Chapitre 2
Write by Meritamon
Nairobi.
Kenya. 2011.
Il faisait une chaleur à tuer des mouches dans
la petite salle d’attente de la prison pour femmes de Langata, la plus grande
prison pour femmes du Kenya. Charles Ogbufo fut obligé d’ôter son veston dans
lequel il transpirait. Il regarda avec dédain les installations rudimentaires
autour de lui et se trouva une chaise branlante où s’asseoir.
Charles se trouvait dans cet endroit sordide pour récupérer
Serena Hann, celle qu’il avait promis de prendre soin, et qui après une nuit
turbulente, s’était faite arrêtée pour excès de vitesse, conduite dangereuse en possession de
marijuana au volant de la Porsche de son père, sur une route aux abords de la
ville. Les journaux locaux avaient fait leurs choux gras de l’événement vu le
statut que la jeune femme avait acquis, celui d’être la fille du
multimillionnaire Malick Hann, l’un des hommes les plus riches d’Afrique. Bien
entendu, son père qui était en déplacement en Europe, était hors de lui. Les
deux hommes avaient eu une discussion par vidéoconférence de ce qu’il fallait
faire de la jeune femme.
- Cette fois ci,
elle a complètement dérapé. Prendre ma voiture, faire une course poursuite avec
les flics sur l’autoroute, résister à son arrestation, et qu’on en parle dans les
journaux. C’est une irresponsable que j’ai élevée! Je croyais qu’elle se
trouvait à Londres, qu’elle commençait son trimestre à la London Économics School.
Qu’est-ce qu’elle est venue faire à Nairobi, bon sang?
Charles, comme d’habitude, essayait de calmer les choses et de défendre sa protégée.
- Serena est un peu
désorientée ces derniers temps. N’oublie pas qu’elle est jeune et impulsive.
- Ne la défends pas!
C’est moi qu’elle cherche à atteindre par son comportement, mon nom qui est
traîné dans la boue! Tout ce que j’ai construit, tout ce que je fais, c’est
pour cette fille ingrate! , s’emporta de nouveau Malick Hann sur l’écran.
« Calme toi, Malick.
Nous devons réfléchir à ce qu’elle va devenir dans les prochains jours, voir
les prochaines semaines. Elle ne va quand même pas rester en prison. J’ai déjà
fait ce qu’il fallait pour étouffer l’affaire, je connais le juge à qui on a
assigné son dossier. Et il a été grassement rétribué pour alléger la peine de
Serena. Grâce à ça, elle ne passera qu’une semaine à Langata ».
- =En plus à Langata! s'était écrié, scandalisé Malick Hann, très soucieux des apparences. C’est un trou
miteux pour une jeune fille de sa condition.
Charles, en mode
solution :
-
Certes, oui. Mais, avec le tapage médiatique que ça a occasionné, il fallait maintenir les
apparences d’équité quant au traitement particulier dont elle a bénéficié. Elle a
gravement enfreint la loi, quiconque à sa place aurait croupi des mois entiers
en prison. À présent, il faut la tenir à
l’écart pour quelques temps afin que la poussière retombe.
-
Que faire? La
renvoyer à Londres? Ça va être compliqué, puisque Mademoiselle a un casier
judiciaire à présent! L’enfermer dans sa chambre pour le restant de l’année?
Elle s’en échappera, tu la connais! Elle refuse de s’inscrire à l’université!
Toi, tu sais ce qu’elle veut faire de sa vie? Elle doit probablement se confier
à toi…
-
Pas vraiment non, je ne
connais pas ses plans. Il faut que tu discutes avec elle à ton retour de Davos,
Malick. Pour le moment, je dois trouver une solution. Tu en as déjà trop sur
les bras avec la nouvelle acquisition que nous venons de faire pour l’entreprise.
Charles poursuivit
avec un rire pour dédramatiser les choses :
-
Il faut dire
qu’elle tient de quelqu’un le cran qu’elle a, ta fille : Se faire poursuivre par les flics sur l’autoroute...
-
Ce n’est pas drôle,
se rembrunit Malick Hann. Ce n’est pas bon pour les affaires, tu sais que le
business a horreur de ce genre de scandale. Et il y en a eu d'autres par le passé.
- Pourtant, notre
action en bourse n’a pas été ébranlée par cet événement. Il faut aussi que je
gère la horde de journalistes devant ta résidence.
-
Les corbeaux! Ils ne
perdent rien pour attendre, ces journalistes. Qu’on les fasse partir! fulmina
l’homme d’affaires.
-
Je vais voir ce que
je peux faire. C’est Serena qu’ils veulent. On ne parle que de ça dans tout Nairobi.
- Foutue gamine! Elle
continue comme ça de me provoquer et m’humilier sur la place publique et je
risque de la déshériter.
-
Tu ne feras pas une
chose pareille, Malick. C’est ton unique enfant, après tout. Je vais trouver où
la placer en sécurité, loin du tumulte. Il faut que les choses reviennent à la
normale, vue les acquisitions cruciales que nous allons réaliser
prochainement.
-
Fais vite, alors.
Nous n’avons pas besoin d’un autre scandale. Qui sait ce qu’elle peut faire? Je
termine quelques rencontres et je serais à Nairobi à la fin de la semaine.
-
Compte sur moi,
avait alors dit Charles.
Charles Ogbufo dans l’étouffante petite salle
d’attente se rappela des douze dernières années qu’ils avaient traversées
ensemble, depuis ce jour où il avait accepté de devenir le bras droit de Malick
Hann dans son aventure de conquête de l’Afrique.
Comment le continent Africain se révéla comme une véritable
providence pour le duo de financiers : riche avec ses importantes réserves
de ressources naturelles, vierge et partiellement inexploité, les perspectives
de croissances y figuraient parmi les meilleures au monde. C’était aussi un terrain de jeu sans règles,
un Monopoly géant qu'on aurait jeté les instructions, où seuls les plus
gourmands et les plus téméraires réussissaient. Ce qui convenait très bien à la
nature aventureuse de Malick Hann, qui réussit à naviguer dans les zones grises
des lois commerciales, la corruption et la gabegie de certains gouvernements,
l’absence véritable de règles établies.
Ses clients du Moyen-Orient ne désiraient-ils
pas qu’une chose? Que leurs revenus soient garantis pour les prochaines décennies.
Or, profit immédiat rime souvent avec investissements risqués.
Malick Hann, fin négociateur, se mit alors à
acheter des entreprises à haut potentiel, souvent en difficultés, et ce pour une
bouchée de pain, pour les transformer en machines à faire de l’argent. Et il y
réussit très bien, transformant tout ce qu’il touchait en or, gagnant la
confiance des investisseurs.
Pour ce faire, les trois premières années sur
le sol africain furent consacrées à la prospection. Malick, en compagnie de
Charles, écuma le continent du Nord au Sud, du Maghreb à la pointe de l’Afrique
du Sud, des côtes de l’Atlantique à Djibouti, en passant par Madagascar. Son
objectif était d’investir des capitaux dans les matières premières comme le
pétrole, l’or, la bauxite, le cobalt. Mais aussi dans les infrastructures
hotellières, dans l’immobilier, et les télécommunications en plein essor.
Bien entendu, l’homme d’affaires amenait sa
fille Serena avec lui lorsque cette dernière n’était pas dans son pensionnat
privé à Lausanne. Ils s’installèrent au début à Doha au Qatar pour profiter de
la qualité de vie des Émirats, pour finir par déménager à Nairobi au Kenya dans
une maison achetée sur plans dans un quartier huppé.
Malick Hann voyait le monde selon deux
catégories de personnes : d’un côté, les gagnants, ceux qui avaient du
succès, et de l’autre côté, les autres : ceux qu’il désignait sans
compassion par les brebis, ou ceux qui se font manger tout crus dans la
savane par les lions.
Malheureusement, il transposa sa conception
binaire des choses dans l’éducation et les valeurs qu’il transmettait à sa
fille Serena. Pendant longtemps, il y eut cette distinction « Nous et les
autres ». Pour le père qu’il était, c’est-à-dire autoritaire et contrôlant,
Serena représentait l’extension de sa propre personne. Il devait la modeler à
son image afin qu’elle soit prête un jour, à gouverner l’empire financier qu’il était
entrain de créer.
Pensionnats privés en Europe, clubs privés de
jeunes leaders à travers le monde, vacances d’immersion pour apprendre et
parfaire des langues étrangères, équipe de natation de l’école, cours de piano
et d’équitation, et alouettes! Tout
avait été mis en place pour préparer l’avenir de Serena, qui pour une jeune
fille de sa condition, avait un agenda qui
laissait très peu de place aux loisirs.
Malick Hann fit exclusivement fréquenter sa
fille à des gens de la jet-set africaine et du Moyen-Orient, des enfants de
personnalités publiques, d’industriels, d’entrepreneurs successful qu’il
côtoyait afin qu’elle sache à quel milieu elle se devait d’appartenir. Surprotégée,
surstimulée, Serena avait eu une enfance axée sur la performance et les
résultats. Avait-elle-même eu une enfance ? Se demanda avec culpabilité Charles
Ogbufo. Il se souvint des crises d’angoisse et d’anxiété que les attentes démesurées
de Malick Hann causaient parfois chez sa fille. Par exemple, pendant les vacances de
Noel, alors que tout le pays était en congé et que la plupart des enfants
profitaient de repos et de jeux, Serena, à la demande de son père, écrivait un
rapport de 30 pages sur le profil économique du Brésil. En portugais. Elle n’avait
que 14 ans.
Charles, s’était interposé.
-
Tu ne peux pas
lui faire ça! Tous les autres enfants s’amusent.
-
Il faut qu’elle
se dépasse, qu’elle soit meilleure que tous les autres gosses. Elle est douée, tu
le sais. Elle parle déjà plusieurs langues.
-
Un jour, elle en
aura assez et va se rebeller, avait prédit sans succès Charles devant un Malick
inflexible.
Bref, les vrais barreaux de prison étaient
ceux que Malick Hann avait érigés autour de sa fille, bien plus hauts et plus
épais que tous les Langata de ce monde.
Serena Hann fut d’abord une fille docile. Au
début, en tout cas. Puis, de façon prévisible, un jour, telle une cocote minute
sous pression, elle avait fini par exploser, se rebiffer comme un cheval
sauvage, n’en faire qu’à sa tête et donner ainsi du fil à retorde à ses
éducateurs et à son père.
À quel moment la gentille petite fille s’est
rebellée contre son père? Charles ne pouvait situer exactement ce moment. Ce
qui était sûr, le sang de Maria Cruz, la dominicaine, bouillonnait dans ses
veines.
Une bouffée d’affection envahit Charles Ogbufo
lorsqu’il aperçut Serena franchir la cour du pénitencier habillée de la
combinaison rayée de la prison. Serena représentait l’enfant qu’il n’avait
jamais eu puisque lui, Charles, n’avait pas réussi à fonder une famille, trop focalisé sur sa carrière.
La magnifique jeune femme qui se tenait
désormais en face de lui, lui fit un signe de la main et lui adressa un large sourire
chaleureux. C’était le portrait tout craché de Maria Cruz, pensa avec émotion
l’homme.
La jeune femme avait tout pris de la beauté de
sa mère que c’en était troublant. De son père, elle avait hérité le teint
ébène, lumineux et velouté. Elle venait de fêter ses 19 ans. Elle était élancée
et avait une taille fine, des formes harmonieuses de femme que le large
vêtement de prison dissimulait.
Un visage de porcelaine mangé par des grands
yeux noirs malicieux et rieurs par moments, lançant des foudres quand elle
était contrariée.
-
Salut Oncle
Charles! lança-t-elle avec désinvolture, comme s’ils venaient de se séparer.
Ensuite, elle courut embrasser dans un geste
d’adieu les deux détenues avec lesquelles elle avait partagé la cellule inconfortable
pendant une semaine. Charles, regarda avec impatience sa montre, elle devait se
dépêcher et se changer aussi. Ce qu’elle fit en troquant les vêtements de
détenue par un sweatshirt à capuche, un pantalon Jean et des baskets.
La jeune femme fit encore des aurevoirs émus à
ses nouvelles amies dont elle s’était attachée.
-
Ton père est
furieux, prévint Charles, en essayant d’avoir l’air sévère. Tes derniers faits
d’armes ne lui ont pas plu.
Un sourire narquois apparut sur le visage de
la jeune femme.
-
C’était le but,
qu’il soit furax… Où se trouve-t-il en ce moment? S’enquit-elle.
-
À Davos, pour le
Forum économique mondial. Ne sois pas tellement pressée, il y aura des
conséquences à ce que tu as fait. Je suis venu te ramener à la résidence. La
place d’une jeune femme de ta condition n’est pas dans une prison.
- Je vois que tu travailles encore pour lui. Tu n’en as pas assez d’être son larbin? Lui adressa-t-elle, derrière ses lunettes de soleil, en savourant le café qu’il lui avait porté. Elle pianotait déjà sur son téléphone pour annoncer son retour à ses amis. Niko Huru, je suis libre, écrivit-elle en swahili.
Cette remarque fit de la peine à Charles
Ogbufo.
Parce que oui, Charles s’était vu proposé
d’accompagner Malick Hann dans sa conquête de l’Afrique. Il était le bras droit
de ce dernier, l’homme de confiance, celui de l’ombre qui était chargé de soudoyer
les personnes qu’il fallait soudoyer, de faire taire les indiscrets, d’éteindre
les incendies allumés, d’exécuter les basses besognes et les petites combines.
Bien entendu, cela avait été une opportunité incroyable pour lui de travailler
pour Malick Hann car il s’était aussi enrichi, bien plus qu’il ne l’aurait été en restant aux États-Unis.
La vie de Charles avait été consacrée aux succès
de son meilleur ami, en supportant le style de gestion « robuste » de
Malick, ses dérives autoritaires, son ambition incommensurable, qu’il
appliquait autant dans sa vie professionnelle que familiale.
Tout ce que le natif Ibo possédait en ce monde
était son amitié pour Malick Hann, son affection pour Serena et il fut un
temps, l’amour qu’il avait eu pour Maria Cruz. Il y avait aussi la promesse de
veiller sur Serena qui l’habitait, comme un père qu’il était pourtant loin d’être.
-
Si tu en assez de
moi, dis-le, se rembrunit-t-il, blessé par la remarque de la fille, en se
frayant un chemin au milieu des Matatus, ces minibus remplis à ras-bord sur
la route embouteillée de Thicka Road.
-
Je m’excuse mon
oncle. Je ne voulais pas te blesser, s’était rattrapée la jeune femme.
-
Tu as reçu une
lettre de ta mère pour ton anniversaire.
Un silence de la part de Serena.
Elle regardait
sans les voir les scènes de la vie quotidienne de la capitale, les
embouteillages sans fin, les vendeurs de rue à la sauvette avec leurs
panoplies.
-
Ta mère, Maria, voudrait avoir de tes nouvelles, insista encore Charles. Après toutes ces
années, tu devrais lui écrire et pourquoi ne pas lui rendre une petite visite?
Elle habite encore à New York et a eu deux autres filles, tes sœurs.
-
Mon père serait
contre ce projet, tu le sais mieux que moi. Et puisqu’elle a fondé sa famille,
dans ce cas elle n’a pas besoin de moi.
Charles soupira en sentant une impuissance le
gagner.
Le plan de Malick Hann d’éloigner Serena de sa
mère en se refaisant une nouvelle vie de l’autre côté de l’océan n’avait pas
été que fantasque. La version officielle qui fut donnée à Serena fut que sa
mère l’avait abandonnée, qu’elle ne devait rien attendre à présent de Maria. Le
but de Malick avait ainsi été de faire disparaitre toute trace de Maria de la
vie de Serena à tel point qu’elle n’était qu’un vague souvenir, pire un
fantôme.
Charles se rendit compte assez tôt que c’était
une entreprise de démantèlement systématique de la figure maternelle que
représentait Maria, que Malick de façon machiavélique, avait entrepris.
-
Charles, aide-moi.
Avait supplié un jour Maria, au téléphone, sans nouvelles depuis plusieurs mois.
« Malick refuse de me passer ma fille au
téléphone. Il ne veut pas que je lui parle. Il dit qu’elle est occupée, que je
ne dois pas la déranger dans ses cours ou ses compétitions de natation. La
dernière photo que j’ai eue d’elle remonte à trois ans de cela! Quel genre de
monstre peut faire ça à une mère? Malick m’a enlevé tous mes droits parentaux! ».
-
Je vais voir ce
que je peux faire. Je te demande de patienter Maria. En attendant, écris des
lettres à Serena, je vais les lui faire parvenir d’une façon ou d’une autre.
-
Elle me manque
tellement! J’ai peur qu’elle m’oublie Charles!
-
Elle ne t’oubliera
jamais parce que tu es sa mère.
12 ans après, en était-il ainsi? Le fait est
que Serena, le cœur cadenassé, n’ouvrit pas une seule lettre de sa mère que son
oncle, au péril de perdre l’amitié de son père, lui faisait parvenir en
cachette : à chaque anniversaire, à Noel, au nouvel an, les cartes
postales pendant les vacances, rien de tout cela ne fut décacheté et s’accumula
au fil des ans, de façon inexplicable dans une boite de chaussures que la jeune
fille cachait dans sa chambre.
Mi amor, mi Hija, mi Corazon…
Mon amour, ma fille, mon cœur…
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Coucou, encore un peu de contexte et de mise en situation, on décolle en douceur, les amis. À très vite!