chapitre 29

Write by leilaji

Chapitre 29

***Elle***

Leila me fait mille et un signes mais je l’ignore. Ca me plait de la mettre dans tous ces états. Si je peux lui faire une petite frayeur de temps à autre, j’en profite à fond les manettes.
Je vérifie vite fait que ma perruque est toujours en place. Ouf, pas de souci de ce côté, il ne manquerait plus qu’elle aille tomber au mauvais moment.
Evidemment que je ne vais pas aller me battre, je n’ai plus l’âge pour ça même si ce n’est pas l’envie d’aller lui flanquer une bonne rouste qui fait défaut. C’est juste que je n’ai pas envie de faire la une de Gabon matin (quotidien national) pour coups et blessures, voie de faits et tutti quanti.

Je marche sereinement vers eux tandis que Leila se dirige vers un autre bâtiment, non mais quelle peureuse ! Elle n’aime pas les bagarres, on sent un enfant unique. Quand on a grandi avec des cousines et des nièces dans des écoles publiques, on sait qu’à un moment ou à un autre, les filles règles leurs problèmes de mec avec une bonne bagarre qui remet les pendules à l’heure.
Adrien ne me voit pas arriver car il est de dos mais mon regard accroche celui de miss Sam qui me sourit avec malice. C’est un peu comme si elle voulait me faire voir le genre de mec qu’elle fréquente car là, elle en rajoute vraiment. Ca éclate de rire à tout bout de champs et ça touche Adrien à la moindre occasion. Si elle lui touche encore le bras je vais finir par lui casser ces petits doigts un par un pour lui apprendre à vivre ! Il finit même par se reculer un peu…  Pas assez à mon gout. Ah les femmes ! Moi je ne lui en veux plus. La petite marche pour les rejoindre m’a fait décompresser. Elle a raison, il ne porte pas d’alliance, par conséquent officiellement il n’est à personne. Donc c’est à moi de lui faire comprendre qu’officieusement, il n’est plus sur le marché des célibataires.

Elle reporte de nouveau son regard sur Adrien et s’attend surement à ce que je bifurque à un moment ou un autre pour la laisser draguer en paix. Elle va être bien surprise. Je m’avance tranquillement vers le couple et je prends mon chéri dans mes bras en me collant à son dos.

Ca fait du bien…

Mémoire, photographie moi la mine déconfite qu’elle fait, j’impose intérieurement à mon cerveau,  que je puisse encore me  remémorer cet instant précis où elle est déçue de voir MON MEC dans MES BRAS lors de ma prochaine chimio… Oui, oui, on se désennuie  avec ce qu’on peut en salle de chimio.
Ah quand on dit que : même de belles fleurs poussent sur du purin ! C’est exactement ce qui se passe à cet instant précis. Dans cette journée merdique, je prends mon homme dans mes bras et je savoure le fait que d’autres veulent être à ma place mais qu’elles ne le sont pas car c’est moi qu’il a choisi. Moi, malgré mon combat, malgré mes doutes, malgré … ma perruque.

Il me fait lentement passer sur son côté et pose une bise sur le haut de mon crane.

- Héy boo que fais-tu là ?

Ah continue Adrien, tu te rattrapes bien. Boo ! Tu as entendu miss Sam ? Ouvre tes oreilles.

- Je viens éloigner les iznogood…  
- Iznogood ? C’est pas celui qui voulait être calif à la place du calif ?
- Oui, je réponds en le serrant encore plus fort, j’adore quand on est sur la même longueur d’onde comme ça, toi et moi.

Il éclate de rire face à mon cinéma.

- Je ne comprends rien à ton délire mais j’adore quand t’es de bonne humeur comme ça…
- Moi j’adore que tu m’adores.

Ma voix est basse et lourde de promesse. Adrien me regarde longuement et moi je ne cille pas un seul instant des yeux. Je crois que petit à petit il comprend mon manège. Lentement très lentement son expression change et ce que j’y lis me fouette le sang. Il n’y a qu’Adrien pour me regarder comme ça. Je suppose que c’est de me voir de nouveau moi-même, apprêtée, sophistiquée et sensuelle qui le trouble. Je fais exprès d’ignorer l’autre pour qu’elle se sente de trop mais apparemment, elle est plutôt lente à la détente. Puisqu’elle est toujours là. Finalement, Adrien détache son regard du mien et s ‘adresse à Sam.

- Sam, je te présente Elle, ma moitié.
- Ahh, fait-elle avec un sourire crispé, on s’est déjà vu à la Fondation.
- Ah bon, tu y travailles aussi ?
- Oui je la remplace, fait-elle fièrement. 
- Elle te remplace ?

Encore un nouveau point pour toi Adrien. J’aime ta manière de mal prendre cette nouvelle, comme si la plus grande injustice de ce monde serait de me faire remplacer alors que je suis malade …

- Non en fait elle fait de l’intérim, je corrige mielleusement. 
- Ok. dit-il avec un grand sourire.

Je note le fait qu’il me tient toujours tout contre lui et apprécie qu’il soit aussi décontracté. Ca me rassure sur ce qu’il avait l’intention de faire ou de ne pas faire.

- Je pourrai avoir ton phone s’il te plait ?
- Prends-le, il est dans ma poche arrière, mais je ne suis pas sûr qu’il y ait du crédit dedans…

Je prends le téléphone et en fouille le répertoire. Je fais défiler les noms puis je tombe sur Samantha ! Bingo. Ah le coup de « je t’écris mon numéro de phone et je l’enregistre puis je te tends le phone avec un clin d’œil. » Ma petite Sam, tu es tombée sur l’os du cochon cette fois-ci parce que j’ai repéré ton petit jeu tout à l’heure quand tu lui as rendu son téléphone.  

- Euh tu cherches quoi ?
- Rien. J’efface les numéros inutiles, tu sais ceux qui nous encombrent le répertoire parce qu’on ne les appellera jamais. Ceux qu’on nous a donnés sans qu’on ne les ait sollicités… le lendemain, on se demande même à qui il peut bien être…  Le genre de numéro qui ne doit pas être dans le téléphone d’un mec qui est déjà pris. On se comprend ? Je dois te demander ta permission pour t’en débarrasser ?

Je n’attends même pas qu’il me réponde, j’efface et remets le téléphone à sa place. Adrien lève un sourcil interrogateur et me regarde. Je lui souris, de toutes mes dents blanches puis je regarde Sammachinchose qui commence enfin à se sentir mal à l’aise. Bah il était temps, ma belle. 

- Bon ben je vais vous laisser… dit-elle en se triturant l’oreille.
- Oui c’est ça… Bonne journée.

Je la regarde s’en aller. Elle ne s’avoue pas encore vaincue on dirait, en témoigne sa démarche chaloupée qui fait danser son joli postérieur. Elle est vraiment bien foutue celle là avec ses hanches fines et son derrière rebondi. On dirait moi en plus jeune, sans les maternités qui épaississent un peu le ventre.

- Si tu oses regarder son c… je te jure que je t’étrangle. Dis-je sans la quitter des yeux, histoire de surveiller un signe de sa part.
- Avoue qu’il vaut le détour quand même !

Hé ! Quel détour ? Il n’y a pas de détour que je peux tolérer, plus jamais. Il n’y a qu’une route droite qui mène à moi et pas de bifurcation par ci ou par là. Je me retourne pour le regarder histoire qu’il m’explique ce qu’il vient de dire et je comprends que … c’est du mien dont il parle.

- Ah très cher Adrien, si tu penses que c’est un détour qui t’a mené vers moi depuis plus de 20 ans, comprends enfin  que je suis et resterai à jamais ta destination finale.

Il secoue la tête face à mon envolée très imagée, m’embrasse légèrement sur les lèvres et regarde sa montre. Il doit se dire que j’ai dû fumer un truc en me levant ce matin. Moi je m’agite, je m’emporte, je complote et lui reste zen.

- Je vais au CHU. Qu’as-tu prévu de faire ? Pas travailler j’espère parce que si t’es là pour ça, je te ramène à la maison?
- Non. Je vais voir ma mère, puis Gaspard.

Mon ton est solennel. Il comprend automatiquement que je viens de prendre une grande décision.
 
- T’es sure de toi ? Si tu ne te sens pas encore prête. Prends ton temps ou si tu …
- Adrien, je t’ai vu aider les enfants à faire leurs devoirs la dernière fois parce que moi j’étais au bout du rouleau, trop paumée pour les prendre en charge à la sortie de l’école. Ce n’est pas à toi de le faire tout le temps, ce n’est pas comme si tu étais leur père …
- Oui mais ce sont tes enfants. C’est pour toi que je le fais.
- Justement. Il est temps que je prenne mes responsabilités et que j’arrête de me prendre pour Wonder woman.
- … Ok. Bon j’y vais.

Je le laisse partir. Une longue journée m’attend encore alors que je me sens déjà fatiguée.

***Adrien***

- Si tu pouvais arrêter de rire bêtement toutes les cinq minutes ca m’aiderait beaucoup, dit Arc tandis que j’éteins l’ordinateur de mon poste.

Comparé à ce que nous avons vécu comme interne à l’hôpital général, travailler au  CHU d’Angondje  pour le moment c’est une vraie sinécure. L’équipement est de pointe et le personnel est encore « vaillant »… Evidemment comme dans tout groupe, il existe de petites tensions internes, des critiques et des rumeurs mais rien qui nous empêche de travailler correctement. Peut-être que le jour où notre budget de fonctionnement sera revu à la baisse, les choses se passeront autrement. Mais pouvoir travailler sur des dossiers numériques me fait un bien fou puisque c’est le même fonctionnement que j’ai établi dans ma clinique.

- Je pense à un truc qui m’est arrivé aujourd’hui. Sorry type, tu disais ?

Il se remet à m’expliquer le pourquoi du comment de je ne sais plus trop quoi et mes pensées s’envolent une nouvelle fois vers ce qui s’est passé avec Elle en matinée. En réalité je l’ai vu venir de loin… Je me suis juste dis que je n’avais rien à cacher donc je suis resté en place.

- Bon vas-y raconte moi ! Je jette l’éponge tu n’as pas écouté une seule fois ce que je viens de dire…
- Si, je t’écoute…
- Ah bon ? Alors t’en pense quoi?
- De quoi ?
- Putain Adrien !
- Ca va t’énerve pas. J’avoue j’ai rien écouté… Tu parlais de quoi ?
- Je me demande si je ne devrais pas acheter un nouveau phone à qui tu sais … on a enfin fixé une date pour le mariage coutumier.
- Lui acheter un nouveau phone ?
- Oui, il y a toujours les connards d’ex, de prétendants, de couillons et compagnie qui l’appellent. Moi je me dis, qu’on passe une étape primordiale où il faut couper ce lien là avec le passé…
- Et tu penses qu’en lui achetant un nouveau phone ça va couper ce lien. Elle pourra leur redonner son nouveau numéro tu sais.

Il a l’air soucieux et avec le coup qu’Elle m’a fait ce matin, je le comprends parfaitement… Mais en même temps… Je lui raconte quelques anecdotes ainsi que ce qui s’est passé ce matin. Je lui dis que j’avais une copine un peu « radar » qui vérifiait toujours mon phone à l’affut du moindre indice pouvant lui faire découvrir mes autres relations…qu’à l’époque j’avais un peu nombreuses je l’avoue. Mais bon, n’entretenant rien de sérieux avec personne, je supposais pouvoir me le permettre.  Elle a cherché longtemps le fameux indice sans jamais le trouver, pour la simple et bonne raison que j’enregistrais les noms des autres filles sous leur versant masculin : du coup Emilie devenait Emile et Jessica José. Puis un beau jour j’ai décidé d’arrêté de me faire chier et je me suis barré. A trop être fliqué, on devient roublard sur les bords.

- Tu parles de Joëlle là !
- Ah oui j’oubliais qu’on se connaissait déjà à l’époque. Ouais Joëlle la folle.
- Je me suis toujours demandé comment tu faisais pour ne pas te faire choper. Elle était vraiment casse-c***, celle là ! Elle appelait toujours tout le monde pour savoir ce que tu faisais… Qu’est-ce que tu foutais avec elle ?
- Demande moi plutôt ce qu’elle me… Bref.

Je prends mon sac et Arc revient sur la scène du matin avec Elle.

- Je ne vois pas ce que tu trouves de drôle à laisser ta femme effacer un numéro de ton répertoire… Si tu commences à accepter ce type de comportement…
- Ce n’est pas ça que j’ai kiffé. Si elle était venue toute hystérique me faire une scène crois moi je l’aurai remise à sa place tranquillement, tu me connais. Moi les conneries où ça crie et ça se déshabille en public je ne tolère pas ça. Mais de toute manière, ce n’est pas son genre. Je ne sais pas comment expliquer ce que moi j’ai vu dans son attitude. En fait, elle est venue défendre son territoire… C’est exactement ça. Je ne dis pas que cette fille j’avais pas envie de me la faire… Les cinq secondes où ça m’a trotté dans la tête c’était très agréable. Cependant, il y a un moment où tu redescends sur terre et tu te dis que si tu franchis le cap, tu t’apprêtes à jeter ta vraie relation aux oubliettes. Est-ce que ça en vaut la peine ? Sam est jolie, bien foutue mais je ne pense pas qu’après trois gosses elle le serait autant qu’Elle.    
- Quand je la vois j’oublie souvent qu’elle a déjà trois gosses ! 
- Quand tu es celui qui fait tous les efforts, tu finis par te poser des questions… Elle est concentrée sur sa rémission en ce moment et je le comprends tout à fait. Cette fille je ne l’ai pas dragué, j’ai pas eu à le faire, elle me faisait des appels de phare depuis la première fois qu’on s’est vu et moi ça me faisait du bien de me faire draguer comme ça. Ca m’a rassuré, c’est ça. De voir Elle sortir ses griffes alors que j’étais plutôt transparent pour elle ces derniers temps, ça m’a fait un truc.
- Un bon truc ?
- Un truc vachement bon type, vachement bon.

La journée d’aujourd’hui me prouve qu’on peut encore s’en sortir sans trop de fêlures.

***Elle***

***Une semaine plus tard***

Parler à Gaspard a été un exercice très périlleux pour moi. Je devais lui faire comprendre ma situation délicate tout en sous-entendant que j’étais prête à me défendre s’il essayait de m’enlever définitivement mes enfants. Il a semblé comprendre et Vanessa aussi, ce qui m’a beaucoup surprise. Je crois qu’avec toutes les prières qui jalonnent mes nuits sans sommeil, Dieu est en train d’éclaircir ma route peu à peu parce qu’il a senti que j’étais déterminé à m’en sortir.

Les gens passent leur temps à prier Dieu et a espérer qu’il intercède en personne en leur faveur. Pfff. C’est une perte de temps. Avec cette terrible épreuve, j’ai compris qu’aucun d’entre nous ne vient désarmé sur terre. Personne n’est totalement vulnérable. Que ce soit par la foi pour les croyants ou le courage, voir encore la détermination, pour les athées, nous venons tous sur terre armés, prêts au combat. La vulnérabilité, c’est nous qui la créons en baissant les bras, en abandonnant la lutte armes au poing. Un soldat vivant ne doit jamais se rendre mais toujours espérer le dénouement final qui s’impose : la victoire.

Aujourd’hui, je prépare les affaires des enfants qui vont chez leur père… Ca va me faire bizarre de ne plus les avoir avec moi pendant un bout de temps mais il le faut. Je crois que depuis leur naissance, ils n’ont même jamais passés ne serait-ce qu’une semaine ailleurs que chez eux. C’est la dernière ligne droite de la chimio et je dois garder toutes mes forces pour ça. Gaspard a fait fort, il a même souhaité qu’Annie accompagne ses cousins. Comme quoi, les gens peuvent nous surprendre agréablement. Mais Etienne a préféré la récupérer parce qu’il se sentait de nouveau en état pour gérer sa fille. Elle est partie deux jours plus tôt et ça a été un vrai déchirement de la voir partir elle et sa petite frimousse, habillée toute en rose comme elle le voulait. Je lui ai même mis un peu de brillant à lèvres.

- Moi je ne veux pas partir. Répète Obiang.

Je ne sais plus quoi faire de celui là. Depuis qu’on lui a annoncé la nouvelle, il tient mordicus qu’il ne part pas chez son père. Je le soupçonne de craindre d’être mal nourri là-bas alors la tension monte en moi.

- Si tu vas partir Obiang. J’en ai assez que tu me tiennes tête. Ta grande sœur y va et ton grand frère aussi alors tu vas y aller.
- J’ai dit je ne pars pas. Hurle –t-il avant d’aller s’enfermer dans la chambre des garçons.

Le marathon de ces derniers jours m’a épuisée. Je n’ai pas la force d’être tendre et sensible et bienveillante avec ce chenapan. S’il ne sort pas de sa chambre, je vais bien le bastonner comme ça il aura une bonne raison d’y aller.

- Obiang, tu sors de ta chambre ou ça va mal se passer pour toi !

Adrien qui regardait un match de basket sur une chaine sportive vient nous rejoindre dans le couloir.

- Qu’est-ce qui se passe ?

Je suis au bord de la crise de nerf. J’essaie de lui expliquer mais je n’y arrive pas. La colère, la tristesse de voir mes bouts de chou partir, tout se mélange. Et la scène d’Obiang finit par affecter ses ainés qui se regardent en chiens de faïence.

Obiang est pourtant le plus doux de tous mes enfants. Je ne sais pas ce qui lui arrive. Oh ma petite crevette ! Je lui  ai expliqué mille fois que ce n’était pas définitif, juste pour un moment mais il ne veut rien entendre. J’ai même préparé des plats que j’ai mis dans des Tupperware pour lui et son petit ventre.

- Calme toi je vais lui parler.
- Hum. Est-ce qu’il va même t’écouter ?
- Non mais Obiang c’est mon poto maintenant. On s’est croisé tous les deux à la cuisine il y a quelque temps pour manger entre hommes les pates que tu avais laissé au frigo.
- Donc c’était vous ? Mes tagliatelles !  Mais vous avez mangé ça à quelle heure ?
- 23 heures. Désolé hein. Bon j’y vais.

Je prends les deux autres avec moi et essaie de me calmer. 

***Adrien***

Me voici papa avant l’heure. Qui l’eut cru ?
Je cogne doucement à la porte et l’ouvre sans attendre qu’il réponde.

- Salut le bonhomme !
- Salut.

Il s’est assis sur son lit ses chaussures aux pieds ! Heureusement que ce n’est pas sa mère qui est venue lui parler. Elle pète souvent les câbles pour ce genre de détail. Je m’assois sur le lit avec lui, mes claquettes aux pieds. Il me regarde puis regarde mes pieds.

- Elle va se fâcher.
- Pas plus qu’elle ne l’est déjà. Pourquoi tu veux pas aller voir ton père ?
- Je veux pas c’est tout.

Et il tourne la tête pour fixer le mur.

- Personne ne peut te forcer à aller voir ton père si tu ne le veux pas. C’est juste que je crois que tu lui manques aussi.
- Il me manque aussi mais je veux pas y aller…

Ah, au moins ça ne concerne pas directement son père.

- Moi mon père est mort et je vais te parler d’homme à homme : c’était un enfoiré !
- Hé t’as dit un gros mot !
- Je sais. Le dit pas à ta mère hein !
- Hum.

Je me tais. Il ne dit rien pendant quelques secondes puis trop curieux se tourne vers moi.

- Tu parlais de ton papa…
- J’aimerai quand même le revoir. Mais je ne le pourrai plus jamais parce qu’il est mort. On s’est quitté fâché parce qu’il faisait du mal à ma maman et que moi je ne le supportais pas. Du coup je lui en voulais… J’ai même fait mon premier tatouage à cause de lui, dis-je en lui montrant les deux mains libres de leurs chaines que j’ai fait tatouer depuis des lustres. Mais ce que j’aimerai quand même le revoir…

Il est trop jeune pour que je lui explique les difficultés des relations père et fils mais il n’est pas trop jeune pour comprendre que s’il ne saisit pas l’occasion, il le regrettera. Peut-être pas maintenant mais plus tard…

- Bon je vais dire à ta mère de te laisser un peu de temps.

Il ne dit rien et je descends du lit qui s’était bien enfoncé sous mon poids. Une chance que je ne l’ai pas cassé. Sa mine est fermé, j’ai comme l’impression qu’il meurt d’envie d’aller chez son père mais que c’est autre chose qui le retient. Je m’apprête à le laisser seul en ouvrant la porte lorsqu’il descend de son lit :

- Je sais que maman va mourir.

La violence de cette phrase me cloue sur place.

- Elle dit qu’elle est juste un peu malade et fatiguée mais moi je sais qu’elle va mourir, elle n’a plus de cheveux et les autres ils sont trop bêtes, ils la croient quand elle ment et moi je ne veux pas laisser ma maman toute seule. C’est pour ça que je ne veux pas aller chez papa et que je fais semblant de ne pas savoir qu’elle va mourir. Elle n’a plus de cheveux et elle ne mange plus comme avant et elle ne va plus au travail et … elle va mourir hein Adrien ? Je ne veux pas laisser ma maman toute seule. Quand moi je suis malade, elle me laisse dormir avec elle. Moi aussi je voulais dormir avec elle mais elle te préfère maintenant. Je ne suis pas fâché pour ça. Mais moi je ne vais pas chez papa. Je ne veux pas la laisser toute seule.

Il a parlé d’une traite. Il fallait que ça sorte, il n’en pouvait plus. Je me suis accroupie face à lui, le cœur battant pour bien saisir son regard lors de notre face à face. Les larmes trop longtemps retenue coulent maintenant. Je ne lui dis pas de ne pas pleurer. Je ne lui dis pas qu’un homme ne pleure pas : c’est des conneries ça. Qu’il pleure un bon coup, ça soulage.

- Elle ne va pas mourir ta maman.  Rien ne va lui arriver, je vais veiller sur elle pendant que tu ne seras pas là comme ça, rien de grave ne va se passer. Ok ?

Il soulève ses épaules. J’ai pas les mots, je ne sais pas quoi dire d’autre. J’ai été soufflé par son discours.

- Tu sais que je suis docteur…
- T’es pas un vrai docteur, toi tu ne t’occupes que des bébés d’abord.

J’éclate de rire, ce qui finit par le faire sourire.

- Bon dis moi ce qui pourrait te rassurer…
- Un contre…
- Un contre ?
- Oui tu sais le papier qu’on signe, tantine Leila en parle tout le temps.
- Un contrat ?
- Oui.
- T’as de quoi écrire ?

Il va chercher un stylo et une feuille dans le tiroir de son bureau et revient vers moi. Je bricole un truc et le signe. Il prend tout son temps pour lire, plie le papier et le fourre dans sa poche.

- Qu’est-ce qui te fait sourire comme ça ? C’est mal écrit ?
- Non. C’est ton nom qui est trop bizarre.

C’est bien les enfants ça. Tout à l’heure on était au bord du drame et maintenant, il se fend la poire comme un petit con.
On sort de la chambre quelque instant plus tard.

- Tu lui dis pas que j’ai pleuré hein !
- Je suis pas un cafteur moi.
- Cool. 
- Essuie quand même ton visage gros malin.

***Elle***

Les enfants sont partis.
La maison est vide et silencieuse. Trop silencieuse. En plus demain c’est la fin du week-end et Ad repartira chez lui pour la semaine. Je vais me retrouver seule. C’est aussi ça que je voulais éviter !
Je bois une tasse de thé chaud pour me calmer les nerfs.
Il n’y a plus qu’Adrien et moi. Pas d’enfants pour faire diversion sur le fossé qui s’est creusé entre nous et que j’essaie maintenant de combler. Pourvu qu’il ne soit pas trop tard.

Qu’est ce que je raconte ? Le regard échangé ce matin me prouve largement qu’il n’est pas trop tard. Il ne sera jamais trop tard pour nous deux. Leila a dit que si la passion s’envole, j’attrape la tendresse. Je vais essayer de le faire d’autant plus que je sais que la passion ne s’est pas totalement envolée. Elle est là, cachée quelque part et prête à bondir à la moindre invitation ! Mais je ne suis pas encore prête pour ça…

Depuis quelques mois, on dort tous les deux chacun à un bout du lit. Au début c’était parce que je ne voulais pas qu’il reste à mes côtés alors que je me sentais si mal la nuit et que j’avais placé un petit seau de secours de mon coté du lit. Un seau de secours pour les jours où je suis trop fatiguée pour me lever et aller …
J’avais honte de lui imposer tout ça. Il était tombé amoureux d’une fille qui lui a bouffé ses biscuits sans les lui demander, d’une femme forte qui l’a remis à sa place dans sa clinique et moi je n’étais plus que cette malade, incapable de quoi que ce soit. J’avais honte.

Mais aujourd’hui m’a prouvé, qu’avoir honte de mon corps ne l’aidera pas à m’aimer plus, à m’accepter dans cette situation dégradante. Ca le mettra juste en colère contre moi et ça l’encouragera à détourner ses yeux de moi. Je suis ce que je suis, et il aime ce que je suis. J’ai de la chance voilà tout. Pour une fois que j’ai de la chance je ne vais pas m’en plaindre ou gâcher cette chance.  Je me lève et étains la télévision pour le rejoindre dans la chambre. Il est couché de son côté du lit sur le ventre. S’offre à ma vue son magnifique tatouage. On dirait des ailes d’ange. Je tends la main vers mon tee-shirt de nuit puis me ravise et prends une nuisette sans bretelles. Elle est maintenant un peu large mais c’est mieux que le tee-shirt.

Je me couche et doucement tout doucement pour ne pas le réveiller, je me rapproche de lui et pose ma tête sur son dos.

Je fais un pas. A chaque jour suffit sa peine.

***Samantha***

Gabriel Valentine vérifie une dernière fois la composition de la salle. Cette année, contrairement à l’année passée, aucune élève ne va prester. On a engagé des professionnelles parce que deux ministres assisteront à la soirée et qu’il vaut mieux éviter de scandaliser. 

Valentine. J’aurai bien tenté ma chance avec lui si je n’avais pas un penchant pour les mecs bien musclés, du type d’Adrien ! Sauf que la s*** qui lui sert de copine et me met des bâtons dans les roues me fait peut-être envisager de tenter ma chance avec lui.

- Vous vous en sortez on dirait !

Il me sourit. Ce mec a pleinement conscience du charme qu’il dégage naturellement et en joue. Peut-être que je devrai revoir mes plans et m’attaquer  lui.

- Merci.  Dis-je en le regardant droit dans les yeux.

Il détourne le regard immédiatement et s’adresse à Nadine. Je crois que je ne l’intéresse pas.

- C’est ok pour toi ?
- Pourquoi le docteur Adan est avec les autres collaborateurs de la Fondation ? Je croyais que c’était le  compagnon de madame Oyane…

Celle là, elle m’énerve ! Quand ce n’est pas lui qui fait une analyse minutieuse de mon travail, c’est elle qui fait des commentaires inappropriés. Une simple secrétaire qui se prend pour je ne sais pas quoi !

- Fais-moi voir… dit Gabriel en reprenant le plan les sourcils foncés.
- C’est à la demande de la Fondatrice. Elle veut rester discrète sur leur relation… 
- Ah d’accord.

De ce que j’ai vu, je ne crois pas qu’elle veuille rester discrète sur leur relation mais bon. Je lui renvoie l’ascenseur de la scène qu’elle m’a fait subir la dernière fois. Me traiter d’intérimaire et ce devant lui! Et ce couillon qui la laisse effacer mon numéro alors que je sais qu’il n’aurait pas refuser une nuit avec moi.
Qui sait sur quoi ça peut aboutir ?  A sa manière de la tenir j’ai tout de suite compris qu’il était très possessif. Se voir relégué loin derrière elle tandis qu’elle aura à sa table ministres et ambassadeurs ça va être marrant… Elle sera sous le feu des projecteurs, salué par tous et toute et lui, pauvre chou sera coincé avec moi. J’ai hâte d’y être !

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Bonne lecture…
Désolée pour le retard mais au moins c’est plus long que prévu !

Leilaji.

Je t'ai dans la peau