Chapitre 27

Write by Meritamon


À sa demande, Serena retrouva Tahaa en fin d’après-midi dans son pavillon de chasse au milieu des rizières. C’était une espèce de cabane de bois rustique juchée sur une colline, où Tahaa aimait s’isoler pour chasser dans les forêts environnantes et surveiller ses rizières.

Il avait envoyé un jeune berger la chercher dans les pâturages où elle passait désormais son temps.

 En empruntant le chemin des rizières, une averse de pluie tomba inopinément et la trempa sur le chemin glissant. Ses vêtements collaient à sa peau, ses cheveux mouillés et plaqués sur la tête frisaient.

Et Serena pesta en se demandant pour quelle raison Tahaa lui faisait subir cela? Pourquoi ce mystère alors qu’ils pouvaient se parler dans un endroit plus approprié?

Elle retrouva enfin l’homme, accroupi devant la cabane, entrain de dépecer une petite biche qu’il venait d’abattre de façon méthodique et froide à l’aide d’un couteau tranchant. La viande de la biche sera salée et fumée plus tard, elle sera utilisée dans les délicieuses sauces d’Inna.

-         J’espère que tu as trouvé facilement ? Lança-t-il narquois, en la voyant arriver.

Serena ne se laissa pas démonter pour autant. Elle essora ses cheveux mouillés qui frisaient.

-         Je suis ici, c’est le plus important.

-         Mets-toi à ton aise, j’arrive, l’invita-t-il à l’intérieur.


Serena pénétra dans la cabane propre et rangée, où parfois l’homme passait ses nuits quand il avait besoin de tranquillité ou de surveiller les rizières. À l’intérieur se trouvaient de façon sommaire un lit de camp pour dormir, une table et quelques chaises en bois, un vieux fourneau, tout l’attirail de chasse avec une carabine et un fusil, des pièges pour la chasse…

Puis, la jeune femme jeta un œil curieux à une planche à dessin avec des plans d’architectes.

Tahaa dessinait. Elle fut agréablement surprise de découvrir cette facette de lui.

Un antique appareil photo, des livres, quelques objets du quotidien… Avait-il l’habitude d’emmener des filles ici?

Pour s’en assurer, la jeune femme ouvrit un tiroir, trouva des menus objets, crayons, porte-clés, ouvre-bouteille, préservatifs…

Elle referma le tiroir précipitamment. Quelle mauvaise idée d’être venue dans ce qui semblait être une garçonnière au milieu de nulle part !

Elle ne pût cacher sa nervosité lorsqu’il la rejoignit finalement. L’homme avait ôté son t-shirt maculé de sang, avait lavé son torse nu et ses bras qui dégoulinaient de l’eau d’un tonneau. Une barbe de quelques jours lui mangeait le visage.

Sans compter l’odeur âcre de mâle mêlée à celle plus fauve de la bête qu’il venait de tuer taquina les narines de Serena, qu’elle en ressentit un frisson.

Elle passa ses bras autour de son corps et toussota pour attirer son attention parce qu’elle grelottait dans ses vêtements trempés. L’homme, sans mot, lui lança une de ses chemises en lin.

-         Retourne-toi, demanda-t-elle comme elle se déshabillait.

Lui de sourire, amusé qu’elle soit si pudique.

-         Est-ce vraiment nécessaire? J’ai déjà tout vu de toi…

-         Tahaa, s’il te plaît.

Il finit par obtempérer alors qu’elle enlevait ses vêtements mouillés pour mettre la chemise trop ample qui lui tombait sur les cuisses.

-         Merci, lui dit-elle reconnaissante.

Il ne répondit pas, concentré à allumer des lampes-tempête et des bougies pour les éclairer. L’extérieur avait soudain obscurci à cause des nuages gorgés de pluie qui allait tomber.

Aussi – surtout - Tahaa n’osa pas lever les yeux de peur d’être envoûté par la fille de Malick Hann. Pourquoi continuait-elle de lui faire un dangereux effet? Elle était assise sur ce lit, dans sa chemise, une jambe repliée sous l’autre de façon candide. Il se rappela combien elle pouvait être un démon manipulateur et se ressaisit.

-         C’est toi qui fais ces dessins? Demanda Serena en désignant la table.

-         Oui, maugréa-t-il entre ses dents.

-         Ils sont beaux. Je n’aurais jamais pensé que tu…

-         Que je pouvais avoir un penchant pour les arts? C’est vrai qu’à tes yeux je ne suis qu’un barbare…


-         Ce n’est pas ce que je voulais insinuer…

 

-         La vérité est que tu ne sais rien de moi, commença-t-il, un reproche dans la voix. Et tu voudrais que nous soyons partenaires en affaires avec ça.


-         Mais si tu m’expliquais, j’en apprendrais plus sur toi, Tahaa.


-          Alors, pour ton info, je n’ai pas toujours été agriculteur… Dans une autre vie, il y a longtemps, j'étudiais l’architecture. C'était ce que je voulais faire. Mais la santé de mon père a décliné et il fallait que je reprenne les rênes du domaine puisqu’en tant que fils aîné c’était mon devoir.

 

Serena le regarda, surprise, incapable de l’imaginer autrement que ce qu’il était. Elle fut émue de savoir qu’il avait consenti à autant de sacrifices pour le devoir.

-         Tu as abandonné tes rêves pour le domaine agricole que tu héritais de tes parents… C'est très noble.


Tahaa avait soupiré et s’était passé la main dans les cheveux.


-         Disons que je n’ai pas eu le choix.  Avoir des choix individualistes quand on est issu d’une communauté comme la mienne est tout simplement impossible.

 

Il eut un léger sourire et admit :

-         Il n’y a qu’Idy qui jusqu’ici a réussi à se défaire de la tradition. Avec ton intervention bien entendu.

 

Serena le prit pour un compliment et crut qu’il allait entendre son cœur battre comme un tambour. Elle s’éclaircit la gorge pour lui demander.


-         As-tu parfois des regrets?

 

Tahaa secoua la tête. Il avait le visage las et racé.

-         Je n’ai pas de regrets. Ma vie aurait été différente, certes. Mais je suis en paix avec mon choix.


Et Serena le crut. Une admiration dans son regard qu’elle ne lui dissimula pas. Leurs regards s’accrochèrent pendant une minute qui parut être une éternité. C’est Tahaa qui rompit le silence comme il se noyait dans les prunelles noires de la fille de Malick Hann.


-         Je vais rencontrer tes avocats dans deux jours. Ils m’attendent à Conakry pour signer. Tu peux venir avec moi si tu en as envie, je pense que ta présence à cette rencontre est importante. N’est-ce pas toi la Boss? Ce que j’ai compris, c’est que tu es millionnaire, toi et ce fameux Jay Patel. Mais ce que je ne saisis pas, c’est comment tu as réussi à faire tout cet argent? Je mérite quand même de savoir dans quoi je m’engage, n’est-ce pas? reprocha-t-il doucement.


Même s’il n’y avait pas de colère ni de dureté en lui, Serena eut l’impression d’être comme une petite fille qui passe aux aveux après un mauvais coup. Elle se mordit la lèvre, embarrassée et replaça une mèche de cheveux derrière son oreille. Elle ne savait pas par quel bout commencer. Elle avait peur de sa réaction, de son jugement.

La jeune femme inspira et commença à raconter tout.

Et c’était bien la première fois qu’elle évoquait la nature du fonds d’investissement en dehors de Jay et des membres.

« Au début, NUBIA était une simple idée de gosses de riches avec des économies de gosses de riches, ambitieux, rêvant de s'affranchir du joug de nos parents…  On voulait faire la même chose que les grands, s'amuser à la bourse en profitant de la volatilité des marchés financiers dans le monde… »

Serena se tut pour vérifier qu’il suivait.

- Bien. Continue, l’exhorta l’homme Peul, les bras croisés.

- Et c’était grisant de faire de la spéculation uniquement pour le plaisir. Ça ne demandait pas beaucoup d’efforts, seulement une connaissance des marchés, des tendances… être rapide, savoir saisir les opportunités….  Il arrivait que Jay et moi achetions des stocks au petit matin à Londres et les revendions au double ou au triple de leurs valeurs le soir venu, sur une terrasse à Rome ou sur un yacht à Istanbul.  Le monde semblait être un terrain de jeu…

 

-         Il est aussi arrivé que je vole des stratégies à mon père pour mon compte… pendant un certain temps en tout cas.

-         J’ai toujours été convaincu que tu n’es pas un ange, Serena.

Tahaa se leva et alla vérifier l’eau qui chauffait sur un petit réchaud de gaz. Il lui proposa du thé qu’elle accepta.

Serena s’interrompit et but une gorgée de son thé.

-         Nubia n'a pas d'employés, ni de bureaux, aucune existence physique et légale. Jay et moi avons compris que l'anonymat ajoute au mystère, ajoute du cachet. Nubia fonctionne par le bouche-à-oreille exclusivement, et uniquement par recommandation. Nous garantissons la confidentialité de nos membres qui ne sont pas identifiés, qui d’ailleurs ne souhaitent pas l’être.

-         Ce qui veut dire que tu ne connais pas tes investisseurs?

-         Je n’ai pas besoin de connaitre leur identité. Ce qui importe c’est leur portefeuille. Sans compter que c’est un milieu qui n’est pas règlementé.

L’homme peul alla chercher une chemise qu’il enfila. Il regretta d’avoir voulu plus en savoir sur Nubia. C’était plus gros qu’il ne l’avait imaginé. Plus dangereux peut-être. Il secoua la tête en proie à l’incrédulité.

-         C’est quand même ironique comment le monde fonctionne… critiqua-t-il. Ici ou ailleurs, des paysans se saignent dans le dur labeur, du matin au soir, sans répit, pour nourrir le monde, tout ça pour des miettes… et se retrouver tout le temps la faim au ventre… alors que tes petits copains et toi….

Taaha appuya sur les derniers mots avec un mépris non dissimulé. Il savait que s’il ne se contrôlait pas, il allait exploser.

 « Vous jouez à la bourse comme s’il s’agissait de la loterie… vous vous faites des millions en ne faisant pratiquement rien… ».

-         Je comprends ta frustration, Tahaa. Que le monde soit inégal et injuste, mais ce n’est pas moi qui fais les règles. Je me contente de jouer …  admit Serena.

Elle ajouta, un peu condescendante,

« Et si tu veux savoir, je ne suis pas venue pour deviser sur l’état des inégalités dans le monde ».

Tahaa la fusilla du regard. Cette fille était tellement insolente qu’il avait envie de lui retrousser la chemise et la fesser de la paume de sa main pour lui apprendre à parler correctement. Le pire était qu’elle ne se rendait pas compte de son insolence.

-         Alors, explique-moi pourquoi tu fais tout ça? Ton père est l’un des hommes les plus riches sur ce continent, tout ce qui lui appartient sera à toi un jour…

Tahaa s’aperçut que sa question avait ébranlé Serena. Il la vit porter avec difficulté la tasse de thé à nouveau à ses lèvres, tremblante d’émotion contenue, preuve que c’était un sujet sensible.


-         Si tu veux savoir, il n’est pas évident tous les jours d’être la fille de mon père, la fille de Malick Hann. Mon père est spécial, il est doué pour pleines de choses mais pas pour être père…

Serena leva ensuite les yeux vers lui, réalisa qu’elle devenait l’unique objet de son attention. Il voulait l’écouter, il voulait qu’elle dévoile cette part d’elle au milieu de la paix de la fin d’après-midi qui les entourait.


-         Pourtant tu sembles n’avoir jamais manqué de rien.

-         Tu as raison. Matériellement, je suis bien nantie. Mais ça s’arrête là. Pour ma part, je sais qu’on peut avoir le monde à ses pieds et en même temps être la personne la plus démunie sur terre.

-         Qu’est-ce que tu veux dire?

 

     La jeune femme se leva et se dirigea sur le seuil pour se dérober à son regard. La vue sur les rizières était de toute beauté. Elle comprenait pourquoi Tahaa aimait à s’isoler dans cet endroit. 

  -     Pour mon père, je suis comme un projet, une manifestation de sa vision. La preuve, je n’ai jamais rien choisi pour moi-même. J’ai toujours fait ce qu’il désirait, les sports que je devais pratiquer, les écoles où je devais aller, même les personnes que je fréquente…  Il choisira aussi mon futur mari en fonction de ses intérêts, parce qu’il croit avoir ce droit-là, autant qu’il a le droit sur mes choix de vie, sur mon corps….

À ce moment, elle retint le tremblement de sa voix.

Tahaa ne l’avait pas interrompu quand elle parlait. Il venait de réaliser la souffrance qu’elle portait en elle, la rage et la colère. Riche héritière, ne manquant de rien mais frustrée par l’absence d’une mère, sous pression, en perpétuelle rébellion contre l’autorité de son père.

-         Mon but a été d’être indépendante financièrement pour me libérer de lui. Mais il faut croire que mon père a encore suffisamment d’emprise sur moi.  Mon oncle Charles a essayé de combler la carence d’affection quand il le pouvait, sinon j’aurais été une sorte de robot aujourd'hui.

-         La bague à ton doigt, c’est pour t’empêcher d’avoir des relations sexuelles avant le mariage?

Serena eut un rire nerveux. Pourquoi lui racontait-elle cette partie de sa vie? Elle soupira, en refrénant ses larmes.

-         Oui, tu l’as deviné. Il y a ce vœu de chasteté qu’on nous imposé de faire, d’autres jeunes filles et moi, enfants. Mais ça c’est secondaire.

-         C’est ce qui fait que tu ne m’as pas cédé si facilement, fit-il en souriant, très sûr de lui.


Serena battit des cils, choquée par son assurance dont elle décida de saper les fondements.

-         Je ne t’ai pas cédé parce que tu es un coureur de jupons invétéré, Tahaa.


Face à cette affirmation, Tahaa éclata de rire. Cela détendit l’atmosphère lourde où planait l’ombre de Malick Hann.

-         C’est cette impression que je t’ai donnée? Pourtant je t’ai épargnée. Si je manquais vraiment de moralité Serena, il y aurait longtemps que tu serais entrain de gémir dans mes bras et d’en redemander.

Une chaleur monta aux joues de Serena à l’évocation de ces occasions où ils avaient été intimes et du plaisir en cascade qu’elle avait eu comme jamais auparavant dans sa vie. Heureusement que le tonnerre gronda à l’extérieur et un éclair zébra le ciel et fit diversion alors qu’ un épais rideau de pluie s’abattit sur la région.

Tahaa sortit précipitamment de la cabane pour rabattre une bâche en plastique sur l’animal sanguinolent qui gisait dehors. L’orage était plus violent qu’il ne s’y attendait.


-         Comment es-tu venue jusqu’ici? Demanda l’homme à Serena lorsqu’il revint. 


-         À vélo. Je l’ai laissé au bas de la colline.

-         Je te raccompagne à la maison après la pluie, le chemin est glissant.

-         D’accord.

Il aperçut alors une écorchure profonde sur son genou droit.

-         Laisse-moi voir ton genou… tu es blessée. Comment as-tu réussi à te faire cela? Il va falloir que tu me promettes de faire désormais attention à toi, la gronda-t-il gentiment.

-         Nul besoin de t’inquiéter pour moi.

-         Tu es encore sous ma responsabilité Serena.

La jeune femme se rassit sur le lit. Tahaa examina avec attention l’écorchure qu’il nettoya avec de l’eau saline, appliqua un antibiotique. Elle remarqua qu’il avait les cils incroyablement longs pour un homme, ce qui lui donnait ce regard charbonneux qu’il maîtrisait tant.

Tahaa était beau. Serena le trouvait parfait. Il était fait pour elle.

Pourquoi se retenait-elle encore? Elle maudit l’éducation que son père lui avait donnée, celui de se méfier des hommes, de toutes ces barrières que Malick Hann avait érigées autour d’elle. Toutes ses inhibitions construites au cours des années et qui tombaient peu à peu avec Tahaa.

-         J’aime quand tu m’embrasses…  Avait-elle avoué soudain d’une voix si inaudible qu’elle ne fut même pas sûre qu’il l’entendit.

Pourtant, il l’avait entendue parce que Tahaa avait alors levé les yeux sur elle, surpris qu’elle ait laissé tomber ses défenses. C’est alors qu’elle passa lentement les doigts dans les cheveux de Tahaa légèrement bouclés hérités de ses origines arabes,

-         Parce que jamais personne ne m’a embrassé comme tu le fais…  d'ailleurs, jamais personne n’a autant occupé mes pensées comme tu le fais…



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Les amis, c'est bientôt la Saint-Valentin, non? Les étoiles s'alignent pour Tahaa et Serena :-)

Je travaille à synthétiser mes textes ;-)



         

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