Pour me violer plus tard comme tu l’as fait avec ma mère ? Ces mots étaient sortis tout seul de ma bouche. C'était peut-être ce que je fumais qui me donnait ce courage.

Madjou éclata de rire

- Hahahahaha moi te violer? Non merci. Je préfère les femmes, les vraies femmes.

Cela me fit penser à ma mère souillée avant de se faire tuer. Mais je n’eus pas le temps d’en parler, car Madjou enchaina aussitôt.

- Madjou : Je t'ai pris sous mon aile parce que tu es le portrait craché de ma fille. Elle a été tuée par ces chiens du gouvernement.

Sa mine changea directement. Un rictus nerveux tordit son visage, et ses nerfs se gonflèrent comme ceux d’un taureau qui s’apprête à charger un torero.

- Madjou : Trêve de bavardage. Je ne t'ai pas fait appel pour bavarder ou parler de moi.

- Moi : Pourquoi alors?

- Madjou : Tu vas remplacer Fofana. Tu seras mon lieutenant...

A 10 ans, j’avais vu ma mère se faire tuer, Je m’étais fait violer, j’avais tué quelqu’un et je venais d’être nommée lieutenant d’un groupe rebelle… Je portais peut-être plus de poids sur mes épaules que la femme de 27 ans que je suis aujourd’hui. Cela me fait penser à toutes ces petites filles que je vois parfois lorsque je vais faire des emplettes au marché. Elles ont à peine 7 ou 8 ans et elles sont déjà en train de transporter d’énormes marchandises sur la tête pour leur « patronne ». Comment peut-on demander d’être comptable et vendeuse à cet âge-là et ne pas espérer que l’enfant fasse des erreurs ? Et lorsque c’est le cas, on assiste parfois à des scénarios plus que déplorables, avec des femmes qui vont jusqu’à écraser du piment pour en passer dans les parties génitales de certains pauvres enfants. Oui c’est horrible !!! Chaque chose en son temps n’est-ce pas ? Et l’enfant doit profiter de son enfance comme il se doit, parce que quand il grandira, il aura tout le temps pour être confronté aux « problèmes » de la vie. Bref, revenons-en à mon histoire…

Madjou me proposa donc de devenir son lieutenant. Dans un premier temps, ses mots me glacèrent le sang. Moi son lieutenant? Pourquoi? Cela signifiait-il que j’aurais à commettre les mêmes crimes que Fofana ? Par ailleurs, comment les autres rebelles prendraient cette décision? Accepteraient-ils d’avoir une petite fille comme « chef » ? S’il y a une chose dont j’étais consciente, c’est que ces hommes n’avaient aucun respect à l’égard de la gente féminine. C’était peut-être sa façon à lui de me remercier pour lui avoir sauvé la vie, mais je n’en voulais pas.

- Moi : Non je ne veux pas. Cela m'amènerait à tuer des gens, et je ne veux pas faire ça.

- Madjou : Tu n'es qu'une petite idiote. Réfléchis un peu... On est en guerre. Si tu ne tues pas, tu te fais tuer. Et vu la manière dont tu as réagi il y a quelques heures, je peux deviner que tu ne veux pas mourir. Alors, veux-tu être une proie ou un prédateur ?

Il avait raison ce maudit Madjou ! Je détestais le reconnaitre, mais il avait raison. Avec tout ce que j’avais vu durant ces 5 derniers mois, je savais qu’il valait mieux être au sommet et accepter les conséquences à ce niveau, plutôt que d’être le sous-fifre et d’en assumer les conséquences. Jusqu’ici, j’avais constamment peur, et j’en avais vraiment marre de dormir d'un seul œil. J’allais finir par devenir borgne si je continuais ainsi. Tout ce que je savais, c'est que je ne voulais plus être une proie, mais je ne voulais pas non plus ôter la vie à des innocents. J’acceptai donc la proposition de Madjou, même si je n’avais plus pour intention de tuer, à moins que ce fût pour sauver ma vie. Tout ce que j’avais à faire, c’était attendre que mon père me retrouve. La journée fut épuisante sur le plan physique et psychologique. J’étais donc très fatiguée et je m’empressai de quitter Madjou pour retrouver ma couverture. Mais avant de me laisser partir, Madjou rajouta :

- Il paraitrait que ces renégats du gouvernement veulent un cessez-le-feu afin de parler de paix et que les choses commencent à s’arranger dans le Sud. Si ça ne dépendait que de moi, on descendrait là-bas pour tous les massacrer. Assez parlé. Tu peux partir ! Je te présenterai aux hommes au lever du soleil. Mon père avait pour habitude de dire qu’il est mieux d'annoncer une nouvelle déplaisante quand l'esprit est encore embrumé par le sommeil.

…. Par le sommeil et l’alcool, me dis-je avant de lui répondre.

- Moi : D’accord...

Sur ce, je sortis de la case. Pendant quelques secondes, les miliciens s'arrêtèrent de danser pour me dévisager. Leur sourire libidineux et niais parlait de lui-même. Il n'y avait pas de doute… ils pensaient que Madjou avait abusé de moi, et Dieu seul savait pourquoi une telle chose pouvait leur procurer tant de plaisir. Je me dirigeai vers ma case, avec un petit sourire narquois au coin des lèvres. Ils auraient une grosse surprise à leur réveil.

Inutile de vous dire que je dormis d'un sommeil léger cette nuit-là. Le lendemain matin au réveil, j’étais contente. Je fredonnais des chansons, j’esquissais quelques pas de danse et je sifflotais même. Enfin j’essayais de siffloter. Marc-Hervé et Kevin s’étaient toujours moqués de ma façon de siffler. Lorsque je pensai à mes frères, je fus encore plus contente en sachant que je les reverrai dans quelques jours. Penser à toute la famille me rappela ma mère que je ne reverrai plus. De nous tous, c’était elle qui avait le plus souffert, et ça avait toujours été le cas. Maman n’hésitait jamais à se sacrifier pour mes frères, ma sœur et moi. Elle faisait toujours ce qu’il fallait pour que nous ne manquions de rien. Si elle m’avait vu dans l’état où j’étais, elle m’aurait balancé dans une bassine d’eau et m’aurait frotté le corps de toutes ses forces pendant plusieurs jours et plusieurs nuits. Ensuite, elle aurait pris soin de ma crinière et m’aurait trouvé une jolie combinaison à me mettre. Pour l’instant, tout ça était fini. La vie de princesse était finie. Je n’avais aucune idée de comment allait se passer l’après-guerre. Allais-je retourner à l’école ? Probablement. Je n’avais que 10 ans, et mon père n’allait certainement pas me laisser faire autre chose. Et puis, qu’aurais-je bien pu faire d’autres.

Je trouvai que la journée était particulièrement belle pour prendre soin de mes cheveux. Malheureusement, je n’avais rien à porter de main pour le faire. C’était donc partie remise. Dehors, l’odeur d’alcool et de vomis emplissait l’air. Le spectacle qui s’offrait à mes yeux était dégueulasse. Ah ces hommes ! Comment peuvent-ils manquer d’hygiène à ce point, me dis-je. Plusieurs d’entre eux s’étaient endormis à même le sol, dans la poussière. D’autres rebelles s'extirpaient de leurs cases tout en baillant, essuyant machinalement la bave secrétée durant la nuit, ou s'étirant comme des chats. Ils devaient avoir des haleines de Chacal en ce moment. Heureusement, j’avais su conservé certaines bonnes habitudes comme me brosser et me laver, même s’il m’était déjà arrivé de rester 3 jours de suite sans prendre un bain.

- Madjou : Soldats rassemblement!!!

C'était Madjou qui hurlait depuis l’entrée de sa case... Il valait mieux ne pas traîner. Je marchai rapidement vers le point de rassemblement où tout le monde s'était aligné en un temps record, y compris ceux qui avaient encore la gueule de bois.

- Madjou : Garde à vous! Repos! Garde à vous! Repos!

Il se prenait vraiment pour un Général, pensai-je !

- Madjou : Bien mes frères!

Les hommes se mirent à murmurer entre eux, se demandant ce que leur voulait le chef à une heure aussi matinale.

- Madjou : Vous savez qu'hier ce bâtard de Fofana là a voulu me défier... Il cracha par terre comme par rancœur. Vous voyez ce qui arrive à ceux qui essayent ?

Il pointa son arme en direction du piquet sur lequel trônait encore la tête de Fofana avant de reprendre :

- Madjou : Si je vous ai fait appel, c'est pour vous montrer votre nouveau lieutenant...

Les murmures allèrent bon train...

- Madjou : Naïa ??? Sors des rangs !! D'ailleurs on va te trouver un autre nom après. Tu ne t’appelleras plus comme ça... C'est elle qui sera votre lieutenant dorénavant. Vous lui devez respect et obéissance comme à moi.

Je vis bien que les hommes de Madjou n'étaient pas contents. Cela se lisait dans leurs yeux, mais personne ne pouvait montrer sa désapprobation, encore moins devant le big boss.

- Madjou : Tiens ceci! Il me tendit une kalachnikov et un grand couteau. Tu mérites ces armes parce que tu viens d’atteindre un nouveau grade!

Il frappa ensuite dans ses mains. C’était le signal pour faire comprendre qu’on pouvait se retirer.

Madjou : Hey Djibo!! Envoie une femme dans ma case, mais qu'elle se lave avant de venir! Si elle me refile une cochonnerie, je vous tue tous deux !!

Pauvre ignorant. Comme s’il suffisait d’une douche pour éviter des maladies sexuellement transmissibles. Le maitre Carlos disait que la seule façon d’éviter « les cochonneries » comme Madjou les appelait, c’était de se protéger avant chaque rapport sexuel, et d’être fidèle à un seul partenaire. Vu le nombre de femmes avec qui il avait couché de gré ou de force au cours de ces derniers mois, il n’aurait qu’à en vouloir à lui-même s’il attrapait une maladie. Tout le monde se dispersa, pendant que moi je me demandais ce qu’il fallait faire en tant que Lieutenant d’un groupe rebelle. Madjou sembla avoir lu dans mes pensées et me dit :

- Madjou : La case de Fofana est maintenant la tienne...j'espère que son lit te portera plus de chance qu’à lui.

Il s'engouffra dans sa case, suivie d’une femme aux grosses fesses qui me fit penser à Assia. A cette heure-ci, cette dernière était peut-être déjà morte, ou servait d’esclave sexuelle....

Les Chroniques de Na...