Chapitre 14

Write by Auby88

Nadia P. AKLE


Comme le temps passe vite ! Un mois déjà ! Hmmm ! J'ouvre la porte qui donne sur la terrasse. Comme tout est beau dehors ! Et le ciel là-haut est plein d'étoiles. La cour de la maison, quant à elle, est encore plus belle, surtout avec la fontaine d'eau qui scintille la nuit. Quel décor ! Il faut bien reconnaître que Monsieur est talentueux !


Justement, le voilà là en bas. Il marche à pas pressés pour se diriger vers l'arrière-cour. Où va-t-il ainsi tous les soirs ?

"La curiosité est un vilain défaut, Nadia. Ce que fait ton patron ne te concerne pas. C'est sa maison. Il a le droit d'aller et de venir comme il le souhaite. "


Sur ce, je quitte la terrasse et croise Milena qui sort de la salle de bain.


- Tu t'es bien brossé les dents ?

- Voyons ! Je ne suis pas un bébé, moi !

- Ok.


Sous sa couverture, elle va se blottir.

- Tu voudrais que je te lise ton histoire préférée ?

- Combien de fois dois-je te rappeler que je ne suis pas un bébé ? J'ai presque huit ans, je te signale, et je peux tout faire toute seule sans un "chaperon" aussi collant que toi !


"Hmmm ! Quand on connaît beaucoup français et qu'on ne parle que ça, voilà ce que ça sait dire à 8 ans à peine !" me dis-je intérieurement.


Voilà un aperçu de ma relation avec Milena. Quand elle fait un pas vers moi aujourd'hui, elle en fait dix autres en arrière le lendemain. Mais je ne désespère pas. Je finirai bien par briser sa carapace, par l'amener à s'ouvrir à moi, à me faire confiance...


- Ok. Tu veux que je te raconte un conte ?

- Non !

- Un conte africain…

- Non !

- …. avec plein d'animaux de la savane africaine...

- Non !

- Le lion, l'hyène, la tortue, le lièvre...

- Non !

- Allez, s'il te plaît ! insisté-je en affichant un visage bien triste.

- Ok, si cela peut te faire plaisir.

- Merci ! Merci, ma chérie !


Intérieurement, je ris. Elle est là à jouer à l'indifférente, pourtant elle est bien intéressée.


"Mon conte roule, roule et tombe sur …."


Je revisite ma mémoire pour lui raconter ce dont je me souviens d'un conte que j'ai entendu dans mon enfance. J'introduis aussi des mots en langue fongbé que je prends soin de lui expliquer. En contant, j'utilise une gestuelle rigolote. Elle rit aux éclats par moments, mais se ravise vite quand nos yeux se croisent. (Rire)



********


Nadia P. AKLE


Aujourd'hui, c'est journée shopping. J'ai la "lourde" mission d'acheter des fringues pour Milena. Lourde, je précise car cette petite est dure à satisfaire. La gouvernante m'a suggéré d'aller dans des prêts-à-porter très chics.  

Je pousse la porte de l'un d'entre eux et y pénètre avec Milena. Plus d'une demi-heure plus tard, nous sommes encore dans la boutique. Parce que Milena peine à se décider. Elle trouve toujours à redire sur les articles que lui propose la vendeuse. Et la jeune femme, bien qu'elle sourie, semble s'exaspérer. Le pire, c'est que je sens que Milena fait exprès.


- Navrée demoiselle, mais il semble que ce que vous recherchez n'a pas encore été créé !

Je manque exploser de rire, en entendant le commentaire de la vendeuse.

- Ou soit, continue-t-elle en souriant, notre prêt-à-porter Haut de gamme ne convient pas à votre … petit portefeuille !


Là, c'est pas bon ! Elle nous insulte quoi, alors que je parie qu'elle-même  surveille boutique de quelqu'un ! Hmm ! Milena s'apprête à riposter, mais je la supplie du regard. Heureusement, elle m'obéit. Je remercie la vendeuse puis saisis la main de Milena...



D'une deuxième boutique, nous ressortons encore bredouilles. Alors, je décide de "prendre les choses en main". On laisse tomber toutes ces boutiques aux prix exorbitants et on file vers Missèbo.


- Nadia, en êtes-vous bien sûre ? me demande le chauffeur quand je lui mentionne Missèbo.

- Oui. Il y a un problème ?

- Ce n'est pas le type d'endroit que la petite fréquente ! Vous me comprenez ?

- Oui, mais il y a une première fois à tout ! répliqué-je en souriant.

- J'espère que vous savez ce que vous faites !

Gaiement, je lui réponds par l'affirmative.


La voiture se gare pas trop loin du marché et nous descendons.

 - Tu n'imagines quand même pas que je vais monter sur ça ?

"Ça" c'est sa façon désinvolte de désigner le "taxi-moto"que je viens d'arrêter. Eh oui, miss Milena, trop habituée à la mondanité, ne connait pas ce mode de transport.

- Je t'assure que c'est rigolo.

- Ce n'est pas sécurisé et trop …ringard.

- Hmm, Milena ! Ne t'inquiète pas. Je dirai au conducteur d'être prudent. Et puis on va tout près. En outre à l'arrière du taxi-moto, tu auras le plaisir de voir la ville en toute liberté ! T'en dis quoi ?

- Je veux retourner à la voiture.

- T'a pas envie de voir tout ce qu'il y a là bas, dans le grand marché ? C'est extraordinaire, je t'assure.

- Non !

- Même pas un peu ?


Tandis que je tente de la convaincre, le "zemidjan" devant nous démarre et s'en va.

- Il est parti !

- Eh oui, Milena, il ne pouvait pas nous attendre éternellement ! Son temps reste précieux pour lui. Il lui faut trouver beaucoup de clients pour faire de bonnes recettes. Tu sais, la vie n'est pas facile pour tous, ma jolie.

- Je vois !

Je souris, comme à chaque fois quand elle imite ma fameuse phrase "Je vois". Mais "Je vois quoi même" ? Hahaha !


- Tata Nadia, un autre vient vers nous.

- Alors, t'es partante ?

- Disons que … Oui.


Pour lui donner plus d'entrain, je la laisse héler le conducteur de taxi-moto. C'est bien drôle de l'entendre dire "Kèkènon" (conducteur de taxi-moto en langue fongbé) avec son accent si occidental.



Nous sommes à Missèbo. Je garde fermement la main de Milena. Elle ne s'y oppose pas. Elle reste collée contre moi tandis qu'on passe au milieu des motos qui circulent sans arrêt. A présent, nous longeons la longue ruelle du marché. Elle semble fascinée par tout ce qu'elle voit en particulier des enfants simplement vêtus, parfois sales, qui jouent librement et allègrement près des étalages de leurs mères. Tout ça doit être bien étonnant pour elle qui ne sort presque pas, si ce n'est que pour aller à l'école ou visiter sa grand-mère paternelle.


Elle s'accroche à mon bras et le serre fortement quand le tireur de pousse-pousse crie "Agoo, Agoo" pour qu'on libère le passage.

- Tu n'as pas à avoir peur, ma chérie.

- Mais je n'ai pas peur, moi !

- Ah vraiment !

Elle hoche la tête.

- Alors pourquoi tu me serres autant le bras ?

Elle relâche rapidement mon bras et me répond en haussant les épaules.

- C'est juste parce qu'il n'y a pas assez de place ici.

- Ok, je …

Je suis interrompue par le geste brusque de Milena qui vient à nouveau  de s'accrocher à moi. Nous cédons le passage au tireur de pousse-pousse. J'ai envie de rire, mais je me contiens pour ne pas davantage la mettre mal à l'aise. Je lui propose de la mettre au dos. Au début, elle fait encore sa maligne mais accepte quand elle voit un autre tireur de pousse-pousse approcher. (Rire).


* *

  *

Nous sommes de retour à la maison. Finalement, nous sommes revenus avec une variété de vêtements de premier choix pour enfants, achetés chez Chidi et chez d'autres vendeurs. Au marché, Milena a encore fait la difficile, mais n'a pas pu résister longtemps devant la vaste "gamme de choix" qu'elle avait.

En tout cas, je doute qu'on puisse entrer dans le marché de friperie de Missebo et ressortir les mains vides.


Nous avons aussi fait escale dans un pressing que je connais bien. Etant une cliente régulière, j'ai pu bénéficier d'un service express. Nous avons donc patienté quelques heures pour revoir les vêtements lavés, pliés et rangés dans des housses en plastique. Ils étaient tous neufs. Je revois encore le sourire sur le visage de Milena quand elle a vu le résultat final.



Le chauffeur se charge de monter les vêtements dans la chambre de Milena. Quant à elle et moi, nous faisons une halte bien méritée dans la cuisine de Sarah.

- Enfin ! Vous vous êtes perdues en chemin ou quoi ?    

- Nous n'étions plutôt pas pressées de revoir ta vilaine tronche !

- Milena ! rétorqué-je. On ne parle pas ainsi aux grandes personnes !

- Kpon ta ton ! (Regarde sa tête !)

- Qu'est-ce qu'elle a, ma tête ? riposte aussitôt Milena suite au commentaire en langue fongbé de Sarah.


Sarah me fusille du regard, comme pour me dire " Nadia, sale traîtresse ! " Et oui, ces derniers jours, Milena et moi n'avons pas chômé. Je lui ai appris plein de mots en fongbé et ça lui a bien plu. Je tourne vite la tête avant que les yeux de Sarah me "foudroyent" sur place. (Rire).



- Nadine, Que faisiez dans un marché de vêtements "à deux balles" ?


Je sursaute.

- Eh bien... je me suis dit qu'on aurait un plus grand choix de vêtements pour enfants là-bas.

- Quand on vous donne un ordre, exécutez-le simplement ! C'est pour cela que je vous paie ! Comment avez-vous osé ramener des vêtements bon marché chez moi ? Vous ai-je dit que je suis un nécessiteux ?

- Ce sont des vêtements de qualité que j'ai pris. Ils n'ont jamais été portés et …

- Je vous préviens, Na…. A la prochaine incartade, je vous renvoie ! Me suis-je fait clair ?


Je suis sur le point de lui répondre " Je n'ai rien fait de mal, monsieur" quand mes yeux tombent sur une Milena apeurée.

- Oui monsieur. Je m'excuse. Je ne… referai plus cela.

- Epargnez-moi vos promesses sans lendemain ! Où sont les vêtements ?

- Dans la chambre de Milena.


A la gouvernante qui vient d'entrer dans la pièce, il s'adresse :

- Vous tombez bien, madame Jeanne. Veillez à ce que tous les vêtements bon marché disparaissent dès maintenant de ma maison. Donnez-les, vendez-les, brûlez-les, jetez-les mais qu'il n'en reste plus aucun ici !

- Bien, monsieur.


Il tourne les talons et sort de la cuisine, suivi par la gouvernante. Je regarde Milena. Son visage est humide.

- Cet homme a une pierre à la place du coeur, c'est certain !

A ce commentaire de Sarah, je ne réponds pas. Seule Milena me préoccupe.

- Ça va, ma chérie ?

Elle hoche la tête en évitant de me regarder. Moi aussi, je suis en colère contre cet homme qui agit comme une brute et qui tient toujours à avoir le dernier mot. En plus, j'ai perdu du temps à choisir les vêtements. J'y ai mis tout mon cœur pour rien au final.


- Ce n'est pas bien grave après tout, Milena. Au moins, tu as pu te promener ! Tu es d'accord avec moi ?


Silence. Sarah est là derrière nous. Pour une fois, elle a su fermer sa bouche.


- Milena, regarde-moi.

Je prends son visage en coupe dans mes mains. Elle ne résiste pas.

- Tu es d'accord avec moi ?

- Pourquoi a-t-il agi ainsi, tata Nadia ?

Du revers de la main, je nettoie ses larmes. A sa question, je tente de lui donner une réponse plausible.

- Ton père veut sûrement que tu portes les plus beaux vêtements au monde ! Et je parie qu'il se chargera lui-même de les acheter pour sa princesse !

- Nadia a entièrement raison ! intervient Sarah.

- Mais les vêtements qu'on a choisis étaient les plus beaux !

- Non, Milena, ce n'était pas les plus beaux.

- Qui veut une grosse part de gâteau au nutella ?

- Moi, Sarah ! m'exclamé-je joyeusement.

Je caresse mon ventre, en espérant que mon geste dérobera un sourire à Milena. Malheureusement, non.


 - Et toi, Milena ?

- Je n'ai plus d'appétit. Merci quand même, tata Sarah.


En parlant, elle promène ses petits doigts sur la table. Devant elle, Sarah dépose une grosse part de gâteau.

- Allez, Milena ! Le gâteau a grande hâte que tu le dégustes. Et je te souffle que c'est un gâteau magique !

- C'est faux !

- Non, c'est vrai ! renchéris-je. Mais pour en être bien sûre, il faut d'abord le manger.

- Vraiment ! Vous ne me mentez pas ?


Nous acquiesçons de la tête et sourions quand elle plonge sa cuillère dans la pâtisserie pour ensuite la porter à sa bouche.



**********



Des semaines plus tard



Eliad MONTEIRO


Je suis là, assis à même le sol près de sa tombe. Demain, cela fera un an de plus qu'elle est partie. Demain, sa fille aura un an de plus. Pourtant comme à chacun de ses anniversaires de naissance, je ne l'approcherai pas. Demain, comme à chacun de ses anniversaires de naissance, nous n'organiserons rien pour elle. Absolument rien.


Lentement, mes pensées me ramènent des années en arrière.



Flashback

Clinique .…, Cotonou, 7 ans plus tôt.


Je déambule dans le hall d'attente de  l'hôpital. Ça fait des heures qu'on attend que le voyant, situé au sommet de la porte devant nous, s'allume. C'est cette porte là qui mène vers le bloc opératoire où Camila se trouve actuellement.



- Eliad, tu devrais t'asseoir et t'efforcer de manger quelque chose. Tu n'as rien consommé depuis des heures. Tu risques de faire une hypoglycémie, mon fils !

- Je n'ai pas le coeur à cela, maman. Je ne serai soulagé que lorsque les docteurs viendront me dire que Camila va bien !

- Ne sois pas si entêté, mon fils ! Ecoute ta mère. Tout ira bien, c'est sûr. Elle est entre les mains d'experts.

- Oui, je le sais. Mais sa santé est fragile.

- Allez, viens t'asseoir.

- Non, papa ! réponds-je sur un ton grave.


Le voyant s'allume enfin et la porte s'ouvre. Je respire un grand coup. Un  docteur vient vers nous.


- Comment va mon épouse ? demandé-je aussitôt.

- Elle a mis au monde une magnifique fille.

Cette réponse ne me fait ni chaud ni froid. Seul l'état de santé de ma femme me préoccupe.

- Comment va mon épouse, docteur ?

- Ne voulez-vous pas voir votre enfant en premier ?


Je hausse le ton face à ce médécin si con.

- Bordel ! Répondez à ma question !

- Eliad, calme-toi !

Les propos de ma mère n'arrangent rien à la situation. Je reste énervé.

- Dites-moi comment va ma femme !

- Monsieur Eliad, nous …

- Vous quoi ? Bon sang, parlez !

- Eliad !

Mon père attrape ma main. Je la retire violemment.

- Monsieur Eliad, reprend cet idiot de docteur, nous avons tout fait pour ….


Je n'attends pas pour entendre la suite. Par la porte entrouverte, je fonce dans le couloir qui mène au bloc opératoire. Je ne prête pas attention au docteur et à mes parents qui se précipitent derrière moi, en criant mon prénom.

Je regarde furtivement à gauche et à droite. Deux portes ont un écriteau sur lequel est inscrit "Bloc opératoire".

Une infirmière sort de l'un des blocs. Elle tente de m'empêcher d'entrer à l'intérieur. Je la pousse violemment et m'introduis dans la pièce.


Là sur la table d'opération, il y a une forme humaine sous un drap blanc. J'ai terriblement peur. Je tremble en m'approchant. Je tremble en approchant mes doigts du suaire blanc. Je tremble … (silence) … en la voyant là. Elle … ma Camila.


Un cri strident retentit dans la pièce. Le cri d'un homme en souffrance. Une souffrance intense. Dans mes bras, je prends ma "Belle-au-bois dormant". Je la prends et l'embrasse. Je lui donne un baiser d'amour comme si, tel que dans le conte de fée, Elle se réveillera aussitôt. Mais rien ne se passe. Rien.


Avec Elle dans mes bras, je m'assois à même le sol. Tout contre moi, je la serre...


Autour de moi, il y a des gens. Je ne les regarde pas. J'entends juste la voix de ma mère qui pleure à chaudes larmes puis celle de l'infirmière qui la réconforte et lui demande de sortir avec elle. Après, j'entends des bruits de pas qui convergent vers moi. Des pas qui ne peuvent qu'être ceux de mon père.

- Eliad, ils doivent l'emmener.

- Non…. Non…. Non…. Elle reste avec moi. Elle reste avec moi...

- Eliad…

- Je ne veux … pas la laisser, papa. C'est ma femme. C'est ma Camila... tu comprends ? Comment veux-tu… que je la laisse à des inconnus ?

- Eliad !

- Ok papa ! J'ai besoin de quelques minutes avec elle, tu comprends ? Je vous en prie.

 

Je me montre si implorant que les docteurs et mon père acquiescent et sortent. Ce n'était qu'une stratégie. A double tour, je ferme la porte.

- Eliad, ouvre cette porte !

- Monsieur Eliad, ne faites pas cela. Vous …


Je n'écoute personne. Je ferme les volets aux fenêtres et rejoins ma place initiale pour reprendre ma Camila dans mes bras.


Je commence à fredonner une chanson pour elle. Sa préférée, All of me (Tout de moi) de John Legend.


"(…) Parce que mon être entier

Aime tout de toi

Aime tes courbes et tous tes contours

Toutes tes parfaites imperfections

Donne-toi à moi toute entière

Je te donnerai tout de moi

Tu es ma fin et mon commencement

Même quand je perds je gagne

Parce que je te donne Tout... de moi

Et tu me donnes Tout... de toi (…)

John Legend, All of me (Tout de toi)"



C'est certain. Camila est "ma fin et mon commencement". Et à cet instant, bien que mon cœur batte encore, je suis mort avec elle...


La porte s'ouvre. Defoncée, je suppose. Depuis combien de temps suis-je ici ? Je n'en ai aucune idée. Des gens viennent dans la pièce et tentent de me prendre ma Camila. Mais je ne me laisse pas faire, donnant des coups par ci par là. Je suis déchaîné.

Malheureusement, Ils réussissent à me maîtriser. Ils arrivent à leurs fins, arrachant mon épouse de mes mains. Impuissant, je les regarde emmener loin de moi la personne à laquelle je tiens le plus au monde...


Fin du Flashback



**********


Le lendemain


Edric MARIANO


Derrière Eliad, nous avançons tous à l'intérieur de la chapelle où nous attend déjà le prêtre. Chaque année, vêtus de noir, nous rendons hommage à Camila. Nous venons soutenir Eliad.

Et comme à chaque fois, il fait pitié à voir. Et comme à chaque fois, Maëlly profite de sa vulnérabilité pour mieux se coller à lui. Quel jaloux, je fais !


Je tente de regarder ailleurs. Mes yeux croisent ceux de mon père. Il détourne la tête et pose une main sur l'épaule d'Eliad. J'inspire profondément pour me détendre.


- Toi, tu es qui ? me demande la mère d'Eliad près de laquelle je m'assois.


Cette question, elle me la pose à chaque fois qu'elle me voit. Et je lui réponds avec la plus grande patience du monde :

- Je suis Edric, un ami de votre fils Eliad.

- Toi, un gaillard comme cela, ami avec mon fils Eliad qui est encore un gamin ? C'est difficile à croire, tu sais !


Je ne la contredis pas. Je lui souris simplement.

- Ana ! intervient le père d'Eliad. Notre Eliad n'est plus un enfant. Il a dépassé la trentaine, tu sais !

- Ah bon ?

- Oui, ma chérie.

En nous regardant, il ajoute :

- A présent, nous devons nous concentrer sur la cérémonie. Elle va commencer...




La messe est terminée. Il ne reste plus que Maëlly et moi, avec Eliad. Nous, ses "amis" de longue date. Je sais que Maëlly voudrait que je m'en aille, mais je compte rester encore un peu.


Marchant donc aux côtés d'Eliad, nous le suivons dans la maison principale. Il tient à se reposer dans sa chambre. Nous proposons de monter avec lui, ce qu'il ne refuse pas …


Tandis que nous atteignons le deuxième étage, nous entendons une voix. Une voix de femme qui chante un "Joyeux anniversaire, Milena". Un refrain qu'on n'aurait jamais dû entendre. Aujourd'hui précisément. Car, pour Eliad, aujourd'hui est uniquement un jour de deuil.


Il nous délaisse aussitôt et entre avec fracas dans la chambre de la petite. Maëlly et moi le suivons à l'intérieur. Ce à quoi j'assiste me dépasse. Cet Eliad là, je ne le connaissais pas. Son pied vient d'atterrir violemment dans le gâteau d'anniversaire à l'effigie de Milena.

- Eliad, arrête ça !

Il ne m'écoute pas. La petite, terrifiée va se cacher derrière cette jeune femme … que je crois avoir déjà vue quelque part. Mais où ? Je ne m'en rappelle pas.


- Qui vous a donné le droit de faire ça ?

- Monsieur, je ne vois pas en quoi c'est mal de fêter …

- Aujourd'hui est un jour de deuil ! Personne ne célèbre quoi que ce soit de joyeux ici ! Vous n'avez donc aucun respect pour la souffrance des autres ? Qu'est-ce que … la petite a au cou ? Allez, donnez-moi cela. Elle ne mérite pas de le porter !

- Eliad, arrête !

J'essaie de le tirer vers moi pour qu'on s'en aille, mais il résiste. Sur le sol, il m'envoie balader. Maëlly nous regarde, immobile. Je me relève et me rapproche à nouveau d'Eliad.


- Eliad ! C'est une enfant. C'est ta fille ! Tu lui fais peur !

- Je m'en fous, Edric. Je te préviens, ne t'approche surtout pas de moi. Ou sinon je t'enverrai de nouveau à terre. Allez, jeune femme, donnez-moi ce pendentif !



********


Nadia P. AKLE


Je n'obéis pas au père de Milena. Alors, il tente d'avancer vers la petite pour lui arracher le pendentif à son cou. Entre Milena et lui, je me positionne.


- Donnez-moi cette chaîne ou sinon je …


Vers moi, il lève les mains. Je le regarde avec des yeux pleins de rage. Parce que "cette main levée" vient de me ramener à des années en arrière, à une époque triste de ma vie, à cette période-là où j'étais encore une enfant…


Sur l'homme qui me fait face, je maintiens donc mes yeux. Je le défie du regard et je vois sa main retomber près de son corps puis ses pieds quitter la pièce, en même temps que l'homme qui l'accompagne.

- Vous êtes une sale bonniche, une "effrontée" qui ne connait pas sa place ici et qui ne sait pas respecter l'autorité !


Je ne dis mot aux propos insultants de cette "Miss Maëlly FREITAS" pour qui j'avais beaucoup d'admiration. Elle m'a profondément déçue. Je ne comprends pas comment une femme de bonne moralité peut trouver normal qu'on brime ainsi un enfant, peut trouver inopportun de célébrer l'anniversaire de naissance d'un enfant.


 - Vous ne ferez pas long feu ici, c'est sûr ! Idiote !


Je ne réagis toujours pas. Je me retourne vers Milena et m'accroupis en face d'elle. Miss Maëlly finit par s'en aller. Les bras de Milena se referment autour de mes épaules. Comme par magie. Un geste magnifique qui m'émeut beaucoup, même si son cœur d'enfant saigne actuellement. Blottie contre moi, je sens ses larmes couler dans mon dos.

- Tout va bien, ma chérie. Tout va bien. Ne pleure plus.


Je ne voulais pas que ça se finisse ainsi, en drame. Je voulais juste célébrer son anniversaire. Parce que j'ai été "choquée" d'apprendre qu'elle ne l'avait jamais fêté... Tout comme moi d'ailleurs.


Ce sont Sarah et la gouvernante qui me l'ont confirmé. On ne fête jamais pour Milena. C'est interdit. Monsieur a décrété que c'était un jour de deuil. Au nom de quoi ? Insensé, n'est-ce pas ? Pourquoi empêcher un enfant de vivre normalement parce que sa mère est morte le jour où elle est née ?

Je ne l'ai jamais compris, même si j'en ai aussi été victime. D'ailleurs, c'est pour ça que j'ai voulu "changer les choses" pour Milena.


Sarah m'a aidé à faire le gâteau et j'ai pu trouver, sur Internet, des anciennes photos de la mère de Milena pour faire confectionner le pendentif.  


Et je ne regrette pas l'avoir fait. Car même si cela n'a duré que quelques minutes, j'ai vu Milena sourire quand j'ai mis le pendentif avec l'image de sa mère à son cou, de cette mère qu'elle n'avait jamais connue, ni même vue. Je l'ai également vue rire de bonheur quand elle a soufflé ses bougies. Et devant son visage heureux, mon âme meurtrie a retrouvé une certaine paix intérieure.


 

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