Chapitre 30 : Désillusion
Write by Auby88
"Il faut sans cesse et sans cesse passer par toutes les étapes de la désillusion, se retrouver seul et toucher le fond de sa détresse. Choisir le difficile, l'impossible, la nuit, ce qui n'est pas dit. Ecrire est à ce prix - Vivre aussi.
Hélène Ouvrard ; L'herbe et le varech"
Richmond est dans la demeure familiale. Il est assis, oisif, dans l'un des grands canapés. Son regard est vide et ses traits défaits. A pas lents, elle s'approche de lui et pose une main hésitante sur son épaule.
- Maman, c'est toi ?
- Non, Richmond.
Il sursaute et se lève aussitôt.
- Que fais-tu ici ?
- Il faut qu'on parle, Richmond ! C'est important. Notre belle histoire ne peut pas se terminer ainsi.
- Elle est pourtant bel et bien finie !
Il fuit son regard en lui parlant. Elle est désemparée.
- Tu as reçu ma lettre ? s'enquiert-elle. J'espérais que tu m'appellerais pour qu'on discute par rapport à cela.
- Je l'ai lue (il plisse les lèvres pour exprimer son dédain ), déchirée et brûlée. Son contenu ainsi que tout se qui se rapporte à toi n'ont plus d'importance pour moi à présent. Tu fais désormais partie de mon passé !
Madame AKOWE fait irruption dans le salon. Elle est suivie de Sandra. La maîtresse de maison attrape Cica par la main et la secoue.
- Comment oses-tu te ramener ici ? Tu n'as aucunement honte !
Sandra intervient en ricanant.
- Une fille qui couche avec deux frères ne peut qu'être née avant la honte ! C'est juste une traînée !
Cica se mord la lèvre et regarde Richmond, dans l'espoir qu'il la défende. Il ne dit mot.
- Je ne suis pas une marie-couche-toi-là et Richmond le sait très bien.
- Tu n'es peut-être pas une traînée, intervient Richmond mais en tant que fille non reconnue d'une religieuse violée dans sa jeunesse, tu ne vaux pas grand chose au final !
Madame Vanessa, indignée, secoue la tête. Sandra, quant à elle, éclate de rire.
Cica semble perdre son souffle. Les mots de Richmond sont comme un poignard dans son dos. Elle respire profondément en haletant puis elle le fixe longuement.
- C'est vraiment ainsi que tu me vois, Richmond !
Il détourne son regard.
- Il te l'a déjà dit, poursuit Sandra.
- Maintenant, dégage d'ici ! ajoute madame AKOWE.
- C'est à Richmond que je m'adresse, reprend Cica. C'est ainsi que tu me vois ?
- Oui.
Il prononce un "Oui" qu'il regrette la seconde d'après. En réalité, il ne pense rien de ce qu'il vient de dire. Il essaie juste de lui faire mal pour qu'elle s'éloigne de lui.
- Je n'ai plus rien à faire ici ! achève-t-elle.
Il essaie de retenir son bras mais elle esquive.
- Ne me touche pas !
Il voit ses yeux tristes et son coeur se serre. Il la laisse partir. Sandra pose une main sur lui. Il ôte la main de la jeune femme.
- Je monte en chambre. J'ai besoin d'être seul.
En haut, par la fenêtre de sa chambre, il la remarque. Elle marche à pas plus que lents vers le portail. Il ferme les rideaux, s'assoit sur le bord du lit, se cache la face et crie toute la rage et l'amertume qu'il a au fond de lui.
Afi aperçoit Cica dans la cour, souhaite lui dire quelque chose d'urgent. Mais Cica n'a pas le coeur à l'écouter. Elle continue son chemin sous les yeux pleins de remords d'Afi.
Dehors, quelqu'un crie son prénom. Mais elle n'entend pas. Une main se pose sur son épaule. Elle fait volte-face et se blottit dans les mains de l'homme.
- Cica, ma petite, qu'est-ce qui ne va pas ? C'est Richmond qui t'a fait du mal ?
Elle éclate en sanglots.
- Oui, lui et son entourage. Il les a laissés nous séparer. Je suis finie.
- Viens.
Il la conduit à l'intérieur de sa bagnole.
Elle lui raconte toute sa mésaventure.
- Et tu t'es laissée humiliée de la sorte, accusée à tort par amour, sans te défendre ! Cica ! Tu aurais dû lui dire la vérité !
- Cette vérité de longue date ne me concerne pas. C'est une histoire de famille. Et de toute façon, Richmond ne m'aurait pas crue. Il est complètement aveuglé par la rancoeur. Tu avais raison. Il ne m'aime pas vraiment, en tout cas pas autant que je l'aime.
Elle ferme les yeux pendant un court instant.
- Ne te laisse pas abattre, Cica ! Tu es une femme forte, même si tu l'ignores.
- J'en doute vraiment !
- Richmond ne te mérite pas ! Il ne mérite pas que tu verses une seule larme pour lui ! Tu devrais dès à présent te concentrer sur toi et arrêter de te morfondre ainsi.
Il essuie ses larmes.
- Je suis sûr qu'un jour, tu finiras par oublier Richmond et rencontrer l'amour de ta vie, celui-là qui saura véritablement t'aimer.
- Je ne pense pas pouvoir y arriver, du moins pas maintenant qu'une ... petite graine de lui pousse en moi.
Elle baisse la tête et touche son ventre. Le regard de l'homme s'assombrit. Il semble abattu.
- Non, Cica ! Qu'as tu fait ? s'indigne-t-il. Je t'avais pourtant conseillé de ne pas te précipiter, ou si nécessaire de prendre tes précautions avec Richmond pour ne pas te retrouver avec un bébé sur les bras !
Elle le regarde et fond à nouveau en larmes.
- Je sais, mais nous avons tous deux désiré ce bébé. C'est d'ailleurs lui qui tenait le plus à être papa.
- Calme-toi. Je ne voulais pas te causer plus de chagrin. Est-ce qu'il le sait ?
- Oui. Je lui ai envoyé une lettre.
- Et tu es sûre qu'il l'a lue ?
- Il m'a assuré que oui. J'ai plusieurs fois essayé de l'appeler, de lui envoyer des messages mais mes tentatives sont restées vaines. J'ai donc remis une lettre à Afi qui travaille avec eux.
- Et qu'est-ce qu'il compte faire ?
- Rien du tout. Il m'a dit qu'il n'est plus intéressé par quoi que ce soit me concernant et que je fais désormais partie de son passé. C'est assez clair pour moi. Il ne veut plus de ce bébé.
Le vieux serre les poings et ouvre sa portière.
- Il faut que je lui dise deux mots à ce salaud !
Elle sort précipitamment et attrappe sa main.
- S'il te plaît, ne lui fais aucun mal !
Il se rend compte de combien elle aime Richmond.
- Je voudrais pas non plus que tu te fasses mal, poursuit-elle. De toute façon, mon bébé a besoin d'être loin de tout ce tumulte et de cette famille mauvaise.
- D'accord. Rentrons dans la voiture. Qu'est-ce que tu comptes faire à présent ? Où vis-tu ?
Le téléphone de Cica sonne. C'est Satine. Elle décroche avec hésitation.
- Comment vas-tu, Satine ?
Elle s'efforce de sourire.
- …
- Ton frère est en voyage dans le nord du pays, répond-t-elle. C'est sûrement pour cela que tu n'arrives pas à le joindre.
- …
- Oui, je te promets de lui faire signe dès que possible ! Bisous.
Elle raccroche, le coeur serré.
- Cica, tu n'aurais pas dû lui mentir.
- Je ne voulais pas lui causer du chagrin. Je tiens beaucoup à elle, même si elle aussi risque de me détester.
- Je ne pense pas. Satine est beaucoup plus mature que Richmond. Quoi qu'il en soit, si tout le monde te rejette, je serai toujours là. Alors, qu'est ce que tu comptes faire de ta vie ?
- Je n'ai pas vraiment les idées claires actuellement. J'ai loué une chambre dans un hôtel mais je pense retourner à l'orphelinat et y rester, au moins le temps que mon ventre se remarque. Soeur Grâce m'a dit que j'ai toujours une place là bas, mais j'hésitais à m'y rendre. Mais à présent, j'ai besoin de retourner là-bas pour me ressourcer.
En réalité, elle désire parler à sa mère. Parce que malgré la façon dont elle l'a auparavant traitée, Cica a vraiment besoin d'elle. Seule une mère peut comprendre une autre mère.
Il lui prend la main.
- On y va, Cica.
- Pas tout de suite. J'ai d'abord besoin de passer quelque part ?
- Où ?
- Dans une église. J'ai grand besoin de prier.
- Je t'y emmène.
- J'ai assez pris de ton temps.
- Il y a longtemps que je n'ai pas mis pied dans une église. Je crois que c'est le moment parfait pour cela.
Elle le regarde et prend sa main.
- Pourquoi m'aimes-tu autant ? Tu m'as dit que je te rappelais ta fille mais
..
Il avoue sa vérité à Cica.
- Ma fille est morte, il y a plusieurs années. Elle s'est suicidée après une déception amoureuse.
Il évite le regard de Cica. Pendant quelques minutes, elle oublie sa propre peine.
- Je suis désolé, papa ! s'entend-t-elle dire.
Il la serre contre lui. Ils remontent dans la voiture et vont se recueillir dans l'église la plus proche. Plus tard, il la dépose devant l'orphelinat. Elle tient à rentrer seule mais promet de le tenir au courant.
En avançant vers le bureau de soeur Grâce, Cica aperçoit sa mère assise sur un banc en brique. Elle ne porte pas sa robe habituelle. Elle a l'air triste. Cica rassemble ses dernières forces et s'approche d'elle.
- Maman !
La mère se retourne.
- Cica ! Ma petite Cica !
Cica s'assoit près d'elle. La mère lui caresse le visage.
- Pardonne-moi pour tout, pour toutes ces années passées à vivre dans le déni.
- Maman ! Comment puis-je te garder rancune ? Je t'aime beaucoup, tu sais !
J'aurais dû t'écouter quand tu me parlais du monde extérieur et de Richmond ! Tu avais raison !
- Viens ici, mon bébé !
Elle la serre contre elle.
- J'ai tellement besoin de toi, maman ! reprend-t-elle en se dégageant de ses bras. Je sais que tu vas le prendre mal, que tu vas avoir honte de moi, mais je dois te dire que je suis enceinte et que je serai une mère célibataire. Richmond ne veut pas du bébé, mais moi je compte le garder.
- Cica ! Sache que je ne compte plus te juger. Je suis mal placée pour cela. Tu peux compter sur mon soutien, je prendrai soin de vous car à présent plus rien ne m'empêche de jouer mon rôle de mère aux yeux de tous !
Cica écarquille les yeux, toute étonnée.
- La mère de Richmond est venue ici avec une autre jeune fille. Elles se sont chargées de tout révéler à soeur Grâce. Elle m'a confrontée et je n'ai pas pu mentir à nouveau.
- Tout est de ma faute. Je me suis confiée à Richmond et il m'a trahie. Pardonne-moi, maman !
- De toute façon, cela devait arriver. Sache que je ne t'en veux pas, Cica. Au contraire, je me sens soulagée. Ce poids me pesait beaucoup sur la conscience. Mon seul chagrin est de devoir me séparer de cette communauté dans laquelle j'ai passé plus de vingt années de ma vie.
Cica a mal pour sa mère.
- Je vais parler à soeur Grâce, je ne suis pas autant égoïste pour t'arracher à ce que tu aimes le plus faire.
- Je ne peux plus rester ici de toute façon ! Ce serait porter atteinte aux principes de notre communauté religieuse. Je ne suis pas sensée avoir un enfant.
- Mais cela s'est passé avant ton entrée au couvent !
- Peut-être, mais je me suis tue et je t'ai élevée ici pendant toutes ces années.
Elle prend la main de sa mère.
- J'irai où tu iras maman, même si c'est pour vivre dans un trou à rats. Je ne souhaite plus être séparée de toi. Plus rien ne me retient ici. Plus rien du tout. Je veux juste reprendre une nouvelle vie, loin d'ici, avec toi et mon bébé.
A nouveau, Cica se blottit contre sa mère, qui pose une main sur son ventre. Petite lueur d'espoir dans un tunnel sombre. Elles sourient.