chapitre 1 : Lola
Write by leilaji
Chapitre 1
****Marie Bekale****
Qu’est-ce que j’ai raté avec Lola, je ne le sais vraiment pas. Oh Nzame (Oh Dieu)! Je me souviens encore d’elle, âgée de quatre ou cinq ans. A l’époque déjà, elle attirait l’attention de tout le monde tellement elle était jolie comme un cœur et vive d’esprit. Tout le portrait de son père.
Notre voisine togolaise, prénommée Akuvi, qui depuis est rentrée dans son pays, l’adorait et chaque fois lui disait dans sa langue en lui donnant des bonbons: « Lola bi kaka fion » (Lola est dégourdie). Au début ça m’énervait un peu parce que je ne savais pas ce que ça voulait dire puis un jour elle m’a expliqué et j’ai pu enfin en rire.
Moi qui rêvais d’une fille, calme et passionnée par l’école, j’ai été bien servie !
Dieu m’a donnée une petite fille qui pleurait quand elle n’était pas tressée comme elle l’avait dessiné, refusait de mélanger les couleurs quand il s’agissait de porter des vêtements. Quel sobriquet ne lui a t-t-on pas donné dans le quartier ? Lola la star, Lola la princesse…
Ce que je n’ai pas pu accomplir, Samuel et moi avons prié pour qu’elle l’accomplisse et malheureusement pour nous, Lola en a décidé autrement. On a beau désirer le meilleur pour nos enfants, au final, ils n’en font qu’à leur tête. Et quand ils nous déçoivent, on a tellement mal qu’on a parfois l’impression que c’est notre propre vie qu’on a raté.
Mes sœurs ont fait des mariages de raison. Je ne sais pas si elles sont heureuses dans leur foyer mais au moins je sais qu’elles n’ont besoin de rien car leurs maris leur procurent tout ce dont elles ont matériellement besoin. Samuel, Sam, Sammy a été l’amour de ma vie. Je l’aimais quand je l’ai épousé. Aujourd’hui avec les épreuves de la vie, je ne sais pas exactement ce qu’il reste de cet amour. On se dispute parfois pour une marmite vide…nous qui pensions vivre d’amour et d’eau fraiche toute notre vie.
Je compte les quelques légumes ratatinés qui trônent piteusement sur ma table posée en bordure de route. Je n’ai rien vendu aujourd’hui. Je vais rentrer dans peu de temps.
****Lorelei****
L’école, ce n’est vraiment pas mon truc ! Du moins, plus depuis que j’ai lâché l’enseignement général en classe de 4e. Je relis une nouvelle fois le contenu de la lettre de convocation qui m’a été adressée par la fondatrice de l’école professionnelle que je fréquente. Je suis en deuxième année de CAP coiffure et j’espère bien décrocher mon diplôme cette année. Je n’en peux plus d’avoir à m’asseoir sur des bancs de bois à écouter des femmes délirer sur comment mettre des bigoudis alors que je sais déjà le faire. Non mais franchement que peuvent-elles m’apprendre ? Quand il est question de style, de coiffures et d’esthétique toute l’école sait qu’il faut s’adresser à Lorelei Bekale alias Lola. Je suis une frondeuse, je n’ai peur de rien et j’essaie juste de m’en sortir en faisant le moins de dégâts possible autour de moi. Mais quoi que je fasse, je ne sais pas pourquoi, j’attire toujours l’attention.
Néanmoins avec ce courrier de convocation entre les mains, mon destin est peut-être en ballotage. Si je suis renvoyée, plus de CAP donc plus de rêve d’indépendance. Je serai condamnée toute ma vie à être une serveuse de boite de nuit comme les centaines qui travaillent dans les night clubs de Libreville. Pff ! Tu parles d’un destin ! Se faire peloter les fesses par des mecs bourrés, subir les mauvaises blagues de groupes de harpies qui craignent que tu leur piques leur mec dès que tu leur fais un sourire. Non mais est-ce qu’elles le font exprès ou quoi ? Un sourire et de la gentillesse donnent droit à de généreux pourboires. C’est aussi simple que ça. Toutes les serveuses ne passent pas leur temps à draguer des clients. Et comment dois-je réagir quand ce sont les clients qui m’offrent des verres ? Refuser ? Jamais. Je leur offre en retour un méga sourire en battant des cils et je comptabilise le prix du verre dans ma tête. Avec la plus anciennes des serveuses qui est à la caisse, je me suis arrangée. Je demande toujours de la vodka au client parce qu’elle n’a pas de consistance ni de couleur spécifique. A la place, je me serre un verre d’eau dans lequel je glisse une olive. Quand on ferme la caisse après que les derniers clients sont partis, elle me donne l’argent de la consommation. Je n’ai pas honte de les berner. Ils ont de l’argent à ne pas savoir quoi en faire et moi je n’ai pas besoin de me souler sur mon lieu de travail. J’ai besoin d’argent.
Quand je pense que tout ça a commencé par une banale altercation avec la prof d’économie domestique. Celle là et ses devoirs à la con, je ne les supporte pas. Quoi, elle croit qu’elle peut m’apprendre à gérer un budget familial ! Elle nous a collé un devoir sans queue ni tête et j’ai de manière peu subtile, je l’avoue, essayé de le lui faire remarquer. Elle n’a pas du tout digéré ma remarque. Ce n’est pas la première fois que mon franc-parler me joue des tours. J’ai subi trop de coups durs dans ma vie pour passer mon temps à m’excuser pour ce que je suis ou ce que je pense. Mais bon, parait que c’est ce qui fait aussi mon charme.
J’ai donc été convoquée par la directrice de l’école qui m’a demandé de lui présenter mes plus plates excuses pour qu’elle passe l’éponge. Mais je ne le ferai pas.
J’ai 24 ans ! Pendant que je vois la jeunesse dorée de Libreville se payer des bouteilles de champagne Moet et Chandon à cent mille francs l’unité, moi je compte chaque centime qui sort de ma poche. Et à cet âge, je gère toute seule un père retraité survivant d’un AVC, une mère ancienne ménagère devenue commerçante d’atanga (prune) quand ses patrons l’ont trouvé trop âgée pour travailler, et un petit frère surdoué mais handicapé. C’est moi qui prends soin de tout ce monde et je n’ai pas attendu des cours d’économie domestique pour bien le faire. Non, je n’en ai pas eu besoin. J’ai abandonné l’école trop tôt c’est vrai, mais ce n’est pas pour ça que des femmes diplômées doivent me prendre pour une demeurée quand je leur donne mon point de vue. L’expérience de la vie vaut autant que la théorie de l’école. De toute manière, j’estime que je n’ai pas manqué de respect à mon prof. J’ai juste dit ce que je pensais. Je n’ai donc pas à faire de courbettes pour me faire pardonner. Le souci c’est que la directrice m’a fait comprendre que sans excuses, je ne pouvais réintégrer son cours et valider mes notes. Et sans note validée dans une matière, c’est le renvoi assuré. Puis elle m’a demandé de rentrer chez moi pour y réfléchir.
Et deux jours plus tard, me voici avec cette convocation en main signée de la fondatrice en personne. Je sens que je vais être renvoyée. Je prends mon sac à main qui contient quelques cahiers et sors de la classe en longeant les couloirs de l’établissement. Je salue quelques filles au passage. Nous portons toutes la tenue scolaire obligatoire ici : jupe bleue marine au dessous des genoux, chemise blanche et veste bleue avec l’écusson de l’établissement cousu sur la poche.
Certaines filles sortent de leur salle de classe pour me saluer au passage. Tout le monde me connait et attend avec impatience le dénouement de ma convocation. Il faut dire que ce n’est pas la première fois que j’ai un problème avec un professeur et jusque là, je m’en suis toujours sortie. Mais cette convocation sera peut-être la dernière qui me sera adressée. Je n’avais encore jamais été convoquée par la fondatrice et tout le monde sait qu’elle n’intervient qu’en cas de renvoi. Je soupire et presse le pas. Je ne veux pas pousser la faute de gout jusqu’à la faire attendre.
Je l’imagine tandis que je me rends à la bibliothèque. Son bureau s’y trouve mais reste rarement ouvert. J’entre, salue la bibliothécaire qui lorsque la fondatrice est là, fait office de secrétaire. Cette dernière me regarde sévèrement et me demande de m’assoir le temps que la fondatrice en finisse avec une autre élève se trouvant dans la même situation délicate que moi.
Je m’assois et sors mon téléphone de mon sac pour l’éteindre. L’écran de ce vieux truc ne s’allume plus de sorte que je ne peux lire mes messages. Je ne sais même pas pourquoi je garde un tel téléphone ! Peut-être parce que je ne peux m’en offrir un autre. Celui là, c’est un gamin du quartier amoureux de moi qui me l’a donné. Je suppose que même son chien n’en voulait pas. Je l’ai remercié avec un bisou sur la joue et depuis il pense avoir une chance avec moi ! Les adolescents sont pires que les hommes !
Je me remets à penser à l’entrevue qui m’attend derrière la lourde porte. Je n’ai encore jamais vu la fondatrice et il n’y a aucune photo d’elle dans l’établissement. C’est une femme très discrète mais malgré cela un nombre non négligeable d’histoires circule sur son compte. Je préfère franchement ne pas donner du poids à ces ragots qui me font rire.
Ce dont je suis par contre sure c’est que c’est une femme d’affaires, mariée à un étranger immensément riche. Elle a créé cette école de la deuxième chance pour les jeunes filles défavorisée ayant décroché de l’enseignement général. C’est pourquoi, l’enseignement, la tenue et le trousseau scolaires sont gratuits et que le diplôme est reconnu par l’Etat. Mais l’inscription en début d’année coute symboliquement 5 000 francs CFA. On paie, on signe une attestation sur l’honneur comme quoi on s’engage à donner le meilleur de soi-même pour réussir et l’école envoie deux enquêteurs sociaux vérifier toutes les informations qu’on a données.
J’imagine la fondatrice : vieille, acariâtre et grosse. Il n’y a qu’une femme de ce genre, qui n’a plus rien à faire de son argent qui peut fonder une école comme la notre. Je souris quand je repense aux autres rumeurs qui circulent sur elle. Certaines disent d’elle qu’elle a créé cette école pour voler spirituellement le peu de chance qui reste aux filles comme nous : c'est-à-dire celles dont tout le monde se fout. D’autres disent, qu’elle a vendu son cl… pour obtenir amour et richesse et que maintenant elle espère pouvoir en racheter un neuf parmi les élèves de son école.
Moi franchement, je ne sais absolument rien d’elle alors je préfère ne pas porter de jugement. Je ne le fais pas parce que je n’aimerai pas que d’autres me jugent sans me connaitre. Après tout, une femme qui aide les jeunes femmes à s’en sortir quand personne ne s’occupe plus de nous ne peut pas être foncièrement mauvaise.
Lorsque la porte de la fondatrice claque, je redescends sur terre. Une élève que je ne connais pas en sort en larmes et rend son badge à la bibliothécaire. Toutes les élèves connaissent l’histoire de cette dernière qu’on appelle affectueusement Mademoiselle livres. Elle était tellement douée que la fondatrice lui a offert après l’obtention de son diplôme de secrétaire une place ici. Certaines ont de la chance !
— C’est à vous mademoiselle Bekale, me dit la bibliothécaire en me désignant la porte d’un léger mouvement de la tête.
En réponse, je lui souris de manière monstrueusement effrontée alors qu’à l’intérieur de moi-même mon cœur dégringole dans mes talons. J’ai peur. Mais je ne le montre pas. C’est le moteur de ma vie. Affronter les coups durs sans faire le moindre bruit. J’ouvre la porte et une magnifique femme me demande de m’assoir. Je ne l’imaginais pas aussi jeune, ni aussi jolie… Mais son regard est sévère et son maintien quasi aristocratique. Waouh, malgré sa simplicité, elle a une classe folle !
— Bonjour Mademoiselle Bekale, je suis Madame Leila Khan. Prenez place, je vous en prie.
***Début de l’aventure de Lola. On aime et on commente.
Leilaji