Chapitre : 23

Write by MoïchaJones

Le bruit de la climatisation me garde éveillée. Je suis dans le lit, avec de part et d’autre Imani et Jason endormis. Ils ont voulu veiller avec moi, mais le sommeil a été plus fort qu’eux. Tous les évènements que nous avons vécus jusqu’ici nous a tous affecté. Jomo qui est venu en personne nous menacer et se dévoiler par la même occasion. La longue attente du commissaire et de ses officiers. Aba qui est toujours porté disparu. Selon Jason, il lui a dit qu’il allait lui chercher de quoi  manger, quelques minutes avant que je ne revienne.


J’ai pris le minimum quand la police est arrivée et je suis venue me réfugier dans cette chambre d’hôtel avec les enfants. Notre voyage n’est plus que dans quelques heures et jusque-là, nous aurons des officiers à notre disposition. Je ne sais pas qui trempe dans toute cette affaire, car ça doit être un réseau entier. Je réfléchis à un plan de sauvetage. Si le commissaire est au courant de quoi que ce soit, je ne donne pas cher de notre peau. Il m’a l’air de bonne foi, mais les apparences sont souvent trompeuses je me dis après réflexion. 


A six heures trente, je passe un coup de fil pour un Uber et réveille les enfants. Le vol est dans la soirée, mais je ne vais pas rester là à attendre qu’ils aient le temps de mettre une nouvelle ligne de conduite en place. J’ai une longueur d’avance sur eux et je dois la garder aussi longtemps que possible. Une heure plus tard, je passe la tête dans le couloir. L’officier en faction est assis sur une chaise et à sa tête je suis presque sûre qu’il est endormi. Je remercie le ciel à cet instant et me tourne vers les enfants. Un doigt sur mes lèvres, je leur demande de ne faire aucun bruit. Nous avançons silencieusement dans le couloir, le bruit de nos pas masqué par l’énorme tapis rouge qui recouvre toute la surface de notre palier. Mon sac dans une main et la petite valise que j’ai apprêté dans l’autre, je suis les enfants qui comprennent l’enjeu de la situation. Au bout du couloir on tourne à gauche et on se dirige vers la cage d’escalier. 


Imani a le visage grave, elle ne comprend peut-être pas exactement ce qui se passe, mais elle sait que c’est suffisamment important pour la fermer. Jason tiens fermement sa main et il la guide dans l’escalier. Une fois au rez de chaussé, on emprunte un ascenseur pour rejoindre le parking souterrain de l’hôtel où le taxi est censé nous attendre. J’en ai demandé un avec des vitres teintées. 


- Couchez-vous sur la banquette. 


Je dis aux enfants en les installant près de moi, pendant que le chauffeur installe la valisette à l’arrière et qu’il vienne se mettre derrière le volant. Je lui indique un hôtel plus modeste, mais qui est plus près de l’aéroport, et il démarre sans se faire prier. 


Je vérifie si on nous suit et ne remarque rien de particulier. Le temps qu’ils se rendent compte, nous serons déjà bien loin. 


Mon téléphone sonne et le numéro d’Amaya s’affiche sur l’écran. Je m’étais promis de l’appeler avant qu’on ne parte, mais la donne a changé. Je coupe la sonnerie et pose la tête sur le dossier de mon siège. Il règne dans l’habitacle un silence de cimetière, mais personne ne bronche. Une fois à bon port, je donne rendez-vous au chauffeur et conduit rapidement les enfants à l’intérieur. On monte dans la chambre et je commande le petit déjeuner. Je les mets exceptionnellement devant la télé et vais prendre ma douche. La journée passe lentement. J’ai les nerfs à vif. Le numéro d’Aba ne passe pas et je comprends que je suis seule au monde avec ces petits. 


Tout le monde essaie de me joindre, Amaya, Joseph, Jomo et même Uhu, mais je ne décroche pas. Je ne suis pas prête 


*

**


On conseille à tous les passagers de se faire enregistrer deux heures avant le décollage. C’est la norme. La norme, je ne sais plus trop ce que c’est en ce moment. J’essaie juste de garder la tête hors de l’eau. 


Je jette un coup d’œil à Imani assise à mes côtés. Elle somnole en tenant sa peluche dans ses bras avec force. Pauvre petite. Jason quant à lui, est à ma gauche. Son regard est aussi vif que celui d’un charognard qui attend que sa proie crève. Je crois pouvoir sentir son esprit sur le qui-vive. On dirait moi, je suis dans le même état d’esprit. Je surveille sans vraiment le faire voir tout ce qui se passe autour de moi. 


Nous sommes assis dans un endroit stratégique. Le mur dos à nous et le regard braqué sur toutes les entrées de la salle d’embarquement. Les autres passagers montent et descendent, d’aucun lisent les dernières nouvelles dans les journaux, pendant que d’autres échangent avec leurs voisins de siège. Moi, j’ai préféré nous éloigner de tout ça. Nous n’avons pas besoin de nous faire de nouveaux amis, ni de nouvelles connaissances. Ce que je veux pour nous c’est que ce putain d’avion qui a du retard se pointe pour nous emmener au loin.


- Ca vous dérangerait que je m’installe près de vous?


La voix de l’inconnu en face de moi me fait sursauter. Je ne l’ai pas vu arriver et ça me fout les boules. Je sens la pression de la petite main de Jason dans la mienne et je prends sur moi de ne pas laisser transparaître la peur dans ma voix quand je réponds par l’affirmative. Le type me regarde surpris, mais récupère son trolley et s’en vas sans rien ajouter. 


- Maman, quand est-ce qu’on part? 


Je me tourne lentement vers Imani et lui fais un sourire rassurant.


- Bientôt ma chérie. L’avion a un petit retard, mais il sera très vite là. 

- Tu promets?

- Oui ma chérie. Je te promets. Rendors-toi, je te réveillerai le moment venu. 

- Pourquoi il est en retard? 


Cette fois c’est Jason qui s’adresse à moi, d’une voix calme et mesurée. Je ne sais pas comment il fait pour être aussi calme, alors qu’il me semble très agité vu de l’extérieur. 


- Je ne sais pas poussin. Beaucoup de chose peuvent expliquer qu’un avion prenne du retard. 


Je me lance dans un semblant d’explication qui arrive à me convaincre moi-même. La curiosité de cette enfant ne finit pas de m’étonner. Tout ce qu’il a subi n’arrive pas à le changer. Toujours à l’affût de la moindre érudition. Il aurait fait de grande chose s’il lui avait été donné de meilleures chances. Il arrivera à construire quelque chose de grandiose, une fois qu’il se remettra en selle. J’en ai la foi. 


- Les passagers du vol E-711 à destination de Douala, Cameroun, sont priés de se présenter à la porte d’embarquement 57. Merci. 


Je me lève rapidement à l’appel de l'hôtesse et prends la main d’Imani en même temps que je me saisis de mon sac à main. Nous sommes troisièmes dans la file et mon cœur bat à tout rompre pendant que la dame au comptoir valide nos tickets d’embarquement. Je lui tends les nôtres qu’elle prend tout sourire, les enregistre et me tend les coupons. Nous entrons dans l’appareil et j’installe tout le monde confortablement. Je pose la tête sur le dossier et ferme les yeux. Quand l’ordre est donné de fermer les portes et je peux enfin souffler pour de vrai. Enfin, la fin est proche, je me dis en poussant un soupir lent et profond. J’ai réussi à m’échapper. Je nous ai mis hors de danger. 


Le bruit des moteurs se fait plus fort et j’ai l’impression que l’avion fait marche arrière. Un coup d’œil par le hublot et je dois me rendre à l’évidence. Nous n’avons pas vraiment bougé de là où nous étions. L’aéroport me semble toujours aussi proche que lorsque Jason à poser le bout de son nez sur la vitre, faisant des buées avec sa respiration. Pourquoi ça mets autant de temps. 


- Mes dames et messieurs, ici votre commandant de bord. Nous vous prions de nous excuser pour le retard pris, mais il nous a été demandé de rouvrir les portes. Soyez assuré de notre départ juste après ce petit incident. 


L’annonce fini de m’achever et déclenche la cohue dans l’appareil. Tout le monde y va de son petit commentaire. Je regarde inquiète le ballet des stewards à l’avant et sens qu’il y a quelque chose de louche. Des officiers en tenues entrent dans l’avion et sans trop savoir comment, je sais qu’ils sont là pour moi. Tous les regards qui se braquent sur nous, confirme mon ressenti. 


- Madame, veuillez nous suivre s’il vous plaît. 

- Pourquoi? 

- Nous vous expliquerons tout, une fois que nous serons bien installés dans nos bureaux.


J’ai envie de dire “non! je ne bougerai pas d’ici”, mais tous les regards sont sur nous. L’intérêt malsain qu’on nous porte est pire que l’humiliation d’être arrêtée, comme une vulgaire voleuse.


- Maman?

- Venez les enfants, on descend. 


Avec le peu de dignité qu’il me reste, je précède les enfants dans le couloir, avant de leur céder la place et de suivre les policiers la mort dans l’âme. 


- Il nous a été rapporté que le garçon n’est pas votre fils. 


Mon cœur manque un battement. Je prends le temps de respirer un bon coup avant de répondre le plus calmement possible. Nous sommes dans une salle avec juste une chaise et une table en bois. Les enfants ont été emmenés je ne sais pas où, et nos passeports nous ont été retirés. 


- Il est mon fils, dans la mesure où j’assure son bien-être. Je ne sais pas d’où vous vient une idée aussi sordide mais, j’ai un vol qui m’attend. 

- Navré de vous décevoir, mais c’est du kidnapping. Je ne vous laisserai jamais emmené cet enfant loin des siens, sans leur autorisation. 


Je l’observe faire son petit speech et je suis sans voix. Ca se voit comme le nez au milieu de la figure qu’il ne sait pas de quoi il parle. Il n’arrive même pas à se convaincre lui-même.


- Je ne sais pas ce qu’on vous a raconté, mais vous faite une erreur.

- C’est toi qui as fait l’erreur de me sous-estimer Belinda.


Jomo! 


Je savais que tout ça portait sa signature. Je ne suis pas étonnée. Ca ne pouvait être que lui derrière tout ça. 


- Tu as bien failli y arriver, mais dommage que tu n’ais pas pu te rendre compte à temps que c’était trop facile. 


L’envie me prend de plonger sur lui, griffes ouvertes et de lui taillader le visage. Je crois qu’il l’a vu inscrit sur mon visage car il s’est éloigné lentement avec un sourire narquois aux lèvres. 


- Laisse nous partir, Jomo!


Il contourne la table et vient mettre son visage à un centimètre du miens. Nous ne sommes que deux dans la pièce, mais j’ai comme l’impression que ce qu’il va dire ne doit être entendu que de nous. 


- Il y a encore quelques jours, j’aurai juste exigé d’avoir le garçon. Mais à cause de ton stupide entêtement, tu en sais trop. Je ne peux décemment plus te laisser t’échapper avec ça. Je vais m’occuper de toi et tu retiendras la leçon. Ne jamais s’occuper de ce qui ne nous regarde pas. 


La voix qu’il a utilisée a fini de me glacer sur place. Ca ne sent pas bon. Je dirais même que ça pu vachement fort. Je dois…


Son rire moqueur me coupe dans mon élan. 


- Arrête de réfléchir aussi fort, tu ne m’échapperas pas cette fois. 

- Pourquoi tu fais ça?


Il me regarde dans les yeux, puis pousse un soupir de contentement. 


- Comment ça pourquoi?  Mais pour dieu ma chérie. Le dieu de ce monde, l’argent.

- Je te donnerai de l’argent, si ce n’est que ça.


Il éclate encore d’un rire tonitruant, en se tenant carrément les côtes. 


- Ne me fait pas rire Belinda. Tu comptes sur l’argent de ton mari pour me graisser la patte? Je suis plus riche qu’Uhu. L’argent je m’en fais abondamment, je dirais même que je m’en fais à satiété, sauf que je ne suis jamais rassasié.


Ca l’amuse de me balancer ses conneries au visage. Je sens la rage monter en moi, je ferme mes poings sur mes cuisses et tente de calmer ma respiration. Il a mes enfants, je ne dois rien tenter avant de savoir où ils sont.


- Où sont les petits? Je lance sèchement.


Il se redresse et pose une fesse sur la table. Son pieds qui pend dans le vide, se balance jusqu’à ma hanche qu’il effleure sciemment. J’ai un mouvement de recul qui l’amuse. 


- Ils sont en sécurité, commence-t-il d’une voix monocorde avant de se taire. 


Je cherche la vérité sur ses traits pendant que lui aussi me scrute intensément. 


- Pour le moment.


Quand il ajoute ça, je ne résiste pas longtemps à lui sauter dessus. Je plonge mes ongles profondément dans la peau de son visage et bien qu’il tire sur mes cheveux je ne lâche pas. Il pousse un juron que j’arrive à masquer avec mon cri de rage. Ses mains tentent de m’éloigner de lui, mais il n’y arrive pas. 


- Tu es le diable en personne, salopard.


J’arrive à déplacer ma main droite sans qu’il réussisse à m’écarter de notre corps à corps. Je tiens fermement sa joue sur laquelle je marque l’empreinte de mes ongles que je regrette subitement d’avoir court. Il tourne la tête, probablement dans l’objectif de me mordre, mais je suis plus rapide que lui et je pose mes dents sur son poignet droit. 


- Putain. 


Je reçois un coup de genou dans le ventre et ça me fait lâcher prise. Je me retrouve par terre, dans un énorme bruit de fracas. La chaise sur laquelle je me suis appuyée pour ne pas tomber, se retrouve elle aussi à mes côtés. Je prends une position en chien de fusil, mais j’arrive quand même à recevoir de nouveaux coups de sa part. 


La porte s’ouvre et les policiers aéroportuaires entre en courant. 


- Mais… Monsieur Kibaki, qu’est-ce qui vous arrive.


Je ferme les yeux. La douleur est intense. Je n’arrive pas à être soulager par les petites respirations que je prends. Le sauvage. 


- Madame, vous allez bien ?


Je sens une main se poser sur mon épaule, mais je ne dis rien. Quoi que je puisse dire, rien ne s’arrangera. Comme il l’a si bien dit, il est riche comme crésus et dans ce pays, tout s’achète. 


- Madame ?

- Elle n’a que ce qu’elle mérite. J’ai assez perdu de temps comme ça. Lève-toi pétasse, la fête a assez durée. On s’en va. 

- Monsieur Kibaki.


L’officier qui parle est choqué. Il ne s’attendait surement pas à ce que son business de la soirée se passe aussi mal. Mais c’est trop tard pour avoir un regain de conscience, l’avion qui devait nous sauver doit déjà être loin à l’heure qu’il est. 


Je suis relevée de force et conduite par une série de couloirs faiblement éclairés vers le parking. Un van noir aux vitres sombres y est garé les portes grandes ouvertes. 


- Entre là-dedans chienne. 


J’atterris sur les genoux en me heurtant les coudes sur un box en bois. Des hommes en noirs, quatre au total, me regarde comme une bête de foire. Ils sont armés jusqu’aux dents et à leurs airs, on comprend très vite que ce ne sont pas des enfants de cœur. Je me range dans un coin en attendant que le pire n’arrive, car je sais que je n’ai pas encore touché le fond. 


On roule en silence et les gars ne détournent pas un seul instant leur regard de moi. Je me sens transpercée dans tous les sens du terme. Les secousses du véhicule n’arrange rien, j’ai toujours autant mal que s’il continue de foutre son pieds dans mon ventre, le con. Le temps passe et je ne saurai dire ou on va. Je ne vois rien de l’extérieur assise où je suis. Les lumières des lampadaires nous éclairent faiblement de temps en temps, et ce manège dure presque 2 heures. Avant de me sortir du van, on me met un sac sur la tête. Son odeur est forte, presque asphyxiante, et ça me donne un haut le cœur. Je le signale aux types, mais tout ce que j’ai en retour c’est une tape dans le dos qui me fait avancer plus vite. 


Celui qui me saisit le bras a une poigne de fer. On chemine en silence sur asphalte que je peux apercevoir en regardant par le bas. Ce n’est pas très éclairer non plus et de toute manière, mes yeux me font mal à force de les forcer à voir ce qu’il y a en bas. Ils me font monter dans ce qui me semble être un hélicoptère et j’entends des reniflements pas très loin.


- Imani ? Je dis dans un sursaut de courage.

- Maman ? Maman tu es où, je ne te vois pas.

- Je ne suis pas loin ma chérie. Ne pleure plus, je suis là. 


Elle recommence à pleurer et j’ai envie de la prendre dans mes bras. Je fais un mouvement dans sa direction et je suis stopper par un truc dur qui vient se fixer sur ma tempe. Une arme. Mon cœur bat la chamade et je suis à bout de souffle. 


- S’il vous plait, je veux juste la rassurer. Elle doit avoir très peur. 


Personne ne répond, et l’arme ne s’éloigne pas. 


- C’est ma fille, elle ne vous a rien fait de mal. Laisser moi la prendre dans mes bras. 

- Tu ne bouges pas de là, et tu as intérêt à la fermer, sinon je te fais taire de force. 


Il n’a pas l’air de s’amuser et je fais ce qu’il me demande. Imani continue de pleurer et j’entends des chuchotements venant dans la même direction. Jason. Nous sommes tous ensemble dans ce voyage. Où nous emmènent-ils ? 


Les palmes de l’appareil commencent à brasser l’air dans un bruit assourdissant. Quand on décolle, l’appareil tangue un tout petit peu et j’enjoins aux enfants de bien s’accrocher à leur siège. Imani hurle sa peur, et un de nos bourreaux lui crie la fermer. Mon cœur saigne pour mon bébé, mais je ne peux rien faire qui ne nous mettent pas en danger. 


Le reste du vol se passe dans une ambiance triste, entre les pleurs et les reniflements de ma fille, que je ne peux pas consoler. Une fois à terre, la brise qui souffle m’informe que nous sommes quelque part au bord d’eau. J’emmagasine chaque information qui me serait utile au cas j’arriverai à saisir la moindre occasion de nous libérer de ces fils de putes. 


Ils finissent par nous enfermer dans une pièce humide qui sent le moisi. Un néon rouge éclaire seul la chambre, avec un effet glauque monstrueux. Un matelas de taille moyenne occupe le fond de la salle. Il est posé à même le sol et est d’une propreté douteuse. Quelques flaques de ce que je suppose être de l’eau jonchent le sol çà et là et une odeur forte d’urine nous accueille dès qu’on pose les pieds à l’intérieur. 


La porte se referme lourdement derrière nous et je prends les enfants dans mes bras. Je les serre de toutes mes forces en espérant leur communiquer un peu de réconfort. 


- Ca va aller, n’ayez pas peur. On va bientôt nous retrouver. J’arrive à dire la voix pas trop brisée.

- Ne nous raconte pas de bobard, personne en nous cherche. On est fait comme des rats.


Jason a parlé en quittant le cercle que nous formions tous les trois. 


- Non mais c’est quoi cette manière de parler là ? 


Il me jette un regard désabusé mais devant le mien, sévère, il se rétracte et baisse la tête.


- Je suis désolé. C’est juste que, je sais que personne ne nous cherche. Ils se disent surement que nous sommes dans l’avion pour le Cameroun. Comment ils vont s’imaginer que le Lion nous a capturés ? 


Sa phrase fait remonter du fond de ma mémoire, cette soirée où il nous avait parlé de la terreur de Kibera. Cet être diabolique qui n’hésitait devant rien pour prendre les enfants des familles pour les sacrifier pour s’enrichir. Jomo… Mon Dieu. Si Jomo est le Lion, Uhu fait aussi parti de son trafic. Tout se met en place dans ma tête. La frayeur de Jason avait eu lors de sa première soirée à la maison. Il l’avait confondu à Jomo. Ou alors… il ne le confondait pas, mais il l’avait déjà vu lui aussi. Je n’arrive toujours pas à croire ce qui est en train de se passer. Merde. Je suis loin du conte de fée que je vivais. C’est pire qu’un cauchemar, je suis presque en enfer. 


- Maman je veux faire pipi. 


La petite voix d’Imani nous coupe et je peine à quitter Jason des yeux. J’ai envie de le rassurer, mais ce serait une insulte à son intelligence de prétendre le contraire de ce qu’il vient de me déblatérer. 


- Ho Ya quelqu’un ? Ma fille veut aller aux toilettes. Je crie en tapant sur la porte métallique. 

- Elle n’a qu’à utiliser le saut prévu pour ça. 


La réponse me choque et je me retourne lentement à la recherche du dit saut. Il me regarde du fond de la pièce, je ne l’avais pas remarqué lors de ma première inspection. Un saut en fer forgé couvert de rouille et d’un enduit noirâtre. 


- Mais c’est inhumain ! 


J’ai parlé sans m’en rendre compte, tellement je suis consternée par la situation. 


- Bon Dieu. Je m’exclame encore une fois en portant une main sur l’arrête de mon nez. 


J’arrive à voir les microbes se balader joyeusement sur la surface du récipient. Je m’en approche avec prudence et regarde à  l’intérieur. Un liquide suspect recouvre le fond et l’odeur acide et piquante de l’urine fermentée me renseigne sur la nature du contenu. 


- Maman…


Elle s’est rapproché de moi et me tire par la manche. Je l’aide à descendre sa culotte et veille bien à ce qu’elle ne touche à rien, pendant qu’elle se soulage. 


- Jason, tu veux…

- Non. Moi, ça va. 

- D’accord. 


Je les regarde tour à tour et vois la fatigue les gagner petit à petit. Mes yeux tombent une fois de plus sur le matelas et je me dis que nous finirons bien par nous y allonger. Les petits n’arriveront jamais à dormir debout, encore moins moi, et pourtant il va bien falloir à un moment ou à un autre fermer les yeux pour se reposer. 


Trois heures plus tard, nous sommes assis sur la mousse, dos au mur, serré les uns contre les autres. Mon écharpe fait écran entre le matelas et nous, mais c’est toujours aussi crade. Je les regarde s’endormir doucement et me laisse gagner moi aussi par la fatigue. 

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