Chapitre 30
Write by leilaji
Love Song tome 2
Episode 30
Denis
Face à mon silence, elle se triture les mains de gêne comme une petite fille. Et peut-être parce que je n’ai pas l’air très amical, elle reprend du poil de la bête et se redresse. C’est fou ce qu’elle est belle ce soir sans lune. Elle porte une magnifique robe couleur chair qui met en valeur son corps fin. La nuance de teinte entre sa peau et celle du tissu est tellement infime que l’effet est troublant. C’est ma mère qui la lui a apportée. Dès qu’elle l’a vu, elle a tout de suite pensé à Leila. Alors elle l’a acheté et la lui a offerte une fois à Libreville. Jamais auparavant, elle ne s’était autant impliquée dans une de mes « relations ».
La longue tignasse de Leila, habituellement disciplinée par un lourd chignon, flotte sur ses épaules. Son regard parcourt mon torse avec étonnement puis elle sourit. Dans ma précipitation, je suis sorti de chez moi torse et pieds nus. Elle lève les yeux et nos regards se croisent. Son sourire se fait plus ingénu. Je boutonne ma chemise et enfouis les mains dans les poches de mon pantalon pour me donner contenance. L’air s’est rafraichit et le ciel gronde au loin. Les feuillages des manguiers des alentours bruissent comme pour nous manifester leur présence. Il va pleuvoir dans peu de temps. On ne pourra pas rester longtemps à mon portail. D’ailleurs, il est où le gardien ?
Je ne peux m’empêcher de retenir un frisson de peur de manière rétrospective. Elle a failli y passer. ILS ont failli y passer. Ils. Lei et Khan. Avec Alexander, on s’est pris la tête à la clinique et comme à mon habitude, j’ai dépassé les bornes. Je lui ai dit des choses que je n’étais pas en droit de lui dire. C’est sa femme, je n’ai pas de reproche à lui faire sur comment il la protège ou pas. Je suis un connard de premier ordre. Je le sais et il le sait, le monde entier le sait, ce n’est pas nouveau on est d’accord la dessus. Sauf que depuis qu’on se connait, je ne l’ai jamais été avec lui. Parce qu’il était comme un petit-frère pour moi. Sauf qu’en tant de grand-frère, je ne suis pas censé avoir envie de baiser sa femme. Je soupire.
J’ai vraiment tout fait pour me tenir éloigné d’eux et j’y serai surement parvenu si la vie ne s’amusait pas à la pousser à chaque fois dans mes bras ! Mais que fait-elle ici ? On organise une fête en son honneur et elle fausse compagnie à ses invités et vient chez moi ? Son grand-père va bientôt lancer sa horde de garde du corps à sa poursuite. C’est d’ailleurs un miracle qu’elle ait pu lui fausser compagnie. Ou alors elle lui a dit qu’elle venait chez moi…
Je m’adosse contre le mur. J’ai essayé d’être moins connard pourtant. Elle est sortie de l’hôpital et on ne s’est pas vus. Je reste à bonne distance. Ordre d’Elle qui joue les chiennes de garde. Ca ne l’empêche pas de m’appeler et ça ne m’empêche pas de toujours décrocher. La brise balaie ses cheveux sur son visage. D’un geste lent, elle les remet en place. Elle frisonne puis se frictionne légèrement les bras. Je soupire une nouvelle fois puis ouvre les bras en murmurant tout bas:
— Tu seras ma putain de perte…
Elle vient se blottir tout doucement contre moi, en hésitant d’abord comme si elle n’était pas sure d’en avoir le droit. Mais une fois que son visage se pose sur mon torse, elle me serre tellement fort que j’en oublie de la repousser. Elle doit être terrifiée pour réagir ainsi. Ses poings se serrent et tirent sur le tissu. Je caresse ses cheveux tout doucement. Jusqu'à ce que je la sente apaisée. Comme si j’étais un refuge longtemps cherché et enfin trouvé. Je pose le menton sur sa tête.
C’est la merde ! Je suis incapable de la laisser partir ! Mais il le faudra pourtant.
— Je fais mal d’être là, c’est ça ? demande-t-elle d’une toute petite voix.
Je ne dis ni oui ni non. Mais je ne veux pas qu’on se croit dans un cocon, coupé du reste du monde. Je nous ramène à terre et demande un peu brusquement :
— Tu as vu Khan ?
— Oui. Et je n’avais rien à lui dire. J’étais mal à l’aise de me rendre compte qu’il savait des choses sur moi et que moi… je n’avais rien à lui dire. C’était difficile. Parce qu’il attend à chaque seconde que je me rappelle et moi à chaque seconde je me décourage parce que rien ne me revient.
— Ca va aller. Il faut du temps.
— Pourquoi toi tu ne me presses pas ? Pourquoi tu es si compréhensif et patient ?
— Parce que moi je n’ai pas eu l’impression de t’avoir perdu alors que lui si.
— Je n’avais pas vu les choses ainsi.
C’est la vérité. Elle a oublié tout le monde sauf moi. Il y a vraiment de quoi s’en enorgueillir. Alors que Khan lui a été balayé de sa mémoire par l’accident. Le connaissant, ce doit être l’enfer pour lui. Et c’est peu de le dire puisque je sais parfaitement ce par quoi il est en train de passer. Je l’ai vécu aussi. En quelque sorte.
Les phares d’une voiture rouge qui passe non loin, nous éclairent brièvement me coupant de mes souvenirs douloureux.
— Tu n’as rien à faire ici. Je sais que c’est difficile pour toi en ce moment de te retrouver entourée de personnes que tu penses ne pas connaitre mais il va vraiment falloir que tu fasses un effort. Comme je te l’ai dit au téléphone, si tu as pu te souvenir de moi malgré tout, c’est que tu pourras plus tard te souvenir des autres.
— Et par les autres, tu veux surtout parler de lui.
— Si j’étais du genre chrétien pratiquant, je t’assure que je qualifierai cette situation de « tentation du diable » ! Tu n’as pas idée de ce que tu es en train de me faire subir !
— Non c’est toi qui n’as aucune idée de ce que je vis.
— Comment ça je n’ai aucune idée de ce que tu vis ? Tu vis une putain de seconde chance qui te permet de te remettre avec lui en effaçant tout le mal que vous vous êtes fait. Et crois moi sur parole, vous vous en êtes beaucoup fait. Et malgré cela, tu es toujours retournée dans ses bras. Tu n’as jamais cessé de l’aimer Lui. C’est ce que tu fais toujours Princesse, te remettre avec lui. Il n’y a que lui et il n’y aura que lui. Tu me l’as prouvé mille et une fois, c’est bon la leçon est apprise.
— Mais je ne me souviens pas de lui, s’écrie-t-elle en quittant mes bras. Oyane me le dit, son mec me le dit, tu me le dis et même mon grand-père me le dit mais je ne me souviens pas de lui… Qu’est-ce que je suis censée faire ? Faire semblant d’éprouver des sentiments qui n’existent pas dans ma mémoire ? Comme tu l’as dit c’est une seconde chance pour moi. J’aurai pu perdre la vie dans cet accident. Je ne peux pas gâcher ma chance en passant mon temps à espérer un jour retrouver quelque chose qui a été perdu. Vous m’accablez tous à attendre que je retombe dans ses bras et tout ce que vous arrivez à faire c’est encore plus me déstabiliser ! Tomber amoureux c’est facile ! C’est en un instant. Mais aimer Denis c’est être en équilibre entre le passé que vous avez partagé, le présent que vous vous offrez et le futur que vous espérez. Si un seul de ces éléments manque, tout s’effondre.
— Sois patiente. Ca te reviendra, un jour ou l’autre. Que veux-tu que je dise d’autre ?
— Et si ça ne me revient jamais Denis ? murmure-t-elle. Le docteur Adan a dit que je pouvais ne plus jamais me souvenir de ces 5 années de ma vie. Et ça me fout la frousse de retourner avec lui alors que je n’ai aucune garantie de me souvenir de ce que nous avons partagé. Pour moi c’est un inconnu Denis.
— Si ta tête a oublié, ton cœur doit se souvenir Lei, fais un effort.
— Mon cœur se souvient …
Je savais qu’elle allait le dire mais l’entendre est quand même douloureux. Son cœur se souvient toujours… de lui.
— Mais pas de lui.
— De quoi alors ?
— Pas de quoi mais de qui… Mon cœur se souvient juste de toi.
Je cesse de respirer pendant quelques secondes. Putain de merde…
Elle baisse la tête.
— Je suis venue obtenir des réponses et je ne partirai pas sans ses réponses ?
Je l’observe, elle affiche sa mine déterminée.
— Est-ce qu’on était … amants ? Est-ce que je le trompais avec toi ?
Elle n’ose même pas me regarder dans les yeux en posant ces questions. Et si le Denis salaud lui disait là tout de suite : oui on était amants et tu étais raide dingue de moi. Me croirait-elle ? Evidemment que oui. Elle me croirait. Parce que je suis la seule personne en qui elle a confiance en ce moment.
— Pourquoi tu me poses cette question ?
— Tu le sais.
— Non je ne sais rien.
Sans me regarder dans les yeux, elle se rapproche de moi, hésitante.
— Je me sens perdue. J’ai l’impression de vivre une vie qui n’est pas la mienne, d’appartenir à une famille qui n’est pas la mienne, de devoir faire un boulot qui n’est pas le mien. Mais à chaque fois que je pense à toi… Tout doucement, tout ce qui s’est emballé dans ma tête, tout ce qui me terrorise, s’estompe et je me sens sereine. Comme si je retrouvais par toi ma vraie place. Je n’arrive pas à m’expliquer ce sentiment. Depuis que je me suis réveillée, c’est comme si j’étais plongé dans le noir et qu’une bonne partie de moi m’avait été arrachée. Mais tout s’éclaire à chaque fois que je me dis Denis est là pour moi. Il l’a toujours été et il le sera toujours.
De l’index, je l’oblige à me regarder droit dans les yeux, en soulevant son menton. A cet instant précis elle est faible et influençable. Si je l’embrassais, elle se laisserait faire. Elle s’accroche à moi parce qu’il n’est pas là et qu’elle ne sait plus qui elle est.
— Je te le demande encore une fois parce que je veux comprendre ce que je ressens. J’ai besoin de retrouver mes repères et de découvrir qui je suis par qui j’ai été. A –t-on été amants ?
— Es-tu le genre de femme à tromper ton mari ?
— Je ne suis même pas le genre de femme à être mariée et pourtant tout le monde me clame haut et fort que je me suis mariée. Donc je suppose que tout peut arriver. Pourquoi tu ne réponds pas à ma question ?
— Tu ne m’aimais pas…
— Pardon ?
Je me rappelle comme si c’était hier de nos premières rencontres. Je ne l’aimais pas non plus. Et dire que si je n’avais pas fait demander ce putain d’audit, ils ne se seraient probablement jamais rencontrés.
— On se l’est surement joué à la Orgueil et préjugés parce que tu me détestais !
— Quoi ! s’exclame-t-elle en souriant. Tu blagues !
— Non tu ne me détestais pas. Tu me haïssais carrément.
— N’importe quoi. On ne peut pas autant s ‘apprécier aujourd’hui si on se détestait à l’époque.
— Tu me trouvais arrogant et imbu de ma personne, vénal.
— Et c’était faux ?
— Je n’ai pas fait grand-chose pour te détromper parce que c’était vrai. Je l’étais vraiment. Je le suis toujours si tu veux tout savoir. Khan t’a demandée de me donner une chance. Au lieu de me faire tout petit, j’ai tenté de t’acheter parce que j’estimais que t’étais une croqueuse de diamant et que tu allais foutre sa vie en l’air. Tu m’as remis à ma place. Et je t’ai vu faire pour lui ce qu’aucune femme n’avait jamais fait auparavant : essayer de le rendre heureux en lui ramenant sa famille qu’il avait du quitter dans sa jeunesse quitte à ce que toi ça te mette dans une position inconfortable. Et j’ai vu comment cette famille a décidé sans même te donner une chance de te briser, de te faire croire que tu ne valais rien. Et tu sais ce qui s’est passé ?
— Non.
— Tu l’as aimé encore plus fort, dis-je d’un ton empli de reproches. Et chaque fois que la vie a tenté de vous séparer c’est ce qui s’est passé.
Elle baisse à nouveau les yeux.
— Je ne suis pas un mec bien Lei. Ta première impression était la bonne. Je crois que le seul commandement que je n’ai pas encore violé c’est peut-être tuer… Mais tout le reste je le fais au quotidien. Tu ne convoiteras pas …
— La femme de ton prochain, termine-t-elle.
— Je l’ai fais… et je continue de le faire. Et je devrais me sentir coupable de le faire. Ca m’arrive. Mais tu vois, là quand t’es là, juste devant moi. Je m’en fous. C’est pour ça que la plupart du temps quand on parle de moi, on dit le connard ! J’en suis un.
— Ne dis pas ça, je pense que tu es un mec bien.
— Justement non. Quand on a toujours eu tout ce qu’on voulait, arrive le moment où même vouloir quelque chose est ennuyant parce qu’on sait déjà qu’on l’aura. Je ne suis pas un saint, je ne respecte que mes propres intérêts. Je ne l’ai jamais caché à quiconque, je joue carte sur table. Habituellement. Mais ce qui me rend fou, c’est de savoir que je n’obtiendrai pas de toi ce que je veux mais que je suis quand même prêt à faire ton bonheur, à rester dans l’ombre. Je ne dis pas que jamais je n’ai espéré que tu le quittes. Il est arrivé un moment où j’avais l’impression que la chance me souriait enfin. Mais jamais tu ne m’as choisi. Même quand tu t’es crue libérée de ce que tu ressentais pour lui. Et tout ça me rend fou. Parce que je suis parfaitement conscient de l’imbécilité de mon souhait d’être avec toi mais malgré tout… je le souhaite quand même ! Moi Denis, je reste là à me languir de toi. Je t’ai dans mes bras et déjà malgré ma barbe grise j’ai des étoiles plein les yeux comme un gamin.
Elle se réfugie plus fort dans mes bras.
— Je ne peux pas compter sur des souvenirs pour savoir ce que je veux. Juste sur ce que je ressens. Aujourd’hui, à l’instant présent. Et je ne peux cacher plus longtemps ce que je ressens. Pour toi…
Je ne réponds pas et regarde la voute étoilée. A cet instant présent comme elle dit, moi j’aimerai que le supplice cesse. Je ferme les yeux et prie pour une intervention divine. Comme si le ciel avait entendu ma prière, quelques gouttes épaisses tachètent sa robe juste avant qu’un éclair ne fende le ciel. Il commence à pleuvoir…
— Il faut que tu rentres chez toi Lei, tout ça est ridicule.
— Tu n’as toujours pas répondu à ma question, insiste-t-elle sans même broncher alors que la pluie commence à alourdir le tissu de sa robe.
C’est bien la première fois de ma vie que je bénie la pluie torrentielle de Libreville. Cette pluie qui fait office de douche glacée quand on a le malheur de ne pas s’abriter. Si on reste là tous les deux dans quelques secondes on sera transis de froid.
— Il faut que tu rentres chez toi sinon tu vas attraper la crève. En plus on doit te chercher chez Okili.
— Répond et je partirai. C’est tout ce que je veux.
— Lei ! Putain rentre !
— Répond ! insiste-t-elle.
La pluie devient tellement forte que je l’entends à peine.
— On n’a pas couché ensemble ! j’hurle pour me faire entendre.
Elle se fige et je continue sans lui laisser de répit.
— On n’a jamais couché ensemble. Tu ne m’as jamais aimé. Tu es juste perdue et je ne sais pas ce que ce vieux fou d’Okili t’as dit ou fait pour que tu aies l’impression que je compte à tes yeux.
— Si tu comptes…
— Je n’ai jamais compté pour toi, je coupe avant qu’elle ne dise une connerie que mon cœur se précipitera à croire. Et si jamais j’ai le malheur de le croire aujourd’hui, à l’instant, à la seconde même où tu te souviendras de lui, tu me quitteras sans regret pour lui. Alors rentre chez toi. Fais-moi plaisir, redeviens-toi.
— Mais je n’ai aucune idée de qui je suis aujourd’hui… Il y a cinq ans oui mais aujourd’hui ?
— Tu es une femme…magnifique, forte, loyale, aimante, désirable… tu n’as jamais eu besoin de qui que ce soit pour être toi-même… Tu n’as pas besoin de moi pour être toi si c’est ce dont tu as peur. Tu t’es faite toute seule comme une grande et tu ne le dois ni à Khan ni à moi ni à Okili. Tu ne le dois qu’à toi-même. N’aie pas peur princesse. Tu m’entends ?
Elle ne répond pas. Ses lèvres tremblent. On est complètement trempés tous les deux. Je la tire par la main pour la conduire à sa voiture. Dès qu’on y est, elle me retire brutalement sa main. Je continue de la fortifier.
— Tu es bosseuse, captivante et digne… et je pourrai continuer comme ça longtemps. Je t’ai vu faire des choses extraordinaires pour d’autres quand tu les as sentis acculés. Ce n’est pas parce que tu ne t’en souviens pas que ça ne compte pas. Et c’est pour ça qu’il sont autour de toi… Elle, Gabriel, l’imbécile tatoué…
— L’imbécile tatoué ?
— Adan.
— Le docteur ? Mais pourquoi tu l’appelles comme ça ?
— Est-ce que j’ai besoin d’une raison pour l’appeler comme ça ? Bref, je suis sure que tu feras des choses extraordinaires pour toi-même si la vie te pousse dans tes derniers retranchements. Ne sois pas effrayée princesse ! Rentre maintenant.
Elle déverrouille la portière et je la vois grimper rapidement avant de la claquer. L’habitacle est éclairé. Le siège conducteur doit être trempé maintenant et les pédales pleines de la boue ramassée par l’ourlet de sa robe. Elle pose sa main gauche à plat sur la vitre et je pose la mienne sur l’ombre de la sienne.
Un court instant tout est parfait.
Alors qu’elle est à l’abri et moi sous la pluie. Mais ce qui compte et ce qui a toujours compté c’est qu’elle soit à l’abri.
Elle retire sa main et démarre la voiture. Je la regarde partir tandis que les phares arrière rougissent les environs. Je suis toujours pieds nus. Pieds nus en plein milieu de cette route que j’espère déserte.
Alors qu’elle doit virer à droite, la voiture ralentie puis s’arrête. De longues secondes passent sans qu’elle ne bouge. Il pleut toujours à torrent et je n’y vois pas grand-chose. La portière s’ouvre et elle descend. Mais qu’est-ce qu’elle fout ? Je m’avance sans m’inquiéter de marcher sur un caillou ou un objet tranchant. Lorsque je la rejoins enfin, ses mâchoires claquent de froid.
— Oui je crois qu’un jour … je redeviendrais la femme … que tu as si gentiment décrit. Mais juste … pour … aujourd’hui est-ce que je peux rester … ? Je ne veux être … nulle part ailleurs qu’ici.
On se regarde et elle ne pipe plus mot. Sans rien ajouter, je passe mes bras sous ses genoux et dans son dos pour la soulever. Elle s’accroche à mon cou.
— Je vais prendre soin de toi.
Je la ramène à la maison. Chez moi.
*
**
Quinze minutes plus tard, je la rejoins dans ma chambre après avoir pris soin de récupérer sa voiture pour la garer devant le portail de la maison.
Elle s’est emmitouflée sous une large couverture polaire blanche que j’ai ramenée d’un de mes nombreux voyages au Canada et souffle doucement sur un bol contenant une étrange mixture. Je trouve la situation plus qu’étrange. Elle, ici dans ma chambre juste à coté de ces draps blancs immaculé.
— Qu’est-ce que c’est ?
— Du quacker, répond-elle en soufflant plus fort. J’ai trouvé ça dans ta cuisine. C’est chaud et c’est bon quand on y met du lait et du sucre.
— Mais pourquoi le tien est aussi bizarre. Franchement ça ressemble à du vomi.
— C’est parce que j’ai pas mis assez d’eau et je crois que ça a un peu brulé. Je ne savais pas pendant combien de temps il fallait le faire cuire.
Rater du quacker ? Il faut le faire vraiment. J’essaie de conserver une mine sérieuse mais j’ai du mal. Son regard se fait perçant et je n’y tiens plus, j’éclate de rire.
— Princesse ! Bruler des flocons d’avoine ! Même moi je sais en faire.
— Je dis hein, personne n’appelle ça des flocons d’avoine, on dit quacker. Tu veux prouver quoi là ?
— Que t’es un peu bête !
— C’est toi qui es bête ! A resté dans ta chemise mouillée et ton bas de pyjama moche.
Je vais dans la douche et en ressors avec une serviette blanche autour des hanches. Elle m’en propose. Devant ma mine horrifié, son sourire contrit se transforme en sourire carnassier. Elle se débarrasse de sa couverture et me poursuit pendant quelques secondes dans la chambre comme une gamine avant de réussir à me coincer dans un coin.
— Ta mère ne t’en a pas donné quand t’étais gamin ? Moi j’en ai souvent mangé le soir quand il n’y avait rien d’autre.
— Trop riche pour manger ça ! dis-je pour la vexer assez pour qu’elle oublie de me forcer à en manger.
— Regarde moi sa grosse tête de riche là-bas ! réplique –t-elle immédiatement, en abandonnant son idée de m’en faire manger.
On éclate de rire tous les deux. Elle est pliée en deux. La dernière fois que je l’ai vu rire ainsi sans complexe c’était à Franceville. Quand elle venait de décider que c’était fini avec Khan. Quand j’ai cru qu’on avait une chance. Elle rit tellement fort qu’elle est obligée de poser son bol sur la table de chevet à coté du lit pour ne pas le lâcher par inadvertance. La dernière fois que j’ai moi-même ri ainsi c’était avec elle. Elle porte une de mes chemises, le temps que sa robe sèche. Je suis grand et large d’épaule alors la chemise fait un peu pyjama sur elle. Elle est belle. Ses cheveux qui ont perdu leur brushing ont pris du volume et lui donne l’air d’un ange déchu. Ses lèvres ont légèrement rougi d’avoir bu le quacker chaud.
Elle est belle. C’est ce que je n’arrête pas de me dire.
J’arrête de rire comme frappé encore une fois par l’emprise qu’elle a sur moi. Je la regarde intensément. J’essaie de graver ses instants dans ma mémoire. Qui sait ce que demain nous réserve ? Khan la prenait pour acquise jusqu'à ce que tout bascule. C’est bien ça la leçon du jour n’est-ce pas ? On peut tout perdre à chaque instant donc il faut profiter de chaque seconde offerte par la vie.
Elle finit par se calmer.
— A quoi tu penses ? demande-t-elle en souriant
— Au fait que je suis un salaud…
— Arrête…
— Au fait que j’ai envie de toi depuis une éternité Princesse. Au fait que tu n’es pas à moi mais j’ai eu peur de te perdre dans ce fichu accident. Au fait que tu m’as manquée tous ces jours où j’ai refusé de te voir. Au fait que tu es belle…
J’essuie dans le coin de ses yeux les larmes de rire qui s’y étaient formées. Un silence coupable s’installe entre nous car nous savons tous les deux à quoi nous pensons.
Elle empoigne ma chemise…
Se hisse sur la pointe des pieds…
Et pose ses lèvres chaudes au gout sucré sur les miennes.
Je perds tout contrôle…
*
**
Alexander
J’ai du mal à ouvrir les yeux…
Je me souviens avoir raccroché, m’être senti étrangement calme alors que la scène qui se déroulait devant moi aurait du me mettre dans une rage folle. Je me souviens qu’ils sont restés dehors à se parler comme de vieux amants et que moi je suis resté là à les observer, tétanisé par la simple idée de m’approcher d’eux et de voir ce que je ne pourrais pardonner.
Mais je n’arrivais pas à détacher mon regard de sa silhouette fine, même quand elle s’est blottie dans ses bras. C’était comme recevoir un coup de poignard en plein cœur.
Me mettre en colère ? Le seul mécanisme de défense que je connais. Pour garder le contrôle, je suis censé penser au moment merveilleux qu’on a partagé elle et moi. Mais comment puis-je me raccrocher à ses moments quand je vois qu’elle en crée d’autres avec lui.
Pourquoi ca nous arrive à nous? Est-ce qu’une malédiction plane sur notre couple ? Pourquoi devons nous affronter autant de défis ? Est-ce qu’Okili a raison ? Est-ce que nous nous sommes fourvoyés ? Si elle était vraiment faite pour moi pourquoi ne se rappelle-t-elle pas ? Et si elle ne se rappelle pas de nous, pourquoi ne nous donne-t-elle pas une chance de créer de nouveaux souvenirs ?
— Je ne vous connais pas Monsieur Khan, et je ne pense pas qu’il pourrait y avoir quoi que ce soit entre nous. Je suis vraiment désolée. Je me rends bien compte que je nous mets dans une situation embarrassante. Si je dois être franche avec vous, je vous dirai que vous n’êtes pas mon type d’hommes, m’a-t-elle dit avec cette réserve froide qu’elle utilise pour parler aux clients indélicats.
— Et si tu rentrais à la maison Leila… Au Taj. Tout te reviendrais j’en suis sur. Rappelle-toi mera dil, ai-je insisté en posant la main sur la sienne. Pourquoi ne peux-tu pas ?
Mon ton suppliant me faisait horreur mais je ne pouvais m’en empêcher.
— Ce n’est pas que je ne peux pas Monsieur Khan…
Et ses phrases ponctuées de ce Monsieur Khan distant me faisait bouillir le sang.
— C’est que je ne suis plus la femme que vous aimez…
— Peut-être. Mais tu es en ce moment même celle qui est tombée amoureuse de moi… il y a des années. Tu es en ce moment même celle par qui tout a commencé mera dil. Ca veut dire que tout peut recommencer…
— Et recommencer les mêmes erreurs ? Elle m’a racontée. Elle a essayé de m’aider à me souvenir mais au final ce qu’elle m’a dit n’avait rien de glorieux monsieur Khan. Mon grand-père m’a raconté ses mises en garde. M’entêter à faire un enfant alors que mon corps en est incapable, m’entêter à me faire aimer de votre famille, alors qu’elle en est incapable, m’entêter à vous faire aimer de ma famille alors qu’elle en est incapable… Pourquoi alors devrais-je m’entêter à recommencer alors que j’en suis incapable ? Trop de larmes Monsieur Khan ! Trop de peine pour un bonheur qui a été si traitre avec moi. Vous avez un enfant… Rentrez chez vous vous en occuper. Un enfant est toujours une bénédiction et une bénédiction ne doit pas être négligée… Sinon… Le ciel frappe ! Et je crois sincèrement que c’est ce qui nous est arrivé. Le ciel nous a frappés et il continuera encore et encore tant que nous nous refuserons à l’écouter…
— C’est toi qui parle ou Okili ?
— Qu’elle différence Monsieur Khan? Je suis une Okili.
Délicatement, elle a retirée sa main puis a souhaité retourner chez son grand-père. Son frère qui ne reste plus jamais à moins de 10 mètres d’elle est venu la chercher. Et depuis je ne l’ai plus revue.
A quoi cela me servirait d’insister sinon à me sentir encore plus humilié que je ne le suis déjà. Quel coup du sort que d’avoir su la reconquérir en une nuit puis de devoir encore une fois la perdre sans que je ne puisse rien y faire.
Je suis las d’avoir à lui réclamer de nous rendre ce qu’on a été alors que je vois dans ses yeux qu’elle ne sait pas de quoi je lui parle. Je suis las de me laisser consumer par cette brulure qui finira par me détruire entièrement. Peut-être inconsciemment, en a –t-elle eu assez, aussi a –t-elle décidé de tirer un trait sur nous. Je suis un roseau qui ploie sous la force du vent mais qui jamais ne se casse, avait-elle coutume de dire.
Le roseau a finalement cassé !
Je lui ai promis d’attraper les épines pour qu’elle puisse contempler les roses. Mais là ce qu’elle est en train de faire c’est d’arracher les roses su bouquet pour me jeter les pétales à la figure.
Peut-être qu’il est temps de tourner la page.
C’est bien ça mon problème. Devoir insérer peut-être à chaque début de phrase. Peut-être m’aime-t-elle encore même si elle ne s’en rappelle pas. Peut-être m’a-t-elle définitivement oublié. Peut-être qu’il faut garder espoir jusqu’au bout. Peut-être pas.
J’ai une fille à élever et je ne peux indéfiniment me permettre de rester suspendu au souvenir de Lei. Ma fille a encore besoin de moi. Leila, elle… non.
Ma tête cogne dur, comme si un footballeur s’amusait à y faire des tirs au but.
Je suis éblouie par la lumière du jour. Pourquoi fait-il si clair ? Je ferme les yeux de nouveaux. J’ai trop mal à la tête et j’ai envie de dormir. Et de ne plus avoir à me réveiller. Une voix m’appelle et me tire de mon état semi-comateux.
— Alexander… Alexander… réveille-toi.
— Mais qu’est-ce qu’il fout là ? Merde, il est ivre ?
— Je crois. Il ne faut pas que les enfants le voient dans cet état. Je vais les emmener à l’école et poussin tu t’occupes de lui s’il te plait.
— Quoi ? J’ai des rendez-vous moi ! Il pue le whisky ! Mais qu’est-ce qu’il foutait devant chez nous ?
C’est de moi qu’il parle ? Une grosse claque me réveille. J’ouvre les yeux. Elle et Adrien apparaissent dans mon champ de vision. Mais qu’est-ce qu’ils font devant chez Denis ?
— Qu’est-ce que vous faites ici ?
Au lieu de me répondre, il se regarde un bref instant et Elle fait signe à Adrien. Il m’aide à me relever et je me rends compte que je suis devant leur villa. Je n’y comprends plus rien. Je n’ai pas pu. Je regardais Lei… J’étais tétanisé par ce que je voyais puis j’ai réussi à me donner la force d’avancer vers eux. L’ai-je fais ? Non. Je me suis réveillé ici ? Comment ? Je pue l’alcool et j’ai l’impression d’avoir la gueule de bois du siècle. Mais je ne suis pas fou. Je sais que je n’ai pas bu.
— Type ce n’est pas en te soulant à mort que tu vas la reconquérir ta femme, dit-il en me trainant vers leur porte d’entrée.
— Je te promets que je n’ai pas bu. Je ne sais pas ce qui s’est passé.
— Il s’est passé que tu as une gueule de bois frangin ! Les peines de cœur ca ne te réussit pas.
*
**
Monsieur Okili (dans un lieu tenu secret)
Je rends visite à deux de mes plus anciens agents, entrainés par d’ex agents du KGB. Des agents eux-mêmes actifs au temps où le KGB était encore craint. C’est dire à quel point ces deux là sont efficaces. Il a bien fallu que j’affronte entre guillemets ma petite-fille pour sortir la grosse artillerie. La salle se trouve au sous-sol d’une villa que je ne loue jamais. Elle sent le vieux café et la cigarette.
Eclairé par un faible néon, on n’y voit pas grand-chose quand on n’est pas habitué.
— J’espère que cet abruti de Prince la suit toujours à la trace pour la protéger. Il faut bien que ce vaurien me serve à quelque chose.
— Oui Monsieur Okili.
— Le micro dans sa voiture fonctionne bien ? Je veux savoir en tout temps où elle va et ce qu’elle dit au téléphone.
— Oui monsieur, le GPS et le micro fonctionne.
— C’est vraiment dommage que je ne puisse en faire mettre chez Denis. Il a toujours ses ex agents du mossad qui le protège ?
— Oui. Ils sont vraiment très discrets mais toujours présents. Sa maison est blindée d’émetteurs anti écoute, de cryptage ultra sophistiqués. Ca ne servirait à rien de prendre le risque de placer des micros ou des caméras. On risquerait de se faire prendre. Mais si vous le souhaitez, on peut essayer…
— Non. Ca va.
— Tout ce système de surveillance est-il vraiment nécessaire Monsieur ?
— Avec ma petite fille tout est nécessaire… elle pourrait avoir un sursaut de conscience et commencer à tout mettre en doute… je ne souhaite pas en arriver à des extrémités pour la garder sous mon contrôle.
— L’indien a failli tout faire capoter Monsieur Okili. Mais on s’en est occupé aussi comme vous l’avez demandé. On l’a drogué, aspergé d’alcool et balancé devant la maison de Madame Oyane. Comme elle est sur écoute aussi, on a pu intercepter son appel. Elle l’a tout de suite informé de l’état de l’indien pour que votre petite fille intervienne.
— Faite moi écouter l’appel.
Je ne laisse passer aucun détail depuis le fiasco qui a failli couter la vie à Leila. Les imbéciles chargés de leur faire peur et qui ont failli lui faire perdre la vie ne me décevront plus jamais. Je m’en suis débarrassé pour ne plus travailler qu’avec ces deux en qui j’ai toute confiance. Car ils savent qu’il ne fait pas bon de me décevoir. Quant à Leila, ceci est un dernier test pour mesurer à quel point elle est décidé à aller de l’avant. Avec son habitude de toujours lui venir en aide quand il est paumé, je voulais être sur qu’il ne lui viendrait plus à l’idée de le faire.
— Lei, t’es où ? je suis chez ton grand père et il n’y a personne. D’ailleurs t’es passée où hier ?
— Pourquoi tu me cherches, il y a un problème ?
— Pourquoi tu réponds à ma question par une question ?
— Pour rien…
— Attends. T’es où ?
Un long silence, des voix étouffées et la conversation reprend.
— Chez Denis.
— Chez Denis ! Quel Denis ? Denis qu’on connait toutes les deux ou un nouveau Denis ? Ca doit forcément être un nouveau Denis parce que celui qu’on connait toutes les deux sait …
— Tu n’es pas ma mère Elle. Dis-moi pourquoi tu m’appelles ?
Nouveau silence.
— On a trouvé Alexander ivre mort devant chez nous.
— Oh mon Dieu… Il va bien ?
— Je n’en sais rien, il est avec Adrien. Il faudrait que tu passes le voir… pour lui parler. Il faut vraiment que vous parliez. Je sais que pour ce qui est de Denis, parfois j’étais pour parfois contre et parfois re-pour et parfois re-contre mais j’ai beaucoup parlé avec Adrien ces dernier