Chapitre 14
Write by Meritamon
Le lendemain matin, à son réveil, Serena se
sentait mieux. C’était sans doute l’effet du massage prodigué par les soins de
Tahaa. Elle s’étira dans le lit, puis écouta la voix mélodieuse du muezzin dans
le lointain qui appelait à la première prière de l’aube. La maison n’allait pas
tarder à s’éveiller. Bientôt, l’odeur du pain de Nafi, embaumera tous les recoins.
Serena commençait à apprécier le quotidien du domaine et de la maison grouillante de monde, de femmes et d’hommes issus de la parenté des Badr, de petits cousins et d’enfants. Toutes ces personnes, à l’exception de Zeinab, n’avaient que de la sollicitude pour elle, l’étrangère venue d’ailleurs. Les enfants surtout l’adoraient et venaient l’épier quand elle se préparait dans sa chambre, à l’affût des sucettes et des friandises qu’elle ne manquait pas de leur donner.
Elle adorait surtout les
soirées à l’extérieur quand le ciel était rempli d’étoiles et qu’un grand feu
était allumé près de l’immense fromager. Inna, conteuse incomparable, se
mettait alors à raconter des contes et des légendes d’autres époques sous les
yeux captivés d’une audience attentive. D’habitude, Serena se mettait près de
Nafi qui lui traduisait le sens des paroles en français. Des aventures
rocambolesques du Lion, du Lièvre et de l’Hyène. Un enfant s’endormait parfois sur
ses genoux.
La jeune femme sentait qu’une partie d’elle se
transformait au contact de cette région et de ces gens simples et chaleureux qui,
la plupart, sans savoir de qui elle était la fille, lui avaient ouvert leurs
cœurs.
Bien sûr, il y avait Tahaa. Celui là qu’elle
prenait plaisir à détester et à admirer en même temps, à être secrètement
attirée par lui.
Ce matin-là, il vint la voir.
-
Voulez-vous voir
les plantations avec moi? entendit-elle lui proposer près du fourneau aux
braises rougeoyantes sur lesquelles frémissait le carafon de café qu’elle
surveillait.
Tahaa surprit la lueur d’intérêt dans les
grands yeux noirs. Serena hésita malgré la grande excitation qu’elle essayait
d’étouffer.
-
Avec vous?... je
veux dire, c’est vrai?
Il lui sourit, moqueur.
-
Avec qui d’autre,
voyons? Préparez-vous, je pars dans trente minutes. Depuis que vous êtes ici,
vous n’êtes pas descendue dans la vallée. Vous avez de la chance puisque j’ai
du temps aujourd’hui pour vous faire la visite.
Quelques minutes plus tard après le
petit-déjeuner, elle l’attendait devant sa camionnette, après avoir revêtu des
vêtements confortables. Elle réalisa que les choses changeaient dans leurs relations,
dans son attitude à lui qui était plus clémente envers elle.
La preuve, dans l’auto, il s’enquit de son
état de santé.
-
Votre dos vous
fait encore mal?
-
Non, je vais
mieux. Votre onguent m’a beaucoup aidé, et J’ai dormi comme un bébé.
Elle fut gênée d’aborder avec lui son massage
qui avait été libérateur; elle qui, auparavant, ne supportait pas d’être
touchée.
Il opina en démarrant la camionnette avec son
éternel sourire en coin qu’elle trouvait irrésistible.
-
Je vous avais
promis que ça ferait son effet.
La camionnette s’engagea sur une piste
rougeâtre au milieu des grands arbres. Ils traversèrent un village. Tahaa
klaxonna amicalement à la vue d’un groupe de villageois qui le saluèrent avec
effusion.
-
Comment s’est passé
votre rencard d’hier soir ? S’enquit Serena, de façon faussement détachée.
Tahaa soupira,
ennuyé, en se souvenant de son rendez-vous galant de la veille.
-
Une perte de temps.
La fille que j’ai rencontrée ne veut pas vivre à la campagne, alors...
Il haussa ses
épaules, indifférent.
-
C’est tout? C’est
cela votre critère de sélection ?
-
C’est le plus
important, jugea-t-il.
-
Et l’amour dans
tout ça?
Les yeux de Tahaa
quittèrent la route un instant pour la dévisager, narquois. Puis, il éclata de
rire.
-
Vous et moi ne
croyons pas en l’amour, pourquoi perdre du temps sur cette notion? Je recherche
seulement une femme assez fertile qui me donnera des enfants afin d’assurer la
continuité de notre lignée. C’est tout. Le reste n’est qu’accessoire.
Serena fut cillée
par son cynisme. Elle lui fit la remarque.
-
Je ne suis pas
cynique. J’ai le sens pratique des choses. Et honnêtement, je suis fatigué de
tout le cirque qu’il faut faire avec les femmes. De devoir leur parler, les séduire,
leur sortir le grand jeu au restaurant. C’est lassant. J’ai souvent envie
d’aller droit au but.
-
Droit au but?
Demanda naïvement Serena.
-
Les avoir dans mon
lit. Conclure sans faire tous ces détours inutiles, expliqua-t-il, mutin. De
toutes les façons, elles finissent par aimer ça et en redemandent, insatiables du
plaisir que je leur donne.
Serena ouvrit
grands les yeux, scandalisée par ses propos et sa prétention, son assurance
sans limites. Quel goujat, pensa-t-elle, déçue.
-
Votre vision de la
femme est hallucinante : poule pondeuse et objet sexuel, voilà ce que j’ai
noté dans vos propos.
Tahaa sourit amusé
de la voir monter sur ses grands chevaux pour si peu.
-
Mon Dieu ! Vous êtes facilement choquée, Serena. Surtout
quand on aborde la sexualité avec vous. C’est croire que vous ne connaissez
rien en ces choses. Vous avez été élevée dans un couvent ou quoi?
Troublée, la jeune
femme regarda le beau paysage qui défilait à travers la vitre ouverte. Que
faut-il lui répondre? Elle avait été conditionnée afin de préserver sa vertu contre
les hommes. De plus, elle n’avait fréquenté que des pensionnats exclusivement
réservés aux jeunes filles. Hormis les frères de ses amies tel que Jay Patel par exemple, elle ne connaissait personnellement aucun garçon hors de son
entourage. Même à la Fac à Londres, elle avait évité les soirées d’initiation
pour les nouveaux étudiants, dans lesquelles on se soûlait jusqu’au coma, de
peur de se retrouver dans une situation compromettante.
-
Vous avez raison,
Tahaa. Je ne suis pas très experte en ces questions, mais je sais reconnaître
un macho doublé d'un misogyne quand j’en vois un.
L’homme ne se
formalisa pas de sa remarque. Ça l’amusait même beaucoup cette conversation.
-
Si vous êtes
désagréable et froide avec les hommes, je crains de vous voir mariée un jour.
Ils vous fuiront comme la peste.
Il lui jeta un coup
d’œil amusé pour voir sa réaction. Elle était belle avec ses cheveux dans le
vent. Désirable aussi. Il la voulait cette panthère…
-
Pour ma part, le
mariage n’est pas une finalité. Mon père m’a toujours appris cela. Et dans mon
cas, si jamais je me marie, ce que je doute très fort, ça sera pour un mariage
de raison où les intérêts vont primer sur les sentiments. Et ce jour-là, à
l’autel, lorsque je dirais « Oui, je le veux », je penserai
plutôt « Oui, Je le dois ».
-
Et c’est moi que
vous avez traité de cynique, Serena? S’exclama Tahaa, choqué.
« Vous
êtes plus radicale que moi sur cette question de mariage. Au moins, nous avons une
chose en commun tous les deux ».
Il y eut un silence
alors que la savane défilait et que la route s’étirait comme un long ruban
devant eux. Ils étaient tous les deux plongés dans leurs pensées. Tahaa rompit
le silence.
-
Vos parents se sont
séparés, c’est cela? Demanda-t-il.
-
Oui, il y a
longtemps. Un jour, ma mère nous a quitté mon père et moi pour refaire sa vie.
C’était un divorce déchirant. dit-elle pudiquement.
-
Je vois d’où vient
votre traumatisme du mariage. Parce que cette séparation vous a affectée?
Elle avait haussé
les épaules avec le désir d’éviter ce sujet si délicat.
-
Je ne sais pas.
Sans doute. Il y avait beaucoup de disputes à la maison, beaucoup d’animosité
entre deux êtres qui ne s’aimaient plus. Je n’aime pas évoquer cette période de
ma vie.
Tahaa se rendit
compte de son évitement.
-
Je comprends. Nous
avons tous nos secrets.
Un jour peut-être,
avant qu’elle parte, elle pourra s’ouvrir à lui. Et il saura la tristesse qui
voilait ses yeux.
**************
Quand Tahaa lui
montra ses plantations, Serena eut le souffle coupé. C’était immense! Les
labours étaient terminés, les tracteurs et l’outillage rangés sagement dans les
clairières de palmiers qui rivalisaient avec les arbres fruitiers. Le riz, le
maïs et d’autres céréales n’avaient pas encore été plantées et on irait les
chercher, encore jeunes pousses dans les pépinières pour les transplanter dans
le sol préparé à cet usage. Dans quelques semaines, des hectares de cultures
s’étendraient à perte de vue, loin à l’horizon.
-
C’est beau, souffla
Serena, émerveillée. Est-ce que c’est des bassins pour la rétention des eaux de
pluies ? Désigna-t-elle.
-
Oui, il y a eu quelques
sécheresses par le passé. Il a fallu construire ces bassins qui retiennent l’eau
de pluie, et tracer des canaux dans la vallée. Le système d’irrigation m’a coûté
beaucoup d’argent. Mais je suis content que ça fonctionne. Si tout va bien.
Nous pourrions même avoir deux récoltes plutôt qu’une dans les prochaines
années.
-
Je suis
impressionnée, avoua-t-elle.
De la colline sur
laquelle elle était juchée en compagnie de Tahaa, la jeune femme admira
secrètement son ingénuosité. Tout cela n’était que le fruit du labeur de
l’homme à ses côtés, son acharnement, son savoir-faire. C’était son œuvre, le
bijou qu’il avait durement ciselé au cours des saisons, des années.
-
C’est vous qui avez
fait ça?
-
En partie. Il
y a d’abord eu mon arrière-grand-père, un aventurier arabe qui s’installa dans
la région. Il tomba amoureux de ce pays et au fil du temps, il y acheta des
terres fertiles. Ensuite, il épousa une peule du coin et s’établit
définitivement ici, à Diarri. Les générations qui ont suivies ont apporté leur
contribution. Et aujourd’hui tout ceci représente mon héritage à moi, à Amara
et à Idy.
Serena eut un
pincement au cœur en pensant à Idy, pour qui ces terres étaient le cimetière de ses rêves, comme il le disait
si bien.
Il disait que son
frère Tahaa s’acharnait à sauver ce qui n’est plus, l’ancien monde paysan qui
disparaissait des zones rurales parce que les campagnes se vidaient de leurs jeunes,
attirés par d’autres perspectives d’emploi dans les grandes villes.
Serena, avec son
intelligence avait vite compris combien ce travail était mesquin, mal rémunéré,
sans filet de sécurité, sans statut et reconnaissance sociale valorisée. Et il
y avait des hommes comme Tahaa, qui allaient à l’encontre de tous ces préjugés
et portaient valeureusement ce métier. Tahaa lui-même se définissait comme un
entrepreneur agricole.
Peut-être qu’Idy
avait tort, qu’il suffisait de voir au-delà, avec le financement adéquat, les
technologies, la recherche de nouveaux marchés, la transformation sur place des
produits....
-
Goûtez à ça, lui dit
Tahaa en l’arrachant de ses pensées foisonnantes.
Il lui tendit une
orange qu’il avait pelée avec son canif. C’était la saison des oranges. Serena
mordit sans hésiter dans la pulpe juteuse avec une telle volupté que l’homme en
ressentit un plaisir de la voir ainsi, sans filtre. Combien de temps allait-il
résister à la tentation de l’embrasser?
-
C’est tellement bon…
J’avoue que tout ce que je mange ici est délicieux et frais, avoua-t-elle les
yeux rieurs sans se douter des pensées de Tahaa.
-
Ne vous y habituez
pas trop, ça risque de vous manquer quand vous retournerez chez vous, fit l’homme,
narquois.
À cette idée, le cœur
de Serena se serra. Elle ne pouvait imaginer que tout ça allait lui manquer.
Elle regarda Tahaa s’éloigner et il n’y eut aucun doute qu’elle l’appréciait
désormais.
Bonjour, je sais qu'il y a parmi vous qui attendent le développement des choses. J'ai pris plaisir à vous faire languir. Non, je plaisante. Il fallait pour le cours des choses que j'écrive cette partie, contexte agricole oblige.
Merci de liker. à tout à l'heure pour le prochain chapitre.