Chapitre 11

Write by Lilly Rose AGNOURET

Chapitre 11

  

Vendredi 17 avril 2020, il est 18h 30 à Libreville

 

*** Imhotep

 

- Hey, les zozos ! Comment ça va là-bas ? Et ce confinement ? On dit bien confinement total du grand Libreville ! fait Danger en avant d’éclater de rire. Vraiment, le « grand » nous a tués, quoi ! Même le confinement, on copie !

- Ouais, comme tu dis, on copie. Même le télétravail ! La population n’a pas d’ordinateur portable à disposition, la connexion à l’Internet coûte bonbon, et on confine quand même ! C’est vraiment de la merde, excusez-moi ! Ce n’est pas bon pour le business ! fais-je.

- Dixit le frangin qui vient d’empocher un gros pactole pour avoir vendu 78 ordinateurs portables en une seule journée. Imhotep, mon frère, je te dis qu’on va faire une recherche ADN pour prouver que tu as du sang camerounais mélangé à du sang chinois. Le business, ça te réussit tellement, que tu serais capable de vendre du sable dans le désert ! fait Danger en éclatant de rire.

- Tu es en forme, dis donc ! lui fait Ice ! Pour quelqu’un qui est en congé pendant la durée du confinement, tu le vis bien !

Danger souris regarde derrière lui et lance :

- Pardon, cette affaire-là ! Quinze jours enfermés comme des rats ! J’en profite pour dormir !

- Tu peux faire mieux que dormir, chef ! lui fait Ozone ! je te signale que le moment est tout trouvé pour te transformer en lapin et ne produire un petit Ralph Omanda !

Là, Danger nous fait les gros yeux et murmure :

- Déconnez pas, les gars ! c’est quoi cette histoire-là !? Vous me voyez avec une tête à me faire appeler papa ? Oh là là ! Le cauchemar.

On entend alors Gwenola dans le fond, qui demande : « ‘Avec qui parles-tu, chéri ? »

Danger sourit et lui répond en nous regardant :

- Je parle avec les têtes à claques qui me servent de frangins. Ils s’ennuient sans moi, tu comprends.

- Regardez-moi ce vilain ! Qui a besoin de toi ? Je te signale que c’est toi qui appelles maintenant les gens quatre à cinq fois par jour ! lui dis-je.

- Soyez pas jaloux de ma beauté, les mecs ! Je vous signale que même dans votre laideur vous avez trouvé chaussure à vos pieds ! fait Danger en riant.

- Frangin, tu es en forme, pour quelqu’un qui ne bouge pas de chez lui ! fait Ice.

- Obligé de prendre la vie du bon côté, vu ce qui se passe dans le monde actuellement. Je ne sais pas combien de pompes j’ai fait ce matin. Tout ça, pour rester en forme et ne pas prendre des kilos inutiles, fait Danger.

- Je te signale que tu es marié, mec ! Tu as donc quelqu’un qui acceptera de caresser ton gros ventre si tu prends du bide ! lance Ozone !

- Man, arrête de dire n’importe quoi. Si ça se trouve à la fin de ce confinement, il y a des hommes qui disparaîtront à jamais de la vie de leur femme, tellement ils se sentent comprimés en ce moment ! répond Danger.

- De quoi rappeler aux gens que la vie de couple, ce n’est pas une blague ! fais-je en caressant les cheveux de Flavie, dont la tête est posée sur mes cuisses.

- Oui, monsieur le philosophe business man, grande architecte devant l’éternel, j’ai nommé, Imhotep, aussi connu sous le nom de Jeffrey Abessolo. Dis donc, la femme qui dort sur tes jambes, elle te fait du bien chef ! me dit Danger.

- Tout comme celle qui t’a passé la corde au cou ! D’ailleurs, rappelle-moi que je dois donner un oscar à Gwenola pour t’avoir civilisé, mon petit ! dis-je en riant.

- Pardon, les zozos ! Ne commencez pas avec vos conneries ! J’ai toujours été un gars civilisé ! dit Danger.

- Frangin, ne nous oblige pas à passer en revue les années d’avant ! On respecte ton mariage, respecte nos gueules, le menace Ice !

- Aïe ! C’est pas vrai ça ! Je suis un homme responsable maintenant ! Qu’est-ce que vous avez à vouloir me torpiller avec les histoires d’avant ! lance Danger en éclatant de rire. Sinon, les gars, pour dire la vérité, la plus belle, la plus brillante, la plus sexy des femmes, c’est moi qui l’ai tiré au sort ! Et comme le ciel a eu pitié de vous, il fallait qu’il vous trouve des femmes pour vous aimer un peu ! Soyez pas jaloux ! Mon onction est descendue sur vous !

- Voilà qu’il devient pasteur ! s’éclaffe Ozone ! Man, retourne dormir ! On sait que tu as passé la journée en pyjamas. Laisse les grands s’occuper de la vie qui continue dehors !

- Toi, Ozone, tu dois nous expliquer comment tu justifies le fait d’avoir obtenu un laissez-passer. Qu’Ice doit aller travailler à la CNSS pour que les retraités touchent correctement leur pension, on comprend. Mais toi ! Il faut arrêter les passe-droits, chef ! dit Danger.

- Mani, on prend l’argent d’où il vient ! Je meurs assis si j’arrête de travailler. Je me suis chopper un client qui me paie pour lui écrire ses textes et le coache sur sa manière de communiquer. Tout ça, parce qu’il passera très souvent à la télévision pendant cette période trouve. Bref, on prend vraiment l’argent d’où il vient ! Parce qu’apprendre à quelqu’un comment il doit tourner les phrases et les prononcer, c’est fort ! répond Ozone.

- Hum ! Cool. Ça fait du bien de vous savoir en forme, lance Ice. Heureusement que je sors de la maison pour aller travailler. Je serais devenu fou s’il fallait rester enfermé à la maison à tourner en rond !

- C’est clair ! dis-je. Merci pour cet appel, les gars. Je vais devoir vous laisser. J’ai des choses de grandes importances à faire.

- Frangin ! Je te signale qu’elle est déjà enceinte ! Vas-y molo ! me lance Danger !

- Face de cochon ! On se capte plus ! Bye ! dis-je en arrêtant l’appelle en vidéo.

 

Je reporte mon attention sur Flavie qui me dit :

- Vous auriez dû vous marier tous les quatre. Vous êtes vraiment faits les uns pour les autres.

- Chérie, je te signale que moi, ce sont les femmes qui me plaisent. Et une en particulier. Toi.

Elle sourit et me dit :

- La journée a été tellement longue sans toi. Avec toutes ces mesures drastiques, tu dois faire attention à tout. Vu que j’ai insisté pour continuer de travailler, je dois être trois fois plus vigilante que celles qui ne sont pas enceintes.

- Je pense que tu prends beaucoup de risques en continuant de travailler alors que l’on t’a proposé de prendre des congés.

- J’ai envie de travailler. Encore une semaine et j’arrête tout. J’ai déjà posé mes congés pour les aligner à mon congé maternité. Tout ira bien.

- Hum ! Je l’espère.

On nous demandera sûrement ce que l’on a pensé quand le monde est devenu fou à cause de cette connerie de pandémie. Je me voyais déjà agoniser avec toutes ces mesures drastiques qui tuent le business à petit feu. J’ai eu un coup de pouce incroyable de la part d’un des patrons d’Ice, dont le frère a eu besoin en urgence d’une cinquantaine d’ordinateurs portables pour dont il a fait don à ses employés obligés d’entrer en télétravail pour que leur entreprise, gérante de statuons service, continuent de fonctionner. C’est facile de copier ce qui vient de l’occident dans des moments pareils, encore faut-il avoir les moyens de sa politique ! J’ai livré les appareils, équipé d’antivirus et j’ai empoché un gros chèque, qui me permet d’être en paix et de voir venir la suite.

 

Je sers de chauffeur à Flavie qui a un laissez-passer pour aller travailler à la banque. Et comme le médecin lui a interdit de conduire dans son état, cela me donne un prétexte pour ne pas rester chez moi toute la journée à ne rien faire. Cela fait deux heures que nous sommes rentrés. Je suis assis dans le lit et elle couchée, sa tête sur mes cuisses. Elle tentait de dormir avant que les garçons n’appellent. Là, elle est complètement éveillée et me dit :

- J’espère que toute cette folie se sera estompée au moment de l’accouchement.

- J’espère que l’on s’en sortira.

- Ta mère est plus optimiste que toi, chéri. Je l’ai appelé ce matin pour lui demander si tout va bien. Elle était en pleine forme et elle a ri en me disant que pour une fois, elle a réussi à éloigner ses copines trop bavardes. Elle dit que ses oreilles se reposent.

- Hum ! Elle est toujours égale à elle-même, fais-je pensif. Dans deux jours, elle appellera pour se plaindre en disant qu’elle veut aller acheter du poisson frais au marché. Elle est tellement habituée à aller au marché tous les jours !

- Ce n’est pas évident, en effet ! Cette fichue maladie tue vraiment tout le lien social, me dit Flavie.

Elle se tait un moment, comme si elle voulait réfléchir. Je regarde les rideaux et constate qu’elle en a changé la couleur. Il y a deux jours ils étaient de couleur lavande avant. Là, ils sont blancs, fleuris de bleu. Nous avons déménagé et nous sommes installés dans notre maison, comme nous l’avions prévu. En même temps qu’il nous faut gérer la grossesse de Flavie, nous devons apprendre à vivre avec cette stupide maladie qui paralyse l’activité. Je prévoyais un voyage à Dubaï avant l’accouchement. Certains de mes plans se retrouvent à l’eau. Il faut penser la vie autrement.

La maison est aussi magnifique que nous l’avions imaginé. Ça valait le coup d’y mettre toutes mes économies. Des yeux, je fais le tour de la chambre pour voir comment et combien ma vie a changé. J’espère qu’on ne restera pas engluer dans cette crise idiote qui nous oblige à garder un masque constamment lorsque l’on sort de chez soi.

- Chéri, tu rêves ! Je parle et tu n’écoutes rien de ce que je dis ! me fait Flavie.

Je reporte mon attention sur elle puis lui réponds :

- Tu parlais de prénoms. Ça je l’ai capté.

- D’accord. Il faut qu’on y pense.

Je souris et dis :

- Penser à quoi ? À lui donner le nom d’un grand-père ou d’un oncle ?

- Non. À trouver le bon prénom.

Je la regarde, prends une de ses mains et dis :

- Je te suis. Ne donne pas à ma fille le prénom d’une kongosseuse. Ne donne pas à mon fils le prénom d’un paresseux. Le reste, ça me va.

- Oh ! c’est tout ?

- Oui, c’est tout ! Je sais que tu trouveras quelque chose de joli.

Tu parles ! Je sais simplement que discuter avec une femme enceinte, ça ne sert à rien, sauf si on a envie de supporter les sautes d’humeur pendant des jours ! lol…

Je pose tout doucement ma main sur son ventre rond et respire. Je laisse mes doigts se promener dessus comme ils le feraient sur les touches d’un piano. Cela fait rire Flavie à chaque fois. Elle me dit :

- Je ne m’attendais pas à vivre ce moment avec autant d’appréhension et de vigilance. Je pensais que je le ferais avec insouciance, le sourire aux lèvres.

- Je trouve tes appréhensions gérables. Par contre, je pense que je me serai déjà tiré une balle si tu me faisais courir dans la nuit pour te trouver une noix de coco ou un jus de corossol ! Tu n’as pas d’envies bizarres et ça me va.

- Je parie que les hommes exagèrent quand ils parlent des envies des femmes enceintes ! me dit-elle.

- Parle comme ça devant mes grands frères et Marcel t’expliquera comment il a dû quitter Libreville un week-end pour aller au village et ramener des cannes à sucre pour son épouse ! J’en rigole encore.

Elle sourit et me dit :

- Bon, tu marques un point ! C’est vrai que c’est très épique, tout ça !

- Que veux-tu manger ? lui dis-je.

- Je vais manger des fruits. Là, j’ai juste envie de rester dans le lit et ne rien faire. C’est samedi demain.

- Pour certains, ce sera samedi tous les jours ! Je vais t’éplucher des fruits ! viens ! Ensuite, j’appellerai un peu tout le monde pour prendre des nouvelles !

Elle se lève et va en direction de la douche pendant que je vais dans la cuisine. Je sors du réfrigérateur des mangues et des bananes douces. J’en profite pour prendre mon téléphone pour joindre mon père qui est à Oyem. Il est gai au bout du fil. Il me lance :

- Nous sommes au coin du feu avec tes frères. Tu sais qu’ils ont fui Libreville pour venir me rejoindre ici. Il paraît que maintenant, vu que le travail se fait sur les ordinateurs, on peut se déplace avec son ordinateur jusqu’au village !

Je peux entendre la musique en fond sonore. Je lui dis alors :

- Hum ! Prends soin de toi ! Ici, à Libreville, c’est compliqué.

- On pense à vous, mon fils. On pense à vous. Ta mère est tellement citadine qu’elle préfère rester enfermée comme une poule dans sa maison à Libreville, au lieu de venir danser au coin du feu ici à Oyem ! dit-om en riant.

Je raccroche, prends l’assiette dans laquelle il y a les fruits et vais au salon. Là, je sors un dessous de plat et viens poser l’assiette sur la table basse. Je mets la télévision en marche et tombe sur les infos en continu. Il n’y a que ça, le pic des infections, le nombre de morts, l’étendue des dégâts causés par le coronavirus. Je zappe et passe sur Trace Tv. Parfois, la télévision ne sert à rien sauf à faire monter l’anxiété !

  

Mercredi 13 mai 2020, il est 14h 30 à Abidjan

 

*** Monique

 

- Bonjour ma chère ! Quelles sont les nouvelles ?

- Bonjour Alice. Disons que l’état d’Éric est au même point. Je ne sais que penser. J’ai droit à une visite par jour. Le protocole est tellement drastique que je mets quasiment une demi-heure pour revêtir cette combinaison et l’enlever ensuite. C’est vraiment une fichue maladie. Mais, je garde espoir.

- D’accord. Ici, Ernest ne tient plus en place. Il même recommencer à dire ses prières alors que ça fait des années qu’il ne s’est pas vraiment adressé à Dieu.

- Nous en sommes tous là ! On regarde les informations à la télévision. On pense que ça ne toucher pas notre entourage et voilà ! Bref, je gère le quotidien. Heureusement que nous avons un fils médecin. Et heureusement qu’Éric était avec nous à Abidjan quand la maladie s’est déclarée.

- Courage ! Je t’appelle demain.

- Merci, Alice.

Je raccroche après avoir parlé à Alice. Je me masse les tempes en quittant mon fauteuil. Ma fille est là assise dans un coin du salon devant son ordinateur portable. Elle suit ses cours en ligne. Je décide de ne pas l’embêter et vais dans la cuisine. Je n’ai gardé qu’un domestique et dû mettre les autres en congé durant tout le temps que durera le confinement qui nous ai imposé.

Mon époux est hospitalisé à domicile. Je l’ai fait installer dans l’une des dépendances de notre résidence. Il est suivi par un médecin qui nous a imposés un protocole drastique. Je vais voir Éric tous les soirs avant la tombée de la nuit. Il faut se désinfecter et passer une combinaison à chaque fois. Ma fille et moi, ainsi que notre femme de ménage, avons été testés négatifs. C’est un soulagement même si la situation d’Éric me préoccupe. Les médicaments le terrassent complètement. Il doit manger pour les prendre, mais comme il a perdu le goût, il lui est difficile de manger. Une fois les médicaments pris, il peut dormir des heures et il faut le secouer pour qu’il se réveille, mange, et prenne encore ses médicaments. C’est quand même une maladie de fou !

Ce soir, alors que j’arrive à son chevet et prends le temps de tout désinfecter autour de lui avec des lingettes et tout ce qu’il faut comme produits de nettoyage, il est couché sur le lit, semble me regarder. Il finit par dire :

- Tu es là, chérie. Il faut que je te dise que je n’aime et n’ai jamais aimé que toi. Tu es la femme de ma vie.

J’ai l’impression qu’il délire. Depuis combien de temps mon époux ne m’a-t-il plus jamais fait ce genre de déclaration amoureuse ? Les médicaments font vraiment un drôle d’effet !

Le voilà qui continue :

- Tu es la femme de ma vie, Monique. Je voulais te confier quelque chose avant de quitter définitivement cette terre !

Soudain, alors que je m’approche, il se tait et ses yeux se ferment. Le voilà plongé dans un profond sommeil.

Je continue de nettoyer et jette le tout dans un sac poubelle. Je m’approche ensuite de son lit, le secoue, l’oblige à ouvrir les yeux pour prendre son traitement pour la nuit. Il me regarde, sourit timidement et me dit :

- Nous avons dansé sur un titre de Martin Rompavet le jour de notre mariage. Tu étais tellement rayonnante !

Éric doit vraiment être à bout pour revenir sur ce genre de souvenir !

- Tu avais insisté pour danser à la sortie de la mairie, t’en souviens-tu ?

Je le regarde simplement et lui dis :

- Ouvre la bouche !

Il boude, fais des efforts surhumains pour se relever sur son lit et avale le médicament que je lui donne. Il rn a tellement à prendre.

- Tu es la plus belle chose qui me soit arrivée, Monique. Il faut que je te confie une chose avant de partir. Qui sait si demain, je serai encore en vie.

Je le regarde alors dans les yeux et lui dis :

- Éric, si tu dois partir cette nuit, pars avec tes secrets ! Je n’ai pas envie de faire ni une hausse de tension ni un AVC à cause de ce secret que tu veux me confier.

C’est aussi simple que ça. Ce que je ne sais pas, ne me tuera pas.

- Et si vraiment tu te sens partir, dis à ton fantôme de revenir me dire ce que tu auras oublié de me dire.

Je continue de le regarder, attendant qu’il avale au moins la moitié de l’assiette de riz et feuilles de manioc que je lui ai apporté. Après quoi, je l’aide à avaler tranche après tranche, la mandarine que j’ai épluchée. Il semble tellement faible que même boire une gorgée d’eau lui est pénible.

Un quart d’heure plus tard, complètement assommé, il se laisse emporter par le sommeil après m’avoir dit :

- Mon téléphone… dans le tiroir… dans mon bureau.

Puis, je l’entends qui respire péniblement, comme s’il luttait pour aspirer l’air dans la pièce.

Je reste un long moment à l’observer puis me lève et sors de la pièce, en refermant à clé, derrière moi.

La nuit vient de tomber sur Abidjan. Le calme règne comme si cette pandémie remettait les pendules à l’heure. Une fois que l’on aura retrouvé un semblant de sérénité, je parie que l’on comptera le nombre d’absents autour de nous.

 

Deux heures plus tard, je suis en train de lire le Nouveau Testament quand sonne mon téléphone. Au bout du fil, c’est mon fils qui vient aux nouvelles, depuis Genève. Je lui fais l’état des lieux. Il me dit alors :

- Ses constantes sont meilleures qu’hier. Le temps fera le reste. Je suis sûr qu’il s’en sortira.

- Il m’a demandé de fouiller son téléphone. Un téléphone secret qu’il garde dans son bureau.

- Ne le fais pas, maman ! Tu n’as pas besoin de ça maintenant. Laisse ce téléphone de côté. Je préfère que tu gardes toute ton énergie intacte. Les jours prochains seront sûrement plus difficiles encore. Je n’ai pas envie de te voir perdre la tête pour des bêtises que tu auras lue dans sa messagerie.

-0Rassure-toi, fils ! Je n’avais pas l’intention de rechercher ce téléphone. J’ai dit à ton père que j’attendrai qu’il soit mort pour découvrir ses secrets.

- Je me demande comment tu as fait pour le supporter durant toutes ces années. J’aime beaucoup papa, tu sais, mais parfois, je me demande si tu n’aurais pas été plus heureuse sans lui !

- Terrence ! Je te l’ai déjà dit. Ma vie, je l’aime comme elle est. Avec ou sans ton père, j’aurais vécu la même vie, avec deux enfants que j’aime, des amis chers et des entreprises florissantes. Quand tu me parles d’être plus heureuse sans lui, je ne sais pas à quoi tu penses, fils. Que peut-il y avoir de plus gai, de plus réjouissant que de voir ses enfants évoluer et réussir dans la vie ?

- Hum ! tu es vraiment ma mère, toi ! toujours à me remettre les pendules à l’heure. Je tiens à toi, maman ! Tâche de rester solide malgré tout. Je sais que lorsque papa aura retrouvé la forme, il niera toutes les confessions qu’il t’aura faites en étant alité.

- C’est sa façon de fonctionner. Moins j’y mets le cœur et mieux je me porte. C’est la raison pour laquelle je lui ai dit qu’il peut partir avec ses secrets.

 

Trois jours plus tard…

 

Au réveil le matin, c’est la femme de ménage qui m’alerte en cognant à ma porte. Elle me dit que mon époux est en train de cogner à la porte de la chambre où il se trouve. Il est furieux. Je donne les clés à ma domestique pour descendre voir ce qui se passe. Elle revient affolée quelques minutes plus tard et me dit :

« Le patron est fâché ». Il dit qu’il veut respirer. Il se promène en caleçon dans le jardin. »

Je vais alors vers la fenêtre ma chambre et regarde ce qui se passe dans le jardin. Éric s’y promène en avançant avec lenteur, mais bien plus en forme que la veille. Je le regarde progresser et je comprends que dans quelques jours, il sera plus en forme.

Là, je vais tranquillement prendre ma douche. Habillée et coiffée quelques minutes plus tard, je descends dans le jardin où je retrouve Éric, assis sur l’herbe, comme un enfant.

- Bonjour Éric ! fais-je. Comment te sens-tu ?

- Comme un lapin enfermé dans une cage !

- Je vois que tu as retrouvé ta fougue !

- Je me suis vu mourir, chérie. J’ai pensé que la fin arrivait. Et, soudain, j’ai vu la main de mon père me gifler sérieusement en me demandant de me réveiller et de me tenir debout.

- La main de ton père ? Pourquoi cette main ne t’a-t-elle pas giflé à chaque fois que tu m’as trompée ?

- Femme ! J’ai failli mourir et c’est tout ce que tu trouves à me poser comme question.

- Tu es vraiment en forme pour quelqu’un qui pouvait à peine rester éveillé, hier ! Tu m’as même demandé de fouiller dans ton téléphone. Tu sais, le téléphone que tu caches dans un tiroir de ton bureau !

Là, il détourne le regard, se passe une main dans les cheveux et me dit :

- Je ne sais pas de quoi tu parles.

- Éric, tu ne sais pas de quoi je parle ? Et cette femme que tu as abandonnée dans un hôtel parce qu’elle t’a menti qu’elle est enceinte de toi.

Il se mord la lèvre inférieure avant de se lever et de retourner vers la pièce dans laquelle il dormait. Je le suis. Arrivé là, il me dit :

- Je ne reste plus une seule minute dans cette fichue chambre ! Je me sens mieux !

- Tu resteras là tant que ton test ne sera pas positif ! Ne nous mets pas en danger.

Là, il me dit :

- Bon, je vais rester dehors ! Je ne dérangerai personne dans le jardin. Puis-je avoir des vêtements propres.

Je le regarde, insiste et dis :

- Éric, cette femme que tu as abandonnée…

Il crie alors :

- Je ne vois pas de quoi tu parles ! n’inventes pas d’histoires pour me culpabiliser et m’accuser à tort. Si je continue de t’écouter, tu me rendras responsable de la propagation du coronavirus. Femme, j’ai besoin d silence. J’ai failli y laisser ma peau, je te signale.

Dans son délire il y a quatre jours, le type me parlait de cette salope qui a osé lui mentir alors qu’il s’est fait faire une vasectomie. Il n’en pas dit plus. Je n’ai pas le nom de cette fille. Il l’a abandonné dans un hôtel. Je ne sais pas de quel hôtel il s’agit. Je ne sais même pas si c’était ici en Afrique ou ailleurs.

Je suppose que maintenant qu’il a recouvré la santé, je n’en saurai pas plus.

  

Dans un refuge pour femmes, à Mexico City…

  

*** Kaci Malamba Boukambi

 

Je ne sais même pas parler l’espagnol. Ça fait maintenant deux mois que je suis ici au Mexique avec ma grossesse de quatre mois. Je ne sais pas ce que j’ai fait à Gilles. Je lui ai annoncé que je suis en grossesse. Deux heures plus tard, il est descendu pour acheter le journal. Il n’est plus revenu dans la chambre. Je suis restée trois jours dans la chambre, seule. Le quatrième jour, un homme est venu faire l’inspection des chambres. Il m’a chassé de l’hôtel comme une voleuse. Voilà comment j’ai atterri dans la rue, sans papier. Mon passeport, c’est Gilles qui le gardait. Soit il est parti avec, soit à l’hôtel, ils l’ont trouvé et balancé à la poubelle.

Je ne savais pas qu’en dévoilant ma grossesse à Gilles, il allait me jeter comme ça, comme un poisson pourri. Il est où aujourd’hui ? j’ai été obligée de coucher pendant trois semaines avec un vieux blanc à la peau rouge chauffée par le soleil, pour avoir à manger et un toit pour dormir. Ensuite, il m’a conduit ici, dans ce refuge où il y a beaucoup de femmes. Ici, j’ai un lit et trois repas par jour, à condition de travailler. Comme ma grand-mère m’a appris à utiliser une machine à coudre, je fais de la couture ici, du matin 7h au soir, 20h. on mange à 20h 30 et on dort à 22h pour se réveiller à 4h du matin.

Tout le temps, je pense à ma mère et à mes petits frères que j’ai laissés là-bas à Libreville pour suivre Gilles partout partout dans le monde. J’étais à la disposition de Gilles. Je ne savais pas qu’il allait m’abandonner comme une vieille chaussette. Qu’est-ce que ma mère pense en ce moment ? Est-ce qu’elle me cherche ? Même si elle le fait, par quel moyen va-t-elle me trouver ?

Je suis ici et j’ai l’impression que je suis devenue une esclave après avoir dormi dans les beaux draps dans les grands hôtels à Paris, à Bangkok, à New York, à Rome et à Buenos Aires. Voilà, mon terminus c’était donc Mexico City avec. Est-ce que j’ai même le courage de pleurer ?

Je respire fort en continuant de coudre ces robes qui partiront dans les grands magasins dans quelques jours. Je pense aux plans que je faisais. Gilles me baiser tout le temps sans la capote. Il m’envoyait faire le test du VIH avant chaque voyage. Je me disais que si je lui fais un enfant, il allait m’épouser, vu qu’il était divorcé. J’ai donc écarté les jambes à Bakary, mon voisin boutiquier à Libreville. Bakary m’a fait mon affaire pendant une semaine. Et puis, bingo ! On m’a dit à l’hôpital que j’étais enceinte. Je me disais qu’une fois que Gilles apprendrait la nouvelle, il allait tout de suite me demander en mariage.

Je suis venue ici à Mexico City pour le suivre. Et quand je lui ai annoncé la nouvelle, il m’a regardé et il m’a dit :

- Avec qui m’as-tu trompé ? J’ai fait une vasectomie, tu sais ce que cela veut dire ?

Je sais même que vasectomie c’est quoi ?

L’homme qui m’a promis le ciel m’a abandonnée à Mexico City dans une chambre, dans un hôtel de luxe ! On dirait que je n’aurais pas dû baiser avec Bakary. Je vais faire comment pour retourner à Libreville ? Je vais faire comment ?

Ici, il y a le coronavirus, mais on travaille tous les jours, même le dimanche, de 5h à 20h. Oui, je suis venu ici pour finir esclave.




    

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