Chapitre 13 - Du bout des lèvre

Write by NafissaVonTeese

Précédemment

Pour s’éloigner de Seydina, Fama avait décidé de quitter la ville. Elle avait accepté l’offre de TranSylla et devait rallier la capitale au plus vite pour occuper son nouveau poste.

Elle n’en avait touché aucun mot à Seydina, mais son père l’avait appelé à la dernière minute pour lui dire qu’elle partait. Celui-ci, après avoir retrouvé Fama à la gare, lui avait demandé de l’épouser.

***

 

-         Epouse-moi Fama.

 

Durant un instant, elle se perdit dans le regard gris et profond de Seydina. Chaque moment passé avec lui durant les quatre mois précédents, défilèrent dans sa tête, image après image. Tous les sentiments qu’elle refoulait, resurgirent en une fraction de seconde. Même si Fama s’était psychologiquement préparée des années durant, à vivre cet instant précis, elle n’arrivait pas à croire que ça lui arrivait, à elle.

Seydina lui donna l’impression d’être si sûr de lui, qu’elle en oublia un instant tout ce qui existait autour d’eux.

 

« Isabella »

 

Ce prénom surgit inopinément dans son esprit confus. Fama tomba aussitôt de son petit nuage. Seydina avait les mêmes yeux gris que sa mère et depuis quelques temps, cela la troublait plus que ça ne l’attirait.

 

Elle en voulut cruellement à son père de lui avoir dit qu’elle quittait la ville. Elle ne s’y attendait pas, mais Seydina était bien là. Elle pouvait le toucher, sentir sa respiration sur visage, elle avait entendu mot après mot la phrase qu’il venait de prononcer, mais elle eut du mal à y croire. Il ne pouvait pas lui faire cela, surtout pas après qu’elle ait réussi à accepter de tourner la page et recommencer une nouvelle vie sans lui.

 

-         Pourquoi ?

 

-         Parce-qu’on s’aime, affirma Seydina sans aucune hésitation, tout en ne prenant pas le soin de cacher sa surprise face à la question de Fama.

 

Elle qui rêvait de ce moment depuis des années, fut déçue du sentiment qui l’envahit. Fama se sentit atrocement gênée de toute l’attention  que lui portait l’assistance. Elle avait jeté un regard attentif autour d’elle, cherchant désespérément un endroit hors du champ de vision de tous ces hommes qui guettaient le moindre mot ou geste.

Fama avait attrapé Seydina par le bras avant de l’entrainer en dehors de la gare. Il l’avait suivi sans aucune réticence.

 

Quand ils se retrouvèrent enfin seuls, Fama l’attira de toutes ses forces contre elle avant de l’embrasser avec fougue. Seydina avait répondu à son baiser, mais ne put s’empêcher de la repousser. Avec un sourire marquant son enthousiasme, il lui lança :

 

-         Je prends cela pour un oui.

 

-         Prends cela pour un adieu.

 

-         Quoi ?

 

Les traits du visage de Seydina se froissèrent aussitôt. Il aurait aimé avoir mal entendu, mais Fama resta campée dans une froideur qui avait progressivement gagné son regard.

Il n’arrivait pas à comprendre. Il ne comprenait d’ailleurs plus rien aux réactions inattendues et insensées de Fama depuis des semaines, et il trouvait qu’il était temps qu’il y mette un terme.

 

-         Je ne sais pas ce que j’ai fait de si mal pour que tu m’en veuilles au point de vouloir me quitter mais je suis désolé. Je te demande pardon. Maintenant arrête ça s’il te plait et épouse moi.

 

-         Non ; avait-elle répondu même si le contraire lui brulait les lèvres.

 

Seydina lui, peinait pas réaliser la réponse de Fama qui ne laissait paraître aucune hésitation. En essayant de respecter la volonté de Fama en se tenant loin de lui, il avait compris à quel point il l’aimait. Il l’aimait de tout son être, et avait toujours été convaincu que cela était de même pour elle ; jusqu’à cet instant précis. Fama avait bien dit non. Cela avait résonné dans sa tête des secondes plus tard, avant de se dissiper, lui laissant un sentiment amer qui se dessinait tel un mélange de déception, d’incompréhension et de colère. L’enthousiasme et l’excitation qui l’animaient depuis qu’il eut l’idée de demander à la femme qu’il aimait de l’épouser, disparurent en une seconde.

 

-         A quoi est-ce que tu joues ?

 

-         A rien. Je ne peux pas tout simplement.

 

-         Tout simplement ?

 

Seydina s’attendait à beaucoup plus comme explication ou même excuse. A ses yeux, une seule chose pouvait pousser Fama à vouloir s’éloigner ainsi de lui. Et même s’il refusait d’accepter cette éventualité, il avait besoin qu’elle lui dise la vérité avec ses propres mots.

 

-         Tu ne ressens plus rien pour moi. C’est ça ?

 

-         Seydina…

 

Il l’avait pris dans ses bras avant qu’elle ne dise un seul mot de plus, avec une tendresse dont il n’avait jamais fait preuve auparavant. Seydina avait laissé ses yeux se refermer avant de chuchoter.

               

-         Je sais que tu m’aimes. Tu ne me l’as jamais dit, mais j’en suis certain. Je l’ai vu dans chacun de tes regards posés sur moi. Je l’ai ressenti dans chacune de tes caresses. Tu ne te sens pas encore prête. Je le sais parce-que je peux ressentir tout ce que tu ressens comme si nous ne faisions qu’un. Alors peu importe le temps que cela prendra, j’attendrai.

 

Fama ne savait que dire. La complicité qui subsistait entre eux la poussait très souvent à voir en Seydina son meilleur ami plutôt que son petit ami, mais elle l’aimait. La passion n’avait jamais pris de place dans sa vie mais ce qu’elle ressentait à cet instant y ressemblait fortement. Elle l’avait pourtant repoussé, à contrecœur.

 

-         Je suis désolée ; dit-elle avant de lui tourner le dos.

 

Seydina eut envie de la supplier, et même à genoux s’il le fallait, mais il se ravisa en la voyant s’éloigner à pas certains.

 

-         Ais au moins la décence de me dire en face que tu ne m’aimes pas Fama Guéye ; s’écria-t-il.

 

Elle s’était arrêtée, et sans se retourner, pour ne pas que les premiers rayons du soleil qui se dévoilaient éclairent les larmes qui traversaient le long de ses joues, elle lui lança du bout des lèvres :

 

-         Bien-sûr que je t’aime.

 

Ses doigts se crispèrent quand elle s’entendit prononcer ces mots. Le bus qui devait l’amener à la capitale, vers sa nouvelle vie, l’attendait. Alors elle s’en alla, avec l’impression de laisser derrière elle ce qu’elle avait de plus cher.

 

C’est en retrouvant ses parents que Fama se rappela qu’elle était censée revenir avec du café.

 

-         Où est-ce que tu étais passée ? demanda son père. On commençait à se faire du souci.

 

-         J’ai cherché partout du café. Il y’en a nulle part.

 

Cela se voyait à la mine qu’elle affichait, qu’elle mentait, mais c’était le cadet de ses soucis. Elle voulait juste quitter cet endroit et au plus vite.

 

***

Perdue dans ses pensées, Fama n’avait cessé de regarder à travers la vitre durant tout le trajet. A chaque arrêt, elle gardait un œil attentif sur chaque personne qui montait, espérant voir Seydina. Elle avait changé d’avis. Elle voulait être avec l’homme qu’elle aimait, peu importe les menaces de Isabella ou encore le prix à payer.

 

Les kilomètres qui la séparaient de Dakar se réduisirent au fil des minutes qui passaient, jusqu’à ce que le bus se retrouve mêlé à deux ribambelles de voitures. Fama comprit qu’elle était arrivée à bon port.

Une vingtaine de minutes plus tard, elle avait enfin pu quitter le bus et récupérer sa valise.

 

Comme recommandée, elle avait appelé sur le numéro de téléphone d’un certain Ali qui devait passer la prendre à la gare pour l’accompagner à  un studio dans un immeuble pour étudiants se trouvant à moins de 5 minutes de marche de son nouveau lieu de travail. Son nouveau patron était aux petits soins. Il avait insisté pour lui offrir deux mois de loyer, mais Fama savait que ces petites attentions ne duraient jamais assez longtemps dans le milieu professionnel.

 

A la deuxième sonnerie, une voix rauque se fit entendre.

 

-         Ce n’est pas trop tôt.

 

-         Excusez-moi ? avait aussitôt répondu Fama.

 

-         Une heure de retard ça ne te dit rien ?

 

Désorientée et lasse, Fama chercha désespérément des mots à la hauteur du ton désagréable qu’avait utilisé l’homme, quand elle entendit le bip de fin d’appel.

 

« Pauvre crétin », avait-elle dit sans retenu. Elle entendit aussitôt des klaxons répétés venant derrière elle. Quand elle se retourna, elle vit un jeune homme en tee-shirt et jean noirs, perché sur un scooter.

 

-         Alors tu grimpes ou pas ? demanda-t-il en désignant avec un moment de la tête, l’arrière de l’engin.

 

-         Non non, reprit Fama. Il doit y avoir une erreur.

 

-         Tu es bien  la petite nouvelle de mon équipe à TranSylla non ?

-         Oui mais… Fama s’était arrêtée quelques secondes pour examiner le jeune homme qui la regardait de haut. Tu es bien Ali ? Le chauffeur qui doit passer me prendre ?

 

-         Petite précision : pour toi, c’est Monsieur Ali Sylla. Sylla comme TranSylla. En d’autres termes, ton supérieur, ton patron, ton boss, si tu veux. Maintenant allons-y. Je n’ai pas que ça à faire.

 

-         Sur ce scooter ? Hors de question.

 

- Je vois ; dit-il après un bref ricanement. Primo : ce n’est pas un scooter. C’est un Tmax Irom Max ABS 2016. Deuxio : tu auras à gérer toute une flotte de scooters de livraison sous ma tutelle. Alors je te conseille d’apprendre dès maintenant à les aimer et les respecter plus que ta petite personne.

 

Fama eut un doute. Elle savait qu’elle allait commercer par promouvoir le lancement d’un nouveau service de livraison express mais personne ne lui avait parlé de véhicules à deux roues. En inspectant à nouveau le jeune qui avait mis son casque, elle se demanda quel âge il devait avoir. A peine une vingtaine d’années conclut-elle.

 

« Nouvelle expérience » se dit-elle. Mais il y avait un léger souci.

 

-         Qu’est-ce qu’on fait de ma valise ?

 

-         Tu es déjà venue à notre siège non ?

 

-         Oui.

 

-         Prends un taxi et retrouve-moi s’y.

 

Il avait aussitôt démarré sa moto avant de disparaitre du décor.

 

« Ça commence bien ! ».

Fama se consola en se persuadant qu’elle allait certainement trouver très vite une occasion de lui faire payer ton accueil désagréable.

 

Elle avait tiré sa valise jusqu’à trouver un taxi avant de sauter dessus. Dès que le chauffeur s’élança sur la route, elle s’abandonna sur le siège. Son corps était épuisé et son moral à zéro. Elle ne voulait plus que prendre une douche et dormir des heures et des heures.

La sonnerie de son téléphone rangé dans la poche de son jean la fit sursauter. Fama s’empara de l’appareil et décrocha aussitôt.

 

- Allo Ma ! Je suis bien arrivée.

 

- Dieu merci.

 

Un court silence s’en suivit et cela inquiéta Fama. Ce n’était pas dans les habitudes de sa mère.

 

-         Tout va bien Ma ?

 

-         Oui mais j’ai une mauvaise nouvelle.

 

-         Il n’est rien arrivé aux garçons j’espère ; fit Fama en retenant sa respiration.

 

-         Non. Tes frères vont bien. C’est Seydina.

 

-         Qu’est-ce qu’il a encore fait ? demanda-t-elle en lâchant un soupir de soulagement.

 

-         Il a disparu.

 

-         Comment ça disparu ? Il fait tout simplement son cinéma habituel d’enfant pourri gâté par sa mégère de génitrice. Il reviendra.

 

-         Ça a l’air sérieux. Il a quitté au petit matin chez lui avec la voiture de son père.

 

-         Et alors ? Il reviendra je te dis.

 

-         On a retrouvé la voiture dans le fleuve, sans aucune trace de lui.

Nafissa

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