Chapitre 13

Write by Auby88

Aurore AMOUSSOU


Devant moi, Femi se déshabille. Si quelqu'un pense à quelque chose de "coquin", je l'arrête net. (Sourire)

Femi et moi sommes tout simplement au bord de la piscine. C'est mon maître-nageur et il s'apprête pour la première séance.

Et puis, il n'est pas nu. Certes son torse est nu, mais il porte un maillot pour homme et un bonnet de bain sur la tête.

Je dois quand même avouer qu'il est plutôt séduisant ainsi, surtout avec ses beaux pectoraux. Et moi qui le traitait de femmelette ! (Sourire).

Quant à moi, je porte l'un de mes maillots deux-pièces. Les cicatrices sur mon corps sont à découvert, mais je ne m'en préoccupe pas.

En quelques semaines, j'ai appris beaucoup sur Femi. Ce gars est l'exemple parfait de la débrouillardise. Il gère plusieurs petits boulots à la fois : enseignant vacataire, maître-nageur, commercial, assistant comptable, animateur de soirée… Il a même été aide-maçon quand il était beaucoup plus jeune.

Fils aîné et unique garçon d'une fratrie de trois enfants, Femi a très tôt intégré le monde du travail pour aider sa mère, financer ses études ainsi que celles de ses jeunes soeurs.

Aujourd'hui, il est titulaire d'une licence en comptabilité mais n'a pas encore réussi à s'insérer professionnellement.


- Femi, êtes-vous bien sûr que je ne risque rien ?

Il hoche la tête.

- Aurore, je vous le redis. Vous ne risquez rien à mes côtés. Je prendrai soin de vous comme s'il s'agissait de la prunelle de mes yeux.

En parlant, il me fixe droit dans les yeux, ce qui m'intimide beaucoup. Je tourne la tête.

- Alors, vous permettez ? demande-t-il en se penchant vers moi pour me soulever.

- Évidemment.

Je sens son souffle chaud et repense à… Steve. Autour de son cou, je pose mes mains. Nous descendons les marches de la piscine et Femi me pose sur l'eau tout en maintenant mon dos avec ses bras. Cela fait longtemps que mon corps n'a pas été au contact de cette eau.

- C'est si agréable, Femi. Je me sens revivre !

- C'est très bien, Aurore.

Tout doucement, je balance mes mains pendant qu'il m'aide à avancer sur l'eau.

- Merci, Femi.

Il hoche la tête, tout en me souriant.

Nous restons là quelques minutes puis nous rejoignons la berge. Il me porte sur l'un des fauteuils pliables et prend une serviette de plage.

- Je peux ?

- Oui, bien sûr.

Avec délicatesse, il essuie l'eau sur tout mon corps. Son geste est si lent que j'ai l'impression qu'il me caresse la peau. Une fois son "oeuvre" achevée, il m'enroule une serviette autour de la taille et me remet dans mon fauteuil. Je ne manque pas de le remercier.

- Combien vous dois-je Femi ?

- Rien.

- Comment ? Je sais que vous faites du bénévolat au Centre, mais ici nous sommes en dehors du Centre. Alors je me dois de vous payer. Et puis, vous en avez besoin. Allez, donnez-moi votre prix.

- Laissez tomber.

- Non. J'insiste.

- Je ne veux rien.

- Acceptez au moins que je vous donne de l'argent pour l'essence. Vous avez quand même quitté Cotonou pour Calavi ! Si vous persistez, je ne vous ferai plus jamais appel !

- D'accord, Aurore. Je vois que vous êtes aussi entêtée que moi !

- Là, vous êtes raisonnable.

Nous éclatons de rire.


**********


Madame Suzanne ZANNOU


- Dites-moi ce qui vous amène. Prenez  votre temps.


C'est en ces termes que commence mon entretien avec le psy. Après la séance désastreuse de la dernière fois, je me suis remise en question et j'ai décidé de le revoir. Celui-ci n'a pas refusé de me recevoir. Me voici donc étendue sur le canapé en face de lui.

Je respire profondément avant de lui répondre.

-  J'ai…  perdu mon unique enfant et j'ai du mal à l'accepter, du mal à aller de l'avant.

- C'est tout à fait normal, madame ZANNOU. La perte d'un enfant reste un évènement douloureux pour tout parent. Dites-moi donc ce que vous attendez de nos séances.

- Je ne sais pas quoi vous répondre.

- Essayez-quand même.

- Euh…  il y a des années, j'ai perdu mon époux et il m'a été difficile de faire son deuil.

 Je prends une pause avant de continuer. Avec la mort de ma fille, j'ai complètement sombré. Je veux juste pouvoir avancer, pouvoir me reconstruire, éviter de sombrer davantage.

Tandis que je lui parle, il prend des notes.

- Vous voulez donc apprendre à vivre avec votre douleur, apprendre à vivre malgré l'absence de votre fille​. Parce qu'on n'oublie jamais. C'est bien cela que vous voulez ?

Je hoche la tête.

- La dernière fois que je vous ai reçue, j'ai noté de la colère en vous. Une colère bien plus importante que la douleur ou l'angoisse que vous ressentez. C'est comme si vous en vouliez au monde entier. Je me trompe ?

- …

- Madame ZANNOU, vous m'écoutez ?

-…

Je l'entends mais ne l'écoute pas. Je suis plongée dans mes pensées.

- Madame ZANNOU, vous m'entendez ? me demande-t-il à nouveau.

- Oui. J'ai plein de colère en moi contre tous ces gens heureux ou insoucieux qui continuent leur vie, tous ces gens qui semblent avoir oublié Bella. Et particulièrement, je ressens de la haine envers… Aurore.

- Aurore… Qui est-elle ?

- La garce qui m'a pris ma fille !

- "La garce qui vous a pris votre fille" ? Je ne vous suis pas. Soyez plus claire.

Là, mes idées se brouillent. Je parle en désordre. J'entre dans une sorte de transe.

- Elle a ... tué ma fille... Elle l'a tuée… C'est elle qui l'a obligée à sortir de la maison. C'est à cause d'elle… que Bella m'a désobéi cette nuit-là… C'est elle qui conduisait … quand elles ont eu l'accident… Pourtant, elle était ivre… Aurore est une meurtrière... Je la hais…

- Madame ZANNOU, calmez-vous !

- Je hais Aurore ! hurle-je encore et encore.

Il s'approche de moi, me touche et me parle tout bas.

- C'est fini. Calmez-vous ! Calmez-vous.

Peu à peu, je quitte mon "état second".

- Vous vous sentez mieux ?

Je hoche faiblement la tête.

- Je préfère que nous nous arrêtions là pour aujourd'hui. Je vais vous donner deux exercices à faire pour la séance prochaine. Le premier consistera à inspirer à fond et compter 1,2,3,4,5 à chaque fois que vous sentirez la colère monter en vous. Vous semblez anxieuse, mais je n'ai pas envie de vous prescrire d'antidépresseurs. Je vous fais confiance. Vous êtes une femme mature et responsable malgré tout. Quant au deuxième exercice, je veux que vous me parliez de votre fille sur papier. Ne limitez pas le nombre de mots. Ecrivez pêle-mêle tout ce qui vous vient à l'esprit. On est d'accord ?

- Oui, je le ferai.

- C'est parfait. Je ne vous retiendrai pas davantage. Portez-vous bien et à très bientôt pour le prochain rendez-vous. Vous pourrez toujours m'appeler si vous en ressentez le besoin. Je suis à votre écoute.

- Merci ! dis-je en prenant congé de lui.

Il me raccompagne jusqu'à la porte. Je quitte le cabinet et prends un taxi privé. Tandis que j'approche de ma maison, je vois Aurore devant le portail de sa maison. Elle rit aux éclats, face à un jeune homme. Intérieurement, j'enrage. Je demande au chauffeur de m'attendre quelques minutes. J'ai quelque chose d'urgent à faire. Tant que je serai en vie, cette garce ne sera jamais heureuse, elle n'aura jamais la paix du cœur. A chaque fois que je la verrai, je me chargerai de lui rappeler qu'elle est responsable de la mort de Bella. Au diable, les recommandations du psy sur la maîtrise de la colère !


A pas pressés, je me dirige vers elle. Je la prends au dépourvu.

- Sale meurtrière ! vocifère-je. Comment te permets-tu de rire ainsi quand ma fille est dans une tombe par ta faute ?

Je suis sur le point de bondir sur elle quand le jeune homme m'en empêche.

- Lâchez-moi ! crie-je.

- Calmez-vous, madame. Il est préférable que vous vous en alliez !

Des passants ainsi que le chauffeur et la mère d'Aurore, alertés par mes cris,  accourent vers nous.

- Qu'est-ce qui se passe ici ? interroge Claire AMOUSSOU.

- Sale infirme ! continue-je.

Toute honteuse, Aurore baisse son regard et fond en larmes.

- Suzanne ! Cesse de martyriser ainsi ma fille ! Ne vois-tu pas qu'elle a aussi souffert de la mort de Bella et qu'elle continue d'en souffrir ! Pourquoi as-tu autant de haine envers elle alors qu'elle n'a pas voulu la mort de ta fille ?


Je n'écoute pas Claire. Seule sa fille m'intéresse. Je lui adresse des mots encore plus durs pour mieux la déstabiliser.

- Ton handicap n'est rien du tout, Aurore ! J'aurais voulu que tu souffres davantage. Pire encore, que tu meures ! En tout cas, tant que je serai en vie, je ne te laisserai jamais tranquille. Je ferai en sorte que tu aies Bella sur la conscience pour toute ta vie !

- Cela suffit, Suzanne ! Maintenant, va t-en !

- Non, je n'ai pas fini de dire mes quatre vérités à ta poufiasse de fille. Elle…


Je n'ai pas le temps d'achever ma phrase. Mes sœurs viennent de s'amener. Elles me tirent vers le taxi. C'est malgré moi que je les suis.



*********


Femi AKONDE


La demoiselle est encore visiblement sous le choc. Elle est secouée de spasmes tandis que les larmes affluent sur son visage. Sa mère lui parle mais elle ne répond pas.

Plutôt que de prendre congés d'elles comme prévu, je préfère attendre. Je ne peux laisser Aurore dans un tel état.

- Madame, il vaut mieux que je la porte à l'intérieur.

Elle ne s'y oppose pas. Je soulève Aurore et vais la coucher sur l'un des fauteuils pliables de la piscine.

- Aurore, vous m'entendez ?

Elle lève les yeux vers moi, mais son regard reste vide. Sa mère est profondément affligée.

- Mon Dieu, quand est-ce que ma fille sera enfin heureuse ! N'a-t-elle pas assez payé pour ses erreurs passées ?

- Calmez-vous, madame. Elle ira mieux. Quant à vous, il est préférable que vous vous assoyiez. C'est compris ?

Elle me fait oui de la tête et se laisse choir sur un fauteuil près d'Aurore.

- Aurore, vous m'entendez ?

- Je… l'ai… tuée.

- Ne dis pas ça, ma fille !

- Si, maman. C'est moi. J'ai ... tué Bella.


Ses larmes me touchent. Son amertume aussi. Je ne sais pas ce qui s'est exactement passé, mais je me rends compte que l'accident d'Aurore n'a pas seulement endommagé son corps mais aussi coûté la vie d'une certaine Bella. Il me faudra en apprendre davantage sur cette tragédie.

- Ne pensez pas ainsi, Aurore. Ne pensez pas ainsi, dis-je tout simplement pour la réconforter. Je vous rappelle qu'aujourd'hui vous êtes une bonne personne, quelles que soient les fautes que vous avez pu commettre dans le passé.

- Vous ne savez rien de moi, Femi !

- Je ne connais pas votre passé, mais j'ai beaucoup appris sur votre présent. Je vois vos efforts au quotidien pour aller de l'avant, pour être une meilleure personne.

- …

- Je vous le rappelle, Aurore : Vous êtes une personne exceptionnelle, n'en doutez jamais ! Vous avez aussi le droit d'être heureuse. Si jamais vous avez besoin de vous confier à moi, vous savez comment me contacter. Et puis, à côté de vous, il y a une femme merveilleuse, une mère qui vous aime beaucoup, qui tient énormément à vous et sur qui vous pouvez toujours compter. Ne l'oubliez pas !

- Merci, mon fils ! me dit la mère.

- Je ne dis que la vérité, madame.

Aurore tient à se redresser. Je l'aide. A ma grande surprise, elle se jette à mon cou. Le geste est si soudain que je garde mes bras ballants, ne sachant si je dois les refermer autour de sa taille ou les laisser ainsi.

- Merci, Femi. Merci beaucoup.

- Vous n'avez pas à me remercier, Aurore. C'est avec grand plaisir que je vous aide.

Elle délaisse mon cou. Je lui souris. Sur son visage, apparaît une esquisse de sourire qui ne dure qu'une seconde.


 J'attends encore une demi-heure pour qu'Aurore se calme complètement puis je demande à partir. Mais madame AMOUSSOU et sa fille insistent pour que je déjeune avec elles. J'accepte, ce qui réjouit énormément Aurore. Je suis comblé de la revoir sourire librement. Je la remets dans son fauteuil et tous trois rentrons dans le spacieux salon, aux murs peints en vert et décorés d'objets d'art africain.



SECONDE CHANCE