Chapitre 2 : Une collision mémorable
Write by Auby88
Margareth IDOSSOU
Je viens d'entrer dans le hall de la cour d'appel de Cotonou. Je marche à grandes enjambées, mon téléphone collé à mon oreille. Quelqu'un me heurte. Le téléphone glisse et atterrit sur le carrelage, produisant un bruit désagréable. Je sens la colère s'emparer de moi. Je me mets à vociférer.
- On ne vous pas appris à faire …
Je m'arrête net devant la créature que j'ai en face de moi, un petit bout de femme.
- Je vous demande pardon, madame.
Elle ouvre de grands yeux humides qui ne me laissent pas de marbre. Je me ressaisis pour ne point laisser l'émotion me gagner. Elle est en faute.
- Tes parents ne t'ont pas appris à faire attention quand tu marches ! Tu viens de briser l'écran de mon téléphone haut de gamme.
- Je suis désolée madame, je …
Des larmes coulent de ses yeux. Je fuis son regard.
- Tu as assez pleurniché comme cela. Je ne compte pas t'intenter un procès pour cela !
Elle essuie ses larmes du revers de la main. Je range mon mobile et je m'apprête à tourner les talons quand la fillette m'interpelle à nouveau. Je m'arrête, me retourne sans grande envie.
S’il vous plaît, Madame, je cherche..., continue-t-elle d’une voix incertaine.
- Désolée, petite. Je suis pressée !
Sur ce, je tourne mes talons. A pas pressés — puisque je suis une pro des talons aiguilles, toutes longueurs confondues — je monte les marches qui me conduisent au premier étage. Je vais déposer un document important concernant l'affaire que j'ai actuellement.
Debout contre la balustrade se trouve mon associé. Ma journée commence très mal pour moi. D'abord, cette gosse imprudente et maintenant Franck.
- Bonjour beauté, me lance-t-il quand j'arrive à sa hauteur. Il me barre le chemin.
- Bonjour.
Je lui lance mon salut sans grand entrain.
- Tu es toujours aussi belle, aussi classe !
Je remarque que ce pervers a encore les yeux dans le haut de mon bustier. Plutôt que d'ajuster mon vêtement, je laisse ce vicieux contempler le haut de ma poitrine.
- Je n'ai pas le temps pour jouer à ton petit jeu de séduction, Franck. Laisse-moi passer.
En parlant, je le pousse avec diplomatie et je continue mon chemin. Je sens son regard sur moi. Je me dirige vers le secrétariat en inspirant profondément. Parce que la femme assise derrière la porte, est une belle idiote, commère et discourtoise. A chaque fois, je fais pression sur moi pour ne pas lui lancer mon poing dans la figure.
Avec l'assurance qui me caractérise toujours, je salue madame Inès AÏZAN, puisque que c'est ainsi qu'on l'appelle. Elle prend le temps de me reluquer avant de répondre.
- Bonjour mademoiselle IDOSSOU. Que désirez-vous ?
- Déposer des dossiers.
- Faites-les voir.
- C'est confidentiel ! lui fais-je remarquer.
- Je vois …
Elle entretient une discussion avec moi, sans même me prier de m'asseoir. De toute façon, cinq minutes à peine m'ont suffi pour déguerpir de ce bureau malsain.
Dehors, je me tiens devant la balustrade. Mon téléphone vibrait tout à l'heure. Peut-être un appel important. Je vérifie. Sur l'écran fissuré, j'entrevois un nom. Celui d'une cliente. Je la rappellerai plus tard. Je m'apprête à ranger mon mobile quand quelqu'un en bas retient mon attention.
- Qu'est-ce qu'elle fait encore là ? Cela fait dix minutes déjà.
Ma curiosité me pousse à descendre.
Je m'approche d'elle. Elle est assise sur un banc dans le hall.
- Qu'est-ce que tu fais encore là, petite ?
- J'attends que ma maîtresse passe me chercher.
- Ta maîtresse ?
- Oui. Ma classe est ici pour une visite pédagogique. Je me suis égarée tout à l'heure.
- Je vois. Ne t'inquiète pas, petite. Je vais t'aider à les retrouver. Je connais bien les lieux.
Elle semble plus détendue. Elle affiche un sourire radieux. Je détourne mon visage comme si j'inspectais les lieux.
- Viens. Ne perdons pas plus de temps !
Elle me tend une main que je fais semblant de ne pas voir. Dix minutes plus tard, nous parvenons à retrouver sa classe.
- Merci, me dit-il en m'offrant à nouveau un sourire.
Je hoche juste la tête.
- Allez, file.
Elle avance de quelques pas puis revient vers moi, m'entourer de ses bras en me disant ces mots :
- Vous êtes une gentille personne, madame !
Le geste est si rapide, si imprévisible que je reste prostrée, les bras balants.
Elle se dégage de moi, s'éloigne en me souriant. Je demeure figée, ne sachant que faire.
Il m'a fallu une minute entière avant de reprendre mes sens et regagner la sortie. J'ai encore plein de rendez-vous à honorer.
Je regarde ma montre. J'ai encore un peu de temps avant mon prochain rendez-vous au cabinet. Je commence à entendre mon estomac. Je monte dans ma bagnole en direction d'un luxueux restaurant pas loin de là.
Je m'assois et je commande. En attendant d'être servie, je plonge mes yeux dans ma tablette, histoire de parcourir mes dossiers. Une voix d'homme attire mon attention. Je lève la tête.
- Bonjour, divine créature.
Je hausse un sourcil en direction de l'homme en face de moi.
- Bonjour monsieur.
- Puis-je vous tenir compagnie ?
Je balaie rapidement la salle du regard et je me rends compte que je suis la seule sans compagnie.
- Asseyez-vous ! finis-je par dire en haussant les épaules.
Il s'assoit, et comme tous les mortels de son genre, il plonge en premier son regard dans mon bustier. Je le remarque et me redresse du mieux que je peux.
Les voir me regarder ainsi avec envie, me désirer me donne plus d'assurance en moi et me convainc davantage sur le fait que les mecs ne valent rien du tout.
Nous restons là silencieux pendant une minute, je crois.
Il appelle un serveur.
- Vous prenez quoi, déesse ?
- J'ai déjà commandé.
Il est un peu déçu. Il commande à son tour.
On me sert finalement. J'attaque mon repas, tout en l'observant discrètement.
- Vous travaillez près d'ici ? demande-t-il.
- Pas loin.
A son tour, il est servi.
Du coin des yeux, comme j'ai toujours su le faire, je continue de l'observer afin de dresser son portrait.
Grand, athlétique, la trentaine et certainement très riche. Il porte un costard sur mesure, une montre en vrai or avec des diamants incrustés. Ses manières sont celles d'un bourgeois. Il mange lentement ...
- Célibataire ?
- Vous semblez bien direct, monsieur !
- Appelez-moi Robert.
Je hoche juste la tête.
- Oui, Robert. je suis célibataire et je compte le rester longtemps encore. Et vous ?
- Je suis célibataire.
Sa réponse provoque un tic chez moi. Car l'énergumène est bien marié, même s'il s'emploie à le nier.
Décidément, les hommes sont tous des damnés. Le péché est inscrit dans leur ADN. Il n'y a pas l'un pour rattraper l'autre.
Je me dépêche d'avaler mon repas. Il semble suivre mon rythme. Il tient même à payer l'addition.
- Je vous remercie, mais ce n'est pas la peine. Si je suis venue seule dans ce restaurant huppé, c'est parce que je suis en mesure de me payer un repas. Ne le prenez surtout pas mal.
Je me lève aussitôt.
- Vous partez déjà ?
- Oui. Je respecte trop mes consoeurs pour vous entendre encore me raconter votre lot de mensonges.
- Pardon !
- Vous ferez mieux de remettre votre alliance à votre doigt. Les marques autour de votre annulaire vous trahissent trop ! Mes hommages à votre épouse !
Il demeure interdit.
Je prends mon sac et me dépêche de quitter les lieux. Intérieurement, je suis ravie.
Quelques heures plus tard.
Je suis enfin chez moi. Je me dépêche de prendre une douche.
Devant le miroir, je m'attarde quelque peu. J'ai envie de me prêter à un exercice très difficile, un défi presque impossible pour moi : sourire.
Depuis que cette petite fille m'a souri si radieusement, j'ai tout le temps son image dans ma tête. Je tiens à l'imiter, le plus naturellement possible.
J'étire mes lèvres le plus largement possible. L'image que me renvoie le miroir m'effraie.
Je ressemble à une marionnette très moche. Je ne regarde pas souvent les telenovelas. Mais, je pense que je suis encore plus ridicule que Arjun Punji dans Kitani Mohabat Hai (Combien je t'aime ) ou Andrea dans Terre de passions quand ils s'efforcent de sourire.
Je réessaye une, deux, trois, quatre fois puis j'abandonne. Sourire n'est définitivement pas pour moi !