Chapitre: 31
Write by MoïchaJones
Je sors de l’hôpital général de Douala, le moral dans les chaussettes. Mon père a fait une crise cardiaque et se trouve en ce moment même dans un coma artificiel. La malchance continue de me suivre, comme une mauvaise ombre qui s’accroche au peu de lumière qui reste dans une pièce. Qu’ai-je donc fait au Bon Dieu pour être autant une source de malheur pour ceux qui m’entoure.
Ma pauvre mère. Je n’arrive pas à la regarder dans les yeux après ce que j’ai fait. A cause de moi, son mari se retrouve entre la vie et la mort. Si je n’étais pas revenue me cacher dans les jupes de ma mère, rien de tout ça ne serait en train de se passer.
Je traverse la route en courant et saute dans le premier taxi qui passe. Une fois à la maison, c’est Imani qui saute dans mes bras. La séparation a été difficile hier. Entre l’urgence de conduire papa à l’hôpital et l’importance de l’assurance que je devais lui donner avant de l’abandonner au bon soin de Marie.
- Tu as bien dormie?
Elle secoue la tête en guise de réponse. Je l’entends de moins en moins, et ça me les brise encore plus chaque jour.
Je l’éloigne suffisamment pour porte mon regard dans le sien. Mon sourire amène une esquisse de joie sur son visage. Je l'emmène avec moi dans ma chambre et elle ne se résout pas à me suivre partout. Je me déshabille lentement et rentre dans la salle de bain attenante. Imani s'assoit à même le sol et observe tous mes gestes. Je n’essaie même pas de lui faire la conversation. Je suis épuisée. La nuit a été longue et stressante.
Quand on rejoint Marie dans le salon, je me sens mieux. Elle est assise devant la télé et se redresse quand elle m’entend approcher.
- Comment va le vieux?
- Les médecins l’ont endormi pour l’aider à mieux récupérer.
- J’espère que ça ira bien.
- Oui moi aussi
Oui. Moi aussi j’espère.
- Je vais retourner à l’hôpital cet après-midi, il y a quoi dans le congélateur? Je vais préparer un truc à maman. La pauvre, elle n’a rien avalé ce matin.
Marie se lève et va dans la cuisine. Je la suis, Imani dans mes jupes. On finit par trouver de la viande et des légumes bien de chez nous. Ça fait un bail que je n’ai pas cuisiné ça, mais je pense que ça ne s’oublie pas.
Rapidement je me mets aux fourneaux. Deux heures plus tard, je pose le panier plein devant la porte d’entrée. J’annonce aux filles que je vais y aller, et Imani commence à faire une crise. Je la prends dans mes bras pour la rassurer, mais ça ne marche pas.
- Ma chérie, je vais juste à l’hôpital voir ton grand-père. Il est malade tu sais…
- Non! Ne me laisse plus.
Elle passe ses bras à mon cou et je sens ses larmes se mêler à la fine couche de sueur que je sens recouvrir ma peau.
- Je ne te laisse pas mon bébé, mais les enfants ne sont pas autorisés à entrer là-bas.
- Ne pars donc pas.
- Je ne peux pas. C’est mon papa.
- Je veux mon papa moi aussi.
Contre toute attente sa phrase me frappe de plein fouet. Ca fait quelques jours qu’elle n’en parlait plus, je croyais qu’elle commençait à s’y faire. Faut croire que non. Le souvenir lointain d’Uhu plane toujours autour de nous.
- Imani… On a déjà discuté à propos de ça, ma chérie. Ton papa est loin, et il est très occupé en ce moment.
- Je veux qu’il vienne quand même.
Sa voix est plaintive et ses larmes me brisent le cœur.
Moi aussi je veux qu’il vienne, qu’il prenne tout en charge, je veux que tout soit comme avant. Mais ce n’est pas moi qui fais les règles. Il a voulu nous voir mort, avec la complicité de son frère. Mais ça n’a pas marché. Il n’y a pas de marche arrière possible.
Mais je ne peux décemment pas dire une chose aussi cru à ma fille. Non seulement elle n’y comprendrait rien, mais en plus, je ne vois pas comment la pauvre petite qui idolâtre presque son père, arriverait à croire qu’il a été capable de l’abandonner au sort que lui réservait son oncle.
Elle n’a jamais demandé où était Jason. Est-ce qu’elle se doute de quelque chose? Est-ce qu’elle l’a oublié? Je n’ai jamais eu de conversation avec elle non plus concernant ce qui s’est passé ces derniers mois. Je sais qu’il faut que je le fasse, mais nous n’avons pas eu le temps de parler calmement. Bon d’accord, je ne suis pas prête. Comment on fait pour avoir ce genre de conversation avec une fillette de 7 ans?
- On peut y aller ensemble, je resterai avec elle pendant que tu montes voir tonton. Et puis moi aussi je voudrai le voir.
Je me tourne lentement vers Marie. Elle me regarde la mine sérieuse et je la remercie intérieurement de se proposer.
- D’accord. Je dis sans hésitation. On va toutes y aller. Imani dit merci à Marie, elle t’a sauvé pour cette fois.
Bien évidemment elle ne dit rien.
Trente minutes et nous sommes dans un taxi, direction l’hôpital général. La chaleur étouffante nous assaille de tout côté. J’ai toujours détesté la saison sèche, avec ses vagues de chaleur qui nous font frôler la folie. A chaque fois je veux juste m’arracher la peau. Je boue de l’intérieur. Et comble de bonheur, le taxi n’est pas climatisé. Ca e fait juste regretter la période où la richesse des Kibaki me rendait la vie facile.
Je suis la première à visiter mon père. Aucun changement à l’heure actuelle. Couché sur son lit, on croirait qu’il est juste endormi. Rien que ça. Maman elle a pris un coup de vieux. Je réussis à la convaincre de manger un peu, mais elle n’avale que la moitié du plat que je lui ai servi. C’est déjà mieux que rien.
Quand c’est au tour de Marie de monter, je cherche mon téléphone, Imani dans mes bras. J’ai vite fait de trouver le numéro voulu dans mon répertoire. Ca ne sonne que deux fois avant que mon interlocuteur ne réponde d’une voix sérieuse.
- Allo?
Ca fait longtemps que je ne l’ai pas entendu, mais on dirait que c’était hier la dernière fois que nous nous sommes parlé.
- Murielle?
- Oui? C’est qui à l’appareil?
Elle commence à s’impatienter.
- C’est moi, Belinda.
Silence, puis je suis obligée d’éloigner le téléphone de mon oreille à cause du cri perçant qu’elle pousse.
- Non c’est pas vrai. Béli, mon Dieu. Dites-moi que c’est pas une blague de mauvais goût.
Je rigole doucement.
- Non c’est pas une blague ma chérie. C’est bien moi.
- Seigneur. D’où est-ce que tu m’appelles? Ta mère m’avait dit que…
Elle ne finit pas sa phrase et je sais très bien ce que maman lui a dit. Ce que tout le monde dans la famille croit en ce moment même. Que je suis probablement morte après avoir fui mon mariage. Fuit quoi? Je ne sais pas ce qu’il pense. Mes parents ont été vagues sur la question. Apparent Uhu ne leur a rien dit de bon. Encore heureux qu’il n’a pas inventé une histoire à dormir debout sur les raisons de ma fuite. Du genre qui me ferait passer pour une femme indigne. Une mère sans scrupule. quoi que tout le monde peut très bien se l’imaginer dans sa tête.
- Je sais, oui. Elle me l’a dit à moi aussi. Je dis pour détendre l’atmosphère.
- Tu es où? Je vois un numéro du pays. Tu es là?
Elle parle vite et ça me fait sourire. J’avais oublié sa logorrhée habituelle. A une époque ça me faisait chier qu’elle ne sache pas s’arrêter quand elle commence. Aujourd’hui je ne changerai ma place pour rien au monde.
- Je suis à Douala.
- Depuis quand? Non attends... Dit moi exactement où tu es, je te retrouve.
Une heure plus tard, on a du mal à se séparer l’une de l’autre. Ma meilleure amie m’a manqué.
- Oh mon Dieu, Belinda. Regarde-moi ce que tu es devenue. Je n’arrive pas à le croire. J’ai pleuré comme une folle quand maman Sylvie m’a annoncé ta disparition après que ton mari soit venu. J’ai prié pour que ce soit faux, mais les jours passaient et on avait toujours pas de nouvelles.
- Shut… Calme toi maintenant. ce n’est pas digne de ta tenue.
Elle éclate de rire malgré ses larmes, et moi je lui caresse lentement le visage. J’ai failli oublier à quel point elle a toujours été belle. De nous deux, elle était celle qui attirait le plus les regards. Avec sa peau mate, sa taille de guêpe et sa poitrine généreuse. Une vraie femme africaine. Pulpeuse juste ce qu’il faut.
- Toujours aussi folle à ce que je vois.
On s’embrasse encore une fois après un long soupire, avant qu’elle en se tourne vers Imani qui est accrochée à ma jambe.
- Toi tu dois être Imani. Viens m’embrasser ma chérie, je suis tata Mumu.
Imani me regarde, les yeux interrogateurs, et je lui fait un sourire rassurant. Mais elle ne bouge pas d’un poil. Murielle ne s’en offusque pas et tend la main vers elle.
- Au moins me serrer la main mon bébé. Je ne vais pas te manger tu sais?
- Allez Imani, soit gentille.
Je la prends dans mes bras et lui fait un bisou.
- Tu sais, Tata Murielle et moi on a grandi ensemble. C’est ma meilleure amie, elle est comme ma sœur.
Elle nous regarde l’une après l’autre, surprise, puis prend timidement la main toujours tendue devant elle.
- A la bonne heure.
Je fais un sourire joyeux à Murielle.
- Alors, qu’est-ce que vous faites ici?
On s’installe sur un petit muret, sans se soucier ni du soleil ni des regards.
- C’est papa, il a fait une crise cardiaque hier soir.
- Oh mon Dieu.
Si à chaque fois qu’elle disait ça on devait lui donner un sou, je crois qu’elle serait déjà millionnaire à l’heure qu’il est. Je souris et ne la quitte pas des yeux.
- Je crois qu’il s’en sortira. Les docteurs sont confiants en tout. Selon eux, on vite réagit et il a pu être pris en charge à temps.
Elle porte une main à sa poitrine, juste au-dessus de son cœur et pousse un soupir de soulagement. La nouvelle a fini de la calmer. On reste là, à profiter de la présence l’une de l’autre, jusqu’à ce que Marie nous rejoigne. Elle m’annonce que maman n’a pas voulu changer sa place. Je la laisse pour ce soir, mais demain il faudra bien qu’elle rentre se reposer.
- Ca dit à qui d’aller prendre une glace ?
La voie de Murielle me tire de ma rêverie. J’ai senti Imani sursauter dans mes bras à l’évocation de la glace. Elle me regarde avec des grands yeux, surement pour que j’accepte sans qu’elle n’ait besoin de dire quoi que ce soit. Heureusement Marie a été plus rapide que moi, car je n’aurai rien dit jusqu’à ce qu’elle se décide à parler. Murielle se dirige d’une main de maître dans la circulation. On passe un bon moment au glacier et le soir elle nous ramène à la tombée de la nuit. Les embouteillages ont fini de nous rendre folle. La climatisation en contre coup nous a aidé à bien supporter. Plus tard, à bonne distance de la maison, je remarque une voiture sombre dans l’allée. La silhouette devant le portail attire mon attention et mon cœur se mets à battre à tout rompre.
- Ne t’arrête pas Murielle.
La peur dans ma voix l’a alerté et elle tourne la tête vers moi.
- Qu’est-ce qui t’arrive ?
- Ne t’arrête pas. Je répète en m’appuyant de toutes mes forces au dossier de mon siège.
Je respire à peine. Mon cœur ne bat plus simplement. On dirait un tambourin, par une nuit de noce. Mes yeux ne le quittent pas. Qu’est-ce qu’il fait là ? Comment il a su ? Murielle a ralenti en passant devant lui, surement pour voir ce qui me mettait dans cet état. Ses yeux ont croisé les miens. Malgré l’obscurité naissante, il a su me repérer. Peut-être aux battements frénétiques de mon cœur. Est-ce de la stupéfaction dans ses yeux ? Ou est-ce de la satisfaction. Il a enfin pu me trouver.
La minute de surprise passée, je le vois faire un pas vers nous, la main tendu. Peut-être a-t-il dit mon nom ? Je rêve qu’il veuille dire mon nom, pour m’inciter à ne plus m’enfuir.
Arête de dire des inepties. Cet homme et son jumeau ont essayé de tuer. Ils ont voulus prendre ta vie et celle de ta fille, tu ne vas pas faire ton andouille et souhaiter que tout cela recommence.
Je dois m’insurger très fort dans ma tête pour dépasser cette faiblesse qui veut se saisir de moi. Je me retourne pour le voir courir vers sa voiture.
- Merde !
- Quoi ?
- Il nous suit. Accélère, il va nous rattraper.
La voiture fait une embarder et arrache un cri de surprise à Imani à l’arrière. J’essaie de la rassurer d’un regard, mais je ne peux m’empêcher de toujours lever les yeux vers la vitre arrière. Quelques phares commencent à s’allumer. Je n’arrive pas à distinguer les siens.
- Tu le vois ?
La voix de Murielle est inquiète.
- Non, je ne sais pas.
Elle tourne beaucoup, ne nous laissant jamais très longtemps dans la même ruelle. Merci Douala d’être une ville avec de nombreuses routes, ailleurs il aurait eu le temps de nous rattraper avant qu’on ne rencontre un embranchement utile. Au bout d’une éternité, je ne vois rien derrière nous. On se gare et Murielle arrête le moteur avant de poser la tête sur le volant. C’est seulement à ce moment-là que je me rends compte des larmes qui coulent sur mes joues. Le stress surement. Je n’arrive pas à m’arrêter de trembler. Mes mains, mes pieds. Tout mon corps danse. Heureusement que je suis assise, je doute que je puisse tenir debout.
Murielle éclate de rire. Je la regarde, surprise.
- Qu’est ce qui t’arrive.
- Mince, j’ai cru que j’étais dans un film d’action.
J’oublie ce qui vient de se passer et je souris. Rien que ça. Ouf.
- Je vous emmène chez moi.