Chapitre 24

Write by leilaji

The love between us


Chapitre 24


Jeune, je pensais être amoureux de Zeina, de sa douce beauté, de ses belles manières. Je l’étais. Mais d’une manière tellement naïve et enfantine. 

Quand j’ai rencontré Manu. Je n’ai pas tout de suite réalisé ce qui m’arrivait. Je suis allé dans son garage pour faire réparer la voiture de ma patronne de l’époque. Et elle m’a ouvertement dragué, baissant le prix de la réparation à chaque fois qu’elle réussissait à me faire sourire. Parce qu’elle aimait mon sourire. Pour elle c’était aussi simple que ça. Je n’étais pas du tout mal à l’aise, je ne me sentais pas pris d’assaut. J’étais juste surpris qu’une femme puisse s’affirmer autant, porter une salopette de travail toute sale, un afro éclatant sans terrifier les hommes. Et elle m’a fait faire ce jour, un truc que je n’aurai jamais appris à faire si je ne l’avais pas connu : transgresser les règles. Elle m’a tellement bluffée avec son afro et ses mains pleines de cambouis que j’ai griffonné sur la pancarte de son garage : Manu et fille à la place de Manu et fils que son père avait fait inscrire avant qu’elle ne prenne les rênes de l’atelier. 


Alors que je la connaissais à peine, quelque chose en elle m’intriguait. Je trouvais que c’était dommage de ne pas lui rendre justice.


Je suis rentré chez moi, le cœur léger et le sourire aux lèvres pensant en avoir fini avec elle-même si j’avais pris son numéro. Puis le lendemain, et encore le surlendemain, je me suis rendu compte que je n’arrêtais plus de penser à elle. Je lui ai donné rendez-vous, histoire de me débarrasser de cette nouvelle lubie. Toute la soirée, elle m’a littéralement subjugué avec son rire communicatif. Elle bouffait comme un homme et buvait sa malta tranquille en me regardant bien droit dans les yeux. Il n’y avait pas de chichis dans ses manières. Tout en elle était sincère et naturel. Elle m’a dit en toute simplicité qu’elle n’était pas mon genre de femme quand elle m’a vu boire un coca. Je lui ai répondu que je n’avais pas de genre. En réalité j’en avais. C’est juste que face à elle, j’ai décidé que c’était stupide d’en avoir. Elle a croisé ses mains sur la table avec un sourire en coin et on s’est regardé longtemps. Très longtemps. Je lisais du désir dans son regard et ça me plaisait qu’elle ne se sente pas obligée de me cacher qu’elle me désirait. 


Et malgré tous ces signaux, je n’ai pourtant pas vu le coup venir.


Je suis tombé amoureux de Manu. 

De Manu qui rit. 

De Manu qui insulte un mec en conduisant comme une folle.

De Manu qui a mal et pleure de douleur en se recroquevillant sur elle-même. 

Je suis tombé amoureux de toutes les facettes de sa personnalité qu’elle a bien voulu me montrer. 


Et là, j’ai appris ce qu’était l’amour. J’ai su faire la différence entre aimer avec sa tête, avec sa raison et aimer avec son cœur et toute la déraison du monde. J’ai compris que l’amour donnait du sens à ce qui n’en avait jamais eu. Elle est devenue la chose la plus importante de ma vie. Rien d’autre ne comptait à part elle. Même ma foi je la mettais de côté pour pouvoir rester avec elle sans la juger ni la condamner pour tous ses excès. En réalité, j’ai été impressionné par elle. Par cette passion qu’elle avait pour son métier, cette manière de ne jamais laisser qui que ce soit lui marcher sur les pieds. Elle était une femme forte et d’une humilité éblouissante. Devant des hommes, c’était un roc. Un roc qui s’effritait à chaque fois qu’elle belle femme passait à côté d’elle. Un roc parmi des pierres précieuses. Mais qui bâtit sur des pierres précieuses ? Personne de censé en tout cas. J’ai bâti sur un roc.  


J’ai compris qu’elle se savait différente et qu’elle en souffrait. Mais j’ai aussi compris que je l’aimais parce qu’elle était différente. Ça m’a fait relativiser mes propres turpitudes. Si je pouvais l’aimer aussi différente soit-elle des femmes de ma communauté c’est qu’elle pouvait aussi m’aimer aussi différent que j’étais des hommes de son entourage. Je la connaissais mieux qu’elle ne se connaissait, mieux que je ne me connaissais. Je souffrais quand elle souffrait et riait qu’elle elle riait. Je suis devenu Idris de Manu. Personne ne pensait à elle sans penser à moi. 


Même si elle ne me l’avait jamais clairement dit, je savais la place particulière que j’avais dans son cœur, dans sa vie. Quand elle avait ses coups d’éclats avec ceux qui lui prenaient la tête, il suffisait que je fronce les sourcils de mécontentement pour qu’elle se calme. Et elle me disait toujours : 


- Hé Idris, je ne le fais pas pour le mec là, mais parce que je n’aime pas quand tu es fâché contre moi. 


Et je me disais qu’une femme aussi forte méritait un homme qui la traiterait comme la reine qu’elle était à mes yeux. A cette époque, je n’avais rien et je n’étais rien. Quelque chose me disait qu’elle n’y prêtait pas d’importance, mais la peur de tout perdre si jamais je tentais ma chance m’a toujours retenu. Trop longtemps retenu. Pour moi un homme c’était celui qui nourrissait sa famille et la protégeait. Et il m’était alors intolérable de penser que nos différences de salaire m’aurait obligé à accepter que la vapeur soit inversée. Je voulais toutes les chances de mon côté. Je voulais être celui qui serait capable de prendre soin d’elle. Et j’ai tout gâché je le sais parce que je ne m’étais pas rendu compte que je le faisais déjà avec le peu de moyens que j’avais à l’époque. Je crois qu’au moment où les mots : « dis quelque chose et je ne me marie pas » sont sortis de ma bouche, j’ai su que je l’avais perdu. J’ai su que j’aurai dû m’y prendre autrement. J’aurai dû lui dire que c’était elle et personne d’autre. J’aurai du lui dire qu’elle n’avait pas à craindre de ne pas avoir la foi. J’en avais pour deux. Dieu est le Dieu de tout le monde, pas seulement celui des croyants. 

Il y a tellement de chose que j’aurai du lui dire. Je suis revenu pour rectifier le tir mais c’était déjà trop tard. 


Ce que je ressentais pour elle m’a fait voir le monde autrement. Tout ce que j’ai appris d’elle, je le garde quelque part au plus profond de mon cœur, derrière les cicatrices. Et parce que ces cicatrices ont été faites par elle, je les laisse là. J’ai préféré les garder si c’était tout ce qui doit me rester d’elle. Valait mieux la douleur que l’absence. 


Vivre sans elle a été un cauchemar dans lequel malgré tout je me complaisais. Ça me permettait de vivre près des ombres qu’elle a laissées dans mon cœur. Je n’ai pas compté les nuits passées à attendre debout devant son garage. Comme un con. Et Patrick qui me disait : rentre chez toi fils, elle a pris sa décision, elle ne viendra pas et même si elle vient, ça ne sera plus jamais pareil. Vous vous êtes déjà disputés auparavant et jamais elle ne t’a fait ça. Elle a pris sa décision et elle savait surement que tu reviendrais à la charge alors elle a choisi le moyen le plus sûr de couper les ponts. Respecte ça. Tu l’as toujours tellement respectée. 


Zeina a été la petite lumière qui petit à petit a fait fuir l’obscurité. Sa douceur m’a tendu la main et m’a aidé à me relever. Et maintenant que je suis debout, je suis le pilier de sa vie. Je ferai tout pour la rendre heureuse comme elle a su me rendre heureux malgré toutes mes réticences premières. 


On s’est connus enfants. Si les autres gamins me trouvaient étranges, différent, elle ne voyait aucun inconvénient à bavarder et parfois jouer avec moi. Les autres garçons aimaient le foot, moi la lecture et les jeux électroniques. Je crois qu’à l’âge de 7 ans, j’avais déjà lu le Coran 2 fois. Je n’ai pas tout compris mais ça ne m’a pas déplu pour autant. Depuis l’enfance, j’ai toujours été un drôle d’introverti. Réservé avec les gens que je ne connaissais pas mais complètement irrécupérable avec ceux que j’estimais proches de moi. Zeina était déjà très belle et dès que je le pouvais, je la suivais partout comme une ombre. Ma mère a remarqué très tôt mon manège et ça l’amusait de nous imaginer en couple plus tard. Mais rien ne s’est passé comme prévu. Zeina a voyagé. Elle a suivi son père qui a été affecté à l’ambassade du Sénégal dans un autre pays. Et je suis passé à autre chose. J’ai grandi. 


Si je la protège autant c’est parce que je sais qu’elle n’a jamais eu à se battre pour obtenir quoi que ce soit. C’est une femme qui a été longtemps protégée par son père et sa sœur. Elle a quitté sa famille pour moi. Il n’y a pas eu de transition. Elle est passée d’une ombre protectrice à une autre en se mariant. Qu’est-ce qu’elle y connaissait aux relations homme-femme ? Rien. Il a bien fallu que je la guide et j’ai très tôt pris conscience de l’énorme responsabilité que cela me conférait. Si elle me laisse prendre toutes les décisions importantes c’est parce qu’elle ne sait pas faire autrement. Je ne peux pas lui en vouloir pour cela parce que je sais exactement qui j’ai épousé. 


Les épreuves que nous avons traversées l’ont profondément marquée. Je l’ai plusieurs fois retrouvée en plein désarrois face à son incapacité à gérer à situation. Jamais encore elle n’avait eu à porter la faute de quoi que ce soit, elle qui n’avait auparavant jamais connu l’échec. Et j’ai dû être deux fois plus fort. Je ne sais pas si Zeina et moi sommes complémentaires comme d’autres couples le sont. Mais je sais qu’elle est douce et aimante et que c’est pour cela que je l’aime. Elle a su panser mes plaies, sans jamais sortir de sa bouche un mot plus haut que l’autre lorsque je me terrais dans le silence. Elle n’a jamais perdu patience avec moi. Je crois que de mes silences, elle devinait la déchirure survenue suite à la disparition de Manu sans avoir jamais vraiment su exactement ce qui s’était passé. Pour elle Manu n’était qu’une bonne amie, une amie que j’ai perdue de vue en me mariant. 


Ce que j’ai ressenti lorsqu’après toutes ces années de complicité Manu m’a rayé de sa vie en un claquement de doigt, encore aujourd’hui, je ne saurai trouver les mots justes pour le décrire. 


Ca m’a fait mal.

Ca m’a démoli. 

Ca m’a tué.    


Je crois que plus jamais je n’ai prononcé le prénom MANU depuis qu’elle m’a rejeté. Plus jamais. 


C’est un homme mort qui s’est marié à Zeina. Je n’avais aucune idée de ce qui se passait autour de moi. C’est dingue comme cette période est floue dans ma tête. Ce n’est que lors de notre lune de miel, lorsqu’elle s’est retournée vers moi en souriant pour que je la prenne en photo avec la Tour Eiffel en fond d’image que j’ai compris qu’il fallait que je tourne la page. Du moins que j’essaie. Sinon je risquais de faire du mal à la femme que j’avais promis d’aimer et de chérir. Et mes promesses, je les tiens toujours. C’est une question d’honneur. A chacun de ses sourires, le verset 21 de la sourate 30 me revenait en mémoire. Parce que Dieu y dit qu’il a créé des épouses afin que les hommes trouvent auprès d’elles la quiétude et le gite. Il y dit qu’Il a établi entre les hommes et les femmes des liens de tendresse et de miséricorde. Le sourire de Zeina m’a apporté tout cela.  


La veille du premier rendez-vous dans la clinique je n’ai pas fermé l’œil de la nuit et Zeina non plus. Je me demandais ce que j’étais prêt à risquer pour nous permettre d’être heureux ? Elle dormait paisiblement à mes côtés les traits creusés d’avoir passé son temps à tenter de me convaincre. Je l’ai serré plus fort dans mes bras. Ma douce et belle Zeina. Sait-elle que j’ai une confiance aveugle en elle. Jamais elle ne pense à elle-même. Toujours à moi d’abord, à mon bonheur, à ma réputation, à ma famille. C’est pour cela ce que je tiens tellement à ce que personne ne puisse la blesser par ma faute.   Une partie de mon cœur est peut-être mort avec le départ de Manu, mais la partie qui a survécu, la partie qui a gardé les cicatrices, la partie que je pensais bonne à jeter est à présent entièrement consacré à rendre ma femme heureuse. 


Le lendemain nous nous sommes rendus à un entretien privé dans la clinique. La salle d’attente était composée de plusieurs box douillets qui donnait envie de s’y installer définitivement. Peu de gens circulaient entre les couloirs. Tout y sentait la discrétion et le professionnalisme. Ça m’a un peu rassuré. Il a fallu attendre un peu avant d’être reçu.


Le médecin qui nous a reçu était d’origine russe, mariée à un gabonais. Cette femme inspirait la confiance et l’envie d’aider. Avec ses lunettes en forme de demi-lune attachées à une chainette e or qui pendaient sur son nez et son regard d’acier, on sentait qu’on pouvait compter sur elle en cas de coup dur. Zeina a posé toutes les questions possibles. Elle avait un petit carnet dans lequel elle notait toutes les réponses du médecin en charge de notre couple. La méthode en elle-même n’avait rien de révolutionnaire. Il s’agissait tout simplement de la gestation pour autrui importée des Etats-Unis. Le docteur avait décidé de profiter du vide juridique dans le pays pour proposer cette prestation aux couples qui avaient des difficultés à concevoir. La méthode consistait à féconder in vitro une des ovules de ma femme avec un de mes spermatozoïdes et à implanter l’œuf dans  la mère porteuse. Elle n’aura aucun autre lien avec l’enfant que celui de l’avoir porté et accouché. Nous avons rempli un formulaire qui a analysé certains facteurs déterminant et évalué combien allait nous couter le traitement.


La clinique nous garantissait que nous obtiendrons dans les plus brefs délais après la naissance de l’enfant un jugement supplétif qui allait nous permettre de faire établir un acte de naissance avec nos noms dessus. Mais aussi que la mère porteuse n’obtiendrait aucun droit sur le bébé. 


Aux Etats-Unis le cout d’une mère porteuse varie entre 80 000 et 240 000 euros. J’ai eu le tournis en entendant ces chiffres. Ici, il nous proposait les mêmes services à un cout bien plus raisonnable au final. On n’aurait pas à voyager dans un pays inconnu pour nous en remettre à des gens inconnus. Mais il fallait prendre en compte pour le cout de la prestation à Libreville, beaucoup de facteurs : le nombre de tentative de FIV nécessaires pour que la mère porteuse tombe enceinte, les frais de la clinique, de l’avocat en charge de rédiger les différents contrats, de l’assurance maladie pour la mère porteuse et l’enfant, de ses frais de vie et aussi sa rémunération 


Elle allait toucher 15 000 000 de francs CFA brut pour neuf mois de grossesse et le reste des prestations s’élevait à environ 25 000 000 de francs CFA. Si nous voulions faire baisser la facture, une personne proche pouvait remplacer la mère porteuse que la clinique avait choisie pour nous. Je ne disposais pas d’une telle somme. Il allait falloir que j’obtienne un prêt de la banque et que j’hypothèque notre maison. Zeina n’était pas d’accord et pensait que Bintou accepterait de remplir le rôle pour elle pour la moitié de la somme prévue car elle était comme une sœur pour elle.  


Nous avions un mois pour y réfléchir avant que la clinique ne propose la mère à leur disposition à un autre couple prêt à payer la même somme par chèque certifié sans recourir à un prêt bancaire. Le soir dans notre lit nous avons beaucoup discuté. Moi je marchais dans notre chambre de long en large et elle, était assise sur le lit à relire toutes ses notes encore et encore. 


- Et si tout ça c’était une arnaque ? La clinique vient à peine de s’installer… 

- Tu as bien vu la certification du médecin. J’ai vérifié sur le site internet de l’hôpital américain et elle y est inscrite. Idris je t’en supplie ne fais pas marche arrière. Pas maintenant alors qu’on a enfin une solution. 

- Je n’ai pas cette somme Zeina. Tu oublies que je n’ai plus de travail… je vais juste toucher les dividendes en fin d’exercice grâce à mes parts dans la boite mais je n’aurai plus le salaire de gérant. C’est toutes nos économies et bien plus que tu veux leur donner sans aucune garantie de réussite. On n’est même pas sure que ça va marcher du premier coup. Plus ils feront de tentatives et plus la facture sera salée. 

- Vends tout. Je m’en fiche Idris. 


Elle s’est levé et a ouvert son placard pour en sortir les sacs de luxe, les montres, les bijoux, tout ce qui avait de la valeur.   Tout ce que je lui avais offert au fil des années.


- Mais qu’est-ce que tu fais ? 

- Je suis prête à tout vendre. Tout. 

- Si ca ne marche pas, on aura tout sacrifié pour rien. 

- Pas pour rien Idris. Pour un bébé. Un bébé de toi et moi. Les autres y arrivent, pourquoi pas nous ? 

- Les autres y arrivent pace qu’ils le font aux Etats Unis ou en Russie ou en Inde. Pas ici. 

- Si déjà ici c’est trop cher pour nous on n’aura jamais les moyens de le faire ailleurs. Bintou acceptera ou si elle ne le fait pas, je suis sure qu’une de ces employées acceptera. 

- Zeina ! C’est du suicide. C’est non. 


Aujourd’hui, je découvre une Zeina acharnée. Elle ne m’avait encore jamais montré cette partie d’elle. Et je n’ai pas eu d’autre choix que de la laisser faire cette fois ci. Toutes mes mises en garde entraient par une oreille pour sortir par l’autre. Je disais non et elle disait pour la première fois oui. Oui à une chance que je ne pouvais décemment pas me permettre de nous refuser. Zeina n’a jamais eu besoin de feindre de m’aimer. Elle m’aime. Je le sens à chaque fois que ses yeux se posent sur moi. Je le respire dans son souffle, le sens dans ses caresses et le contemple dans son regard. Mais je crois que depuis sa première fausse couche, elle feignait d’être heureuse. Et maintenant, elle n’a plus à le faire. 


Jamais encore je ne l’avais vu se battre pour quoi que ce soit et cette fois ci, elle l’a fait. Elle s’est dressée contre moi lorsque j’ai dit non. Elle a tenu tête, n’a rien lâché. Nous avons eu des discussions houleuses. Je lui ai dit que c’était de la folie de se lancer dans une telle aventure. Mais elle a dit qu’elle avait confiance et qu’elle était sure que les choses allaient bien se passer. Que ça allait être difficile bien évidemment mais qu’après neuf mois, nous aurions enfin notre bébé. 


J’ai accepté. Tout. Tout ce qu’elle voulait. Je n’ai posé qu’une seule condition à ma réédition. Et elle a accepté. Je ne voulais pas que qui que ce soit dans notre entourage soit informé de ce que nous faisions.  J’avais peur qu’encore une fois notre communauté retourne tout contre elle parce que je savais que moi en tant qu’homme je serai toujours épargné par la diatribe populaire.  Alors nous avons souscrit à la formule confidentielle. Le choix de la mère porteuse s’est donc fait sur dossier sans que nous ne nous rencontrions vraiment. Je voulais limiter tout contact entre nous, protéger ma femme autant que je le peux. La mère porteuse ne sait donc pas qui nous sommes et nous non plus nous ne la connaissons pas. Le médecin est donc notre interlocuteur privilégié. Des mails ont été ouverts pour chaque partie par la clinique sur leur serveur privé pour que tout reste confidentiel. On peut accéder à un chat privé avec des mots de passe pour discuter avec la mère. Mais aucune discussion ne reste ne mémoire. Tout s’efface au bout de quelques minutes. Il n’y a pas de risque de fuite. Ainsi de chez nous nous avons pu assister à la première échographie du bébé. Entendre son cœur battre. Le tout nous est parvenu en fichier MP4. 


Pour la première fois depuis très longtemps, j’ai pleuré. 


*

**


Un carton lourd de vieux documents dans les bras, je retrouve ma femme assise au salon devant l’écran de l’ordinateur. Je dois mettre de l’ordre dans tout ce fouillis et me remettre sérieusement à travailler  mon business plan si je veux m’en sortir. 

 

- Qu’est-ce que tu fais devant l’écran Zeina ? Aujourd’hui tu ne devais pas sortir un peu ? prendre l’air. 

- Je n’ai pas besoin de prendre l’air. Aujourd’hui on va recevoir une autre échographie et elle a promis de gribouiller ses sensations au verso de l’écho.

- Mais de quoi tu parles ?  

- Tu ne peux pas comprendre chéri, me répond-elle avec un grand sourire. 


J’ai envie de lui dire qu’elle n’est pas supposée créer des liens avec la mère mais je ne peux me résoudre à gâcher sa bonne humeur. Je l’embrasse sur le front et la laisse patienter sagement l’ordi et l’imprimante portable qu’elle a reliée à la machine. 


Au bout de trois heures de temps, je me décide enfin à prendre une pause. Zeina est retournée s’enfermer dans la chambre. Elle passe ses journées à noter dans son carnet tout ce que la mère porteuse lui confie sur la grossesse qu’elle vit par procuration. Je passe devant l’écho qu’elle a imprimée puis m’arrête pour y jeter un coup d’œil. Elle est parfaite. Pourvu que Dieu la garde en bonne santé jusqu’au bout. Je caresse l’image puis la tourne pour lire ce que la mère porteuse a bien pu écrire à Zeina. 


« Je ne sais pas comment ça se fait mais je sens qu’il y a de l’amoure entre ce bébé et vous. A chaque fois que je dois vous parler, je sens qu’elle est heureuse.» 


Je ne sens plus mes jambes.

Je reconnais l’écriture. 

L’échographie tremble entre mes mains. 

Je reconnais cette faute. Cette manière d’écrire « amoure » avec « e » alors que je lui ai mille fois dit que ça ne s’écrivait pas comme ça. 

Je reconnais cette écriture qui à première vu semble masculine mais se révèle féminine sur quelques détails. 

Je ne sens plus mes jambes.

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