Chapitre 2 : La voleuse aux couilles dorées

Write by anomandaris


Treize millions de dollars. Plus que sept millions de plus et Flynn pourrait entamer la seconde phase de son projet. Le fourgon de la Victory Bank passerait avant midi, pour sûr. Adossée contre un avocatier sec sans fruit, Flynn, grande silhouette couverte de trois blousons superposés et d’un jean noir neuf, croisait les bras sans lâcher des yeux le tronçon de route qui suivait le virage de l’asphalte en pente douce qui menait vers Freeborn. De l’autre côté de la route, la formation rocheuse l’avait découragé d’essayer de s’y cacher pour les attendre. Il fallait se contenter de ce côté-ci, où les insectes comme la végétation étaient légion, mais inefficaces sur le cuir et le denim.


Posés à ses pieds, un sac noir à fermeture éclair. A l’intérieur, une masse de cinquante kilos qu’elle n’avait pas eu de mal à transporter jusqu’ici. Sa voiture était à des kilomètres de là, garé devant son immeuble d’habitation en pleine banlieue est de Freeborn.


Pour venir jusqu’ici, facile. Elle avait volé. Quand on avait un aussi grand pouvoir qu’elle, on ne perdait pas son temps avec ces bouts de métal à changement de vitesse qui pouvaient faire des accidents. Ou se faire détrousser. C’est que Flynn Bruchfield pouvait manipuler la gravité de tout et n’importe quoi.


Dit comme ça, ça n’avait l’air de rien. Elle avait découvert cette faculté par accident, peu après que son père se soit fait battre à mort par ses créanciers dans une rue déserte. Elle avait fugué de chez elle depuis une semaine pour ne plus entendre sa mère se plaindre sur tout ce qui bougeait autour d’elle à la maison. Un clochard en manque de présence féminine était venu partager la couche de la brune à son propre insu. Lorsqu’elle s’était rendue compte de la présence du gars près d’elle et qu’elle avait tenté de s’écarter, le gars - un barbu sale de la trentaine dépassée, avec des haillons peut-être aussi vieux que lui-même - tenta une approche plus brutale d’obtention de ce qui se cachait sous les deux pulls superposés de Flynn qu’elle portait pour se protéger du froid. La rage de se retrouver dans ce coin de rue à cause de son incapable et misérable de père, mêlé à une sensation étrange derrière ses rétines après le choc la fit voir le gars qui l’avait fracassé l’arrière de la tête contre le mur d’une autre façon. En tout cas, pas comme le gars qui étourdissait des gamines de dix-sept ans avant de faire ce pour quoi ces connards en mode SDF savaient faire le mieux. Violer. Des lignes blanchâtres apparurent sur toute la surface de son blouson de tissu jusqu’aux bords de son pantalon. Les filaments étaient luminescents et d’apparence fragiles. Ils pendouillaient vers le sol comme de la limaille de fer attirée par un aimant. Lorsque le gars tira sur l’épaule de Flynn pour déchirer son pull puant, elle en profita pour mettre la main sur un de ces fils. Un picotement désagréable sur ses doigts gourds de froid. Le gars qui sourit de ses dents blanches, interprétant son geste comme une invitation à continuer. Flynn se rappelait s’être demandée comment un gars comme lui faisait pour garder ses dents propres. Elle tira dessus et puis…

Sa vie changea depuis ce jour-là. Elle était devenue une déesse.


Un grondement sourd l’avertit que le fourgon approchait. Au bout de quatre attaques à mains non armées, elle savait différencier le son que faisaient les gros moteurs des petits moteurs de voitures conventionnelles. Il y’a deux semaines néanmoins, elle avait failli confondre le son d’une Vittara avec celui de sa cible. Aujourd’hui encore, elle se demandait si elle aurait ressenti du regret à faire faire tonneau au quatre-quatre par accident, tuant sans doute la maman et ses deux fils qui la dépassèrent à moins de cinq mètres. Ce genre de réflexion lui faisait de moins en moins peur avec le temps. Après tout, elle avait déjà tué une fois. On n’avait jamais retrouvé le corps du clochard.


Le fourgon noir surgit du bas de la pente, son grand V blanc stylisé sur un fond vert circulaire sur le côté. Son revêtement d’acier renforcé et de vitres blindées se laissait traverser par une étoile aveuglante de miroitement solaire à mesure qu’il dévorait le goudron de ses roues. Flynn distinguait ses fils de gravité voleter derrière lui, penchés à la fois dans la direction opposée et vers le sol tel des centaines de bouts de tissus des haillons d’un vagabond en course. Elle se concentra et tendit la main dans la direction du véhicule. Soumis à sa volonté, les fils quittèrent la camionnette et vinrent coller contre les mains de Flynn. Durant leur parcours, ils s’entremêlaient pour former un amas compact de fils croisés, plus facile à manipuler par leur maîtresse. Quand elle saisit le gros bout de fil, il lui fallut ses deux mains pour le tenir. Elle sentit ses pieds s’enfoncer dans la terre molle tandis qu’elle s’alourdissait de plus de deux tonnes supplémentaires, les quatre cinquièmes gérés par sa seule volonté. Comme un javelot, dents serrées et sueur coulant au-dessus de ses sourcils, elle lança le gros bout de fil de ses deux mains vers un énorme baobab à sa gauche. Elle jugea son tronc suffisamment épais pour tenir le coup, du moins pour un temps.


La voiture, prise au dépourvu par son nouveau mode vol, décolla progressivement, emportée dans son élan de vitesse précédent. L’horrible grincement des roues qui tournaient à vide fit grimacer Flynn. Quand la camionnette atteignit la hauteur de trois mètres et qu’elle se fut penchée assez en avant comme un cheval qui cabrait, Flynn relâcha sa volonté qui empêchait les fils de rejoindre leur propriétaire depuis le baobab - il s’était un peu plus penché vers le sol. Le fourgon retomba comme un moto-cross après l’ascension d’une colline de terre, pare-brise en avant et arrière à la verticale. Elle entendit les cris hystériques des occupants jusqu’au choc final du verre contre le goudron, dans un fracas qui évoqua à Flynn celui qu’on entendait dans l’atelier de démolition de voitures près de son quartier.


La camionnette rebondit un peu après le choc avant de tressauter comme un couvercle de marmite renversé par terre. Il finit par reprendre une position à quatre roues, respectant les lois sur la conservation de la quantité de mouvement. L’avant de la voiture avait presque rejoint l’ancien emplacement des rétroviseurs. Le pare-brise avait des fissures, mais il avait respecté sa réputation de citadelle à l’épreuve des balles, tout comme la vitre latérale que Flynn pouvait voir de sa position. Si jamais ils étaient encore conscients, il y’avait des risques que…


Un claquement sec retentit et la portière cabossée du siège avant s’ouvrit. Une main noire s’agrippa à son bord, suivie d’un grand black, l’air hagard, armé d’une petite mitraillette à une main tandis que l’autre avait un Glock qui luisait au soleil. Flynn sentit son cœur frapper fort dans sa poitrine. Elle fit un pas en arrière avant de se ressaisir. C’était d’elle qu’il devait avoir peur, putain !


Elle tendit la main gauche pour attirer à elle les lignes de gravité de sa masse perso, la main droite ouverte à d’autres poids alentour tandis qu’elle allait à la rencontre du courageux petit gardien de bif.

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