chapitre 16
Write by leilaji
LOVE SONG
Tome II
(suite de Xander et Leila + Love Song)
Episode 16
Leila
La douleur au moment précis où je comprends les implications de ce qui est écrit sur l’écran du téléphone de Denis m’explose au visage. Je ne suis pas physiquement attaquée mais c’est tout comme. Mon cœur s’est arrêté de battre. Comme si chaque mot lu s’était transformé en fine lame méthodiquement enfoncé dans mon cœur. L’effet est fulgurant et écrase tout sur son passage. Je ferme les yeux. Le monde autour de moi disparait. Dans un mouvement de défense puéril, je me retranche en moi, dans les souvenirs les plus précieux de mon mariage.
Je me rappelle. De ce soir où je n’en pouvais plus de prendre des médicaments censés m’aider à améliorer le peu de fertilité qu’il me restait. Je me débattais avec ces problèmes qui m’affectaient psychologiquement. Les absences répétées de Khan n’arrangeaient rien.
Il est rentré de voyage quelques jours plus tôt et on a dû assister le soir là, à une fête organisée par de potentiels investisseurs indiens. Afin de les mettre en confiance, sa présence était souvent souhaitée dans ce genre de circonstances. Et lui ne manquait jamais de me demander de l’y accompagner. Il avait toujours à cœur de me présenter à ces hommes d’affaires afin qu’ils me prennent comme partenaire pour les accompagner sur le plan juridique et administratif dans leur implantation en terres gabonaises. Même quand j’étais trop fatiguée pour jouer efficacement à ce jeu d’hypocrisie social. La course à l’enfant n’est pas seulement éprouvante sur le plan social et psychologique. Elle l’est tout autant sur le plan physique : douleur abdominale, mal de dos, prise de poids et perte de poids quand on arrête. Je n’en pouvais plus et je n’avais pas grand monde à qui me confier. Même pas Elle.
Je n’ai donc pas pu être la Leila qu’il aimait me voir être et nous sommes rentrés à la maison sans nous adresser la parole.
Je suis montée directement me changer et me coucher car j’étais trop fatiguée pour prendre une douche fut-elle rapide. Il est resté au salon se servir un verre pour se calmer avant de monter et quand il m’a rejoint, je savais déjà qu’on allait se disputer.
Je portais une nuisette en soie bleue qu’il aimait particulièrement parce qu’elle se dégrafait sur le devant de la poitrine. Il a ôté sa veste, sa cravate, ses chaussures et s’est adossé au placard qui faisaient face au lit. On a eu des milliers de discussions dans cette position. Lui assis par terre et moi sur le lit. Il a voulu sortir de sa poche son paquet de cigarette mais le regard que lui ai lancé l’en a empêché.
— Il va falloir que tu me parles.
— De quoi ?
— De ce qui te dérange. Je suis désolé de te l’avouer mais je n’ai pas de sixième sens qui m’explique les humeurs changeantes de ma femme. Donc… il va falloir que tu me parles.
Je l’ai longuement regardé. J’ai observé le bracelet en cuir à son poignet, ses bagues. J’ai remarqué que ses cheveux mériteraient une bonne coupe car ils lui tombaient sur les épaules. J’ai remarqué qu’il avait des cernes sous les yeux et que l’éclat du vert de son regard s’était délavé. Si sa mère le voyait dans cet état que dirait-elle ? C’est comme ça que tu t’occupes de mon fils ? Ce n’était pas le moment pour une dispute. Alors j’ai pris sur moi et j’ai souris. Ton mari ne peut pas courir le monde et rentrer trouver des disputes et des problèmes à la maison, me disait Elle en permanence.
— Ca va Xander.
— Si tu le dis, je dois te croire alors.
— Je vais bien je t’assure. On peut se coucher maintenant ?
Il a vidé son verre et l’a posé par terre avant de se lever sans pour autant s’approcher de moi.
— Puisqu’il n’y a aucun problème, je suis sûr que tu sauras alors me dire pourquoi tu as simulé ces derniers temps…
Jamais au grand jamais je n’aurai cru entendre un jour ce mot sortir de sa bouche. Il semblait maitre de lui. Les mains dans les poches de son pantalon, un pied replié et la tête légèrement penché sur la droite. Mais le peu de vert qui colorait son regard avait fondu pour laisser place à un brun olivâtre. J’ai donc compris que son attitude distante n’avait rien à avoir avec le fiasco de la soirée mais plutôt ce que j’avais bêtement décidé de faire dans ses bras.
Gênée. Honteuse, complètement angoissée à l’idée de lui répondre, j’ai fermé les yeux pour ne plus croiser les siens.
— Lei. Je t’assure que si tu es fatiguée et que tu as envie de dormir, tu ferais mieux de me répondre maintenant. Et en me regardant droit dans les yeux.
J’ai ouvert les yeux mais regardé à côté. Je me sentais comme une petite fille prise en faute. Evidemment quand on simule, on ne se sent pas très fière de cela mais quand le partenaire le découvre c’est encore pire.
— Mera dil parle. Je… vais perdre patience.
Je me suis mordue les lèvres et j’ai regardé le plafond pendant que je parlais.
— Je pourrai tout mettre sur le dos des médicaments que je dois prendre pour tu sais quoi et qui jouent au yoyo avec mon mental mais je crois que ce n’est pas que ça…
— Tu n’as plus envie de moi ? m’a-t-il demandé d’une voix tremblante.
— Il ne s’agit pas de ça Alexander… C’est juste que je suis souvent fatiguée par tout ce que je dois gérer en ton absence. Et qu’il est hors de question que tu voyages pour ton boulot et reviennes trouver « miss glaçons » à la maison. Je suis absolument terrifiée à l’idée de te dire que je suis fatiguée ou pas d’humeur et que tu repartes sans obtenir ce que tu voulais…
— Lei…
— Laisse-moi finir. Que ce soit à Dubai ou à Mumbai, tu seras seul à l’hôtel, fatigué et toi et moi savons ce qui est arrivé la dernière fois que les circonstances se sont enchainées contre nous. Je les vois souvent tu sais…
— Qui ?
— Ces femmes. Mille fois plus belles que moi. Je ne me dévalorise pas, rassure-toi. Mais je suis conscience de ne pas être une belle femme comme Elle ou une bombe pétrie d’assurance comme Eloïse… Et je suis troublée par ce que tu trouves de plus joli chez moi. Je suis troublée que ce soit mes cheveux parce qu’ils sont aussi longs que ceux des femmes de chez toi. Comme si tu aimais notre différence tout en étant rassuré par cette similitude. Chaque voyage que tu fais Alexander, je ne dors pas. Et quand tu es là, je suis à la fois tellement soulagée et emplie de peur, de stress. Le bébé n’est toujours pas là. Combien de temps encore vas-tu être compréhensif ? Une de mes collaboratrices vient de divorcer et elle est en pleine dépression. Elle a fait 15 ans avec son mari. Elle lui a consacré 15 ans de sa vie et ils se battaient tous les deux pour avoir un enfant. Et elle a découvert qu’il a enceinté sa maitresse. Toute la famille s’est détournée d’elle pour accueillir à bras ouverts la petite perle enceinte. Et quand devant elle, la mère du mari a demandé à son fils s’il était sûr de ne plus vouloir de sa femme, sais-tu ce que ce petit con a répondu ? Oui, je ne veux plus d’elle. Je choisis Mélodie parce qu’elle m’a donné un enfant. Comme si sa femme faisait exprès de ne pas lui en donner un ! Ils n’avaient pas assez pour essayer les FIV aux Etats-Unis. Elle a emprunté à la banque la somme nécessaire et je lui ai servi de caution. Elle a emprunté parce qu’il n’avait pas de quoi payé puisque chômeur ! Et comment il la remercie de s’être dévouée ? Il a effacé 15 ans de la vie de sa femme pour un bébé avec sa maitresse. Comment peut-on faire ça ? J’ai peur Alexander. J’ai peur en permanence. Ca me glace le cœur et je me dis : « protège toi car on ne sait jamais ». Protège-toi comme ta mère te l’a enseigné pour ne pas souffrir comme les autres si jamais ça t’arrive. Et quand tu me touches, je me referme sans même m’en rendre compte et … je ne l’assume pas alors je t’offre ce qu’un mari est en droit d’attendre de sa femme quand il la tient dans ses bras pour que jamais tu ne te dises, je n’ai pas envie de rentrer à la maison. Tout ce que je te dis est confus et embrouillé et … je trouve effrayant de laisser à un homme el pouvoir de te détruire à tout instant. J’ai besoin de me protéger…
Je me suis arrêtée de parler. Consciente d’y voir plus clair maintenant que j’ai pu partager avec mon mari mon malaise.
— Je suis désolée Khan. Vraiment.
Pendant de longues minutes, aucun de nous deux n’a repris la parole. Une larme a fini par glisser sur ma joue et je l’ai vite essuyée du revers de la main.
— Tu es l’une des plus belles sinon la plus belle à mes yeux.
— C’est gentil.
— Ce n’est pas de la gentillesse. C’est juste la vérité Leila. Et parce que tu es aussi la plus forte à mes yeux, à aucun moment je ne me suis dit que tout ça serait difficile pour toi.
— Ca l’est Alexander.
— Alors je te demande pardon. Sincèrement. Pardon. Et la prochaine fois, dis moi les choses au lieu d’essayer de les gérer.
— Ok.
Il a croisé ses bras et ses yeux se sont légèrement réchauffés.
— Et puisqu’on en est là, la chose que je préfère chez toi ce ne sont pas tes cheveux. Même si j’adore y passer les mains en permanence.
— Ah bon ?
— Oui. J’aime plus que tout au monde… le rose de tes lèvres.
J’ai souris en me mordant les lèvres. Puis j’y ai passé un pouce, songeuse.
— Je ne parle pas de ses lèvres là mera dil. Je parle de celles que personne d’autre que moi ne peut embrasser, que je ne partagerai même pas avec nos enfants. Celles dont la seule vue me fait perdre la tête. Celle dont la couleur contraste joliment avec le noir de ta peau. Celles qui ont une douceur et une odeur particulière… Celles qui m’appartiennent
Avec ses paroles, il a allumé le feu dans mes veines.
— Tu es fatiguée et pas d’humeur n’est-ce pas ?
J’ai baissé les yeux pour ne pas répondre.
— Montre-moi ce qui est à moi Leila, a-t-il murmuré.
— Alexander.
— Si je dois te supplier pour ça, je vais mal le prendre.
J’ai légèrement écarté les cuisses.
— Je ne vois rien Lei.
Je les ai encore éloignées l’une de l’autre. Mon corps était fiévreux. Soumise à son regard, complètement vulnérable, je ne savais quoi dire.
— Tu te sens mal à l’aise ?
— Un peu.
— Comme si je prenais le dessus. Et je sais à quel point tu as horreur de ça.
— Alexander…
— Regarde-moi faire.
Il s’est débarrassé de sa chemise et a marché vers moi. Son regard est descendu vers mon intimité avant de remonter vers mon visage. Au moment où j’ai voulu fermer mes cuisses, ses mains m’en ont empêchée.
— Regarde comment je n’ai d’yeux que pour toi.
— Alexander que fais-tu?
— Je te donne ce à quoi une femme s’attend quand son mari rentre de voyage et qu’elle est trop fatiguée. Je t’expose… le pouvoir que tu as sur moi, a-t-il dit en s’agenouillant entre les cuisses. Surtout Lei. Regarde. Ne ferme pas les yeux. Et dis-moi ce que tu veux…
— Alexander…
— Dis moi ce que tu veux mera dil.
— Embrasse-moi, j’ai murmuré.
Le désir m’a submergée et j’ai senti mon sexe palpiter, avide de sensations fortes. Il s’est rapproché de ma bouche et a posé ses lèvres sur les miennes. Je l’ai embrassé avec passion comme affamée, en manque de lui, de nous dans cet état depuis très longtemps. Sa langue ralentit le rythme et il a fait cesser notre baiser pour caresser mes lèvres du pouce. Un gout de cigarette et de whisky a empli ma gorge me rappelant que j’associerai toujours ce gout à celui de mon mari. Mais quand je parlais de m’embrasser, je ne parlais pas d’un baisser sur les lèvres. Et il le savait parfaitement. Je me mords les lèvres.
— Xander ?
— Oui ?
— Rien.
— Pourquoi as-tu peur d’exiger ce que tu veux de moi ? Fais le maintenant Lei. Pour que plus jamais tu n’aies peur de m’exiger tout ce que je dois te donner afin que tu te remémores à quel point tu es tout pour moi.
Il soutenait mon regard de telle manière que j’en ai presque oublié la position indécente dans laquelle j’étais. Je me suis mordu la lèvre, à en saigner presque. Ses grandes mains pétrissaient mes hanches à m’en faire perdre la tête. Il a baissé la tête jusqu’à ce que ses lèvres se rapprochent des miennes. Il a soufflé tout doucement sur ma peau, étrange caresse envoutante. Instinctivement, j’ai posé ma main, mêlant mes doigts à ses cheveux sur sa tête pour qu’il ne s’arrête pas. Mais il n’a plus rien fait d’autre à part lever les yeux sur moi. Le souffle court, le désir faisant disparaitre toute honte de lui appartenir si entièrement, je lui ai dit ce qu’il avait envie de m’entendre dire.
A cet instant là, je me suis rendue compte qu’il n’y avait absolument rien de plus sexy que mon mari agenouillé entre mes jambes me rassurant sur le pouvoir que je détiendrais toujours sur lui.
C’est l’Alexander que je connais. L’Alexander que je découvre à travers les messages de Neina n’est pas le mien. Je ne connais pas cet homme hypocrite que je vois à travers ces mots. Ce n’est pas possible. Mon corps tremble. Il vibre et une voix me parvient à travers le brouillard.
— Leila, Leila… arrête ça tu me fais peur.
C’est la voix d’Elle. Je cligne des yeux et reviens à la réalité. Elle me secouait pour me faire sortir de ma transe. Je transpire alors que je n’ai pas bougé la moindre partie de mon corps. Denis me regarde. Il s’est habillé.
Est-ce possible que ce soit un coup monté ? Pourquoi ferait-il ça ? Pourquoi me ferait-il aussi mal ? Je regarde Elle. Depuis qu’Okili est apparu avec ses mille et unes traditions à respecter, elle me pousse dans les bras de Denis parce qu’elle en a marre de me voir souffrir. Me suis-je fais avoir ?
Je deviens parano. Non. Ce n’est pas possible. Aucune des deux personnes ici présentes ne pourrait me faire un tel mal.
— Leila, lâche ce téléphone, me dit Elle.
— Comment sais-tu ce qu’il y a dans ce téléphone ? Comment ?
— Parce que tu as lu les messages à haute voix comme une hystérique. Donne-moi ce téléphone.
Je m’éloigne d’elle et me rapproche de Denis. Le mot hystérique me blesse plus que de raison. Je me calme. Même si je boue à l’intérieur. Mon regard sur Denis est sans appel. C’est son meilleur ami. Il savait donc forcément ce qui se tramait en Inde. Sans que je ne le lui demande, sans même que je ne l’accuse à haute voix il se défend. Il me connait tellement.
— Ne fais pas ce que tu fais d’habitude.
— Quoi ?
— Utiliser tout le monde et le protéger lui. Princesse, je te jure que je n’en savais rien. Et puis cette fille est une vraie folle. Je suis sûr que rien de tout ça n’est vrai. C’est un dernier coup de poker. N’y fais pas attention.
— Et pourquoi ? Pour qu’il puisse mieux continuer de la prendre pour une conne, demande Elle très en colère.
— Laisse-lui le bénéfice du doute Leila. Je vais tirer tout ça au clair… intervient Denis sans répondre à Elle.
— Quand ? Après que je me marie avec lui devant ma famille entière ? Quand ? A quoi ca sert puisqu’apparemment, le nom sous le quel je signe ne m’appartient même pas. Je l’usurpe à une autre femme.
Je parle sans colère. Elle me demande de m’assoir mais je ne l’écoute pas. Je suis obnubilée par le contenu du téléphone et par l’idée qu’il est impossible qu’il ait pu me faire ça. Que tout cela est trop … gros pour être vrai.
— Déverrouille ton téléphone.
— Pourquoi ?
— Déverrouille…ton …téléphone, j’ordonne encore plus calmement que précédemment.
Denis s’exécute et me le tend. J’ouvre l’application whatsapp et vérifie le numéro enregistré sous le nom de Neina. Il s’agit bien d’un numéro indien. Je réponds à Neina comme si c’était Denis. Je lui dis de me prouver qu’elle a raison en m’envoyant tout ce qu’elle peut sur l’adresse e-mail de la fondation Khan. Elle accepte et je rends le téléphone à Denis. Dix minutes plus tard, si j’avais le moindre doute, il s’est envolé. Il y a des documents des avocats sur la nullité de mon mariage avec Khan, il y a des photos de lui tellement heureux, jouant avec sa fille.
En réalité, je n’avais aucune idée de ce qui se passait en Inde. Absolument aucune. Et c’est bien ça qui me rend folle de rage.
— Denis, appelle tout le monde on annule la cérémonie de demain.
— Appelle le plutôt Leila, me conseille Denis. Appelle Alexander parce que si moi qui l’appelle, tu vas penser qu’on est de mèche. Appelle le toi-même.
— Pourquoi ? Pour que d’ici demain, il trouve une théorie vaseuse sur le pourquoi du comment qui me fera croire que Neina est la méchante de l’histoire. Qu’elle l’a une fois de plus piégé. As-tu déjà vu Neina ? As-tu déjà plongé tes yeux dans les siens, as-tu déjà gouté à ses lèvres charnues ? Non. Et crois moi, tout homme qui l’a fait ne dirait pas non à un second tour.
— Tu deviens mesquine et méchante …
— Comme toutes les femmes qui se font tromper. *
— Elle a raison, on va repousser la cérémonie, le temps que tu te calmes.
Elle compose un numéro que je devine être celui d’Alexander.
— Il est dans l’avion Elle. Ce n’est pas la peine, je lui explique en me tassant sur moi-même.
Je suis tout d’un coup si fatiguée. SI fatiguée. Je m’assois sur une des chaise de la salle.
— Bon. Denis tu appelles Okili et moi je vais appeler la mère d’Alexander. Leila n’est pas en état d’assister à quoi que ce soit demain.
— On n’annule rien du tout… je murmure tout bas.
— Pardon ?
— Pose ce téléphone parce qu’on n’annule rien du tout.
C’est très étrange parce que je m’exprime sans crier. Denis comme Elle me regardent comme si j’avais perdu la tête. C’est peut-être le cas. Je me lève car il se fait tard. Je demande à Elle de me ramener chez moi. Elle me propose de dormir chez elle mais je décline l’offre. Denis fait la même proposition, je suis tentée d’accepter mais au final, je préfère être chez moi.
Les réponses à nos questions sont souvent sous nos yeux.
*
**
Je n’ai pas dormi de la nuit et je sais que décider de ne rien dire était une folie. Mais la douleur que je ressens ne me quitte pas, même une seconde de répit, je n’y ai pas eu droit. J’ai passé toute la nuit à fouiller nos relevés de comptes avant de me rendre compte qu’effectivement il versait périodiquement d’assez grosses sommes à un compte domicilié à Mumbai qui n’était ni celui de ses entreprises, ni celui de sa mère. Il ne m’a jamais parlé de ses transactions là. Jamais. Cela dure depuis un an.
Si Elle était là, elle me dirait tout simplement : l’homme, ce chien !
Je n’ai rien annulé parce que la douleur que je ressens, l’humiliation cuisante que représente toute cette mascarade, je veux qu’il la ressente aussi. J’ai passé toute la matinée comme en état second. La maquilleuse a tenu à rendre hommage à la culture de mon mari en me faisant porter des bijoux orientaux et un maquillage prononcé. A chaque fois qu’Elle me croise, elle me supplie des yeux d’annuler la cérémonie. Mais je ne l’ai pas écoutée. Je veux qu’il souffre comme je suis en train de souffrir en ce moment. Et je sais exactement ce qui le fera souffrir comme moi.
Denis parle pour le compte de la famille d’Alexander. La cérémonie a débuté depuis une petite heure avec le folklore habituel. J’ai l’esprit trop embrouillé pour apprécier les efforts consentis par ma famille pour que tout soit parfait. La cour de Monsieur Okili est pleine de monde, divisée en deux camps, installés sous des tentes habillées de raphia multicolore. Nous sommes censés être réunis à la fin de la cérémonie. La liste des demandes de ma famille était plus symbolique qu’autre chose. Evidemment Okili a voulu prouver que sa petite fille n’était pas à vendre. Alors les marchandises au milieu des deux groupes ont été faciles à transporter. Tout se passe bien. A merveille même je dirai.
Alexander ne me quitte pas des yeux. Son regard est doux et plein de désir. Du moins c’est ce que j’y aurai vu auparavant. Maintenant, je ne sais plus quoi penser. Et une toute petite seconde, je me dis que je me suis peut-être trompée. Qu’il est incapable d’une telle trahison si c’est pour me regarder ainsi quand il peut encore l’avoir elle. Alors je sors de mon pagne mon téléphone et envoie un message aussi court que possible. Un message sans accusation, sans haine, son colère. J’envoie juste un mot, un nom que je ne pensais plus jamais voir de ma vie : « Neina ». Je ne le quitte pas des yeux quand il le lit et blêmit. Même à cette distance, je peux voir qu’il est complètement abasourdi de voir que je sais.
« Je peux tout t’expliquer » répond-il. Il lève les yeux et son regard se fait implorant.
J’espérais qu’il écrirait : « de quoi tu parles ? Pourquoi parles-tu d’elle un jour si important pour nous» Mais non. Il a écrit : je peux tout t’expliquer. Pourquoi ne pas l’avoir fait plus tôt alors? Toutes les larmes retenues depuis la veille, menacent de couler mais je préférerai mille fois me faire rouler dessus par un tank plutôt que de pleurer.
Je me lève, alors que quelqu’un de ma famille parle de moi qu’on donne à Alexander sans cicatrice, belle comme le jour, intelligente et diplômée…
Pourquoi j’ai honte alors que c’est lui qui est à blâmer ? Pourquoi j’ai mal alors que c’est lui qui a tort ? Pourquoi je me demande ce que j’ai fait de mal alors que je n’ai fait que l’aimer ? Ma tête est remplie de pourquoi.
Les gens murmurent au fur et à mesure que je m’approche de la marchandise. Je tourne autour comme si j’en évaluais la valeur.
Pourquoi j’ai honte, alors que c’est lui qui a fauté ?
— Leila, reviens t’assoir, dit mon grand père.
— Ce n’est pas assez.
— Leila, intervient Denis.
Elle fend la foule et s’approche de moi en murmurant pour que personne n’écoute ce qu’elle a me dire.
— Leila… C’est toi-même qui as décidé de ne pas annuler tout ça.
— Ce n’est pas assez Elle. Ce n’est pas assez pour ravaler ma honte. Pas assez pour couvrir les mensonges. Pas assez pour le mal qui a été fait et qui ne sera jamais, jamais … Ca ne sera jamais assez Elle. Jamais.
— Leila…
Je n’écoute plus Elle. Et me tourne vers la famille Khan.
— Sortez !
Ma voix est calme et posé et mon visage est sec. Les murmures s’amplifient. Les gens cherchent à comprendre ce qui se passe. Alexander se lève. Sa mère immédiatement après. Elle essaie d’attirer son attention pour qu’il lui explique la situation mais il ne me quitte pas des yeux. Il finit par dégager son bras des mains de sa mère et s’avance vers moi.
— Qu’est-ce que tu fais ? Comment peux-tu traiter ainsi ma famille devant tout le monde? Pourquoi te mets-tu dans cet état pour l’enfant ? Dois-je laisser mon sang loin de moi éternellement ? N’est-ce pas toi qui en voulais ?
— Tu es fou
— Mera dil…
Oh mon Dieu c’est la goutte d’eau qui fait déborder l’océan ! J’explose littéralement.
— Tu viens de m’apprendre une grande leçon Khan ! Une très grande leçon. Je t’en rends grâce ! Oui. Grace à toi, j’ai appris que le sexe d’un homme est un animal sauvage. Par conséquent, on ne peut le domestiquer d’un coup de baguette magique par une alliance. C’est un animal qui peut être apprivoisé certes, mais il n’en demeure pas moins sauvage. Il ne faut jamais perdre de vue qu’à un moment ou un autre, son instinct de chasseur refera surface!
— Leila !
Il est choqué par ma vulgarité ? Et bien, je ne serai donc plus la seule dans ce cas.
— Je t’ai déjà vu dans tous tes états Khan. Je t’ai déjà vu en joie, peiné, saoul, en colère… Oui, je t’ai déjà vu ivre de colère et j’ai su le gérer. Mais l’hypocrisie, le mensonge, je ne peux pas gérer ça.
— Je n’ai jamais voulu te blesser.
— Sache que toi, tu ne m’as pas encore vu vraiment en colère. Tu n’as absolument aucune idée, pas la moindre miette d’idée, le moindre soupçon de début d’idée de ce dont je suis réellement capable. Crois-moi Khan, tu ne veux pas savoir, car tu ne pourras pas le gérer… parce que tout l’amour que je t’ai porté est en train de se transformer à cet instant même en haine viscérale. Chaque petite parcelle de moi est en train de rejeter en bloc tout ce que j’ai pu ressentir pour toi. Alors si tu es l’homme avisé que je crois que tu es, pars, quitte le pays. Rentre en Inde, retrouver Neina. Sois heureux avec elle. Faites des petits Khan pour doubler la population de l’Inde.
— Leila …
— Ne prononce plus jamais mon nom. J’ai porté le tien, redoublant d’effort en permanence pour en être digne alors que toi, tu n’as jamais été digne de prononcer le mien. Ne t’avise plus jamais de reparaitre devant moi ou tu apprendras à tes dépends que je suis capable de consacrer chaque millième de seconde de ma vie à détruire la tienne.
Alexander sert les poings. Il tente de se maitriser. Comme il me sent réticente à discuter avec lui, il tourne les talons et demande à Denis de s’approcher. J’éclate de rire, comme si c’était la chose la plus loufoque de l’univers qu’Alexander cherche à parler à Denis. Les deux hommes me regardent.
— A ta place je ne parlerai pas à Denis. Il ne peut rien pour toi cher Xander. Puisque le nom Khan n’a plus de sens à coté du mien, puisque je suis une femme aussi libre que l’air, que penses-tu de celui d’Odimba, Alexander? Ne trouves-tu pas qu’il m’ira parfaitement ? Leila Odimba. Je trouve ça parfait. Peut-être vais-je découvrir si tu embrasses aussi bien que lui…
Alexander regarde Denis longuement. Puis il se tourne vers sa mère et demande aux siens de se lever pour partir. Je quitte la cour aussi dignement que je le peux sous le regard éberlué de l’assistance.
Est-ce que ça m’a soulagé ? Non. Est-ce que je le referai ainsi ? Oui.
Chaque pas m’est extrêmement difficile. M’effondrer serait une délivrance. Eclater en sanglot m’aiderait peut-être à me libérer de la douleur. Mais je me l’interdis. Je me rappelle parfaitement de la première fois que j’ai découvert, pour Neina. J’ai pleuré, encore et encore et encore et encore… A quoi ça m’a servi ? A rien. Je ne veux pas encore une fois pleurer devant lui, me dénuder psychologiquement et lui montrer la blessure géante qu’il m’a infligée. Non. Je veux qu’il ait mal car je sais que l’idée de me posséder entièrement faisait sa fierté. Avec ce que j’ai dit, il n’a plus de quoi être fier maintenant.
Mais c’est plus fort que moi, malgré ma volonté de ne rien laisser paraitre, j’exhale un murmure de douleur. J’ai du mal à respirer. Tout ça me déchire de l’intérieur. Qu’ai-je fait de mal ? Chaque sourire, chaque caresse me revient en mémoire comme autant de coups. Chaque promesse, chaque preuve d’amour est salie… Je ne sais plus quoi faire. Marcher m’est difficile. Malgré toute la peine, je me retourne tout de même et le vois de dos s’éloigner entouré des siens.
Ma vie s’effondre.
Qui est Leila sans Xander ?
A suivre…