chapitre 14 le rendez-vous
Write by leilaji
Chapitre 14
Gabriel
Je ne suis pas sûr d’avoir réussi à la convaincre. Quand je lui ai demandé de me donner ma chance, elle m’a longuement observé. A l’affut semble-t-il du moindre indice qui pourrait lui dévoiler que je mentais. Elle a pris sous son bras le parasol plié, la table rafistolée de la dame qui vendait et un petit tabouret de bois puis s’en est allée sans rien ajouter. Je n’ai pas osé la suivre, de peur qu’elle se mette à hurler comme une folle et qu’elle crie au harcèlement sexuel. A-t-on idée de se pointer chez une femme à six heures du matin et l’attendre comme si je n’avais rien d’autre à faire ? J’ai repoussé tous mes rendez-vous de ce vendredi à lundi prochain.
J’ai repoussé mes rendez-vous ?! Je ne l’avais encore jamais fait auparavant. Mais de toute manière, il fallait bien que je joue mon va tout avec elle. Pourtant ça n’a pas semblé la convaincre. Qu’aurai-je pu faire d’autre ? Je ne le sais pas moi-même.
*
**
Après l’avoir quittée, j’ai filé droit chez Sydney. Et le spectacle que j’ai trouvé en ouvrant la porte m’a un instant déstabilisé.
Sydney occupe un appartement de la résidence Floria depuis quelques années déjà. Sans être luxueux, il est très coquet, décoré avec gout. On s’y sent facilement à l’aise et il m’est déjà arrivé d’y dormir un week-end. Je n’ai jamais pu y faire plus d’un week-end, notamment parce que je suis un maniaque de l’ordre avec ses petites habitudes et que je ne supporte pas de ne pas être sur mon terrain avec mes affaires.
Je l’ai appelé deux ou trois fois et elle n’a pas répondu.
Je traverse le salon jonché de bouteilles de whisky et de verres cassés. Je finis par la trouver dans sa chambre devant le miroir de sa commode en train de se peigner les cheveux comme une folle.
—Sydney ?
—Gabie ! Oh mon chéri je savais que tu me reviendrais… dit-elle en se retournant.
Elle était complètement saoule et sentait l’alcool à plein nez. Ca faisait longtemps que je l’avais vu dans cet état. Vraiment longtemps. Elle se lève et chancèle légèrement sur ses pieds. Son peignoir s’ouvre sur son corps nu. Je détourne les yeux plus par pudeur que par dégout.
—Tu as recommencé ?
— Non. J’étais triste et j’ai un peu bu. Juste un peu. C’est rien. Je vais prendre une douche et ça ira.
— Juste un peu ! Il y a peut être trois bouteilles de whisky vides dans ton salon.
Elle s’approche de moi sans prêter attention à ma colère qui monte. Dans son état quoi de plus étonnant. Elle ne remarquerait même pas un pachyderme assis dans son salon. Plus elle s’approche et plus je remarque les dégâts de l’alcool sur sa vie, sa beauté, son caractère. Les racines commencent à apparaitre dans ses cheveux décolorés, son maquillage datant de la veille coule.
—Laisse-moi faire, dit-elle en s’agenouillant devant moi et en tentant de défaire la ceinture de mon pantalon.
Je l’en empêche comme je peux, en la repoussant plus durement qu’il ne le fallait réellement afin qu’elle comprenne que je n’ai pas l’intention de céder. Mon cerveau est embourbé dans la culpabilité la plus glauque. Je ne peux pas la laisser dans cet état. Je ne peux pas rompre avec elle alors qu’elle est si désespérée. Que dois-je faire ?
—Pourquoi tu fais ça Sydney ? Pourquoi ? je lui demande.
Etait-ce une dernière tentative désespérée pour me retenir auprès d’elle ? Je ne sais plus que penser.
—Pourquoi pas. Tu fais un drame de rien du tout chéri. C’était juste un verre, je te promets.
Je me vois recommencer toute la période de sevrage avec elle. Si elle ne tient pas tant que ça à s’en sortir, je ne peux pas le souhaiter à sa place. J’ai été là pour elle tellement de fois déjà. Je n’ai donc pas à me sentir coupable. Du moins j’essayais de m’en persuader.
Elle se lève et je renoue son peignoir puis remets quelques mèches rebelles en place, malgré l’odeur d’alcool, malgré son visage défait.
—Je sais ce que tu es venu me dire, murmure-t-elle.
Ma respiration s’accélère. Les pupilles complètement dilatées, Sydney recule d’un pas puis de deux et s’assoit sur son lit aux draps froissés par je ne sais quelle lutte.
—Si jamais tu franchis cette porte Gabe, je te jure que tu le regretteras amèrement.
—Et que veux-tu que je regrette ? Tes cuites ? Tes caprices ? Que suis-je censé regretter ? Dis-moi.
Elle se lève et prend une bouteille cachée derrière le lit. Devant moi, elle commence à boire au goulot. Qui peut boire du whisky au goulot. Du vin je veux bien mais du whisky ! Je rapproche d’elle pour lui arracher la bouteille des mains mais elle hurle de manière hystérique que je suis un salaud. Je recule.
J’estime en avoir fait autant qu’elle.
J’estime qu’on est quitte.
Je sortis de la pièce. Derrière moi, j’entends la bouteille se fracasser contre la porte de sa chambre. Je continue mon chemin, mon cœur enfin libéré malgré le gout d’inachevé de notre relation.
*
**
Pour la énième fois de la journée, je regarde mon téléphone. Aucun message de Lola. J’ai envie de le fracasser contre le mur mais la seule idée qu’elle ne pourra plus me joindre si je le fais, m’empêche de passer à l’acte.
Ping !
Je regarde. C’est un message … D’Eloïse. Bordel ! Je le lis rapidement. Elle m’informe qu’elle a rejoint Denis au Congo pour une petite semaine. Grand bien lui fasse. J’efface le message et repose le téléphone devant moi. J’allume la télé. Il devrait normalement y avoir un match de foot un peu potable sur canal + sport. Manchester joue.
Au bout de cinq minutes j’éteins la télévision pour aller me servir un verre de vin. Mes pieds nus sur le carreau froid me rafraichissent un peu. A-t-elle au moins compris que j’attendais un signe d’elle. Peut-être me suis-je fait des idées ! Peut-être n’était-elle pas tant que ça intéressée par moi. Je vide mon verre et range la bouteille au frais.
Ping !
Je cours au salon retrouver mon téléphone abandonné sur la table basse du salon. Merde, c’est Nadine qui me confirme tous les rendez-vous déplacés de vendredi pour lundi en matinée. Je la remercie par un message bref. Je me décide à lui envoyer un message. Je vais devenir fou à attendre ainsi un signe d’elle. Mais quel message envoyer sans avoir l’air désespéré. Je réfléchis, écris un bout puis l’efface complètement pour recommencer à écrire la même chose. Je me décide et l’envoie.
Ping ! Va falloir que je cherche une sonnerie particulière pour son numéro.
« On n’a pas élevé les moutons ensemble. Bonjour Valentine ! »
Elle a cette manie de ne pas m’appeler par mon prénom que je trouve absolument … irrésistible.
« Bonjour mademoiselle Bekale. Pourriez-vous avoir l’amabilité de répondre à ma question ?»
« 10 minutes »
Je ne comprends pas. S’est-elle trompée de destinataire. Je lui ai demandé si elle avait l’intention de m’accorder le rendez vous ou si je devais tourner la page. Je lui envoie trois points d’interrogation.
« Si tu n’es pas là dans 10 minutes, je change d’avis »
Cette fille est absolument folle.
Mais ça me va comme ça.
*
**
On prend un verre à la pâtisserie « Palmier Doré » en plein centre-ville. Ce n’est pas là où j’espérais l’emmener. J’ai fait la bêtise de lui laisser le choix et on a atterri ici. A ma montre, il est dix huit heures. Un peu tard pour un verre d’orangeade et une eau minérale. Je me ressers l’eau minérale. Elle est assise toute droite sur sa chaise et n’a pas encore touché à son verre. Plus mal à l’aise, c’est impossible. J’appelle la serveuse. Sur son badge est marqué Gladys.
—Bonjour Gladys. Pourrai-je avoir une forêt noire ?
Lola lève enfin les yeux sur moi. La forêt noire nous est servie quelques minutes après. Je pousse l’assiette vers elle.
—Je sais que tu aimes le chocolat. Tu as toujours des barres de chocolat fourrés dans ton sac quand tu viens aux répétitions. Mange.
Elle me sourit. Que croyait-elle ? Que je ne pensais qu’à la coincer dans mon bureau ?
Je l’ai beaucoup observée. J’ai passé mon temps à l’observer. Elle boit enfin un peu de son verre d’orangeade et avec la petite cuillère entame son gâteau. Grosse erreur de ma part. Elle se régale. Apparemment. Plus qu’apparemment. Avec sa cuillère, elle tranche une part du gâteau et la fourre dans sa bouche. Puis elle retire tout doucement la cuillère de sa bouche alors que ses lèvres et ses yeux sont fermés. Cette vision provoque en mois des fantasmes inavouables. Si elle continue ainsi, je ne vais pas pouvoir me lever de cette table sans causer un scandale.
****Lorelei****
—Je ne suis pas aussi ingénue que tu l’imagines, Valentine.
Je reprends une nouvelle part du fabuleux gâteau et lèche consciencieusement la cuillère. Au moment où il ouvre la bouche pour me répondre, son téléphone sonne et il décroche, le regard fixé sur ma bouche. Au téléphone, il est alerte et concentré mais son corps exprime tout autre chose. Je continue mon petit manège avec un bruit de gorge du plus bel effet qui je l’espère bien le déstabilisera encore plus. J’en ai presque terminé avec mon gâteau lorsqu’il raccroche.
—Si tu m’appelles encore une nouvelle fois Valentine avec cette voix là, je ne réponds plus de moi.
Il me parle d’une voix sourde, ses yeux plongés dans les miens. Je ne sais pas lequel de nous deux est le plus troublé. Ses pupilles noires me disent plus en un seul instant que tout un discours. Et je sais qu’il lit le même désir dans mon regard. A cet instant précis, je me sens bien. Je me sens convoitée et ça me plait. Un long frisson me traverse et tout d’un coup il se détend et change de sujet. Il me raconte ses débuts, de petites anecdotes croustillantes à souhait qui nous font éclater d’un rire enfantin. Je sens qu’il déploie tout son charme. Il a dû potasser des milliers de fois des bouquins de drague car il a l’art et la maitrise de la discussion homme-femme. Il est taquin sans jamais tomber dans le vulgaire, il me met à l’aise. Puis de temps à autre, il me regarde fixement. Un peu comme s’il fait cesser le jeu de séduction pour laisser place au désir, rien qu’au désir.
—Je ne vais pas coucher avec toi.
—Je ne te l’ai pas encore demandé. Répond-il du tac au tac.
—Parce que tu comptes me le demander ?
—Je n’aurai pas besoin de te le demander.
—Et pourquoi n’auras-tu pas besoin de me le demander ?
—Tu le sais déjà pourquoi.
Cette conversation ne rime à rien, il faut que j’y mette fin. J’appelle la serveuse qui se ramène avec l’addition et la pose devant Valentine. C’est une sale manie ici. Les serveuses posent toujours l’addition devant les hommes comme si les femmes étaient incapables de payer la note. En l’occurrence je n’ai pas sur moi de quoi payer alors je ne vais pas me vexer mais j’espère bien qu’un jour je pourrais entrer dans une pâtisserie comme celle là, y petit-déjeuner avec un homme et régler la note en partant. Cette pensée me rappelle automatiquement les conseils de Madame Khan.
—Il faut que j’y aille. Merci … pour le verre et le gâteau, dis-je en me levant.
Mais il m’attrape la main et me force à me rassoir. Pour la première fois depuis qu’on est assis dans cette pâtisserie je remarque que les yeux des autres clients sont braqués sur nous. Que croient-ils qu’on va se mettre à tourner un mélodrame.
—J’ai pour toi une proposition qui ne se refuse pas. Dit-il à voix basse.
—Quelle proposition ?
—C’est professionnelle pas la peine de me regarder ainsi.
—Et ?
— Je te la soumettrais si tu acceptes de passer le reste de ta soirée avec moi.
—Je ne vais…
—Pas coucher avec moi. Je le sais, continua-t-il en levant les yeux au ciel de manière théâtrale.
Son téléphone se met à sonner de nouveau. Il semble agacé, répond de manière un peu sèche et raccroche.
—Alors ?
—Où va-t-on ?
—Chez moi et avant que tu ne protestes c’est là où j’ai envie d’être avec toi. Mais si tu veux on peut aller ailleurs. Choisis.
Devant mon air sceptique il se met à rire.
—Tu me donnes l’impression d’être le grand méchant loup proposant au petit chaperon rouge de venir faire un tour chez lui. Dit-il en posant un billet de dix mille dans la petite coupelle de l’addition.
—Est-ce le cas ?
—Je n’ai pas l’intention de te manger. Je veux juste passer du temps avec toi. Fais-moi confiance s’il te plait.
— Je te préviens… je ne vais…
— Lola !
— Ok, allons-y, mais d’abord, je voudrais un autre gâteau au chocolat. Dis-je espiègle.
— Si tu le manges de la même manière que le premier, je ne préfère pas…
Je souris et lui fais signe de me le prendre.
J’avais oublié combien de fois c’est agréable de se faire chouchouter par un homme qui te désire mais se retient de te brusquer. Avant de sortir de la pâtisserie, on est revenu vers le présentoir et j’ai pu choisir un mille feuilles au chocolat. Il a ajouté toute une panoplie d’autres gâteaux exclusivement au chocolat puis a payé.
—Pour te remercier, je te promets de tout manger en gémissant encore plus fort, je lui murmure à l’oreille pour le taquiner.
Moins un il trébuchait. Ah les hommes !
****Un peu plus tard. ****
****Mike****
Je scrute le dojo à la recherche de la jeune femme de la dernière fois. Je ne sais même pas ce qu’elle voulait me dire alors je ne pourrais sans doute pas deviner la personne qu’elle accompagnait.
Le petit nouveau s’approche de moi avec un air un tout petit peu méfiant. Je sais que je m’y suis mal pris avec lui la dernière fois. Je ne sais vraiment pas y faire avec les gamins. Il prend un petit carnet et y note quelque chose.
« Bonjour sensei Mike. Ca y est je peux m’entrainer avec vous ou pas ? »
Je lui rends son mot. Je ne comprends pas du tout pourquoi ce gamin veut absolument s’inscrire à mon cours. Habituellement, je terrorise les enfants et ils choisissent toujours Izzy. Mais lui !? Je n’en veux pas. Même quand leur mère tente de me les refourguer de force pour espérer bénéficier de « faveur » je les refuse. Pas les mères, juste les enfants. Les femmes et moi, c’est une longue histoire d’attirance répulsion que je me plais à entretenir.
—Négatif petit.
Je suis préoccupé. Je ne sais pas si je devrais chercher à revoir cette fille mais je ne peux m’empêcher de vouloir obtenir des réponses. Ma grand-mère est quasiment devenue muette depuis qu’elle s’est exclamée sur ce que je lui ai raconté. Peut-être qu’en la revoyant, j’arriverai à dissiper le malaise qui m’habite. Peut-être. Je tourne les talons et m’éloigne de lui.
Alors que je m’habille pour rentrer chez moi, mon téléphone sonne. Je ne connais pas le numéro. Je décroche. Très peu de personnes m’appellent.
—Allo ?
—Bonjour, je suis Alexander Khan, j’aimerais parler à Mike.
—C’est moi.
—J’ai une proposition pour vous. Pourrions-nous nous rencontrer dans les plus brefs délais ?
Pourquoi le richissime indien souhaite me rencontrer ? Et d’ailleurs qui lui a parlé de moi ?
****Chez Gabriel****
****Lola****
— Tu t’imaginais que j’allais te sauter dessus dès la porte d’entrée franchie n’est-ce pas ?
J’ai un peu honte de l’avouer mais je m’étais même préparée à lui filer un bon coup de pied dans les parties intimes si jamais il tentait quoi que ce soit avec moi.
On est avachi tous les deux sur l’épaisse moquette de son salon pour nous aider à digérer ce qu’on vient de manger. Mais même ainsi, Gabriel ne se décontracte pas une minute. Il a changé de chemise et de pantalon après avoir cuisiné et moi je me suis débarrassée de la chemisette que je portais au dessus de mon top en maille de couleur marron. J’ai enlevé mes sandales compensées et les ai posées à côté de mon sac à main.
Gabriel est un vrai cordon bleu. Il cuisine comme un chef. Ca faisait longtemps que je n’avais pas aussi bien mangé.
—Alors ? Que penses-tu de cette soirée ?
Je déguste mes petites pâtisseries tandis qu’il m’observe attentivement. Il le sait que la soirée est réussie et il veut juste que je le dise à haute voix.
—Les plats n’étaient pas assez épicés. Finis-je par lâcher.
— J’ai l’estomac fragile alors je ne cuisine pas épicé. Tu m’en excuseras.
—T’es pardonné.
On sait tous les deux que je ne parle pas que de la nourriture mais de ce qui s’est passé dans son bureau. Je lui pardonne d’avoir eu honte de moi. Je sais qu’aujourd’hui, il aurait pu m’éblouir avec son argent et qu’il est délibérément resté sobre. Sobre mais attentif au moindre de mes gestes, au moindre de mes désirs. Pour moi, la journée a été plus que parfaite.
Je suis une fille avec les pieds sur terre. Dans ma réalité à moi, les filles comme moi n’attirent l’attention de mecs comme lui que parce qu’ils ont envie de coucher. Il en a envie, je ne suis pas bête au point de ne pas voir quelque chose d’aussi criard. Mais par respect pour ce que je lui ai dit, il attend. Je crois que voir un homme attendre est la plus belle chose au monde. Pouah! Je deviens romantique ma parole ! Reviens sur terre Lola.
Bah quoi j’ai bien le droit de me dire que c’est la plus belle journée que j’ai passé depuis le réveil de papa de son AVC, depuis les remises de bulletins de Raphael… C’est la plus belle journée que j’ai passée avec un homme.
—Viens là toi.
J’hésite. Il s’approche de moi, me prends dans ses bras et m’installe dans le fauteuil en cuir de son salon. Tout ici respire le luxe et le cuir. Des salons comme ça, je n’en ai vu que dans les films américains. Je suis toujours dans ses bras et ses lèvres ne sont qu’à quelques centimètres des miennes. Puis il s’assoit sur la moquette à mes pieds la mine joyeuse.
—Connais-tu l’histoire des Destiny Child ?
— Le groupe de Queen B, Kelly et Michelle ?
—Oui c’est ça…
— Bof. J’écoute juste la musique tu sais. Les biographies, je laisse ça aux autres.
Il rigole doucement.
- Le père de Beyoncé croyait tellement en leur groupe à l’époque composé de quatre membres, qu’il a abandonné son boulot pour les manager à temps plein. Sa femme a crié au scandale mais il a tenu bon. Aujourd’hui, sa fille est l’une des artistes noires les plus respectées dans le monde du show business. S’il n’avait pas cru en elle, Beyoncé serait peut-être comptable dans une entreprise américaine de la place et chanterait dans les karaokés les samedis avec ses cinq gosses, qui sait !
Je ne comprends pas là où il veut en venir.
—Je crois en moi Lola. Je crois en moi à un point où mon père ne m’adresse quasiment plus la parole. Il estime que mon boulot c’est des enfantillages. Pour lui le spectacle ne paie pas. Il lui faut du solide, de la terre dans les mains, des bâtiments à construire, des milliards à gérer… Mais je crois en moi parce que j’ai une vision dingue de mon projet. Je ferai ce que les autres n’ont encore jamais fait ici au Gabon. Et le plus beau dans tout ça c’est que je t’ai rencontrée toi. Ca ne peut pas être le fruit du hasard. Et je crois en toi, en ton talent, en ta voix. Je n’ai plus aucun doute sur quoi que ce soit depuis que je t’ai entendu chanter du Aretha Franklin. Tout est maintenant clair dans ma tête. Je vais tout miser sur toi. Tout. Sérieux ma belle. L’aventure ne fait que commencer.
J’ai le souffle coupé par ce que j’entends. Mais je garde la tête étonnamment froide. Je me redresse et passe une main nerveuse dans mes longues mèches auburn. J’en ai mis du temps pour placer toute seule ce tissage et me tailler une frange devant à la lame de rasoir. J’en ai mis du temps à me maquiller avant qu’il ne passe me chercher : du fond de teint, du khol pour les yeux, des lèvres brillantes. J’ai souligné les atouts de mon visage sans trop en faire. Et je crois qu’il aime ce qu’il voit. Est-ce tous ces artifices qui le poussent à me faire une telle proposition !
—Quel est le prix à payer pour voir ce rêve se réaliser ?
Je ne suis plus une enfant. Personne ne te fait une telle déclaration sans demander une contre partie. Personne. Même pas mon beau Monsieur Chocolat.
—Travailler dur, tout perfectionner à l’extrême. C’est la clef de la réussite.
Il se fout de moi ?
—Ecoute tu viens de larguer ta copine si j’ai bien compris et je suppose que ce n’est pas simplement pour mes beaux yeux. On sait tous les deux ce que tu veux. Et …
Je me tais. Son attitude tout à l’heure si enthousiaste quand il me parlait de son projet et de ses rêves a changé du tout au tout. Il est en colère. Déçu même. Pourquoi ? Je ne fais que dire la vérité. Les hommes veulent tous une seule et même chose : profiter des corps qui s’offrent à eux.
—Je n’avais encore jamais parlé à quelqu’un comme je te parle à toi. Je te parle de réaliser des rêves ensemble et toi tu…
—Moi je quoi ? Tu veux coucher avec moi oui ou non ? Tu vas miser de l’argent sur moi et ne rien demander en échange. Je ne suis pas conne Valentine. Je suis peut-être jeune, démunie, ambitieuse, tout ce que tu voudras. Mais je ne suis pas conne.
— Pourquoi parles-tu comme si j’étais le seul à te désirer. Comme si toi tu ne me désirais pas. Comme si on n’était pas fait l’un pour l’autre ?
Il va trop vite. Je me lève. Il faut que je rentre. J’ai assez rêvé pour aujourd’hui. Il ne me laisse pas passer. Il me domine de son regard noir.
— Dis-moi ce que tu veux… dit-il tout doucement.
Son haleine légèrement avinée frôle mes lèvres. Je lève les yeux pour rencontrer son regard trouble.
— Je veux…
— Dis le moi. Je suis prêt à te donner ce que tu veux.
— Je veux du temps.
—Du temps ?
— Je ne serai peut-être jamais ton égal mais je … je veux … je ne veux pas que mon nom soit englouti par le tien. Je ne veux pas coucher avec toi et les cinq minutes après te dire que je dois payer la rééducation de mon père, les tontines de ma mère, l’école de mon frère, mon tissage, mes vêtements, ma serviette, mon vernis, le gaz à la maison, mes cahiers…
Je pourrai continuer longtemps ainsi mais il recule d’un pas. Ai-je tort d’estimer que ma valeur ne doit pas dépendre de ce qu’il me donnera mais de ce que j’aurai accompli de moi-même ? Ai-je tort d’écouter les conseils de Madame Khan ? Je connais des filles qui me diront si je leur raconte ma soirée : « t’es vraiment trop bête, l’argent vient cogner à ta porte et tu refuses d’ouvrir ? »…
Si l’argent vient encore cogner à ma porte un jour, j’ouvrirai et je dirai dans un futur très proche: Argent, j’ai déjà plein de tes frères et sœurs sur mon compte, si tu veux tu restes, si tu ne veux pas continues ton chemin.
J’essaie de lui expliquer avec mes mots à moi, mes sentiments confus et mes incertitudes. J’ai peur qu’il ne me trouve trop gonflée de le traiter ainsi.
—Dès que je t’aurais fait toucher les étoiles, je viendrai réclamer mon dû que ce soit bien clair entre nous.
Alors, il est d’accord ?