Chapitre 15 : Le cadeau
Write by Auby88
"Le cadeau, dira-t-on, n'a rien de somptueux, mais venant d'un ami, tout nous est précieux.
Théocrite ; Idylles"
"Un cadeau est pur lorsqu'il provient du coeur et est donné à la bonne personne au bon moment et au bon endroit, et quand nous n'attendons rien en retour.
Bhagavad Gita"
Assise à même le sol, les yeux plus enfouis dans son téléphone — Elle converse sur WhatsApp — que dans son cahier, Afiavi s'efforce de réviser pour sa composition du lendemain. Le téléphone fixe sonne. Elle se précipite pour décrocher.
- Cica ! Un appel pour toi, crie-t-elle. C'est Richmond.
Cica s'amène aussitôt au salon.
- Merci, dit-elle en prenant l'appel.
Afiavi demeure près d'elle. Avec la main, elle lui fait signe de s'éloigner mais la curiosité et la hardiesse de l'adolescente l'empêchent de bouger. Elle écoute attentivement ce que Cica dit mais ne parvient pas à entendre l'interlocuteur.
- Il faut que je m'absente. Je ne tarderai pas !
- Tu vas le rejoindre, n'est-ce-pas ? Je pensais qu'il ne t'intéressait pas.
Cica ne répond pas.
- Tu y vas habillée ainsi ?
- Afiavi, je ne vais pas à un rendez-vous amoureux. Je vais juste voir quelqu'un qui a besoin de moi.
- Mais …
Cica ne l'écoute plus. Elle se hâte de rejoindre Richmond.
Debout dans son salon, Richmond parcourt ses mails sur son mobile. Il y a sur lui une odeur de parfum d'homme si forte qu'on peut croire que le flacon entier s'est renversé sur son polo rouge, légèrement moulé à ses pectoraux. Il passe sa main gauche sur ses joues et son menton pour s'assurer qu'il s'est bien rasé.
Le mobile sonne. C'est Sandra qui appelle pour prendre de ses nouvelles. Elle est à l'autre bout du pays pour deux jours, précisement à une séance photos pour un magazine sud africain célèbre, dont une représentation se trouve à Cotonou. Le parc du Pendjari et les chutes environnantes ont été choisis pour se conformer au thème Nature de la campagne photographique.
La belle mannequin latino ne paraissait pas inaperçue lorsqu'elle assistait aux soirées mondaines de sa future belle-mère ou de quelque autre personnalité importante. En plus, sa renommée dépassait les frontières canadiennes et mexicaines.
Au final, avoir Sandra loin de lui, est une aubaine pour Richmond. Au téléphone, il reste le plus courtois, aimant et rassurant possible, prétextant même qu'il est encore au lit, qu'il fait la grasse matinée. La discussion entre eux deux a été brève ; Sandra n'ayant que quelques minutes de pause. Quand elle raccroche, il laisse échapper un soupir de soulagement. Il craignait que Cica arrive pendant qu'il conversait avec Sandra.
La sonnerie de la maison retentit. Il vérifie les derniers détails et se lève pour accueillir son invitée.
- Bonjour Richmond. Je suis venue aussi vite que j'ai pu. Tu m'as dit que tu avais quelque chose d'urgent à me dire.
Elle est affublée d'une tenue locale, un boba et ses cheveux, sûrement à cause du vent, sont en bataille. Son apparence le déconcerte quelque peu. Mais ses jolies courbes, que dévoile son pagne noué autour de la taille, révèlent cette féminité qu'il ignorait d'elle.
- Bonjour, Cica ! Je ne pense pas avoir exactement utilisé ces mots, mais je te remercie pour ta promptitude. Tu veux que je te serve quelque chose ?
Il se dirige vers son bar.
- Je ne bois pas d'alcool.
- Pardon, j'avais oublié ! dit-il en revenant vers elle. Un instant, je demande qu'on te serve un nectar de fruits.
- Ce n'est pas la peine, je t'assure. De toute façon, je ne pourrai pas rester longtemps.
- Ne me dis pas que tu comptes m'abandonner comme la dernière fois ? réplique-t-il en affichant un visage déçu. Si c'est ma .., si c'est Sandra qui te fait fuir, rassure-toi, elle n'est pas là.
- Je vois, répond-t-elle sans conviction. Je t'écoute à présent.
Il libère quelques coussins et l'invite à s'asseoir dans le canapé. Ses yeux survolent la pièce.
- Asseyons-nous. En réalité, je t'ai fait venir pour t'offrir ceci.
De dessous la table basse aquarium, il sort un paquet. Elle est bien surprise.
- Tu aurais simplement pu me dire cela au téléphone.
- Je parie que si je l'avais fait, tu ne serais pas venue aussitôt, voire même tu ne serais pas venue du tout.
Elle sourit.
- C'est possible, mais tu n'avais pas à te déranger pour moi, Richmond !
- Je tenais à te témoigner ma gratitude. Allez, ouvre-le.
Elle lève les yeux vers lui. Elle a l'air d'une gamine devant une nouvelle poupée. Il sourit.
Avoir dans ses mains un cadeau si joliment emballé signifiait beaucoup pour elle, l'orpheline. Cela remontait à bien longtemps qu'on ne lui en avait pas offert, en tout cas pas avec le décor autour. Elle passe ses doigts nostalgiques sur le paquet et hésite à l'ouvrir. Richmond est un peu étonné par son geste ainsi que l'émotion qu'il lit dans ses yeux.
- Tu veux que je t'aide ?
Elle n'objecte pas. Il ouvre le paquet avec une rapidité inouïe qu'elle regrette, puis il la laisse découvrir ce qu'il y a à l'intérieur. Un téléphone portable et un roman.
Elle ne veut pas du téléphone, mais Richmond insiste pour qu'elle le garde, argumentant que c'est en compensation du sien, dérobé le jour de l'accident. Elle finit par accepter.
Avec le roman dans ses mains, la joie de Cica est à son comble. Elle adore lire. C'est à travers les livres qu'elle a beaucoup appris sur le monde.
Chaque année, à des périodes données, des écrivains sans frontières venaient offrir des livres aux enfants de l'orphelinat. C'était ainsi que, depuis son enfance, elle avait pu étancher sa soif de lire, se réfugiant dans la vieille bibliothèque de l'institution pour s'abreuver durant des heures.
- Merci Richmond ! Tu ne peux savoir combien je suis ravie.
Il la regarde avec admiration. Son humilité l'enchante.
- C'est le vieux qui m'a conseillé.
- Merci à tous deux.
- Je t'en prie. Ouvre la première page.
Elle s'empresse de tourner la première feuille pour découvrir les mots de Richmond.
« Je t'offre "Une femme d'exception" pour la femme exceptionnelle que tu es. »
Elle n'arrive plus à contenir les larmes qu'elle retient depuis peu, se remémorant toutes les péripéties de sa vie. Il lui tend un mouchoir en papier. A ses yeux, elle est encore plus belle quand elle pleure et se montre si vulnérable. Auparavant, ce genre de femme pleurnicheuse le dégoûtait.
Elle s'essuie le visage et découvre un sourire radieux, scintillant — ponctué par une petite diastème entre ses deux incisives supérieures — qui plaît davantage à Richmond.
Son visage net, empreint d'innocence et de sincérité lui rappelle vraiment celui d'un ange. Pas un seul grain de beauté n'y figure ; pas un petit bouton ne s'y remarque. Il aimerait toucher, caresser cette peau visiblement douce, lisse. Ses lèvres naturellement pulpeuses donnent envie d'être goûtées et son nez est bien mignon.
Elle est si proche de lui. Il n'arrive plus à résister à cette envie qui trotte depuis dans sa tête, bien qu'il sache que Cica n'est pas le genre de femme qui aime qu'on la brusque, qu'on la prenne au dépourvu. Ne dit-on pas que "Qui ne risque rien n'a rien ?" Et puis, il est certain qu'elle en a autant envie que lui.
Sans qu'elle s'y attende, il pose ses lèvres contre les siennes. Elle rejette sa tête en arrière et se lève promptement.
- Pourquoi as-tu fait ça ? interroge-t-elle en le fixant.
- J'en avais envie et je pensais que toi aussi.
Elle semble perdue.
- ... que je le voulais aussi ? Je ne te comprends pas, Richmond.
Il semble aussi perdu.
- Ta gentillesse envers moi, la façon que tu as de me regarder, l'attention que tu me portes, la promptitude avec laquelle tu m'aides, tous ses services que tu me rends sans rechigner, tous ces petits détails m'ont fait croire que je te plaisais ; et tu ne me laisses pas indifférent.
- J'ai toujours été ainsi avec les gens que j'apprécie. J'ai toujours fait passer les autres avant moi. Tu as juste mal interprété Richmond. Je ne suis pas intéressée par toi, ni par une quelconque relation actuellement. Et même si j'avais envie de fréquenter quelqu'un, ce ne serait pas un homme engagé comme toi.
Elle parle avec assurance. Il demeure perplexe.
- Et c'est toujours par altruisme que tu as passé trois nuits à mon chevet à l'hôpital, que tu as bravé les règles et l'opposition de ma famille pour y rester, et que tu t'es introduite chez moi malgré que je t'ai rejetée à l'hôpital ?
- Oui, Richmond. En plus, j'étais rongée par la culpabilité.
Il lui tourne le dos et part se servir un petit verre de whisky, qu'il boit d'un trait. Immobile, elle demeure, cherchant ses mots.
- Je m'excuse Cica, poursuit-il en revenant vers elle. Mais à l'avenir, veille à être moins équivoque. J'espère que ce léger incident n'affectera pas nos relations.
Elle le rassure. Elle semble plus détendue.
- Ne t'inquiète pas pour cela, Richmond. Nous sommes des adultes. En tout cas, tant que tu ne recommenceras pas, tu ne recevras pas mon poing dans le visage.
Il éclate de rire.
- J'aurais voulu te rencontrer deux ans plus tôt. Peut-être que, me sachant célibataire, tu m'aurais donné une chance.
Elle hausse les épaules.
- A présent, il faut que je m'en aille. Je suis restée plus que prévu. Au moins, venir ici m'aura servi à avoir ce livre magnifique et ce portable. Toutefois, je ne pense plus remettre les pieds chez toi.
Il s'approche d'elle.
- Tu n'as pas à avoir peur de moi, Cica. J'ai retenu la leçon et je sais être sage quand une femme, aussi belle et admirable comme toi, me le demande, achève-t-il en murmurant les derniers mots.
Il plonge ses yeux dans les siens dans une dernière tentative de séduction. Elle remarque que les yeux de Richmond sont particulièrement beaux, couleur de l'émeraude. On pourrait les comparer à ceux du séduisant docteur Jackson AVERY dans la série Grey's Anatomy.
Un doux frisson lui parcourt tout le corps. Elle détourne aussitôt son regard, prend le roman et le téléphone qu'elle glisse vite dans son sac, lui fait aurevoir de la main et se précipite vers la sortie. Il souhaite la raccompagner, mais elle refuse. Il n'insiste pas. Elle s'en va.
Elle est bien loin, à présent. Il pouffe de rire, se rémémorant le ridicule dont tous deux ont fait preuve, avec une certitude à l'esprit : il n'est pas indifférent à Cica, bien qu'elle s'obstine à le nier.