chapitre 14
Write by leilaji
Chapitre 14
***Elle***
Je rêve ou Denis vient de me tirer hors de la salle sous les yeux furieux d’Adrien ?! Non je ne rêve pas, c’est ce qui s’est réellement passé puisque Leila a retenu avec peine un sourire amusé. Je vais être dans de sales draps et elle, elle s’amuse !!! Je lui rappellerai volontiers qui de nous deux est la grande sœur … si je sors vivante de cette journée.
Et puis c’est quoi ces manières ? Est-ce qu’il a le droit de débarquer ainsi et de me tirer comme une simple poupée de chiffon devant … Adrien ? Je n’ai même pas eu le temps d’en placer une.
Sa poigne est trop forte pour que je puisse lui retirer ma main. Je l’observe tout en le suivant aussi bien que je le peux malgré mes hauts talons. Il cherche rapidement une autre salle, vide de préférence et nous y fait entrer de force. Après avoir regardé si personne ne nous a suivis, il claque la porte et s’assoit sur le bord de la table. Denis ! Quel homme ? Est-ce qu’il a même conscience de ce qu’il projette ? Cette assurance qu’il jette au visage de ses interlocuteurs !
S’il croit que les choses vont reprendre entre nous, il se fourre le doigt très profond dans l’œil.
- Qu’as-tu dit à Leila ?
Pfff. Il s’agit de Leila ! Je me demande bien pourquoi je suis surprise. Est-ce qu’autre chose l’intéresse dans la vie si ce n’est Leila ?
- Quoi ?!
- Est-ce que tu as parlé à Leila ? insiste-t-il.
- Parler de quoi Denis ?
- Ne fais pas l’innocente Elle. Lui as-tu parlé ?
- Je ne sais absolument pas de quoi tu parles… je dis pour le faire mariner un peu.
Après tout il le mérite bien pour m’avoir fait rêver un moment.
- Elle. … s’il te plait…
- Calme toi, je lui ai rien dit.
- Alors pourquoi me tanne-t-elle avec mon fameux … secret ?
- J’ai failli déraper, c’est tout.
Il soupire de soulagement et je me mets à rire. Seigneur j’étais amoureuse de cet homme, du moins je croyais l’être. J’ai vraiment cru que mon cœur ne s’en remettrait jamais quand il n’a pas voulu de moi alors que j’avais divorcé pour être avec lui. Pleinement.
Et les jours ont passé…
Et la page est tournée.
Ce que je vis en ce moment avec Adrien n’a absolument rien de comparable avec mon histoire avec Denis.
Denis me faisait planer.
Adrien me rend heureuse.
Il y a une grande différence dans ces deux états mais il faut de la maturité pour s’en rendre compte. Et après tout ce que j’ai traversé, tous ces sacrifices que j’ai fait pour rendre mon mari heureux, je sais combien de fois ça fait du bien d’être dans les bras d’un homme tel Adrien.
- Qu’est-ce qui te fait rire comme ça ?
- De te voir trembler devant une toute petite femme comme Leila. De me rendre compte que malgré tout, tu sembles encore plus malheureux maintenant que lorsqu’on s’est quitté alors que moi, tu vois… Je m’en sors. J’avance.
Denis ferme les yeux accablés.
- Si encore ça pouvait moi aussi m’amuser Elle. Dit-il les yeux dans le vide. Mais c’est une torture de tous les instants et j’ai l’impression que plus le temps passe plus ça s’empire et moins j’arrive à tout dissimuler. Il y a même des jours où … je rêve que Xander lui fasse du mal et que je puisse enfin m’occuper d’elle avant de me rendre compte que … c’est du pur délire. C’est du pur délire. S’écrit-il en se levant. Xander est comme un frère pour moi. Dit-il en faisant de grands gestes de la main. Ma position est intenable Elle. Douloureuse et intenable.
- Éloigne-toi d’elle, c’est la seule façon d’y arriver. Je lui conseille en m’approchant de lui pour le calmer un peu.
- Je ne peux pas… C’est trop me demander.
- Denis… Si tu la veux autant dis-toi bien que c’est parce que tu sais qu’elle est la seule personne que tout ton argent ne peut acheter. Tu veux la posséder comme tu as posséder toutes les autres avant moi, moi y compris. Mais l’aimes-tu vraiment ? C’est un caprice que ton cœur te fait. Tu as l’habitude d’avoir tout ce que tu désires. Et pour une fois tu rencontres une résistance qui t’agace. Je ne pense pas que tu sois réellement amoureux Denis.
- Si tu étais dans mon cœur Elle. Tu saurais.
Je l’ai évité tellement longtemps. J’avais peur d’avoir refoulé de la colère à son encontre. Et là, alors qu’il est devant moi, charmant comme à son habitude, toujours bien mis, sentant le luxe à plein nez, je ne ressens rien. Peut-être la petite excitation que toute femme ressent devant un homme qui peu changer sa vie en un claquement de main, oui ça je le reconnais. C’est l’effet que Denis fait à toute femme, qu’elle le veuille ou non. Quand on le voit, on sait immédiatement qu’on a tiré le gros lot. On sait que les cadeaux vont pleuvoir. On sait qu’on aura tout, absolument tout de lui. Sauf son cœur. Mais pour ce qui est des sentiments que je croyais avoir pour lui, ils se sont volatilisés avec le temps. J’ai réellement tourné la page. Je ne serai plus obligé de l’éviter à tout prix. Pourquoi ? Parce qu’un autre homme a complètement envahi ma tête.
Mais au fond, Denis ne m’a fait aucune promesse qu’il n’a pas tenue. Non. C’est peut-être un mec dur mais ce n’est pas un salop.
- Il faut que tu m’aides.
- Moi ? Pourquoi ? Ecoute c’est déjà assez difficile de vous gérer tous les deux comme amis et surtout lorsque je compte Xander dans le lot. Tout ça me met mal à l’aise, je n’aime pas les secrets.
- Elle. Comme tu viens de le dire on est ami n’est-ce pas ?
Je le regarde. Evidemment qu’on est ami. Si on n’était pas ami, ça fait longtemps que je lui aurai donné une bonne claque pour m’avoir tirée ainsi de la salle de réunion.
- Alors, je t’en prie… ne me laisse pas seul sur ce coup. Ca va me passer, c’est juste qu’en ce moment, je me sens … encore plus seul qu’auparavant. Je vieillis Elle, j’ai des cheveux blancs qui apparaissent. Les boites de nuits, les filles d’un soir, le fric c’est marrant un moment mais au bout du compte, il y a des choses plus importantes. J’ai de la famille que je ne fréquente pas, pas d’enfant, pas de charges en tant que tel, pas de femmes… Je ne suis pas à plaindre, je le reconnais volontiers. Je sais que je n’ai pas le droit de te demander un tel service après ce qui s’est passé entre nous mais … je sais aussi que tu es une femme bien. Je sais que tu veux préserver Leila. Préserve-la de moi, tout en me permettant d’être près d’elle.
Ce qu’il me demande est très compliqué, mais je me promets d’essayer. Je suis la grande, je préserve le groupe n’est-ce pas ? Leila c’est ma petite sœur et elle mérite de rester heureuse avec son mari et de garder Denis comme ami. Elle a beaucoup d’affection pour lui. Mais surtout XAnder qui s’est complètement coupé de sa famille voue à Denis une confiance sans borne.
Quelle situation … compliquée !
Une fois ce secret dehors, il n’y aura plus de groupe. Xander ne peut pas accepter que son ami et frère … Bref je préfère ne même pas imaginer ce que cet indien fou pourrait faire. Il a déjà failli défoncer un homme qui courrait après Leila avec une batte de base ball. Et je l’ai vu en colère. Il fait peur quand il est en colère.
Denis me sourit et c’est très étrange, ce sourire m’attendrit. Je comprends sa détresse. Je comprends surtout que j’ai eu de la chance de pouvoir me détacher de lui à temps.
- Alors tu … me pardonnes ?
- Il n’y a rien à pardonner Denis, tu as été clair avec moi dès le départ.
- Je peux donc compter sur toi pour n’en parler à personne. Tu gardes ça pour toi.
- A qui voudrais-tu que je le raconte franchement !?
Il se lève et me prend dans ses bras, pour me serrer très fort. Je me laisse aller. Je me demande bien comment tout ça va tourner.
La porte s’ouvre sur Adrien. Je me sépare immédiatement de Denis en essayant de ne pas avoir l’air trop coupable.
Adrien reste planté là à nous regarder puis il fourre ses mains dans ses poches:
- On y va Elle. Ordonne –t-il très calmement.
- On n’a pas fini. Réplique Denis.
- Oh si vous avez fini. Dit-il en regardant Denis dans les yeux.
Ok. Je sens qu’il ne faut pas qu’on s’éternise dans cette salle.
- Heu Denis ça va. On a fini, le message est passé. Ok ? dis-je pour calmer tout le monde.
Denis regarde Adrien. La tension dans la salle me fait froid dans le dos. Il se redresse de toute sa hauteur et sourit avec malice tandis qu’Adrien reste parfaitement froid.
- Adrien avance je te rattrape.
- Non, on y va maintenant.
Aka (expression d’étonnement) c’est maintenant comme ça ? Denis me serre une nouvelle fois dans ses bras avant de me dire de prendre soin de moi et il s’en va accompagné de ses gardes du corps qui l’attendaient devant la porte.
- Adrien je…
- Chut Elle. Laisse moi me calmer d’accord ?
Aie. Bon Adrien énervé, ce n’est pas tous les jours que je peux admirer ce spectacle, il faut bien le reconnaître. C’est un mec toujours zen habituellement. Il me regarde longuement puis me caresse la joue tout doucement avant de desserrer la mâchoire le visage plus détendu.
- Qu’est-ce qui se passe avec ce Denis ?
- Rien Adrien.
- Rien ?
- Rien qui te concerne. C’est entre lui et moi.
- Entre lui et toi ? Elle entre lui et toi ?
- T’affole pas, ce n’est qu’un ex…
- C’est de mieux en mieux parce qu’en plus t’as couché avec lui.
Bon là il m’énerve un peu.
- Oui j’ai couché avec lui et alors ?
- Ne me réponds pas comme ça.
- Comment veux tu que je te réponde ? Oh s’il te plait maitre Adrien pardonne moi d’avoir couché avec d’autres mecs que toi sur cette vaste planète !!!
- Ne fais pas ça Elle.
- Faire quoi ?
- Te braquer comme ça… De quoi parliez-vous ?
- Ca ne te regarde pas.
- Ah bon ?
- Bah comme ça, il n’y pas que toi qui a des secrets Adrien. dis-je en croisant les bras sur ma poitrine.
- Ok.
Et il s’en va. Quoi c’est tout. Juste Ok… Et il me tourne le dos ?
Pffff. Ce mec va me rendre dingue. J’aime tout ce qu’il fait. Même quand il est énervé contre moi et qu’il s’en va sans me dire quoi que ce soit, j’ai envie de lui courir après. Je crois que je commence à être vraiment atteinte là.
***En après midi***
***Adrien, en salle de consultation à la clinique Adan***
Pourquoi ai-je choisi la pédiatrie ?
Parce que … les enfants méritent d’être protégés. Ils sont vulnérables, fragiles. La plus part de mes patients sont incapables de me dire ce qui leur fait mal ou qui leur fait mal. Ils me regardent, ils pleurent ou rient mais ne me disent rien. Il faut diagnostiquer autrement, être à l’écoute de chaque indice. Par ailleurs recevoir un patient pour moi, c’est souvent recevoir une famille : bébé, parents ou papa un jour, maman un autre jour. Soigner des enfants n’est pas la même chose que soigner des adultes. Les enfants sont en perpétuelle croissance, leurs corps mutent chaque année. Un adulte lui, ne change pas.
Mais la pédiatrie ce n’est pas que le diagnostic, les bisous baveux de bébés et les ordonnances… Non, il faut aussi faire de la prévention dans des domaines complètements différents: obésité, puberté, premier rapport sexuel donc contraception, premier problème avec l’alcool ou la drogue, problème de famille telle : la violence ou encore l’échec scolaire.
J’aurai pu choisir une spécialisation plus pointue. Oui j’aurai pu. Mais j’ai promis à Claire de réaliser son rêve. Et je suis fier d’avoir réussi.
Il est temps de faire rentrer le premier patient. Je regarde ma montre. Un très long après midi m’attend.
Une famille introduite par mon infirmière se présente, avec un petit garçon de 5 mois habillé comme une petite carotte. Je souris pour mettre tout le monde en confiance car je reconnais immédiatement le petit et c’est un cas qui me met mal à l’aise. Je les avais reçu la dernière fois et avait diagnostiqué un bébé secoué devant des symptômes neurologiques que j’avais constaté. Les parents m’avaient parlé de vomissements et le jour où j’avais consulté l’enfant, il était d’une pâleur étrange. C’était un bébé plutôt vigoureux depuis sa naissance mais maintenant, il réagissait très peu aux stimuli. J’ai réalisé sur l'enfant dénudé, un examen clinique comprenant notamment la palpation de la fontanelle, la mesure du périmètre crânien et la recherche d'ecchymoses sur le thorax et le cuir chevelu. J’avais trouvé les signes très évocateurs et fait procéder à des examens d'imagerie cérébrale (scanner) pour y rechercher des hématomes sous-duraux. J’ai aussi demandé à l’ophtalmologue de la clinique de confirmer l’hémorragie rétinienne constatée.
Et maintenant, J’écoute les parents me répéter une nouvelle fois les circonstances de l’accident de la dernière fois. La mère est bavarde, ajoute des éléments nouveaux, en retire, se contredit, rigole faussement puis se met à bafouiller en regardant son mari. Le père lui ne prononce aucun mot.
J’imagine bien comment les choses se sont passées. Fatigué par les pleurs incessants de l’enfant, une personne qui en avait la garde a craqué nerveusement et agité trop violemment le bébé. Secoué comme un prunier, son cerveau s’est écrasé contre sa boite crânienne, créant des hémorragies, des lésions importantes aux tissus et un gonflement du cerveau. La gravité de la blessure dépend souvent de la force et de la taille de l'enfant. Malheureusement, le bébé que j’ai sous les yeux n’est pas très costaud. Il va garder des séquelles, un retard mental peut-être, il y tellement de possibilités… Au moins a-t-il échappé à la mort car dans les cas grave, l’enfant décède.
Je regarde les deux parents. La malaise de la mère et le fait qu’elle évite de me regarder dans les yeux font que je la soupçonne elle et non pas le père ou une nounou.
Le bébé est dans les bras de son père qui le tient de manière très protectrice. Mais sa position est maladroite, on sent tout de suite qu’il n’a pas l’habitude de le faire. Tandis que sa femme ne cesse de le regarder, je commence à expliquer ce qui a pu se passer et quelles en sont les conséquences. C’est la partie la plus difficile à aborder. Voir la culpabilité s’inscrire tout doucement sur des visages aimants est difficile à soutenir.
- Non docteur vous vous trompez, c’est moi qui garde les enfants. Et je n’ai pas secoué Xavier. Pas comme vous l’avez dit en tout cas. Ce que vous dites est horrible ! Je ne ferai jamais une pareille chose à mon enfant… peut-être qu’il a le palu ou autre chose, cherchez bien. dit-elle en commençant à pleurer.
- Je n’accuse personne Madame Edembe. Comprenez-moi bien. Mais la secousse que la personne pensait banale peut être à l’origine de…
- C’est moi seule qui m’occupe des enfants alors c’est moi que vous accusez ! Mais je suis tellement fatiguée ces temps ci que je ne sais même plus ce qui s’est exactement passé. Dit-elle en baissant les yeux. Mon mari n’est jamais là et je dois en élever 6 déjà. J’ai passé les huit dernières années à être enceintes jusqu’aux yeux. Je n’en peux plus…
Ca se voit qu’elle est fatiguée et à bout de nerf. Ses cheveux sont en pagaille et elle est négligée tandis que le mari est sur son trente et un. Je suis sûr que ça doit même être la première fois qu’il tient l’enfant dans ses bras. C’est bien dommage mais son enfant et elle, vont payer toute leur vie un geste… un simple geste de colère qu’elle a cru anodin. Un geste qui un instant a soulagé sa colère tandis que son enfant pleurait et que peut-être les autres criaient en même temps et la transformaient en boule de nerfs. Qui sait comment les choses se sont passées.
Le mari se lève sans un regard pour sa femme.
- Donne-moi le bébé… propose-t-elle en se levant aussi.
- Jamais. hurle-t-il. A cause de toi, Xavier n’ira plus jamais bien. Est-ce que tu te rends compte de ce que tu as fait, espèce d’idiote…
- Je suis désolée. Je suis tellement fatiguée ces temps ci et il ne voulait pas dormir… Il n’arrêtait pas de pleurer et j’essayais de le calmer sans succès …
- Je vais aller déposer les enfants chez ma mère …
- Monsieur Edembe… j’essaie d’intervenir.
Il ne me regarde même pas et sort de la salle avec son fils dans les bras. Sa femme éclate en sanglot et soulève le sac à langer oublié par le mari. Recroquevillée dans la chaise, elle en dit plus rien et verse un torrent de larmes.
Je ne sais pas lequel des deux est le plus à plaindre. La femme qui toute sa vie s’est occupée de tous les enfants et gâche en quelques secondes la vie du dernier ou le mari qui regrettera toute sa vie de ne pas avoir été plus présent pour soutenir sa femme.
Qui a dit que c’était facile d’être pédiatre ?
Quelques minutes plus tard, une jeune fille entre accompagnée par l’infirmière. Elle est vraiment jeune, à peine sortie des premiers temps de la puberté. Mais je ne suis pas là pour juger. Avant toute chose, je fouille dans le carnet de santé de l’enfant pour vérifier les vaccins. Les jeunes filles ont souvent tendance à négliger les vaccins et leur rappel. Je tombe sur un nom de père surprenant après quelques pages:
Nom du père : Vandam
Prénom :…
Profession : Débrouilleur…
Quoi elle est sérieuse là ?
Oh seigneur quand je disais que l’après midi allait être long !
***21 heures, chez Adrien***
Je viens de courir quelques kilomètres pour déstresser un peu après la journée catastrophique que j’ai eue. Ca me fait du bien de me fatiguer ainsi. Je n’ai plus qu’à me doucher et à m’effondrer comme une masse sur mon lit. Je regarde quand même mon téléphone que j’ai abandonné au studio pour aller courir. J’ai quatre appels en absence. Je vérifie les numéros tout en me déshabillant pour prendre ma douche.
+33 66 66 78… : maman. Je respire à fond, réfléchis un bref instant car je sais pourquoi elle m’appelle. Je la rappelle. Elle décroche au bout de quelques secondes.
- Bonsoir mon chéri.
- Bonsoir.
- Comment vas-tu ? Ca fait longtemps que j’ai pu te parler au téléphone…
- Je suis très occupé.
- Jean Christophe te passe le bonjour. Je ne vais pas te déranger longtemps tu sais… Ca me gêne beaucoup de te demander ça comme ça mais j’aurai … besoin d’un peu d’argent.
- …
- Adrien tu es là ?
- Combien ? je demande froidement.
- LA même somme que la dernière fois, Adrien. Jean-Christophe touche une maigre pension et c’est un peu difficile en ce moment avec la hausse des prix …
Franchement tout son baratin habituel, je ne l’écoute même plus. Depuis que je connais cette femme, jamais elle ne m’a agréablement surpris. Jamais. Dès que j’ai vu le numéro s’afficher, je savais déjà ce qu’elle allait me demander. Ici avec son salaire d’expatrié, Jean Christophe vivait comme un pacha et la traitait comme une reine. C’est d’ailleurs ce qui a attiré ma mère chez cet homme qui avait le double de son âge. Il y a cinq ans, son contrat est arrivé à expiration (retraite oblige) et il a dû rentrer chez lui, en France. Elle l’y a suivi. Mais le retour aux bercails a été difficile, très dur pour un homme habitué à son rang d’expat. Les choses se sont dégradées entre eux, mais maman s’accroche. Elle aime l’idée d’y vivre et d’avoir laissé ses cousines dans son Gabon natal. C’est tout ce que cette femme sait faire : s’accrocher à un homme.
- Demain je te fais un virement.
- Merci mon chéri et toi comment vas…
J’ai raccroché. C’est ma mère, je ne peux pas m’empêcher de l’aider. C’est plus fort que moi surtout que ça me permet de la tenir à distance. Je n’ai pas très envie que découragée, elle rentre au Gabon. Je ne veux pas l’avoir dans ma vie de manière … permanente.
Mais j’estime qu’en contre partie de mon aide financière quasi trimestrielle, j’ai le droit de m’épargner son hypocrisie. Plus vénale que ma mère, ça n’existe pas. Je ne supporte pas les femmes qui ne sont intéressées que par l’argent. Les femmes comme ma mère. J’espère ne jamais avoir à en aimer une.
Je dépose le téléphone sur la table du salon et vais vers la douche.
Une trentaine de minutes plus tard, je regarde tranquillement la télévision lorsqu’on cogne à la porte. Je n’attends personne, surtout pas Elle-même si j’ai envie de la voir. Je n’ai pas répondu à ses appels de la journée. J’avais besoin de remettre les choses en place dans ma tête.
J’ouvre la porte et c’est Elle. Je soupire. Elle me regarde avec colère et je vois sa poitrine se soulever au fur et à mesure que sa colère monte. Je ne suis pas d’humeur à me bagarrer avec elle, je veux juste passer une soirée tranquille chez moi. C’est trop demander ?
Elle porte une robe toute simple aux motifs fleuris de couleur rose qui me rappelle étrangement la robe de notre premier baiser… Notre vrai premier baiser. Dont elle ne se souvient même pas.
***Flash back Adrien 17 ans***
Aujourd’hui, mon groupe visite l’hôtel Intercontinental Okoume Palace. Le rotary club a sélectionné les premiers et deuxièmes de toutes les classes de première et terminale des plus grands lycées de Libreville. Nous devons visiter des entreprises phares de la ville et faire un compte rendu de notre visite.
Franchement, ce que le rotary club organise et pourquoi c’est organisé, je m’en fous complètement. Ce qui m’intéresse c’est qu’Elle est dans le même groupe de travail que moi. Je vais enfin pouvoir passer du temps avec elle loin du lycée. J’ai mis pour l’occasion mon plus beau jean et un tee-shirt de marque avec des mocassins en cuir. Les autres ont des baskets mais moi je suis super présentable. Je sais qu’Elle aime bien les mecs présentables. Je la vois souvent avec les fils à papa du lycée.
Une heure plus tard, nous avons presque fini la visite de l’hôtel lorsque je la vois s’éloigner du groupe à petits pas. Je ne sais pas ce qui me prends, je la suis aussi discrètement que je peux. Elle finit par s’arrêter devant l’une des suites luxueuses que nous venons à peine de quitter et ouvre la porte.
Une fille normale ne ferait surement pas ça. Mais Elle n’est pas une fille normale. Elle est Elle.
Et j’ai envie de passer du temps avec elle. J’entre aussi dans la suite et elle sursaute en se rendant compte de ma présence.
- Oh tu m’as fait peur !
- Désolé, je ne voulais pas. Que fais-tu là ? La visite continue. On doit descendre vers la cuisine de l’hôtel.
- Je n’ai pas envie de visiter la cuisine. Ici on est passé en coup de vent alors qu’il y a tellement de choses à voir dans cette suite.
Elle se couche sur le lit et respire à fond en touchant les draps. Je m’avance et m’assois sur le lit à mon tour. Je suis à quelques millimètres d’elle. Elle a fermé les yeux.
- Un jour tu seras assez riche pour dormir ici quand tu en auras envie.
- C’est maintenant que j’ai envie d’en profiter. Après on est trop vieux pour ces trucs là…
- On est jamais trop vieux pour s’aimer dans ce genre de chambre t’inquiète !
Elle rigole. Elle est belle comme ça couché sur ce magnifique lit, avec ses mèches étendues de chaque côté de sa tête.
- En fait comment tu t’appelles ? T’es dans mon lycée ? demande-t-elle en me regardant avec intérêt.
C’est une chose d’être invisible… mais l’être aux yeux d’Elle est … blessant. Je ne suis pas le genre avec le quel elle sort au lycée.je le reconnais. Je suis grand de taille mais maigre, je porte des lunettes assez épaisses et j’ai deux dents de travers. Je les cache comme je peux en souriant rarement. Mais quand même ça fait combien d’années dans le même lycée ? Je traine parfois avec son frère et elle ne me reconnait jamais.
- Laisse tomber. Dis-je avec colère en me levant prêt à partir.
- Attends ! dit-elle en me retenant. Qu’est-ce que j’ai dit ? Te fâche pas ! Viens là.
Elle dit « Viens là » avec une telle douceur que je me rassois. Elle ferme de nouveau les yeux mais j’entends comme des pas qui s’approchent car je n’ai pas fermé la porte derrière moi.
…
***Retour au présent***
Parce que ce jour là, je nous ai tiré d’un mauvais pas en nous cachant dans un placard, en nous faisant discrètement sortir de la chambre après que la femme de chambre a commencé son ménage, puis en nous faisant prendre l’ascenseur pour rejoindre le groupe alors qu’elle commençait à paniquer, elle m’a donné un baiser que je n’oublierai jamais …
Parce qu’il était maladroit et timide, j’avais à peine senti le bout de sa langue…
Que j’ai compris que c’était surement son premier vrai baiser de femme…
Avant qu’elle-même ne me le confirme en tentant de masquer son embarras quand je le lui ai demandé…
Elle traine avec tellement de garçon que je me disais que ces choses là n’étaient pas nouvelles pour elle. Je suis heureux de découvrir que je me suis trompé.
Et aujourd’hui la voilà encore une fois devant moi, avec cette robe qui me rappelle ce jour. Et moi qui me dis que peut-être ça a compté pour elle en fin de compte même si elle ne s’en rappelle que maintenant. Pourquoi ça devrait compter pour moi et pas pour Elle ?
- Je suis désolée pour aujourd’hui Adrien.
- Laisse tomber…
- Te fâche pas, viens là.
Mon cœur manque un battement !
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