Chapitre 22

Write by leilaji

The love between us


Chapitre 22


Docteur Sandra m’a expliqué que la grossesse devait être évacuée rapidement pour éviter tout risque d’infection ou quelque chose comme ça. Elle a utilisé beaucoup de termes techniques mais j’ai pu en retenir deux : aspiration chirurgicale et misoprostol ou misaprostal. Je n’en suis plus aussi sure. Il fallait choisir l’une des deux méthodes. Idris a choisi pour moi car j’en étais incapable. Ça revenait surtout à choisir entre deux tortures différentes. Le cœur de notre bébé a cessé de battre mais c’était comme si mon subconscient empêchait mon corps d’expulser le sac embryonnaire. Le sac embryonnaire. Quel terme horrible pour désigner la vie qui était dans mon ventre. Dans ma tête, j’étais toujours maman. À chaque fois que je jetais un coup d’œil à mon échographie, je me sentais encore maman. Je refusais de voir la vérité en face d’autant plus que quelques jours auparavant tout allait encore bien. J’ai refusé jusqu’au bout. J’ai crié, pleuré, griffé. Je me suis débattue mais ça n’a servi à rien. Au bout de la troisième  échographie, il a bien fallu que j’accepte la nouvelle. 


Idris. J’avais mal pour lui pour moi pour nous. Mais c’était peut-être lui le problème. Il a fallu qu’il veuille aussi entendre ce bruit, signe de vie, pour que le bébé s’en aille sur la pointe des pieds. Je ne sais pas ce qu’on a fait au ciel pour mériter ça. Je suis une bonne musulmane. Mon mari est aussi un bon musulman, un bon mari et même un bon patron. Ça va faire cinq ans qu’il dirige l’entreprise familiale et il n’a encoure viré personne. Qu’est-ce qui manque au tableau pour qu’on soit récompensés ? Être une bonne fille et une bonne belle-fille ? Je le suis, sans aucun doute. Chaque fois que j’ai voyagé avec mon mari, j’ai ramené des cadeaux à sa mère ainsi que ses cousines et tantes. Être un bon fils ? Ça, Idris n’arrive plus à l’être apparemment. Mais il l’a été pendant tellement longtemps, qu’on ne peut lui reprocher de se concentrer enfin sur ses propres désirs et aspirations plutôt que ceux de sa mère.


Pourquoi est-ce que nous n’arrivons pas à créer une famille ? Les autres fois, ça s’était passé plus « normalement ». Si on estime qu’il y a une quelconque normalité dans le faite de perdre son enfant. J’avais eu mal, j’avais saigné et compris ce qui se passait. Cette fois ci, il a fallu forcer mon corps à se débarrasser du bébé. Je ne le voulais pas mais Idris a pris les choses en main. Et aujourd’hui encore il a l’impression d’avoir torturé mon corps et mon âme en m’obligeant à me faire « traiter » par le docteur Sandra. Mais c’était pour mon bien. Pour que je ne risque pas de complication plus tard. 


Devons-nous changer de médecin ? Impossible tant qu’on ne quitte pas le pays. Docteur Sandra est la seule gynécologue assez expérimentée pour me suivre. Les deux autres sur la liste sont des hommes et je refuse de les voir. Ce qu’Idris ne comprend pas mais qu’il respecte. Il sait que je ne tiens pas à ce qu’un autre homme que lui voit ma nudité. 


Idris est un bon musulman aujourd’hui mais ça n’a pas toujours été le cas. Quand on s’est marié, il a tenu à me parler de Manu et de la relation qu’ils ont eue. Et quand je pense à comment il était avec elle lorsque je les ai rencontré, je me dis… qu’il ne m’a peut-être pas tout avoué par peur de me blesser. Ils semblaient unis. Mais c’est du passé et je ne devrais plus y penser. Je souhaite juste qu’Allah lui donne la possibilité d’être un bon père en effaçant son ardoise avec Manu. C’est peut-être ce qui nous poursuit aujourd’hui. La règle de la non-mixité n’est pas absolue mais elle est encadrée. Un homme ne doit pas s’isoler avec une femme qui lui est étrangère. Manu n’était pas de sa famille. Elle ne lui était pas destinée non plus. Il n’aurait jamais dû être aussi proche d’elle. Le Prophète, que la paix et la bénédiction de Dieu soient sur lui a lui-même dit : l’homme ne s’isole pas avec une femme sans que Satan soit leur troisième. Et je m’en veux à chaque fois que je me demande si c’est lui qui cause tout ça. S’il est à l’origine de ma souffrance. 


Je soupire pour expulser toute l’air bloquée dans mes poumons. Je suis fatiguée et je n’ai pas les idées claires. Tout ça n’a pas de sens. C’est peut-être moi qui essaie d’expliquer l’inexplicable avec des raisonnements douteux. C’est mon corps qui … est un tombeau, pas les actes passés d’Idris. Il n’y a rien d’autres à comprendre. On a fait tous les examens possibles et le problème ne vient pas de lui mais de moi et de mon utérus fragile. 


Il est temps que je cesse de me morfondre dans notre chambre et d’éviter mon mari comme la peste. Il fait de son mieux pour moi. Il le fait toujours. C’est à moi d’en faire autant après cinq ans. Je le rejoins dans le salon. Ce matin encore, j’avais d’immenses cernes sous les yeux et là plus rien n’apparait. Pour me maquiller, ma main a toujours été sure et inventive. Je peux au moins compter sur ma main à défaut de pouvoir compter sur mon bas-ventre. Je m’approche de lui pour le prendre dans mes bras. Il se laisse faire. C’est la première fois depuis notre dernière visite à docteur Sandra que je le touche. Il a essayé plusieurs fois lui. Et j’ai refusé. Je me sentais encore trop coupable et je lui en voulais encore pour cet échec. Mais j’ai fait mon deuil. Il a bien fallu aller de l’avant. 


Ça va faire trois mois qu’on a perdu notre bébé. Et on est toujours debout. Mais jusqu’à quand ? 


- Elle sera bientôt là, je lui dis en me dégageant de ses bras pour regarder l’heure à sa montre.

- J’espère que ça ne se reproduira plus jamais. 


Je sais de quoi il parle. Ce n’est pas du bébé. Il évoque la réunion décidée sans son accord. Mais ce qui est fait est fait. J’ai donné le meilleur de moi à sa mère et à toute sa famille et ça n’a pas suffi. Qu’étais-je censée faire d’autre ? Attendre de me faire poignarder ? Non. Je veux qu’elle sache que ce qu’elle manigance, n’a pas besoin d’être fait dans mon dos. Ce qu’elle a à dire qu’elle le dise à mon mari. Ça nous évitera que toute la ville soit informée qu’elle me cherche une coépouse. Et je me plierai à la décision d’Idris, aussi dure soit-elle. Je range méthodiquement les verres dans les placards. Il m’arrête dans mon geste. 

C’est fou ce que j’aime cet homme. Et son attitude toujours humble et son regard bienveillant. J’aime quand il sourit et qu’on voit ses dents du bonheur. Je n’aime pas ce type de denture chez les autres hommes. Mais chez lui, ça lui donne un charme spécial à mon Monsieur Diop.


- Qu’est-ce que j’aurai dû faire alors ? je demande en évitant de lui montrer mon irritation.  

- Ne rien faire. Ne pas me tendre un piège ?

- Ta mère s’en est mêlée. Et tu connais ta mère, une fois qu’elle a une idée en tête, impossible de ... Bref, le mieux c’est qu’elle en parle avec toi et que tu te décides.     

- Ca va faire trois mois qu’on a perdu le bébé. Etait-il urgent de la mettre au courant ? 

- C’est ta mère qui a commencé à en parler. Elle a deviné ce qui n’allait pas et est venu à l’hôpital en ton absence me poser des questions. Tu me connais. Je ne sais pas mentir. Alors je le lui ai tout dit. Je lui ai expliqué tout ce par quoi on est passé pour qu’elle comprenne que ce n’est pas moi qui refuse de te faire un enfant mais mon ventre. J’en avais assez de cacher la vérité. 

- Il ne s’agissait pas de cacher la vérité mais de nous protéger. 

- Et qu’est-ce que ça a donné ? je lui demande en ouvrant le frigidaire pour en sortir une bouteille d’eau. Je passe pour celle qui n’est intéressée que par ton argent et dépense allègrement tout ce que tu gagnes durement parce que je suis trop égoïste pour te donner un enfant. Quel est le pire dis-moi ? Faire pitié parce que je n’arrive pas à faire d’enfant ou susciter le mépris parce que les gens pensent que je refuse d’en faire ? Dis-moi. 

- Arrête. 

- Elle a dit qu’elle a compris mais qu’elle devait prendre une décision. Apparemment elle l’a prise. 

- Donc je suis convoqué en quoi ? En conseil de discipline comme un gamin pour que des personnes prennent une décision sur ma vie ? 

- Il ne s’agit pas que de toi. Ça va impacter aussi ma vie. Bien plus la mienne que la tienne, dis-je en reprenant mon rangement. Tu parles comme si j’avais permis à des étrangers de venir te déranger. Il s’agit de ta mère. 


Avant que la conversation ne s’envenime, la sonnette retentit. Je tressaille de surprise tandis que je vois le visage de mon mari se froisser de colère. 


- Bon ça suffit, ordonne –t-il en m’empêchant de continuer ma tâche. Écoute-moi bien Zeina. Ici c’est chez moi et la prochaine fois que tu y inviteras des personnes sans mon consentement… Ça ne se passera pas bien, crois-moi sur parole. On s’est compris ? 


Idris ne m’avait encore jamais parlé aussi durement. Ce n’est pas dans ses habitudes. 


- J’ai demandé si on s’est compris !

- Oui. 

- Parfait. On y va. 


On sort tous les deux et Idris prend place à la terrasse. Sa mère entre après que le gardien a ouvert le portillon en fer. Je la reçois du mieux que je peux en affichant autant de force et d’assurance que la situation me le permet. Après les salutations d’usage et le partage du thé, ma belle-mère me demande avec son sourire faux que je connais maintenant par cœur, de les laisser tranquille un moment pour qu’ils puissent discuter. Idris me fait signe de ne pas bouger. Puis il ne dit rien de plus. Sa mère et moi nous regardons sans comprendre où il veut en venir. On sonne de nouveau et un homme entre dans la concession. C’est mon père. Que fait-il là ? 


- C’est moi qui l’ai invité, précise Idris. Comme je ne pouvais échapper à cette réunion, je me suis dis que Zeina aussi avait besoin que quelqu’un défende ses intérêts si moi je ne le fais pas correctement.   


Je cours me réfugier dans les bras de mon père que je n’ai plus vu depuis mon mariage. Il me sert très fort et essuie les larmes qui roulent sur mes joues. 


- Oh papa. Je suis tellement désolée.

- Ce n’est pas grave ma fille. Tu as été très forte et courageuse. Ni moi ni ta sœur ne savions ce que tu traversais. Je suis vraiment désolé moi aussi. 


Je le regarde dans les yeux. Il semble résigné. Pas en colère ou déçu, juste résigné. Je ne sais pas comment interpréter son attitude. Idris se lève et accueille mon père avec tous les égards qui lui sont dus, sous le regard courroucé de sa mère. Et encore une fois, je ne peux m’empêcher de me demander comment une femme comme elle a pu élever un fils comme lui. Je cours à la cuisine et apporte une tasse supplémentaire ainsi que des amuse-gueule.


- Tu en fais trop assieds-toi Zeina, dit Idris en tapotant la place à ses côtés.


J’obéis à mon mari puis attends. Je suis mal à l’aise. C’est une chose d’être humiliée. C’en est une autre de l’être devant son père. 


- Bon si tu veux que ça se passe ainsi ! marmonne sa mère. 

- On t’écoute maman. c’est toi qui as tenu à cette rencontre. Parle. 

- Je vais aller droit au but alors et poser des questions à ta femme pour que les choses soient claires. 

- Je répondrai. Pose-moi les questions, répond Idris à ma place. 


Sa mère finit sa tasse, se trémousse un peu dans son siège puis commence.


- Combien de fausses couches à ce jour ? 

- Quatre. 

- Qui pose problème ? 


Elle est aussi froide et méthodique qu’un procureur à la recherche d’un criminel à condamner. C’est surement ce que je suis à ses yeux. Coupable d’avoir trahi la confiance placée en moi, coupable de ne pas donner d’héritier à sa famille.


- Je ne comprends pas cette question, répond Idris en prenant ma main dans la sienne. 


Il ne quitte pas sa mère des yeux et moi je ne peux m’empêcher de fermer les miens pour ne pas voir la détresse de mon père. Pourquoi est-ce qu’Idris lui a demandé de venir ? 


- Lequel d’entre vous a des problèmes pour concevoir ? 

- Nous ne le savons pas exactement. 

- Ah bon ? Ta femme m’a dit que c’était elle, que le médecin avait vu que c’était elle.

- Je ne pense pas que le médecin puisse être aussi catégorique dans son diagnostic, répond-il pour biaiser sa réponse. 

- Tu n’es pas médecin à ce que je sache pour dire pareille chose, mon fils.

- Toi non plus maman donc je ne vois pas pourquoi tu mets en doute ce que je dis.         


Elle pose sa tasse et se racle la gorge. Idris semble très à l’aise. Toute colère s’est dissipée sur son visage et il répond d’un ton égal. 


- Ca fait cinq ans qu’elle ne te donne pas de descendance. Ca ne sera pas déloyal de ta part de prendre une seconde épouse comme le coran te le permet.


Je m’y attendais à cette proposition. Mais même en sachant que c’est ce pour quoi elle est là, je peine à contenir ma douleur, puis ma colère. C’est une femme comme moi qui dit à un homme de prendre une autre femme pour épouse. C’est une femme comme moi qui a connu les affres du mariage qui dit à un homme de prendre une seconde épouse alors qu’elle sait très bien tout ce que ça implique en terme de difficulté au quotidien d’avoir à partager son mari avec une autre. Si au moins je n’aimais pas son fils. Ce serait facile d’accepter cette situation. Mais elle sait que je l’aime. Elle sait à quel point.     


- Son père est là puisque tu lui as demandé de venir. Il sait que je dis vrai.


Idris regarde mon père. Peut-être attend-il qu’il objecte quelque chose. Mais mon père ne dit rien. Si ma sœur avait été là, elle aurait pesté de toutes ses forces contre cette proposition indécente.  Parce qu’elle n’est pas comme moi. Elle ne croit pas en tout ce en quoi je crois moi. Mais mon père est un homme d’une autre époque. 


- Voilà, elle est informée. Tu n’as pas besoin de son accord, juste de l’informer. Donc tu peux prendre une autre épouse. Choisis la toi-même si ça peut te rassurer, je ne m’en mêlerai plus. Mais choisis-en une. Voilà ce que j’avais à dire. Je n’avais pas l’intention de faire ça dans ton dos, juste de venir te voir seulement une fois que j’aurai eu une ou deux propositions valables pour toi. Mais ta femme m’a forcée la main.  


Pourquoi est-ce que mon père ne dit rien ? 


- Mon but n’est pas de faire du mal à Zeina. Sinon j’aurai peut-être pensé à la répudiation au divorce. Non, je veux qu’elle conserve son statut de femme mariée car c’est ce qu’elle est. C’est moi qui l’ai choisi et contrairement à ce qu’elle pense je ne regrette pas mon choix car elle te rend heureux. Mon but est de préserver votre mariage quitte à nouer un autre lien car je ne connais aucun homme qui ne souhaite avoir des enfants. Surtout toi Idris. 


Bientôt elle va vouloir me faire croire que c’est un service qu’elle me rend !


- Tu te rappelles quand tu étais petit et que toutes les femmes voulaient que tu gardes leur enfant. Tu as toujours su y faire avec eux. Il suffisait qu’on te pose un bébé dans les bras pour qu’il se calme immédiatement et se mette à babiller. Tu mérites d’avoir des enfants et notre famille mérite d’avoir un héritier. Je passe pour la méchante et ça ne me gêne pas. Mais je suis mère d’un seul et unique enfant. J’ai tout sacrifié pour qu’il obtienne la vie qu’il mérite et c’est le rôle d’une mère. Mais ce rôle je dois désormais le laisser derrière moi pour embrasser celui de grand-mère. Je veux moi aussi tenir entre mes mains mes petits fils comme toutes les femmes de mon âge. Ce n’est pas juste de priver Idris de ce bonheur. Est-ce que j’ai tort Abdoulaye ?


Pourquoi demeure-t-il muet ? Pourquoi ne dit-il rien ? 

Mais que peut-il bien dire ? Lui-même a épousé deux femmes. Qu’est-il supposé dire pour ma défense ? 


- Notre religion permet à un homme d’épouser au plus quatre femme. Mon fils ne brise aucune règle en prenant une seconde épouse qui pourra lui donner des enfants. Ce que Zeina n’arrive pas à faire. 


Je n’en peux plus de rester stoïque devant tout ce déballage. Je ne sais pas ce qui m’a pris de penser que je pouvais gérer cette situation. Je ne le peux pas. Ça fait trop mal. Tout ce que j’ai, je le donne à Idris. Pourquoi les hommes n’en font pas autant ? Pourquoi leur permet-on de se détourner de nous. Qui ne sait pas à quel point ça brise de partager ? Ça n’a jamais réuni de partager, ça sépare. Je me lève, la main d’Idris glisse de la mienne. Sans me regarder, il m’ordonne de m’assoir. Sur un ton qu’il utilise quand il ne veut aucune réplique.  


- Et si c’était moi ? demande Idris.

- Quoi ? 

- Et si c’était moi qui n’y arrivais pas ? 

- Mais ce n’est pas le cas…

- Et si c’était moi ? Tu penses que son père se permettrait de venir chez nous m’informer qu’il faudrait à sa fille un second mari ? 

- Idris, s’exclame sa mère outrée par cette demande. 

- Tu as posé des questions j’y ai répondu de mon mieux. A toi d’en faire autant maman. Et si c’était moi. L’accepterais-tu que son père vienne me jeter ça à la figure avec condescende?

- Il ne s’agit pas de ce que j’accepte ou pas mais de ce que le coran prévoit ou pas. Nous sommes des femmes et telle est notre condition. Je n’ai pas à débattre de ça. Le coran ne prévoit pas de second mari pour une femme. Voilà ma réponse à ta question.   

- Comme il ne prévoit pas de seconde épouse pour mon cas. 


Je tourne mon visage si vivement vers mon mari que j’ai l’impression d’avoir entendu mon cou craquer. Idris ne quitte pas nos parents du regard. 


- Mais qu’est-ce que tu racontes ? 

- La sourate 4 verset 3 dit : Si vous craignez d’être injustes pour les orphelins, épousez des femmes qui vous plaisent. Ayez-en deux, trois ou quatre, mais si vous craignez d’être injustes, une seule ou bien des esclaves de peur d’être injustes. Le verset de la polygamie commence par une recommandation qui demande la justice envers les orphelins. Il ne faut jamais retirer un texte de son contexte historique, sociologique, géographique. 

- Tu te prends pour l’Imam ? 

- Laisse le parler, intervient enfin mon père. Je veux entendre ce qu’il a à dire. 

- Mon fils est fou qu’est-ce qu’il pourrait bien avoir à dire. Il a toujours eu la tête plongé dans son ordinateur. A quoi ça nous avance de l’écouter ? 

- A l’époque, les Mecquois attaquaient les musulmans près de Medine. Beaucoup d’hommes musulmans mouraient en laissant des veuves et des orphelins. La polygamie était une réponse à une situation de fait, en permettant à ceux qui rentraient vivant de la guerre, d’épouser les veuves de ceux qui n’avaient pas survécu afin qu’il n’y ait pas d’injustice envers les orphelins. Voilà ce que l’unique sourate sur la polygamie dit à ma connaissance. Sommes-nous en guerre maman ? Celle que tu as en tête est-elle la veuve d’un sénégalais mort au combat ? 

- Idris ! s’insurge sa mère en tapant de la main sur ma table basse entre nous. 


Cela ne perturbe pas le moins du monde son fils. 

 

- Le Coran demande d’être juste envers les épouses et pourtant le verset 129 de la même sourate dit : vous ne pouvez jamais être juste envers vos femmes, même si vous le désirez ardemment. Je ne suis pas parfait maman. Mais chaque jour je me lève et j’essaie d’être juste envers ma femme, envers toi, envers mes employés même envers les gens que je ne connais pas et qui ne sont pas de ma confession religieuse. Zeina est ma femme. Elle ne peut pas faire d’enfant. OK. Serait-ce juste de ma part de la punir pour ça ? Ou serait-ce juste de ma part d’en épouser une autre que je ne pourrai jamais aimer comme elle.

- Quand elle te donnera des enfants crois-moi tu l’aimeras comme tu aimes Zeina. Si ce n’est plus. 

- Si ce n’est plus ? Donc tu rejoins ce que je dis.    

- Ne commence pas avec tes idées révolutionnaires. Pourquoi tu veux toujours être différents des autres hommes ? Toujours à chercher la petite bête. A ne jamais fréquenter ta communauté. A toujours prendre la défense de femmes qui ne te méritent pas. 

- Ce n’est pas à toi de décider de qui me mérite ou pas ? Je suis différent maman. Et depuis tout petit tu m’as toujours puni pour ça. Jusqu’à ce que quelqu’un me fasse réaliser que ce n’est pas grave de ne pas rentrer dans le moule. 

- Hum. 

- Aujourd’hui je suis un homme. Sois heureuse parce que tu as fait de moi l’homme que je suis. Et quand je dis non maintenant, c’est non.

- Donc tu veux rester sans enfant c’est ça ? A qui vas-tu transmettre l’entreprise familiale ? 

- Je ne vois vraiment pas en quoi ça te regarde. Tu seras déjà morte.  


Il se lève sans plus rien ajouter pendant un moment, nous invitant donc tous à nous lever. Sa mère n’en fait rien. 


- Bon si on en a fini, je souhaite raccompagner papa Abdoulaye à son hôtel. Il prend l’avion dans quatre heures. Zeina tu veux venir si tu ne te sens pas trop fatiguée ? 


Je regarde longuement mon père et décline l’invitation. Il n’a rien dit pour ma défense. Rien. Alors non, je ne veux pas le raccompagner. Idris me demande d’aller chercher les cadeaux qu’il a préparés pour ma petite sœur et de les remettre à mon père. Je m’exécute, un peu dans les vaps. Ils s’en vont après les salutations d’usage envers la mère d’Idris.


- Tu crois avoir gagné ? Les enfants c’est la richesse d’un homme. Tu le dépossèdes de ça.  

- Ça n’a jamais été mon intention.

- Je ne suis pas ton ennemie. C’est ta stérilité qui l’est. Si tu es une femme avisée, tu feras mieux de ne pas te reposer sur tes lauriers et de trouver une solution à ton problème parce que crois-moi, je ne lâcherai pas mon fils. J’ai déjà trouvé celle qui sera parfaite pour lui. Je ne vais pas laisser longtemps encore, les gens jaser sur vous, sur ma famille. Cinq ans Zeina. On a été très clémentes avec toi. On t’a laissé une chance pendant cinq longues années. 

- Vous l’avez entendu…


Elle éclate de rire et se lève. 


- Ne l’oublie pas. J’ai fait ton mariage. Je peux tout aussi bien le défaire, dit-elle avant de s’en aller.       


Malgré tout je la raccompagne. Elle s’en va sans dire au revoir. Je reste plantée au milieu de ma cours a essayer d’analyser tout ce qui vient de se passer. Le temps s’écoule sans que je ne bouge un seul petit doigt. Le soleil plonge petit à petit dans sa taverne. Et pour la première fois depuis trois mois, un sourire éclaire mon visage malgré la menace de ma belle-mère. Idris est un homme de parole. Il n’y aura pas de seconde épouse.

The Love between us