Chapitre 2

Write by Niaba LavLav


     Les membres du Bureau des étudiants avaient réaménagé un secteur abandonné de la bibliothèque en y installant des fauteuils aussi déchirés que défoncés, des tables basses et un vieil ordinateur auquel était branché une imprimante. C’est là qu’ils tenaient leurs réunions. Bien qu’il n’était pas un membre actif du groupe, Amara autorisait Khéops à y assister de temps à autre. Son ami voulait sans doute lui insuffler le leadership dont il manquait désespérément malgré tous ses efforts pour l’emmener à s’y intéresser.

  • Vous croyez qu’on a payé Kadou, pour dire ça? demanda Akissi, une fille de cinquième année.

  • Ça m’étonnerait pas, répondit Soun, le vice-président des étudiants. C’est un gros corrompu, notre doyen. Espérons qu’il s'achète un nouveau costume avec.

  • Et une nouvelle paire de souliers!

     Ils éclatèrent tous de rire à l’exception de leur président, qui restait pensif. Il tapotait frénétiquement des doigts sur le rebord de la table.

  • Qu’y a-t-il, Amara?

  • Rien. Je me demande juste ce que deviendra notre lutte pour les droits des étudiants, si même notre Mouvement fait la courbette aux Wangala. Nous qui sommes censés être implacables...

  • Tu sais, Chef, répondit un autre garçon dont Khéops ne connaissait pas le nom, le quartier général du MEW se trouve au cœur même de Sabou. Ce n’est pas facile pour eux de manoeuvrer sous le nez du Kouloum. Au moins, notre capitale à nous est presque isolée.

  • Ce sont quand même des traîtres. On ne peut pas faire confiance aux gens du sud, même quand ils semblent s’opposer au régime. N’oublions pas qu'ils adorent Effozo. Si jamais j’attrape ce soit-disant président du MEW...

     D’un geste brutal, qui aurait pu laisser croire que la photo du concerné s’y trouvait, Amara jeta la canette de soda qu’il tenait en main contre le mur. Une petite flaque d’un liquide orange recouvrait à présent le sol. Khéops prit son ami par les épaules et tenta de le calmer.

  • Écoute, frangin, je t’avais bien dit que votre grève ne mènerait pas à grand chose. Moi je crois qu’il faut négocier en prenant compte du fait que nous sommes en position de faiblesse.

  • Il a raison.

  • Négocier? répéta Amara avec plein de dédain. On ne négocie pas avec ces chacals, ils n’ont pas de cœur.

     Il alla s’asseoir derrière son bureau et tenta d’allumer l’ordinateur. L’appareil émit un bruit semblable à celui d’un aspirateur plein de poussière avant de s’éteindre en dépit des tapes désespérées de son propriétaire.

  • Il paraît que Yah Veuve Noire vient d’être nommée gouverneur de la Province Ouest, et Yah Zamek de celle du Centre, lança Soun en fronçant ses sourcils touffus.

  • Quoi? Mais cette sorcière de Néfertiti va terrifier les pauvres Moni! 

  • Normal, le Vieux Fou l’a envoyée pacifier cette tribu qu’il trouve récalcitrante. Bientôt ce sera notre tour. Maintenant que le gouverneur de la Province Nord s'est fait virer, je me demande bien qui ils vont nous refiler. 

  • Il ne s'est pas fait virer, rectifia Khéops. J’ai lu dans Wan’ News qu’il a donné sa démission.

  • Tu ne devrais pas lire ce torchon.

Amara leva les yeux de l’ordinateur qu’il avait entrepris de démonter et eut une moue exaspérée.

  • Tu as déjà vu quelqu'un démissionner d'un post de gouverneur, toi? C'est le vieux qui l'a fait sauter, surement sur conseil de sa fille Néfertiti! 

  • Et pourquoi aurait-il fait ça? Je croyais que les Zaloh étaient les alliés héréditaires des Wangala? 

  • Je n’en sais rien, ça n’a pas de sens vu sous cet angle. Mais on finira bien par le découvrir.

     Si Khéops était  nul en sciences politiques, il avait quelques notions d’histoire. Il savait au moins que le Wangal était dominé par trois familles nobles: les Wangala, les Bartulier et les Zaloh. Si le reste du gâteau revenait aux quelques familles alliées à eux, les gens de basse naissance comme lui se contentaient des croûtes.

     Les Wangala dirigeaient le pays depuis l’accession à l’indépendance en mille huit cent quatre-vingt-treize. Ils régnaient d’une main de fer et tuaient dans l’oeuf toute velléité de rébellion. 

     Wangala Ier avait bénéficié du soutien d’un Maréchal français du nom de François Bartulier. Ce dernier l’avait aidé à rendre l’indépendance au pays et à prendre le pouvoir en tant que Premier Président de la Crête-d’Ivoire, renommée Wangal par la suite. Depuis cette époque, les Bartulier s’étaient installés au Wangal et dominaient les secteurs clé de l’économie.

     Les Zaloh, quant à eux, étaient les descendants de Zaloh Ier du nom, le frère jumeau de Wangala. Ils soutenaient leurs cousins dans la gestion du pays. La Province Nord avait depuis toujours été le partage des Zaloh mais depuis bientôt deux mois, le post de gouverneur y était vacant.

     Khéops était curieux de savoir qui serait leur prochain gouverneur.

  • Au moins, on a pas Yah Zamek, nous! Observa Soun d’un air soulagé.

  • Ce gros pervers de Zamek, fit Akissi en faisant mine de vomir, il me fait froid dans le dos. Je me demande bien ce que les femmes lui trouvent.

  • À part le fait qu’il est riche, célèbre et qu’il fait partie de la famille la plus noble du pays? Je suis sûre que tu sauterais toi aussi sur l’occasion.

  • La ferme, Sadik!

     Ils pouffèrent tous en voyant la mine grincheuse d’Akissi quand elle se jeta sur Sadik pour l’étrangler. Seul Amara restait de marbre.

  • Écoutez, lança-t-il en prenant un air grave. L’heure n’est pas à la rigolade. Un vent mauvais souffle sur le Wangal.

  • De quoi tu parles? 

  • Je parle bien sûr de l'économie qui sombre, des grognements  au sein de la population et de toutes ces grèves. Mais ce n'est pas tout. Il y a à peine trois mois, quelqu’un a attenté à la vie du Vieux. Comme par hasard, il a retiré son frère Baluk du post de gouverneur de la Province Centre et y a placé son fils. 

  • Quel est le problème ?

     Khéops se reprocha bien vite d'avoir affiché son ignorance. Amara, qui ne concevait pas qu’on puisse être moins vif que lui en déductions politiques, soupira et hocha la tête en signe de déception. 

  • Non, mais vous faites exprès ? C’est évident!

  • Ça signifie qu’il n’a plus confiance en Baluk, rétorqua un type musclé assis à même le sol. Il soupçonne son frère d’avoir essayé de le tuer. 

  • Bonne déduction, Ike. Quant à son neveu, il a été démis de ses fonctions de général de l’armée après que des allégations de corruption aient été levées contre lui. À la place, il a été nommé ambassadeur en Haïti. Depuis quand on sanctionne un Wangala pour corruption? Et même si c'était le cas, il n’avait pas à l’exposer dans la presse. J’ai plutôt l’impression qu’il éloigne sa famille élargie.

     Un silence se fit sentir quand la bibliothécaire apparut dans l’embrasure de la porte pour leur demander de se dépêcher. Amara attendit que ses pas s’éloignent avant de reprendre, la voix plus basse:

  • Le Grand Sorcier est en train de resserrer son contrôle sur chaque province en les confiant à ses propres gosses. Amanek l’intérim du Sud, Zamek le centre, Néfertiti l’Ouest. Il ne manque plus que Baki.

  • C’est sûrement lui qu’on va nous refiler, en déduit Khéops.

  • Ça m'étonnerait! Objecta le garçon musclé. Jamais les Wangala, qui attachent tant d’importance à l’honneur de leur nom, n’oseraient nommer un déviant comme Baki à des posts de responsabilité. C’est d’ailleurs pour cela qu’ils l’ont envoyé étudier à Londres et sont ravis qu’il s’y soit installé.

  • Ike a raison. Baki ne sera jamais notre gouverneur.

  • Qui, alors?

     La bibliothécaire était revenue et était restée sourde à leurs supplications. Cette fois-ci, elle les avait jetés dehors à grands gestes. Khéops rentra chez lui et trouva sa mère au lit, enroulée dans ses draps et prise par une petite fièvre.

  • Ma’, tu es sûre que tu as bu ta décoction ?

  • Oui, mon chéri.

  • Tout? insista-t-il.

Il examina la bouteille contenant un liquide boueux pour s’assurer que son niveau avait bien baissé.

  • J’ai même avalé le double de la dose, dit-t-elle en lui adressant un sourire crispé.

     Khéra souffrait d’un mal tenace. Les médecins du petit dispensaire local avaient tenté tout leur possible pour la traiter, mais rien n’y fit. Il savait qu’ils devaient se rendre à la capitale pour la soumettre à des examens plus approfondis. Le problème, c’est que sa mère et lui n'en avaient guère les moyens. Le restaurant et ses cours à domicile leur rapportait à peine de quoi survivre. Du coup, ils se contentaient des remèdes traditionnels en croisant les doigts.

     Khéra s’était redressée et adossée contre le mur. Khéops s’installa à ses côtés et posa la tête sur ses cuisses. Elle lui caressa les cheveux d’un geste plein de douceur.

  • Dis, tu t’es lancé dans un concours de rasta avec Safina, ou quoi? Qu’attends-tu pour te couper les cheveux ? 

  • On a parié que les cheveux des hommes peuvent pousser encore plus vite que ceux des femmes, expliqua Khéops. Je refuse de perdre.

  • Vous vous ennuyez, tous les deux. 

     Il se replongea dans ses pensées. N’ayant jamais connu son père, sa mère avait joué pour lui les deux rôles. Elle était en plus une amie chère à son cœur, un modèle de vie. Que ne donnerait-il pas pour la voir recouvrer la santé?

  • Ne t’inquiète pas pour moi, mon fils, dit-elle comme si elle avait perçu son trouble. Je suis solide.

  • C’est vrai, mais je n’aime pas te voir ainsi. Je ne sais pas comment je me débrouillerai, mais je trouverai l’argent pour te soigner. Même si ça revient à arrêter l’école et à multiplier mes séances de tutorat…

     Il la sentit se crisper. 

  • Ne parle plus jamais d’arrêter l’école, tu m’entends? C’est la clé de la réussite.

  • Le père d’Amara dit que ça ne sert à rien tant qu’on vit sous la dictature des Wangala. Tant qu’on n’aura pas fait tomber ce régime, aucun avenir radieu n’est envisageable. Je commence à croire qu’il a raison…

     Elle le releva brutalement et le saisit par les épaules en le fixant d’un air affolé.

  • Écoute-moi bien, Khéops Ballo! Tu ne vas jamais te lancer dans des mouvements politiques! Tu ne te frotteras jamais à la famille Wangala, ni de près, ni de loin, ok?

  • Je n’ai pas dit que…

  • Tu m’as bien comprise? insista-t-elle en le secouant de toutes ses forces.

  • Arrête, Ma’. Tu me fais mal! couina-t-il en massant ses épaules endolories.

  • J’attend ta réponse.

  • Oui, j’ai compris! Pas la peine de t’énerver comme ça! Tu deviens folle, ou quoi?

  • Parle encore de ces gens et tu verras que je suis née folle. 

  • C’est Pa’ Bouteille qui aura pas d’bol avec toi, le pauvre...

   Elle alla s’affairer aux tâches domestiques comme si de rien n’était. Khéops se promit de se rendre chez la guérisseuse pour lui demander si elle n’aurait pas, par inadvertance, mélangé quelque herbe suspecte à la décoction de sa mère.

     Les semaines qui suivirent ne furent pas de tout repos pour les étudiants. Le doyen Kadou était bien décidé à prouver au ministre de l’éducation nationale que ni ses jeunes, ni ses enseignants à lui ne s’inscrivaient dans la ''voyousie et le manque de civisme’’ dont avaient fait preuve les deux universités publiques du pays. Il avait enfin fait l’acquisition d’une voiture dont les clés, accrochées en permanence à son index, étaient brandies à chacune de ses apparitions.

     Les enseignants avaient reçu l’ordre de rattraper le programme de l’année académique même si cela revenait à consigner les étudiants pendants les weekends. Ces derniers accusaient le Bureau d’être responsable des grèves dont ils payaient ainsi le lourd tribu. Amara, qui n’avait jamais été d’humeur aussi massacrante, s’en prenait à tous ceux dont le nom commençait par la lettre W. Safina, quant à elle, se plongeait dans ses bouquins pour essayer de suivre la cadence, ce qui n’était guère à l’avantage du restaurant Ballo’s. Une longue file de clients y défilait chaque jour, rouspétant de la lenteur du service et jurant ne plus jamais y remettre les pieds, mais revenant quand même le lendemain encore plus nombreux.

     Khéops s’intéressait de moins en moins aux considérations d'ordre  académique. Il avait même du mal à se concentrer sur les paroles des professeurs. La santé de sa mère le préoccupait et il était écœuré de ne plus avoir le temps de dispenser ses cours de musique. 

     L'après-midi d’un dimanche, il essayait tant bien que mal de suivre un cours de rattrapage d’anglais commercial lorsqu’il reçu un SMS de Khéra.


     Chéri, je t’interdis formellement de rentrer à la maison!


     Il se rendit aux toilettes et composa son numéro mais elle ne décrocha pas. C'est vrai qu’il n’aimait pas l’anglais, mais sa mère devrait le connaître assez pour savoir qu’il n’était pas le genre à faire l’école buissonnière. Il retourna en classe, essayant de se souvenir de ses cours au lycée sur les symptômes de la ménopause. Mauvaise humeur? Paranoïa?

     Soudain, il vit débarquer deux hommes reconnaissables à leurs treillis gris et leurs bérets rouges. Il s’agissait de goulous - nom donné aux soldats de la garde rapprochée du clan Wangala. À travers les fenêtres poussiéreuses des salles de classe, on pouvait voir les étudiants tendre le cou pour observer les nouveaux arrivés marcher en direction du bâtiment de l’administration. Toute la classe se tourna vers Amara. Khéops aussi interrogeait son ami du regard mais ce dernier ne faisait que serrer la mâchoire et les poings, comme décidé à affronter son destin.

     Après ce qui semblait être une éternité, les goulous ressurgirent. Ils étaient précédés du doyen Kadou et se dirigeaient vers le bâtiment de la faculté de sciences-économiques, celui même qu'occupaient Khéops et ses amis. Une vague de murmures s’empara de la pièce. Le professeur, Mr Koffi, un homme frêle de nature, tremblait tel une feuille morte. On aurait dit qu’il voulait s’échapper par le tableau du fleuve accroché au mur.

     Le bruit provenant des escaliers se rapprochait de plus en plus, accentuant la pression dans l’air. Bientôt, les fauteurs de trouble débarquèrent devant la salle de classe. Cette fois, leur doyen avait oublié d’accrocher à son doigt les clés de sa nouvelle voiture. L’un des goulous était un homme grand à la tête de poisson et l’autre, tout aussi imposant, ressemblait étrangement au chef de gang d’une enquête policière que Khéops avait suivie à la télé. Tous deux portaient des lunettes de soleil et se tenaient une main à la hanche, l’autre sur la kalachnikov pendue à leur cou.

     Amara s’était levé si brusquement que ses livres, éparpillés sur la table, s'étaient retrouvés au sol. Khéops, qui se trouvait à présent dans son dos, enroula ses bras autour de son tronc et lui parla à l’oreille.

  • Ne fais pas le malin, reste calme.

  • Lâche-moi! J’ai pas peur d’eux, moi. On verra ce qu’ils peuvent me faire… lâche-moi, tu m’entends?

  • Ce n’est pas le moment de jouer au Django, imbécile! 

     Amara essayait de se dégager mais il ne relâchait pas son étreinte. Ce qui était sur le point de se produire n’avait rien de surprenant, c’était même à prévoir. Khéops avait déjà assisté à des descentes musclées des forces de l’ordre sur des jeunes récalcitrants. Ce spectacle était aussi courant que celui d’une ménagère portant son bébé au dos. Combien de fois n’avait-il pas prévenu son ami de faire attention à sa verve politique? Car, contrairement aux usages des pays développés, les citoyens Wangalais ne pouvaient se permettre de critiquer le pouvoir comme bon leur semblait. Mais il était aussi facile de raisonner Amara que d’adoucir un éléphant en rut...

     Le doyen Kadou pénétra dans la salle de classe et se racla la gorge avant de lancer:

  • Mr Koffi, i very sorry for… euh… l want to say you that… bref, laissons l’anglais. Excusez-moi pour l'interruption de votre cours, Mr Koffi. Mais j'aimerais vous emprunter un de vos élèves. Ces messieurs dehors désireraient parler à…

  • Khéops Ballo! gronda le goulou à la tête de poisson. On a besoin de toi, descend avec nous!

   Au début, Khéops n’eut aucune réaction. Mais les expressions de consternation qui s’affichaient sur les visages de ses camarades le persuadèrent que ses oreilles ne lui jouaient pas des tours. 

  • Khéops Ballo, dépêche-toi! répéta le goulou.

    Il sortit d’un pas mal assuré et suivit les soldats jusqu'à une limousine noire aux vitres teintées garée en plein milieu de la place de rassemblement. Derrière eux, le doyen trottait de ses jambes courtes et trapues. Ils étaient sur le point de pénétrer à l’intérieur du véhicule quand la voix d’Amara retentit:

  • Eh! Revenez !

    L'index pointé vers eux, il arborait son air le plus  menaçant. Quel abruti, songea Khéops. À présent, la moitié des étudiants et des enseignants les entouraient. 

  • C’est à moi que vous avez affaire. Laissez-le partir! 

  • Amara, arrête ! Reste en dehors de ça, s'il te plaît ! 

  • Vous êtes sourds ou quoi? Je vous ai dit de le laisser s’en aller, répéta-t-il en se rapprochant des goulous.

     Celui qui ressemblait au célèbre chef de gang s'avança et avec une violence inouïe, frappa Amara avec la crosse de son fusil. Ce dernier s’écroula sous les petits cris affolés des filles parmi lesquelles Khéops distingua le visage inondé de Safina.

  • Arrêtez ! intervint-il en se précipitant pour porter assistance à son ami dont les narines laissaient échapper un long filet de sang. Ne lui faites pas de mal, je vous en supplie!

  • On ne veut de mal à personne. Laissez-nous faire notre boulot et retournez tous à vos occupations. Ce serait bien dommage qu’un accident se produise… ajouta le goulou en caressant son fusil.

  • Je… je suis désolé de… de la tournure des évènements, bégaya le doyen. Sachez que je m’engage personnellement à renvoyer monsieur Ballo et à dénoncer tous ceux qui se livrent à la désobéissance à notre père à tous… le… le président…

     Khéops s’introduisit dans la voiture et jeta un dernier regard à Safina, accroupie et tenant Amara dans ses bras. Le goulou aux airs de chef de gang s’était installé au volant  tandis que le second s’asseyait auprès de Khéops. La voiture démarra.

     Une odeur de poisson fumé les accompagna alors qu’ils traversaient le marché central et ses ruelles noires de monde. Les passants tendaient le cou pour essayer de distinguer qui se trouvait à l’intérieur d’une voiture aussi luxueuse. Il étaient sûrement surpris de voir un objet auquel n’étaient pas habitués leurs yeux.

     Les roues du véhicule étaient en proie au crevasses de la voie non bitumée, bousculant les passagers à bord. Anxieux de savoir où ils se rendaient, Khéops jeta un coup d'oeil vers le rétroviseur avant et observa le conducteur. Il avait une mine qui ne présageait rien de bon.

  • Où me conduisez-vous?

     Il n’eut pour toute réponse qu’un grognement incompréhensible.

     Des milliers de questions se bousculaient dans sa tête. Qu’avaient ces gens contre lui? Il ne s’était jamais impliqué de front dans les mouvements de résistance et ne savait pourquoi, de tous les étudiants de l'Université, ce genre de choses lui tombaient dessus.

     Peut-être voulaient-ils qu’il leur livre des informations sur Amara, songea-t-il. Il préférait mourir plutôt que de trahir quoi que ce soit au sujet de son ami… mais non, après tout, les soldats de la Garde n’étaient pas du genre à  faire de l’espionnage tels des agents du FBI. Quand ils avaient un quelconque problème avec quelqu'un, ils le saisissaient directement plutôt que de perdre leur temps à interroger son entourage. S’armant de courage, il s’adressa au goulou assis près de lui:

  • Je ne vous serai d'aucune utilité, je ne sais rien. S’il vous plaît, laissez-moi partir.

     Cette fois encore, aucune réponse. Khéops regarda à travers la vitre: ils se trouvaient au niveau de la pâtisserie de son quartier! Quelques minutes plus tard, ils bifurquaient à gauche pour s’engager dans la ruelle aux maisons défraîchies où il habitait. Lorsqu’un instant plus tard, il vit une autre limousine garée devant chez lui, son sang se glaça. Que se passait-il donc?

  • Ma’! s'écria-t-il intérieurement.

     Ils se garèrent. Khéops descendit à la suite du goulou à la tête de poisson et s'élança en direction du restaurant. Dans un bruit d’acier, il ouvrit le portail qui menait à leur résidence et pénétra dans le petit salon aux murs écaillés. 

     Deux autres soldats se trouvaient dans la pièce et ne prirent même pas la peine de saluer son arrivée d’un regard. Il balaya le salon des yeux à la recherche de sa mère. Elle était avachie à même le sol et affichait une mine d’immense désespoir.

  • Ma’! cria Khéops. Que... qu’est-ce que vous lui avez fait?

    C'est  alors qu'il remarqua un homme aux cheveux roux assis de dos.

  • Vous! Vous, là! Qui êtes-vous et qu’avez-vous fait à ma mère ?

     L’homme se retourna et Khéops découvrit la dernière personne qu’il s’attendait à voir débarquer dans son salon.

  • Yah Amanek… dit-il d’une voix à peine audible.



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