Chapitre 21

Write by Auby88

Nadia Page AKLE

 

Le bruit de la porte de la salle de bain me fait sursauter.

- Tata Nadia, tata Nadia...

Je soupire et ferme le robinet d'eau.

- Milena, combien de fois t'ai-je déjà dit de frapper avant d'entrer, quand je suis sous la douche ?

Elle hausse les épaules et ouvre grandement ses yeux.

- Bah, ce n'est pas de ma faute si ma tête ne veut pas retenir ça !

- Ah bon !

- Oui kêê ! s'exclame-t-elle en imitant ma voix.


Non, sérieux ! La petite-là a fini avec moi ! Je me marre durant quelques secondes avant de poursuivre :

- D'accord. Tu veux quoi ?

- Je peux… descendre à la cuisine ?

Là, elle parle tout doucement, en murmurant presque.

- Je pensais que tu m'attendrais pour qu'on y aille ensemble !

- Ben…je…, fait-elle en fixant le sol.

Je secoue la tête en l'observant.

- C'est bon, vas-y ! Je te rejoindrai tout à l'heure.

- Merci, tata Nadia. Tu es la meilleure !

- Surtout pas de bêtises là-bas hein !

- Il n'y a pas plus sage que moi oh !

- Oui, c'est ça ! lancé-je en plissant mes lèvres.

- Mais je suis sérieuse, moi !

- Milena, toi et moi on se connaît ! Faut partir seulement !

Je lui fais dos pour ajouter :

- En sortant, referme bien la porte de la salle de bain ainsi que celle de la chambre.

- D'accord.


J'entends un Vlan bruyant. Je regarde en arrière. Milena vient sans doute de refermer la porte d'entrée. Par contre, la porte de la salle de bain est restée ouverte. Pas grave !

Je chantonne en laissant l'eau froide couler sur moi... Comme ça fait du bien de se rafraîchir la peau !

Je lève mon bras et décroche ma serviette pour essuyer délicatement mon corps. Je suis le même rythme en appliquant mon lait corporel. J'adore prendre mon temps. (Sourire).

Ça y est. J'ai fini. J'enroule la serviette autour de mon corps et m'apprête à sortir de la salle de bain quand j'entends des bruits de pas.


- Milena, c'est toi ?

Pas de réponse. Après inspection de la chambre, je me rends compte qu'elle n'est pas là. Je me suis certainement trompée. En revanche, je constate que cette petite tête de mule n'a pas bien refermé la porte d'entrée. Hmmm !

Je m'empresse de la refermer avant de m'habiller.




Le lendemain


- Bonjour monsieur ! dis-je joyeusement en voyant mon patron pour la première fois de la journée.


En guise de réponse, il hoche juste la tête en évitant mon regard. C'est bizarre. Pourquoi prend-t-il tout à coup cet air sérieux d'antan avec moi ?

- Monsieur, quelque chose ne va pas ?

- Non. Bonne journée ! achève-t-il sèchement en continuant son chemin.

- PAGE ! reprend-t-il en me faisant à nouveau face.

- Oui, monsieur ! acquiescé-je toujours intriguée, car même la manière dont il vient de prononcer mon prénom est différente.

- Je serai très occupé cette semaine et probablement les semaines à venir aussi. Alors nos séances privées ne pourront plus tenir ! Vous pouvez disposer. J'en ai fini.

- Bien, monsieur ! agréé-je, l'air hagard.


Il vient de s'en aller. Son soudain changement de comportement à mon égard me laisse perplexe.



********


Eliad MONTEIRO


Ma tête repose contre le volant de ma voiture. Tout à l'heure, j'ai dû faire un effort surhumain pour rester concentré devant PAGE. Si je me suis montré autant froid avec elle, si je commence à mettre de la distance entre nous, c'est parce que notre proximité risque de m'être préjudiciable. Oui, en continuant d'être trop proche de PAGE, je risque de trahir la promesse de fidélité que j'ai faite à mon épouse.

J'inspire et expire, à maintes reprises, pour effacer de mon esprit cette image de PAGE que j'ai constamment à l'esprit. Et ce depuis la veille...


* *

 *

Flashback

La veille


Eliad MONTEIRO


- Bonsoir, madame Jeanne ! m'adressé-je chaleureusement à la gouvernante en entrant dans le hall de la maison.

- Bonsoir, monsieur.

- Milena et sa nounou sont déjà rentrées ?

- Oui, monsieur. Elles sont dans leur chambre.

- Bien.

- Vous désirez autre chose, monsieur ?

- Non. Merci.


Je garde en main un petit sac, contenant deux receuils de poèmes pour PAGE. Je les ai choisis avec minutie et j'espère qu'ils lui plairont.


- Papa ! s'écrie Milena que je viens de croiser dans les escaliers.

- Où vas-tu si vite ?

- A la cuisine, pour faire un gâteau avec Tata Sarah.

- Hmm. Très intéressant !

- Oui, je suis impatiente.

- D'accord. Surtout, ne fais pas de bêtises !

- Mais qu'est-ce que vous avez tous à me dire ça ? D'abord tata Nadia et maintenant toi !


J'éclate de rire en passant ma main dans ses cheveux.

- Ce n'est qu'une recommandation, Milena. Allez, vas-y. Au fait, elle est là ta nounou ?

- Oui, dans la chambre ! crie-t-elle en descendant les marches.

- Sacrée Milena ! m'exclamé-je en prenant la direction de sa chambre.


La porte est entrouverte.

- PAGE ! PAGE !

Je n'entends aucune réponse. Je m'avance à l'intérieur et entends le son de l'eau qui coule. Ça provient de la salle de bain, également entrouverte. Je devrais m'en aller et revenir plus tard, mais la curiosité — je suppose — m'en dissuade et me fait faire quelques pas en avant.


PAGE est là devant moi ; sa nudité offerte à mes yeux. Mon corps de mâle, que j'assurais "insensible" depuis la mort de Camila, commence à me contredire. Mon corps de mâle qui n'a rien ressenti devant Maëlly nue agit autrement aujourd'hui. Mes sens s'éveillent. Le désir va crescendo en moi, sans même me demander mon avis. Je suis en train de perdre le contrôle de mon corps et ce n'est pas normal.


Je dois m'en aller. Pourtant, je n'y arrive pas. Mes jambes refusent de bouger. Je reste donc là, immobile, avalant de la salive pour humidifier ma gorge de plus en plus sèche...


Mes yeux regardent ce liquide incolore couler sur la peau de PAGE et se répandre entièrement sur elle, en suivant ses jolies courbes. Puis ils voient ses mains — enduites de lait corporel — frôler ses tétons puis son mont de venus... Avec une lenteur et une douceur qui donnent l'impression qu'elle se caresse... (Long soupir)


Mes pieds hésitent entre d'une part aller en avant pour céder à la tentation et d'autre part reculer pour rester sur le droit chemin.


Quant à moi, j'hésite entre demeurer le veuf fidèle que j'ai toujours été et me changer en l'homme qui a terriblement envie de satisfaire sa libido revenue...


Finalement, je me décide quand je vois PAGE, sur le point de se retourner. Je quitte précipitamment la chambre et ne ralentis mes pas, que lorsque je me retrouve derrière la porte de ma chambre.


Fin du Flashback



***********


Des jours plus tard


Nadia Page AKLE


Entre monsieur Eliad et moi, c'est le statut quo depuis des jours. Il reste toujours distant et ne m'adresse plus vraiment la parole.


"Nadia, arrête ça ! C'est ton patron, rien de plus."

Oui, j'en suis consciente. Oui, je devrais ne pas m'en faire pour si peu. Mais j'ai beau me raisonner, cela m'attriste beaucoup.

 

Je me lève du lit et vais sur la terrasse. L'air frais vient caresser mon visage et balancer mes mèches de cheveux. Comme cela me fait du bien ! J'étouffais trop à l'intérieur.


En bas, je remarque la voiture du patron. Il vient d'arriver. Je rentre à l'intérieur, troque ma robe de nuit contre une chemise enfoncée dans une jupe puis quitte la chambre.


Il faut que je m'explique avec lui, il faut que je sache pourquoi il me traite ainsi. Il faut que je sache si Edric lui a parlé de moi. Et si ce n'est pas le cas, il faudra que je lui avoue mon passé. Mais aurai-je assez de courage pour le faire ?  Devant Edric, j'ai joué la fière et défendu que monsieur Eliad est une personne droite et juste. Mais en réalité, le père de Milena est si imprévisible que je ne suis plus sûre de rien.


Il vient d'entrer dans le salon souterrain. J'attends quelques minutes avant d'aller frapper contre la porte.


- Entrez !

- Bonsoir, monsieur.

- Bonsoir, PAGE.

Il est là près de la bibliothèque, occupé à parcourir un livre. Je me rapproche de lui.

- Vous avez eu une bonne journée, j'espère.

- Oui, me répond-t-il sans prêter attention à moi, ses yeux restant plongés dans le bouquin.

- Pourrais-je vous parler ?

- Maintenant ?

- Oui.

Il me répond sur un ton ferme, en me montrant le bouquin dans ses mains :

- Ce n'est pas possible, PAGE. Je suis très occupé. Vous le voyez bien !

 - Excusez-moi, monsieur ! Bonne nuit à vous !

Il ne me répond même pas.


J'effectue quelques pas devant moi, quand je sens son bras entourer vigoureusement ma taille et me retourner face à lui.

Avant même que je puisse prononcer un mot, ses lèvres viennent se coller aux miennes. Mon cœur bat à la chamade et mes jambes vacillent.


Contre toute attente, mes lèvres s'ouvrent pour accueillir celles de monsieur Eliad. Elles se mêlent à celles de l'homme, semblent s'y plaire, et ne veulent même plus s'en décoller. Heureusement, je parviens à les libérer de l'emprise des lèvres mâles.


- Monsieur Eliad, je ne peux pas !


Plutôt que de m'écouter, l'homme promène ses lèvres hardies autre part — dans mon cou — pendant que ses doigts trop entreprenants soulèvent ma jupe pour effleurer librement ma cuisse. Et le pire, c'est que mon corps continue de me trahir, devenant fébrile et se laissant envahir par ce que je crois qu'on appelle "désir".  


- Mon-sieur, balbutié-je, on ne … peut pas… faire ça. On ne le… peut pas parce que… je suis une…

- employée ?


Je voulais plutôt dire "ex-prostituée". Pourtant, je ne démens ni ne confirme les dires de l'homme.

- Cela m'importe peu, PAGE. Tout ce que je sais, c'est que tu as réveillé le mâle qui sommeillait en moi et que depuis il ne retrouve plus sa paix intérieure. Je pensais pouvoir résister à la tentation en prenant mes distances avec toi, mais je n'en suis plus capable...


Je ne dis plus mot. Je n'y arrive même plus. Je le laisse parler.


-...Et même si tu sembles hésiter, je sens que tu en as autant envie que moi.

Je secoue la tête.

- Ce n'est pas la peine de le nier, PAGE. Vois comme ton corps frémit au contact de mes doigts et tes tétons pointent à travers ton haut !


Ses mots me déstabilisent davantage. D'autant plus qu'il dit vrai. A nouveau, je le laisse m'embrasser. Au même moment, ses doigts se resserrent autour du premier bouton de ma chemise qui, sans grand effort, abandonne sa boutonnière ; puis autour du deuxième bouton aussi lâche que le premier et ainsi de suite, jusqu'à découvrir ma poitrine encore couverte par le soutien-gorge que je porte. Ma chemise, quant à elle, atterrit sur le sol.


Les yeux charmeurs de monsieur Eliad se posent brièvement sur mon torse avant de converger vers les miens. Ses doigts, quant à eux, zigzaguent sur la partie visible de mes nichons. J'ai l'impression de fondre. Avec une lenteur inouïe et en gardant toujours ses yeux dans les miens, il fait glisser les bretelles de mon soutien-gorge...


Je ne peux pas laisser les choses aller plus loin. Je ne peux avoir une relation intime avec lui, sans lui parler de mon passé. Je ne peux pas lui faire cela. En même temps, je n'ai pas le courage de lui dire la vérité. Il faut que je me libère de lui, que je quitte au plus vite cette pièce, même si tout mon être brûle d'envie de m'unir à lui. Une envie de faire l'amour que je n'ai jamais ressenti auparavant. Pour aucun homme. Jamais !


J'inspire profondément, puis le pousse en arrière. A toute vitesse, je prends ma chemise sur le sol et quitte la pièce.


- PAGE ! PAGE !

J'entends ses pas derrière moi. Heureusement, j'ai de l'avance sur lui.

Je réussis à entrer dans la chambre de Milena et à fermer la porte à clé à temps. Elle dort toujours. Ouf.


Monsieur Eliad est là, à l'extérieur de la chambre.

- PAGE, ouvre-moi. Tu ne peux pas me laisser ainsi. S'il te plaît !


Je ne réponds pas. Je me laisse tomber  sur le sol, là près de la porte. J'ai mal pour lui. J'ai mal pour moi. J'ai mal pour nous. J'ai mal pour cette union, à mes yeux, interdite. Pourquoi a-t-il fallu qu'il me voie autrement qu'une simple nounou ? Pourquoi a-t-il fallu que je le voie autrement que comme mon patron ?

Tout aurait été si simple si les choses n'avaient pas pris cette tournure. Maintenant, je ne sais plus quoi faire. Plus du tout. Un vrai dilemme !



********


Eliad MONTEIRO


Je suis encore debout devant la chambre de Milena, à supplier PAGE de m'ouvrir. Sans succès. Elle ne me répond même pas.

- Monsieur Eliad !

Je sursaute.

- Sarah !

- Un souci, monsieur ?

- Non, dis-je en m'éloignant un peu de la porte. Que faites-vous ici à pareille heure ?

- J'ai entendu des voix en haut, alors je suis montée pour m'assurer que tout allait bien.


"Quelle emmerdeuse celle-là !" pensé-je intérieurement.


- Je ne vous paie pas pour que vous surveilliez ma maison ! grondé-je. C'est bien compris ?

- Oui, monsieur. Je m'excuse. Je ne…


Je reconnais que je n'avais pas à m'énerver autant contre elle, mais elle s'était pointée devant moi au mauvais moment.


De toutes façons, ma rencontre désagréable avec cette pipelette invétérée m'a fait passer mon envie de sexe. Je n'attends pas le reste de sa phrase. Encore frustré, je m'éloigne en direction de ma chambre.


Mes yeux tombent sur les photos de Camila. J'ose à peine les regarder. Je me sens mal vis-à-vis de mon épouse. Je me sens coupable d'avoir autant désiré une autre femme qu'elle.  


Finalement, je me réjouis qu'il n'y ait rien eu entre PAGE et moi. Autrement, je me serais senti encore plus misérable. Quel genre d'homme suis-je en train de devenir ? Je pensais pourtant être entièrement maître de mon corps, pouvoir le dominer. Pourquoi PAGE m'attire autant ? Pourquoi ?



***********"


Deux semaines plus tard.


Nadia Page AKLE


Je suis assise dans le hall.

Depuis cette nuit-là, toutes mes pensées vont vers monsieur Eliad. Il est constamment dans mon esprit. Encore plus, maintenant qu'il n'est pas là. Je l'avoue. Il me manque terriblement.


Je ferme les yeux pour ne plus penser à lui, mais n'y arrive pas. Je me demande où il est, comment il va, ce qu'il fait. Ça fait quand même deux semaines qu'il est parti et je n'ai pas de nouvelles de lui. Il s'en est allé le lendemain même à l'aube sans prévenir personne, excepté la gouvernante.


- Bonsoir PAGE !

La voix de monsieur Eliad me fait tressaillir d'allégresse. Cependant, je cache ma joie en m'adressant à lui.

- Bonne arrivée, monsieur.

- Merci PAGE ! Tu peux me suivre dans le salon ?

- Eh… bien … je…

Il me sourit.

- Je te rassure, PAGE. C'est sans arrière pensée !

J'acquiesce...



- Milena dort déjà, je suppose.

- Oui, comme un gros bébé.

- Je pensais rentrer plus tôt pour lui montrer les bandes dessinées que j'ai achetées pour elle. Mais c'est pas grave. Je les lui donnerai demain.

- Elle en sera très ravie.

Il me tend un sac-cadeau.

- Tiens, PAGE. Il y a là dedans deux recueils de poèmes écrits par des auteurs béninois. Ça fait près d'un mois que je les acquis pour toi. Je comptais te les remettre avant, mais je n'en ai pas eu le temps. J'espère qu'ils te plairont.


Avec empressement, je découvre les ouvrages.

- "Fragiles de Méchac ADJAHO" et " Eden d'Ebène de Jasmin AHOSSIN-GUEZO".

- Exact.

- Ils me plaisent déja. Merci, monsieur.

- Je t'en prie. Nous en discuterons quand tu auras fini de les lire.

- Bien, monsieur.

- Au fait, nous sortons dîner demain soir.

- Milena sera ravie. Elle adore manger au restaurant.

- Il n'y aura que toi et moi.

- Et Milena ? demandé-je, étonnée.

- Pour cette fois-ci, elle restera à la maison.

- Mais…

- Sois tranquille, PAGE. Madame Jeanne veillera sur elle.

- Je vois. Cependant, pourquoi nous ne serons que deux ?

- Parce que tous deux avons besoin de discuter entre adultes de sujets nous concernant.

Il me fixe tandis que je fuis son regard.

- Pourquoi on ne pourrait pas en parler ici ?

- Ici, les murs ont des oreilles très affutées ! Tu me comprends à demi-mot, j'espère.


Je fais oui de la tête.

- De toutes façons, tu n'as pas à t'inquiéter. Je ne t'enverrai pas dans une chambre d'hôtel, mais dans un restaurant avec plein de gens autour de nous. Alors, on est d'accord pour demain soir ?

- Oui, accepté-je en souriant.



* *

*

Le lendemain


Nadia Page AKLE


- Après toi, PAGE.

- Merci, monsieur Eliad.

Il referme la porte d'entrée du restaurant et nous nous retrouvons dans un luxueux cadre, avec de magnifiques lustres au plafond. Nous quittons le hall puis emprutons un couloir qui nous mène vers une autre porte. Elle s'ouvre et je reste conquise par ce que je découvre : au centre de la pièce, se trouve une table dressée pour deux. Sur une autre table posée près de la première, je remarque des assiettes recouvertes de cloches. Ça et là, des fleurs naturelles reposent dans de jolis vases. Et il y a dans la pièce une légère senteur de rose très agréable pour mon odorat.


Monsieur Eliad tire ma chaise, à la manière du gentleman qu'il est. Je le remercie et m'y assois.

- J'espère que l'endroit te plaît ! commence-t-il en s'asseyant à son tour.

- Oui. C'est un cadre très spécial !

- En effet. Pour la personne très spéciale qui m'accompagne.

- J'en suis flattée, monsieur. Au fait, je… pensais qu'il y aurait du monde autour de nous.

- Ici, nous sommes dans un salon privé. Cependant, il y a bien du monde autour de nous : les serveurs, le gardien, la réceptionniste, en bref le personnel ainsi que les clients qui se trouvent dans la partie principale du restaurant. Tu vois, nous ne sommes pas seuls. Et même si c'était le cas, où serait le problème, PAGE ? Je ne suis quand même pas un violeur récidiviste ou je ne sais quel malfaiteur pour que tu aies peur de moi. Je reconnais que je me suis un … tout petit peu emporté la dernière fois, mais je reste un gentleman et je ne tiens pas à salir ma réputation auprès de toi.


Je ne sais quoi répondre.

- A moins que ce soit plutôt de toi-même que tu as peur.

- Ni l'un, ni l'autre au final ! finis-je par dire en regardant ailleurs.

- Parfait. Vous pouvez commencer à servir ! indique-t-il aux hommes en costume, debout près de nous.


- Tout ce cérémonial me rappelle …

- … le dîner d'anniversaire !

- Oui ! dis-je en riant. Quelle maladroite j'étais ce soir-là !

- Il faut être un habitué des soirées mondaines pour savoir comment parfaitement se tenir à table.

- Je revois encore le visage contrarié de mademoiselle Maëlly, surtout quand vous avez porté la viande à votre bouche en utilisant vos mains.

- Maëlly a toujours été très pointue en la matière. Mais ce soir-là, elle exagérait. Alors j'ai décidé de la discréditer. Mais hormis son coté hautain, sa rigidité sur certaines questions et son obsession pour moi, Maëlly est une bonne personne au fond, une grande amie et une soeur pour moi.

- Je vois, dis-je simplement en regardant ailleurs.

- Tu es jalouse ! N'est-ce pas ?

Je secoue fortement la tête.

- Ce n'est pourtant pas ce que je lis sur ton visage.


Je fais diversion.

- J'ai l'impression que mon estomac sonne l'alarme.

- Bien. Alors, commençons à manger.


Rien qu'à voir la sorte de purée de tomates servie dans des verres, je n'ai plus faim.


- Qu'est-ce que c'est ?

- Un gaspacho : une soupe de légumes crus, mixés et servie très froid.

- C'est très beau à voir, mais… les trucs européens, c'est pas vraiment mon fort.

Je le vois sourire.

- J'adore ta franchise, PAGE. Alors, tu as une plus grande préférence pour les mets locaux ?

- Oui, ce sont les meilleurs.

- J'ai pris bonne note. En attendant, goûte-moi ça. Tu ne seras pas déçue.


Il plonge une cuillère dans son plat et l'approche de ma bouche. J'hésite.

- Allez PAGE, ne fais pas souffrir mon bras !

J'ouvre la bouche.

- Miam ! Miam ! C'est vraiment délicieux et bien épicé, comme j'aime.

- Tu vois, j'avais bien raison. Sache que moi aussi, j'adore tout ce qui est très épicé, voire piquant. Et pas qu'en matière de nourriture !


J'évite ses yeux qui me fixent un peu trop.

- Qu'est-ce qu'il y a en dessous ?

J'indique les cloches, à présent, posées sur notre table.

- Le plat de résistance. A toi de le découvrir.

- Ça sent bon !

- C'est du poulet cajun au riz blanc.

- Ca…quoi ?

- Cajun. Un mélange d'épices : thym, oignon rose, ail, paprika, origan, poivre noir, graines de moutarde, piment fort, cumin et laurier.

- J'ai bien hâte d'y goûter !


Je m'empare de la fourchette et du couteau.

- Tu peux juste utiliser la cuillère ou tes mains pour te sentir plus à ton aise.

- Non, je veux manger comme cela se doit.

- Alors mets d'abord ta serviette sur les genoux.

- Ah celle-là, je l'avais complétement oubliée.


- Non, PAGE, quand on utilise à la fois le couteau et la fourchette, on se doit de tenir la fourchette de la main gauche et le couteau de la main droite.


Il se lève, vient par derrière ma chaise pour poser ses bras contre les miens. J'inspire profondément.

- Et tu fais comme ceci, sans te presser ! Tu vois ?

Difficilement, j'arrive à émettre un OUI. Ce n'est que quand il me laisse pour retourner à sa place que je retrouve ma quiétude.

- Bon appétit, donc !

- Bon appétit, monsieur Eliad !

- Quand est-ce que tu ôteras enfin le mot "monsieur" en t'adressant à moi ?

- Je sais que vous me l'avez dit plusieurs fois dans la voiture. Mais pour moi, vous resterez monsieur Eliad, mon patron.

- D'accord ! Pour le moment, je n'insiste pas.



* *

 *

- Ça aussi semble intéressant ! m'exclamé-je en découvrant le dessert.

- On appelle ça une île flottante.

- Une île ?

- Oui. Regarde, en haut ici il y a des blancs d'oeufs battus. Et le tout flotte sur de la crème anglaise.

- Ah, ok !

Avec empressement, j'y plonge une cuillère.


Monsieur Eliad fait tinter une clochette posée sur la table. L'un des serveurs se ramène avec un seau à boisson.

- Laissez, je m'en occupe.

- Bien, monsieur.

- Voilà, PAGE, un vin blanc, jeune et doux, comme toi, qui accompagnera parfaitement notre dessert. Ou bien, tu aurais préféré du champagne ?

- Eh bien… En fait, je ne bois pas d'alcool.

- Une ou deux coupes de vin, occasionnellement ne fait pas du mal.

- Peut-être, mais quand les occasions deviennent trop fréquentes, t'es foutu oh !

Il rit aux éclats.

- Sacrée PAGE !


Il approche la bouteille de mon verre.

Je secoue la tête.

- Je préfère boire du jus de fruits.

- Voyons, PAGE, tu as si peu confiance en toi ou tu crains que je te saoule puis que j'abuse de toi ?

- Non, ce n'est pas cela ! objecté-je aussitôt.

- Alors, détends-toi !

- D'accord, finis-je par dire.

Je le regarde remplir mon verre au tiers de sa hauteur, avec finesse. Hmmm ! Quel homme celui-là !

- On trinque ?

- Oui.

- A quoi ?

- Je n'en ai aucune idée, monsieur.

- Moi non plus pour le moment. Alors trinquons au FUTUR.

- Exact.



Des minutes plus tard. Il fait sonner à nouveau la clochette et l'instant d'après, une musique se fait entendre dans la pièce :


"Sólo si pudiera estar contigo,

Si seulement je pouvais être avec toi,

Tú dormida entre mis brazos

Toi endormi entre mes bras

Y mirarte en el silencio.

Et te regarder dans le silence.

Sólo si pudiera dibujarte

Si seulement je pouvais te dessiner

Una escena de mis sueños

Une scène de mes rêves

Dónde siempre estás presente.

Où tu es toujours présente.


Con sólo tenerte aquí

Rien que de t'avoir ici,

Decirte lo que yo siento

Te dire ce que je ressens


Es que me gusta tu cara, me gusta tu pelo,

C'est que j'aime ton visage, j'aime tes cheveux,

Soñar con tu voz cuando díces te quiero.

Rêver de ta voix quand tu dis je t'aime.

Me gusta abrazarte, perderme en tu aroma,

J'aime t'enlacer, me perdre dans ton arôme,

Poder encontrar en tus ojos el cielo.

Pouvoir trouver dans tes yeux le ciel.

Me gusta tu risa, me gusta tu boca.

J'aime ton sourire, j'aime ta bouche.

Me gusta creer que por mí tú estás loca.

J'aime croire que tu es folle de moi.

Cómo quiero que sientas conmigo la calma

Combien je veux que tu sentes avec moi le calme

Y cuando llegue la noche, cuidarte el alma.

Et quand arrive la nuit, prendre soin de ton âme.


Como despertar en la distancia

Comment se réveiller dans la distance

Sin tu piel junto a la mía

Sans ta peau contre la mienne

Amando tu fotografía ?

En aimant ta photographie ?

Podemos mandar besos con el viento,

Nous pouvons envoyer des baisers avec le vent,

Mirar la luna al mismo tiempo

Regarder la lune en même temps

Contar un día más.

Compter un jour de plus.


Con sólo tenerte aquí,

Rien que de t'avoir ici,

No sabes lo que me faltas.

Tu ne sais pas combien tu me manques.


Y a pesar de todo y sin darnos cuenta

Et malgré tout et sans nous en rendre compte

Estaré en tu puerta diciéndote otra vez…

Je serai à ta porte en te disant une fois encore...

Chayanne, Cuidarte el alma (Prendre soin de ton âme)"



- PAGE, tu m'offres cette danse ?

Je mets ma main dans la sienne tendue et me lève. Nos yeux se fixent tandis qu'il pose mes mains sur ses épaules et entoure ma taille de son bras.

- C'est une très belle chanson.

- Oui, je ne l'ai pas choisie par hasard. Les mots parlent pour moi et disent ce que je ressens à l'intérieur quand je te vois, PAGE.

- Monsieur Eliad, arrêtez. Vous me faites sentir toute bizarre avec cette chanson qui…

- …te pénètre l'âme et éveille en toi tout ce que tu t'efforces de cacher !


Je lève les yeux vers lui pour avouer :

- Oui, c'est vrai. Mais on ne peut pas être ensemble.

- Je ne vais pas essayer de te convaincre ce soir. S'il doit se passer quelque chose entre nous dans l'avenir, ce sera parce que tu l'auras vraiment voulu, sans hésitation, sans peur aucune...

- Vous n'abandonnez donc jamais !

- La nature a voulu que tu sois une femme et moi un homme. Et en tant que tel, c'est mon droit de te courtiser. Et puis….  je vais être franc avec toi, PAGE. Ce serait mentir que te dire que j'ai cessé d'aimer mon épouse, car je l'aime tout autant qu'avant. Cependant, je ressens pour toi ce sentiment auquel je ne saurais donner un nom. Je ne sais si c'est de l'amour ou juste de l'attirance. Je ne sais si c'est lié au fait que tu es douce, aimable, altruiste, jolie comme mon épouse et que tu me la rappelles tant. Je ne sais si c'est lié à tes jolies courbes féminines qui ne laissent pas indifférent, à ton teint si brillant qu'il pourrait occulter le soleil, à tes yeux si expressifs, si sincères ou à ton sourire si naturel...


Ses mots me font sentir si bien, si… femme, si… humaine.


- Mais ce dont je suis sûr, PAGE, c'est que tu me plais énormément, que je me sens très bien quand tu es près de moi, que je suis fort heureux quand tu me souris comme tu le fais actuellement et que je te désire comme jamais je n'aurais pensé désirer une autre femme que Camila.

- Même pas Maëlly, qui semble vous aimer à en mourir !

- Tu es ja-lou-se !

- Non.

- Allez, reconnais-le enfin.

- Non, mais je reste consciente que vous êtes "sa chasse gardée" !

- Elle peut toujours courir. Elle ne m'intéresse pas. Tu as bien vu comment je l'ai ignorée tout à l'heure !

- Oui, j'en ai été témoin.

- Je comprends que tu sois encore hésitante, que tu doutes de mes bonnes intentions envers toi quand tu sais que je suis un homme à plusieurs facettes. Mais offre-nous une chance et je ne te donnerai que le meilleur de moi.

- Je ne…

- Chut ! Ne te brusque pas à me répondre . Prends le temps de réfléchir d'abord. Mais ne me fais pas trop attendre...


Il me murmure à l'oreille :

- ...parce que je languis après toi, PAGE ! Et pas qu'un peu ! Je sais que même si tu t'efforces à me dire NON, tout en toi me crie OUI. Mais j'attendrai.

- Donnez-moi jusqu'à demain soir au plus tard et je vous donnerai ma réponse.

- D'accord. Le gentleman que je suis te fait confiance, en espérant que ta réponse sera positive.

- Monsieur Eliad ! Vous me faites sentir si… importante !

- Tu l'es à mes yeux, PAGE.


Il approche ses lèvres des miennes. Je ne sais pas si je résisterai à ça. Je ferme les yeux, attendant avec impatience qu'elles se collent aux miennes. Mais il n'en est rien. C'est sur ma joue puis sur mon front que je sens le contact de ses lèvres. Je me sens toute gauche. Il me sourit largement, sans dire mot, puis me serre tout contre lui.

Nous continuons à bouger en silence, bercés par cette belle balade espagnole qui me fait sentir si… hmmm, surtout avec les bras de monsieur Eliad qui m'entourent et son corps collé contre le mien.


* *

 *

Nous sommes sur le chemin du retour.  Monsieur Eliad joue la même musique en boucle.

- Monsieur Eliad ! Vous voulez m'achever ou quoi ? Vous savez bien que ce son me tue. Vous êtes en train de tricher !


En gardant un oeil sur la route, il me répond :

- Je mets toutes les chances de mon côté. Peut-être que dès que nous serons arrivés à la maison, tu me diras " Oui, Eliad, oui j'accepte qu'il y ait plus qu'une simple amitié entre nous !"


Il imite même ma voix.

- Vous êtes un séducteur né !

- Je ne le nie pas. D'ailleurs, c'est grâce à ce talent-là que j'ai pu conquérir le coeur de la redoutable Camila. C'est ainsi que j'ai pu devenir l'homme de sa vie, le premier et le seul qu'elle ait connu. Et de ça, j'en suis très fier. Très fier !


Je détourne la tête et fixe la vitre. J'ai de moins en moins de chances d'être avec lui. Oui, je ne le mérite pas. C'est certain. Sa femme était pure, tandis que moi j'ai perdu ma virginité pour quelques sous avec un parfait inconnu.


- PAGE ! PAGE ! Tu m'entends  ?

Je sors de mes pensées.

- Vous me parliez ?

- Qu'est-ce qui ne va pas PAGE ? Tu sembles tout à coup triste !

- Non, je regardais juste le paysage.

- D'accord ! On dirait qu'il commence à pleuvoir.

- Heureusement qu'on est près de la maison !

- Et que j'ai dans ma voiture un parapluie. Ainsi, aucune goutte de pluie ne te touchera.


Je souris, touchée par tant d'attention à mon égard.



On vient d'arriver à la maison. Mon chevalier servant prend le parapluie et brave la pluie devenue forte pour venir m'ouvrir la portière. Nous nous retrouvons tous deux sous un parapluie, qui protège plus moi que lui.

- L'eau mouille votre joli costard.

- Cela m'importe peu tant que tu restes au sec !

- Monsieur Eliad !

- Eh oui, je fais tout ce qui est en pouvoir pour que tu me donnes un avis favorable demain soir… ou tout à l'heure.

- Demain soir, c'est mieux.

- D'accord. Enfin, à l'abri ! s'exclame-t-il en refermant le parapluie.

- Oui.

Il ouvre la porte d'entrée et nous nous retrouvons à l'intérieur.

- J'ai passé une superbe soirée en ta compagnie, PAGE.

- Moi aussi, monsieur Eliad ! confirmé-je. Et surtout, merci pour ce beau pendentif à mon cou.

- Tout le plaisir est pour moi, PAGE ! renchérit-il en me donnant une bise sur la joue.


- Bonne arrivée, les tourtereaux ! lance une voix féminine, celle de Maëlly FREITAS.


Cette miss Maëlly FREITAS là, c'est plus que Super glue ! Tchié !


- Maëlly ! rétorque monsieur Eliad. Qu'est-ce que tu fais encore ici ? Je pensais avoir été clair avec toi !

- Oh. Prends une pause, mon cher ami. Si je suis venue ici, ce n'est pas pour me faire humilier à nouveau. J'avoue que c'est dur, mais j'intègre peu à peu dans mon esprit que tu préfères cette… demoiselle à moi.

- Je vous laisse parler en toute tranquillité.

- Non, PAGE. Tu restes ici. Je n'ai rien à te cacher.

- Et ça ne me dérange pas non plus ! renchérit Maëlly.

- Bien. Alors Maëlly, pourquoi es-tu revenue ?


La porte d'entrée s'ouvre derrière nous et nous voyons entrer Edric. La peur me gagne peu à peu. Car la présence d'Edric ici, en plus de cette Maëlly, ne présage rien de bon pour moi.




 


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