Chapitre 12

Write by Lilly Rose AGNOURET

Chapitre 12

 

Laïka

 
   

Ce même mercredi

 

- Alors, qu’as-tu prévu pour la soirée ? me demande mon amie Anaïs ? J’espère que tu as pensé à l’épilation du maillot !

Je souris et réponds :

- J’ai pensé à tout. Je te signale que j’attends cette nuit comme les chrétiens attendent le retour du Christ ! Oh là là, j’en ai des palpitations rien que d’y penser.

C’est aujourd’hui que je reprends ma vie sexuelle après la naissance d’Alexandre. J’étais loin de m’imaginer qu’il me faudrait autant de temps pour retrouver mon calme intérieur et l’envie de plaire à l’homme que j’aime. Quand Irma et maman me disaient que la naissance d’un enfant chamboule tout intérieurement, je ne m’attendais pas à ce qu’elles aient autant raison. Je ne sais combien de fois j’ai eu envie de me tirer une balle à chaque fois qu’il fallait se réveiller la nuit pour donner le sein à ce petit monstre. Si au moins j’avais pu dormir durant la journée ! Non, il fallait encore que mon attention soit toute tournée vers mon fils. J’ai préféré fuir Paris et la présence de maman et d’Irma. Elles m’auraient rendue folle toutes les deux. J’ai sauté sur la première occasion et je suis partie pour les USA, au grand dam de Jean-Bosco ! Il m’en veut pour cela. Il était en Afrique quand j’ai quitté Paris trois mois avant la date prévue. Étant donné qu’il avait déjà signé toutes les autorisations me permettant de voyager avec le petit, j’en ai profité.

La dernière fois qu’il est venu nous voir à Atlanta, nous n’avons pas eu de rapports intimes. Il est resté à distance de moi, se contentant de discuter et de prendre soin de son fils. Aujourd’hui, il vient pour deux jours. Dans deux jours il reprend l’avion. Je veux faire en sorte que ces jours soient mémorables. Je vais y mettre tellement d’énergie qu’il finira par accepter l’idée de me suivre ici aux USA. Jean-Bosco est riche. Il n’a plus besoin de travailler pour gagner sa vie. S’il continue de le faire, c’est simplement pour la forme, pour les défis. Il adore l’idée de gagner de grosses affaires et satisfaire ses clients. Je lui fais le reproche parfois, qu’il ne profite pas vraiment de la vie et ne sait pas ce que veut dire l’expression « avoir du temps libre. »

Notre vie amoureuse est au beau fixe excepté le fait que cela fait longtemps que nous n’avons pas eu de relations sexuelles. Le fait d’avoir des rendez-vous réguliers chez la psy pendant ma grossesse, m’a permis d’accepter le fait que devenir maman ne m’empêcher pas de vivre. Cela n’a pas été évident. Une heure après la naissance d’Alexandre, j’avais envie de prendre mes jambes à mon cou et disparaître. Être entourée de Maman et d’Irma, a exacerbé ce sentiment d’inconfort. Irma avait trop de conseils à me donner. La grande sœur parfaite avait les gestes justes, quand j’étais carrément incapable de mettre correctement une couche à mon fils. BREF !!! Deux prises de tête avec ma grande sœur m’ont fait comprendre que je devais me barrer de France… Je l’aime beaucoup, mais, comment dire ? Irma me fout des complexes ! Et quand j’en parle à Annélie, elle me rétorque que j’ai vraiment un problème avec tout le monde. Ma petite sœur m’a même dit : « Si un inconnu t’écoute, il croirait que tu es tombée d’un arbre et que tu n’as aucun lien filial avec nous. Zut, Laïka, la famille c’est important ! Pourquoi passes-tu ton temps à voir le mal partout ! »

 

Je ne vois pas le mal partout. Je veux juste que l’on me laisse respirer.

Quand j’arrive dans le parking de la résidence dans laquelle me loge Jean-Bosco, j’arrête le contact et m’apprête de sortir de voiture avec tous mes paquets, quand mon téléphone sonne. C’est maman au bout du fil.

- Bonsoir, madame Ellison. Quelle heure est-il à Pointe-Noire ?

- Mark et moi sommes en Italie pour deux jours. Il m’a offert une escapade surprise.

- Ok ! J’entends le sourire dans ta voix. Je suis contente que tu sois d’humeur joyeuse malgré ton séjour chaotique à Port-Gentil.

Elle souffle et me dit :

- Je ne suis pas psychiatre, Laïka. J’ai fini par le comprendre. Si je reste focalisée sur l’état de Marie-Christine, je n’en dormirais pas. J’ai vu ce que Brigitte subit au quotidien. Prendre soin de ta tante, c’est pire que tenir un chien en laisse.

- Hum ! Je m’en veux terriblement de ne pas avoir vu venir le coup. Je… J’aurais peut-être pu changer les choses !

- Laissons le temps faire. J’appelle pour m’assurer que mon petit-fils sera bien dans l’avion pour Paris et que nous l’aurons pour Noël.

- Oui. Son père est venu le chercher. Ils seront dans l’avion dans deux jours.

Ma mère me demande alors :

- Laïka ! Tu as l’intention de laisser Jean-Bosco voyager tout seul avec le petit ? Depuis quand as-tu arrêté de l’allaiter ?

- Maman, trois mois, c’est suffisant. Je ne suis pas une vache allaitante. Alexandre prend le biberon. Je l’ai discipliné. C’était ça ou alors, vous ne l’aurez pas vu avant longtemps étant donné que je bosse.

- Laïka ! Tu avais dit que tu serais là à Noël !

- ça, non ! Ce n’est pas possible. Je travaille, maman. J’ai rêvé d’un poste comme celui que j’occupe. J’apprends beaucoup de choses. Si j’y mets du mien, j’évoluerai très vite. Je ne peux pas me permettre de prendre un congé sans solde rien que pour aller traîner à Paris.

- Mais, tu disais que tu t’étais arrangé avec tes patrons en signant ton contrat !

- Maman ! Tu sais que le monde du travail est concurrentiel. Si je fais la belle, quelqu’un d’autre prendra ma place.

- Laïka ! C’est donc à ce prix-là que nous aurons bébé Alexandre à Paris ?

Je souffle et lui réponds :

- Il sera avec son père. En plus de ça, tu es une super mamie et il a deux supers tatas en renfort.

- Annélie va en Afrique du Sud. Elle y est invitée par les parents de Joachim.

- Hum ! En voilà une qui profite de la vie. Tu n’es pas en train de lui faire une crise parce qu’elle vous lâche à Noël.

Ma mère prend alors un ton ferme et me répond :

- Vous faites ce que vous voulez de vos vies, je vous l’ai déjà répété. Mais quand l’une de mes filles se permet de me prendre pour une imbécile en me mentant qu’elle a négocié au moment de signer son contrat, une semaine de vacances sans solde à Noël pour que son fils passe son premier Noël entouré de tous ceux qui l’aiment, je me dis que j’ai vraiment raté quelque chose. Je savais que tu pouvais être une peste, Laïka. J’étais loin de me douter qu’à ton âge, tu pourrais encore agir de la sorte.

Oh là là ! Je crois que je viens de faire une bourde. Mince ! Oh là là !

Me voilà en train de chercher mes mots pour adoucir les angles. Mais comment dire à ma mère que si j’ai menti ce n’était pas pour la blesser ? Oh là là !

- Je suis désolée, maman !

- Tu mens, Laïka. Tu n’en fait qu’à ta tête. C’est bon ! Tu as eu ce que tu voulais. Je vais te foutre la paix et me contenter de te regarder faire. Tu n’auras qu’à m’envoyer les détails du vol que prendra Jean-Bosco. J’irai accueillir bébé Alexandre à l’aéroport.

- Maman !

Plus personne au bout du fil. Elle a raccroché. Simplement. Merde ! Pourquoi n’ai-je pas vu le coup venir ?

 

Quand j’arrive à l’appartement, j’entends de la musique douce. Je sais d’instinct que Jean-Bosco est là, car il met toujours ce genre de musique. Je me demande pourquoi il ne m’a pas prévenu de l’heure de son arrivée. Bref ! Heureusement que j’ai eu le temps de me faire belle.

J’ouvre et entre tranquillement. J’appelle Samia, la nounou que paie Jean-Bosco. Elle arrive en souriant et me dit :

- Bonsoir madame. Monsieur Risoli est dans la chambre du petit. J’ai préparé les deux biberons d’Alexandre. Ils sont dans le réfrigérateur. Puis-je partir comme convenu ?

Je la libère. Elle a prévu une soirée cinéma avec une nounou qu’elle s’est faite comme amies, dans une association locale. Je me dirige vers ma chambre à coucher. Elle fait face à celle du petit Alexandre. Je peux donc entendre les gazouillis de père et fils, qui semblent avoir une longue conversation entre hommes. J’entre dans ma chambre pour y déposer mes paquets. J’en profite pour me glisser dans ma salle de bain pour regarder mon aspect général. Vite, j’enlève mon tailleur et me glisse dans une robe moulante de couleur rose pâle. Je me passe un peu de parfum sous derrière les oreilles et dans mon décolleté. Pieds nus, je sors de ma chambre et travers le couloir pour aller surprendre l’homme de ma vie. Quand j’arrive à lui, il est dos tourné à la porte, portant son fils dans les bras. Il regarde par vers la fenêtre. J’arrive et passe mes deux bras autour de sa taille. Je reste là en silence comme si je souhaitais voir le temps s’arrêter. Il me lance alors :

- Comment vas-tu, trésor !

- Toujours mieux quand tu es là !

Dans ma poitrine, je peux sentir mon cœur tressauter. Je me sens tellement bien à l’instant !

- Tu m’as tellement manqué ! lui dis-je.

Il me répond alors :

- Vous m’avez manqué. Je suis heureux d’être là. D’autant plus heureux de voir que mon mini-moi m’a très vite accepté.

Je lève les yeux pour regarder le mini-moi en question. Là, je me demande pourquoi j’ai laissé la nounou sortir. Jean-Bosco se retourne en tenant doucement son fils. Il se penche et me pose un baiser sur le front.

- Hey ! ça veut dire quoi ça ? lui fais-je en souriant. Je veux un vrai baiser.

Il sourit et me dit :

- Je suis désolé, mais ce bonhomme a faim.

Là, je lui lance :

- Son biberon est prêt. La nounou l’a laissé dans le réfrigérateur.

Il me fait alors :

- Quand l’as-tu sevré ? Je pensais que…

- J’ai dû le sevrer vu que je travaille toute la journée.

- Tu disais que tu utiliserais un tire-lait.

- Je ne suis pas une vache, chéri. Je ne vais pas mettre une pompe à mes seins pour me faire traire.

Il fait alors deux pas loin de moi, me regarde en silence et me dit :

- C’est pour des raisons esthétiques que t u as décidé de sevrer le petit ? T’es-tu demandé si cela ne lui est pas préjudiciable tout ça !

Je réfléchis à deux fois avant de répondre. Si je sors les mauvais mots, ma soirée coquine tombera à plat. J’étais loin de me douter que nous aurions ce genre de discussion.

- Je ne comprends pas ton attitude. Et j’ai du mal avec l’idée que tu n’as pas pris la peine d’en discuter avec moi.

Aïe ! On dirait que c’est ma journée. Après maman, voilà que l’homme de ma vie me fait la leçon. Je réponds alors :

- Désolé ! Je n’ai pas réfléchi.

Jean-Bosco me regarde et me dit :

- À quoi d’autre n’as-tu pas réfléchi ?

Sur la défensive, je lui réponds :

- Pourquoi ai-je l’impression que tu joues au juge ?

Il s’adoucit et me dit :

- On discutera de tout ça plus tard ! Le petit a faim.

Je le suis alors qu’il sort de la chambre. Je croise les doigts pour qu’Alexandre s’endorme après avoir pris son biberon. Pour encourager la chance, je dis alors :

- En général, il s’endort tout de suite après avoir pris son biberon.

Jean-Bosco me répond alors :

- Ce n’est pas ce que m’a dit sa nounou. Elle m’a précisé qu’il dort toute la journée et que la nuit, il se croit tout permis.

Piégée ! Voilà comment je suis obligée de me taire au risque de raconter une bêtise. Après tout, si cela amuse la nounou de bercer Alexandre toute la nuit, c’est son problème. Mon sommeil est précieux. Alors, quand je rentre du boulot le soir, je fais une heure de sport dans la salle de gym du 5ème étage et ensuite, je manger, prendre une douche et me mets au lit. À 22h, je suis couchée, quoiqu’il en soit.

Quand Jean-Bosco me demande le poids du petit et tous les détails de notre dernière visite chez le pédiatre, je lui réponds :

- Tout est écrit dans son carnet de santé.

Il me répond étonné :

- Tu sais au moins combien de grammes il a pris depuis sa dernière visite ?

Je porte mes mains à mes hanches et réponds :

- On sait tous que jamais je n’aurais le diplôme de la super maman de l’année. Alors, disons que tu poseras les questions à sa nounou.

Jean-Bosco est assis à la table de la cuisine, donnant le biberon son fils. Il me regarde un instant puis me dit :

- Tout vient avec la patience et la volonté.

- Et tout le monde sait que je n’ai aucune patience dans le domaine. Peut-on mettre ce petit au lit et passer une soirée en amoureux ?

Il me fixe longuement sans rien dire avant de reporter toute son attention sur son fils. C’est la première fois que je le vois lui donner le biberon et j’avoue que c’est édifiant. On regarde cette scène et on se demande comment un avocat aussi illustre peut se changer tout un coucou en papa poule.

- Tu donnais le biberon à Tristan ?

Il me répond :

- Sa mère l’a allaité. Allaitement exclusif jusqu’à l’âge de 8 mois.

Et bam ! Comme si monsieur voulait appuyer l’idée que je ne suis pas normal pour avoir sevré un bébé à trois mois. Je décide de me taire et d’attendre tranquillement que le petit soit couché.

Une heure plus tard, il est 20h et monsieur se retrouve à faire les cent pas dans tout l’appartement en racontant sa vie à son fils. Je reste tranquille m’intimant l’ordre de garde mon calme. Au bout d’un moment, je me lève du canapé et vais dans la cuisine. Je regarde dans le réfrigérateur et en sors de quoi faire rapidement à manger. Je m’y attelle en me disant que cela me changera les idées. À 21h, la salade et les filets de poisson que j’ai préparé sont prêts ! Je dresse la table dans la salle à manger et mets une chandelle au milieu de la table. Je l’allumerai plus tard.

Mon téléphone sonne alors. Au bout du fil, c’est mon amie Anaïs qui vient au rapport.

- Pourquoi es-tu encore debout à cette heure ? lui fais-je.

- Je regardais les photos prises le week-end dernier en compagnie de X. Et je n’ai pas vu le temps passer. Pas grave ! Je dormirai après ce coup de fil. Alors, rien. Pour le moment, c’est le calme plat. Je t’en dirai plus demain.

- Courage ! Je t’embrasse.

Je pose mon téléphone sur la table. Je reste là à le regarder en comptant les minutes. Quelques instants plus tard, je me lève pour aller voir où est Jean-Bosco. Monsieur est dans le salon assis avec le petit posé contre son épaule.

- Et si tu le mettais dans son lit ? Le repas est prêt !

- Tu as raison. J’oubliais que j’ai une semaine pour profiter de lui ! Demain, nous sortions pour acheter un sapin. Ce sera son premier Noël. Je tiens à ce qu’il y ait un sapin dans ses photos souvenirs.

Je me gratte alors la tête et dis :

- Pas besoin de sapin de Noël vu qu’il rentre à Paris avec toi. Tu as bien dit que tu n’étais là que pour deux jours, non ?

- J’ai changé d’avis. Je reste pour Noël. Ça nous fera du bien d’être en famille. Tristan ne peut pas se libérer, mais ça ira.

Aïe ! Aïe ! Aïe ! Je me gratte la tête et annonce :

- Ma mère attend Alexandre à Paris. Je pensais te le confier vu que tu disais que tu ne serais là que pour deux jours.

Jean-Bosco me regarde perplexe et me dit :

- Attends-moi juste deux secondes. Je reviens :

Il va déposer le petit dans son lit puis il revient. Face à moi il lève mon menton puis me regardant dans les yeux, me demande :

- À quel moment as-tu jugé intelligent de te séparer de ton bébé à Noël ? Pourquoi ne m’en as-tu pas parlé ? Pourquoi prends-tu des décisions sans en discuter avec moi ? Estimes-tu que mon avis ne compte pas ?

Je fais deux pas en arrière et lui réponds :

- À quel moment es-tu devenu aussi chiant ? Nous deux, c’était fun avant ! On s’éclatait au lit et en dehors. Là, depuis ton arrivée, tu m’as à peine regardée et tu n’es bon qu’à me faire la leçon. J’ai passé une heure dans un salon de beauté et tu n’as même pas remarqué ni ma coiffure ni mon maquillage. Dis, as-tu l’intention de me les briser pendant ton séjour ou tu comptes te rappeler que je suis une femme, que je t’aime et que j’ai besoin de ton attention ?

Il me regarde longuement avant de me tendre une main pour m’inviter dans ses bras. Je reste tout contre lui assez longtemps pour me calmer et oser espérer que le cours de la soirée diffère. Il se détache de moi, m’invite à lever la tête et me pose un baiser sur les lèvres. Il me dit ensuite :

- Désolé de te paraître rude, trésor. Être en couple, c’est décider à deux. Je me suis arrangé pour être libre durant les dix prochains jours. Nous allons passer Noël ensemble.

Il s’éloigne à la recherche de son téléphone. Quand il revient une dizaine de minutes plus tard, il s’assoit à table face à moi et me dit :

- Je viens d’envoyer un mail à Mark et à ta mère pour leur annoncer qu’ils ne verront malheureusement pas Alexandre à Noël.

Je hausse les épaules parce que je sens que si j’ouvre la bouche pour dire ce que je pense, la soirée tournera au vinaigre. Monsieur me dit alors :

- Viens !

Je me lève de ma chaise et vais vers lui. Il se pousse et m’invite à m’asseoir sur ses cuisses. Je le fais. Il m’embrasse dans le cou et me dit :

- On fera tout ce que tu voudras comme tu le voudras. Tout, sauf éloigner ton fils de toi dans cette période de réjouissance.

Je reste silencieuse, car je ne sais plus si je suis abattue ou agacée. Son souffle contre mon oreille, il me dit :

- Tu es mère, Laïka. Il te faut apprendre à penser différemment. La nounou n’a pas été embauchée pour t’effacer de la vie de ton enfant.

Je hausse les épaules et lui dis :

- C’est bon, j’ai l’appétit coupé. Je crois que je vais aller dormir ! Je m’attendais à une soirée plus réjouissante !

Sans se départir de son calme, il me répond :

- Personne n’ira au lit sans manger. Assied-toi et dinons.

Je vais reprendre ma place face à lui et nous mangeons en silence jusqu’au moment où Jean-Bosco me demande mon emploi du temps des jours prochains. Je hausse les épaules en m’amusant à taper le bout de ma fourchette sur mon assiette.

- Je bosse. J’avais prévu de ramener du travail à la maison pour mieux m’imprégner de l’histoire de l’entreprise.

- Donc, si je comprends bien, tu avais l’intention de travailler à la maison après les heures de boulot, pendant la veillée de Noël ?

- Et c’est à ce moment-là que tu vas me faire la leçon pour me rappeler que Noël en famille, c’est sacré, n’est-ce pas ?

- On va arrêter cette conversation qui ne mènera nulle part. Je suis là pour changer tes habitudes. Et tu sais pourquoi ?

- Pourquoi, monsieur l’avocat !

Il me regarde fixement et me dit :

- Si tu me trouves chiant à mourir, comme tu l’as dit, moi, je te trouve beaucoup trop capricieuse. Et une envie furieuse me vient de te passer un bâillon sur la bouche pour que tu arrêtes de dire des bêtises.

Là, je souris et tire la langue avant de lui dire :

- T’es vraiment agaçant ! Oui, je le reconnais, je te voulais pour moi toute seule. C’était mieux avant. C’était mieux quand tu n’appelais que pour moi. Nous ne faisons plus l’amour par téléphone. Nous ne nous endormons plus le téléphone à l’oreille. Au réveil le matin, tu appelles pour savoir comment ton fils a dormi. C’est comme si notre couple n’existait plus. Je savais que je ne voulais pas d’enfant. Je ne m’attendais pas à devenir invisible à tes yeux.

Il avale une gorgée d’eau et me répond :

- Tu n’es pas devenue invisible. N’exagère rien !

- Voilà ! Quand je parle de changement, j’en ai l’illustration devant moi. Depuis quand bois-tu de l’eau à table ? Cette bouteille de vin blanc est toujours fermée !

Il sourit et me dit :

- Tu ne seras contente que lorsque tu auras eu le dernier mot. Écoute, le jour de la naissance d’Alexandre, j’ai décidé d’arrêter toute consommation d’alcool.

- Tant que tu ne décides pas de devenir chaste, tout va bien.

- Hum ! fait-il en me regardant, amusé. Tu as dix jours devant toi pour me tester.

Je décide alors de respirer un grand et de me montrer plus câline. 

- Je fais tout de travers, n’est-ce pas ?

Il sourit et me dit :

- Je ferai le souhait pour l’année prochaine que tu te montres plus raisonnable.

Je me lève alors de ma chaise et vais vers lui. Je m’assois sur ses jambes et passe mes bras autour de son cou. Je lui pose alors un baiser sur le bout du nez avant de lui voler ses lèvres. Tout d’un coup, je me sens réconciliée avec la vie.

- Je t’aime, dis-je alors que nos lèvres se sont séparées.

Il se lève et me porte dans ses bras. Il avance vers la chambre et je jubile intérieurement. Enfin !

Au moment où avec délicatesse il me pose sur le lit, il pose une myriade de baisers dans mon cou. Retentit alors un cri strident qui nous rappelle qu’un petit homme dort dans la chambre juste en face.

- N’y va pas, s’il te plaît. Il se calmera tout seul.

Tu parles ! Le petit monstre se met à crier comme s’il avait vu le diable danser autour de son lit. Jean-Bosco se détache de moi et me dit :

- Je reviens.

 

C’est frustré, qu’une heure plus tard, je m’endors.

Au petit matin, je me glisse hors du lit pour me préparer pour la longue journée qui m’attends. En regardant de l’autre côté du lit, je me rends compte que les couvertures sont défaites et que Jean-Bosco est déjà levé. Je vais prendre une douche tranquillement puis reviens en peignoir dans la chambre avec l’intention d’aller dans la cuisine. Depuis le pas de la porte de ma chambre, je peux entendre l’homme de ma vie en conversation avec son fils. Il lui raconte une histoire de girafe qui ne veux pas aller à la maternelle car elle est la plus grande dans la classe des animaux. J’arrive là et reste devant la porte ouverte de la chambre d’Alexandre. L’image du père portant son fils et tenant en main son doudou en forme de girafe est si, comment dire, touchante, que je repars sur mes pas et reviens avec mon téléphone pour les prendre en photo. Tout ça, sans que Jean-Bosco ne remarque ma présence.

Je vais prendre mon petit-déjeuner tranquillement. Ce n’est qu’au moment où je reviens dans la chambre pour m’habiller, que mon homme se soucie de ma présence. Il entre dans la chambre, referme la porte, avance vers moi et me dit :

- Il s’est endormi.

Je hausse les épaules et dis :

- La nounou rentre à 9h.

Il arrive dans mon dos, passe ses bras autour de moi, me pose un baiser dans le cou et me dit :

- J’ai réservé une table pour le diner ce soir.

- Ce n’est pas d’un diner dont j’ai besoin. Je veux que l’homme que j’aime me regarde, me touche. A quoi bon sortir si c’est pour que tu passes la soirée à t’inquiéter pour ton fils ?

- Désolé ! Je te promets de me rattraper ce soir !

- Je ne vais pas attendre ce soir. Sois tu te rattrapes maintenant, sois tu sortiras diner tout seul ce soir ! lui dis-je.

Il me retourne, m’obligeant ainsi à lui faire face puis me dit :

- Les menaces sont destinées aux petits garçons. Ta journée de travail t’attend. On se voit ce soir.

Sur ce, il m’embrasse sur les lèvres et me murmure :

- Je t’aime trésor !

- Tu parles !

Il sourit et ajoute :

- Continue de bouder, tu finiras avec des rides avant l’âge.

- Vu que tu es pété de thunes, tu pourras me payer des injections de botox quand ça arrivera.

- Hum ! Que ne ferais-je pas pour toi.

 

Deux heures plus tard, je suis assise autour de la table avec l’équipe Projets dans laquelle je travaille. Je suis la seule fille du lot et dès le départ, j’ai compris qu’il fallait m’imposer pour être entendu. Peu importe que nous ayons le même background universitaire, les hommes auront toujours tendance à vouloir reléguer au second plan, les idées des femmes. Alors, je parle. Je la ramène tout le temps et marque mon territoire pour montrer à tous que si je suis là, ce n’est pas pour servir de pot de fleurs. J’ai assez longtemps évolué avec diverses nationalités, diverses éducations, dans mon parcours scolaire, pour savoir comment prendre les gens. Je suis heureuse d’être là et de faire avancer les choses. Je travaille pour une firme qui opère dans le secteur des automatismes et offre ses solutions d’ingénieries à plusieurs groupes cotés en bourse. Quand j’ai vu ma fiche de paie la première fois, j’ai compris que j’étais à la bonne place et que chaque jour, je devais remercier l’homme qui a vu le potentiel en moi et m’a poussée vers l’excellence, c’est-à-dire, mark, mon daddy, le père Noël de ma vie. C’est à lui que j’ai offert le premier cadeau avec mon premier salaire. Il s’agissait d’une montre Festina. J’ai offert ensuite une chaine en or à ma mère. A Irma, j’ai envoyé une paire de chaussures, des stilettos, car elle adore ça. Pour Annélie, j’ai trouvé en ligne une encyclopédie sur la médecine du temps des pharaons. J’ai envoyé un billet de 100 dollars à chacun de mes frères. La vie est toujours plus belle quand on a un travail dans lequel on peut s’affirmer.

 

Nous travaillons en ope-space, mais avec des distances entre chaque poste de travail. Il parait que cela favorise les échanges. Nous avons sur chacun des trois étages occupés par l’entreprise, trois salle de téléphone pour les appels importants qui nécessitent le silence. Le reste du temps, si quelqu’un rit ou parle trop fort, ça s’entend. Et l’on n’a pas besoin de passer des portes pour rigoler les uns avec les autres.

Je suis tranquillement assise devant les deux écrans de mon ordinateur lorsqu’à 14h, j’entends dans mon dos, des sifflements admiratifs. Je me retourne pour voir ce qu’il en est. Je me retrouve face à un livreur portant un immense bouquet de roses rouges. Il s’approche et demande mademoiselle Ellison. Là, je vois les têtes de mes collègues. Je sens que je vais passer les prochains jours à les écouter me charrier.

Le livreur pose l’énorme bouquet sur mon bureau puis me remet un petit paquet sorti d’une de ses poches. Je regarde les roses sous les sifflements de mes collègues. Quand j’ouvre le paquet, je tombe sur une magnifique bague qui scintille de mille feux. Mon cœur fait un bond dans ma poitrine. J’ai l’impression que je vais pleurer. Marla, l’une de mes collègues arrive et me caresse le haut du bras come pour me réconforter.

La carte qui accompagne le bouquet dit ceci :

Qu’as-tu fait de moi ?

Réponse : un homme heureux.

Raison pour laquelle je contemple le fruit de notre amour en pensant aux millions d’heures que je passerai encore à t’aimer.

Ma boudeuse préférée, mon cœur t’appartient.

Signé : Jean-Bosco.

 

Voilà ! Je pleure. Je me sens à la fois, comblée, vide et conne. Et je regrette les chichis que j’ai fait depuis son arrivée. Je prends alors mon téléphone portable et compose son numéro. Il répond :

- Hello ! Comment se passe ta journée ?

- Merci pour les fleurs.

- Hum ! J’adore entendre le son de ta voix quand tu es de bonne humeur. Faisons quelque chose. Tu me donnes le droit de te pincer les lèvres à chaque fois que tu te retrouveras à bouder.

- Hum ! Si tu me donne les droits de croquer tes lèvres après ça, ça me va !

- A ce soir ! me fait-il en riant.

- Je t’aime, fais-je avant de raccrocher.

***

Le soir de Noël, je suis assise à table avec Jean-Bosco. Il a installé son fils dans un transat à côté de notre table. Monsieur a orchestré un diner aux chandelles préparé par un grand chef. J’ai passé deux heures dans un salon de beauté et suis habillée dans une robe très suggestive, perlé de paillette. Je me trouve fabuleuse et cet homme face à moi est, comment dire, croquant.

Le diner se passe tranquillement entre des échanges de regards appuyés et amoureux et autres mots doux. J’ai presqu’envie que l’on quitte la table et allons nous installer sur un tapis pour pouvoir nous nourrir l’un l’autre tout en rigolant.

Jean-Bosco a fait venir un photographe pour une heure en notre présence, histoire d’immortaliser le moment. Le repas terminé, nous allons donc poser tous les trois devant le sapin, puis assis dans le canapé.

Le photographe parti, Jean-Bosco met le petit au lit. J’en profite pour faire le tour de l’appartement et vérifier que les portes et fenêtres sont fermés. Je vais ensuite dans la douche et me prépare pour la nuit. Quand mon homme me rejoint, je suis encore dans cette immense cabine de douche dans laquelle je pourrai passer des heures tellement je m’y sens bien. Il s’est débarrassé de ses vêtement et vient me rejoindre avec simplement un boxer sur lui. Je souris et lui demande :

- Pourquoi caches-tu le plus important.

Il sourit et me répond :

- Et moi qui pensais que mon sourire était plus important que tout.

Féline, je m’approche de lui, lui caresse son torse velu et viens plonger mes deux mains dans son boxer. Mon esprit se nourrit de la sensation que provoque le simple fait de toucher cet homme qui me rends dingue. Dieu l’a fait pour moi, c’est indéniable.

C’est au diapason que nos corps frémissent l’un contre l’autre. Je veux mourir et renaitre à chaque fois dans ses bras parce que je sais que je l’ai dans la peau et que c’est comme ça.

Lorsqu’il me lève de terre et me plaque contre la paroi de la douche, je ferme les yeux, accueille ses baisers fougueux comme une prière et me dis intérieurement : « la nuit ne fait que commencer ! »

 

Il est minuit. Couché tout contre l’homme que j’aime, je tapote sur l’écran de mon téléphone pour envoyer des messages à tout le monde. J’en ai déjà reçu des tonnes de la part d’Annélie qui me raconte son magnifique Noël à Cape Town. Je taquine ensuite Tristan qui se trouve à Amsterdam où il travaille au service comptabilité d’une compagnie aérienne. Il se cherche toujours et n’a toujours pas fait son coming-out.

Jean-Bosco sort du lit pour aller vérifier qu’Alexandre est bien endormi. J’en profite pour envoyer un petit mot d’amour à maman en espérant que j’apprendrai avec le temps à ne plus lui sortir de vacheries. Bientôt, mon téléphone sonne. Au bout du fil, c’est une voix cassée par les sanglots qui m’annonce :

- Laïka, il m’a mise à la porte… snifff… Je lui ai dit que je suis enceinte et il m’a envoyé un courrier par son avocat pour me faire savoir que toute relation entre nous est terminé. Il m’a rappelé que j’ai signé un contrat de confidentialité quand je me suis mise avec lui. Snifff ! Il m’a plaqué et son avocat m’a fait comprendre que si jamais, je tente de le joindre, il me le fera regretter en m’entrainant en justice. Snifff ! Il me laisse l’appartement de Paris et de Londres mais il a l’intention de revendre celui de Dubaï. Il a fait annuler la carte gold qu’il mettait à ma disposition. Sniffff ! il m’a jetée, Laïka ! X m’a jetée ! Que vais-je devenir sans lui ?

 

Je sors du lit en apprenant la nouvelle. J’appelle alors mon amie au calme. Ça me brise le cœur de la savoir aussi triste et seule. Je lui demande alors :

- Où es-tu, Anaïs ?

- Je suis dans à l’appartement à Paris. Je… je… Que vais-je devenir, Laïka ? J’ai juste envie de mette foutre une balle et d’en finir.

- Merde ! Tu n’y penses pas. Je t’en supplie, dis-moi que tu n’es pas seule, Anaïs !

- Avec qui veux-tu que je sois ! Sniffff !

- Veux-tu que j’appelle ta mère ?

- Laïka ! Ma mère ne me parle plus depuis deux jours ! Je l’ai appelé pour lui dire les résultats de mon test de grossesse et elle m’a demandé de prendre un rendez-vous à l’hôpital pour une IVG. Je lui ai dit qu’il en est hors de question et elle m’a raccroché au nez !

Aïe ! Je réfléchis deux secondes puis lui dis :

- Ne raccroche surtout pas. Je reste au bout de la ligne toute la nuit si tu en as besoin.

Là, je sors du lit. Je vais prendre le téléphone de Jean-Bosco sur ma commode. Ma meilleure amie continue de se lamenter au téléphone. Je compose d’une main le numéro de mon beau-frère Pascal. Je peux entendre la musique en fond sonore quand il décroche. Je sais qu’ils sont tous réunis dans la villa des parents Mitry-Mory. Je laisse mon téléphone de côté pour demander à Pascal d’intervenir et d’aller chercher Anaïs, histoire qu’il ne lui vienne pas à l’idée de se jeter dans le vide. Qui sait qu’elle genre de pensées elle rumine à l’instant !

- Heureusement que je n’ai rien bu, Laïka ! Si la fête avait eu lieu chez mes parents, j’aurais déjà avalé trois verres de punch !

- Puis-je compter sur toi, Pascal !

- Disons que c’est à charge de revanche ! Zut, imagine les kilomètres que je vais me taper là, alors qu’il est minuit ?

- Tu sais que tu es mon beau-frère préféré, n’est-ce pas ?

- C’est ça ! Je ne sais pas pourquoi je te crois à moitié ! Bon, je chope Joseph et on y va. J’espère que ta copine nous ouvrira. A plus !

 

Pendant près d’une heure, je reste là téléphone en main pour écouter mon amie pleurer toutes les larmes de son corps tellement elle est désespérée. Elle avait donc raison en disant que X serait impitoyable si elle osait lui imposer une grossesse. Heureusement qu’Anaïs a fini ses études et peut se trouver un emploi !

Pascal et Joseph me délivrent alors de mon angoisse en me disant qu’ils ont la situation en main et vont ramener Anaïs chez les parents. Je peux alors respirer et me coucher tranquillement aux côtés de Jean-Bosco qui me dit :

- J’espère que les choses s’arrangeront pour ton amie.

- Hum ! On verra bien ! fais-je en fermant les yeux. 

Les filles d'Idéale...