Chapitre 32
Write by Auby88
Edric MARIANO
Je ne me suis jamais senti autant vide, autant nul qu'aujourd'hui.
Je m'étais promis de devenir meilleur, de ne plus me saouler, de ne plus fréquenter les prostituées. Mais ce soir, j'en ai besoin. Extrêmement besoin. Je prends mon roman fétiche et sors...
Elles sont là celles qu'on appelle prostituées ;
Elles sont là, le long de la route, dans l'un des quartiers où la débauche bat son plein dès la tombée de la nuit ;
Elles sont là, de tous âges, de toutes formes, dans ces vêtements minimalistes qui mettent leur corps à nu.
Elles sont là ces mères, filles, soeurs…; Elles sont là pour diverses raisons : de leur plein gré, contre leur gré, pour de l'argent ou juste pour le sexe…;
Elles sont là, à marchander leur corps , sans vergogne, parfois pour quelques miettes de francs CFA, acceptant les pires humiliations de mâles, comme moi, qui viennent auprès d'elles satisfaire leurs bas instincts ou éprouver leur virilité ;
Elles sont là aujourd'hui et seront encore là demain, malgré les repressions policières et les insécurités de tous ordres dont elles sont victimes...
Oui, je l'admets, ces femmes-là repugneraient tout esprit droit, tout humain sensé ;
Oui, je comprends qu'Eliad déteste autant les filles de joie parce qu'elles sont pour la plupart des femmes sans scrupules, sales, arrogantes, calculatrices, voleuses, droguées… bref qu'elles ont plein de vices.
Cependant, je n'ai aucun mal à les côtoyer. Parce je suis un peu comme elles : un marginal continuellement rejeté par son père et par celle qu'il porte dans son cœur… (Long soupir)
Ça suffit ! Il est temps que j'arrête de me morfondre. Il est temps que je choisisse celle qui me suivra ce soir.
Certaines me sifflent, s'agglutinent comme d'habitude autour de ma voiture, mais je ne m'arrête pas. Je continue ma quête.
Je finis par dénicher la pétasse parfaite, on aurait dit une réplique de la feue Carine. Elle porte un maquillage si lourd qu'on pourrait la confondre à un clown. Son haut est si transparent qu'il dévoile ses maigres nichons. Elle serait restée nue, que ce serait pareil.
Elle a de quoi repulser le commun des mortels, mais pas moi. C'est ce genre de catin qui me plaît. Elle est la personnification même de la décadence humaine. Et près d'une personne pareille, je me sens nettement supérieur. Oui, comparé à elle, je ne suis pas un raté.
- Mon poussin, je suis toute à toi et surtout je ne suis pas chère.
Rien qu'à voir ses yeux, je devine que c'est une accro au crack. Ce détail ne me dérange pas. On discute brièvement du tarif puis elle monte à bord.
- Mets ta ceinture ! lancé-je sans même regarder dans sa direction.
- Je n'aime pas...
- Soit tu la mets, soit tu descends. Les filles comme toi, il y en a une tonne dehors.
- Oh, pas la peine de te fâcher, mon chou !
Je ne dis mot.
- Tu as du feu ?
Je hoche juste la tête en lui indiquant l'allume-cigare. Puis à distance, j'ouvre la vitre de son côté pour aérer l'intérieur de la voiture. Du coin de l'œil, je la regarde tirer des bouffées de cigarette…
Je viens de me réveiller dans une chambre d'hôtel, avec un mal de crâne énorme. Près de moi, il y a cette inconnue de la veille qui dort encore. Je la secoue violemment.
- Tu te crois où toi ? Tu te prends pour une princesse, c'est ça ? Allez, lève-toi. Il fait déjà jour. Tu devrais être partie depuis !
- Mais j'ai sommeil, moi !
Elle se lève, frotte les yeux et s'étire bruyamment.
- Laisse-moi dormir encore un peu !
- Oh non, va cuver ailleurs !
- Ok. Laisse-moi au moins prendre une douche.
J'éclate de rire.
- Tu as 5 minutes pour déguerpir d'ici !
- On aura tout vu. Un écrivain raté comme cela qui se joue les durs ! Tchrouuu !
Sans qu'elle s'y attende, je la plaque violemment contre le mur et resserre mes doigts autour de son cou. Je suis fou de rage.
- Je ne te permets pas de me traiter de RATÉ. Tu t'es vue, toi ?
- Lâche-moi, tu me fais mal !
J'appuie plus fort et la fixe droit dans les yeux. Elle commence à suffoquer.
- Ici, celui qui domine, c'est moi et non toi. Tu as bien compris ?
- ….
Je lis de la peur dans ses yeux et cela me réjouit.
- Je vois que oui. C'est bien.
Je libère son cou et maintient ses poignets au mur. Elle est bien trop occupée à reprendre son souffle pour s'opposer à moi.
- A présent, répète après moi : " JE ME SUIS TROMPEE. TU N'ES PAS UN RATÉ.
- Je...me…suis...trompée... Tu…n'es…pas…un…raté…
J'attends qu'elle finisse enfin la précieuse phrase pour m'éloigner d'elle. Je l'entends respirer bruyamment !
- Tu as failli me tuer. Tu n'es qu'un malade !
- Fiche le camp d'ici avant que je m'énerve davantage !
Elle prend rapidement son sac et disparaît.
J'envoie balader au sol la lampe de nuit puis me laisse choir sur le lit. Je sais que j'ai mal agi, mais je ne pouvais permettre à cette junkie de me traiter de raté...
Je viens de rentrer chez moi. Je prends une bouteille de whisky et m'assois avec elle, à même le sol. Dorévanant, nous resterons collés, cimentés et serrés. Comme avant.
Il ne sert à rien de vouloir changer quand les autres ne remarquent même pas vos efforts. Ça fait tellement mal de se sentir incompris, de se sentir seul au monde...
Mon téléphone sonne. Une notification de mail, je suppose. Sûrement une énième maison d'édition qui refuse mes écrits. J'ai le moral trop bas pour essuyer un autre échec.
Une autre notification à nouveau. Poussé par la curiosité, j'ouvre ma boite électronique.
Je frotte encore et encore mes yeux pour m'assurer que ce je lis est réel. Je dépose la bouteille de whisky bien loin de moi. Mes doigts tremblent tandis que j'ouvre le message. Je suis invité à animer des ateliers d'écriture en Martinique. Il y aura des écrivains de renom.
Je n'arrive toujours pas à y croire. Je dois rêver. Ou peut-être que c'est juste un spam. Vite, il me faut m'en assurer. Je prends vite mon phone et compose le numéro à appeler pour confirmer sa présence….
Tout est bien vrai. Je m'empresse de donner mon accord puis raccroche, le sourire aux lèvres. Je me sens enfin revivre. En plus, ça tombe bien car j'avais grand besoin de changer d'air.
**************
Eliad MONTEIRO
C'est à Natitingou, dans le nord du Bénin, que je me suis retiré avec ma fille. Après le scandale du mariage raté, je n'ai pas attendu 24 heures avant de quitter la ville.
C'était le mieux à faire pour échapper au tumulte qui règne de l'autre côté.
Aujourd'hui, ça fait presque deux semaines que nous sommes ici. Actuellement, nous visitons la chute de Kota et son arboretum comportant plusieurs espèces d'arbres.
Milena, qui n'est point une habituée des visites touristiques, est visiblement fascinée par l'endroit. Je la porte sur mon dos pour entreprendre la longue randonnée pédestre qui mène vers les chutes.
Pas facile, mais le papa que je suis est prêt à tout pour que sa fille puisse admirer les chutes et entendre leurs bruissements. En plus, le spectacle à la fin mérite la montée.
Aujourd'hui, pas de baignade (Sourire). Nous pique-niquerons simplement en admirant le panorama...
Plus tard. Nous venons de rentrer à l'hôtel. Exténué, je suis. Milena se moque ouvertement de moi. Je lui fais plein de chatouillis. Elle rit à n'en plus finir. On s'amuse encore un peu puis je file à la douche. Milena est occupée à regarder des dessins animés.
A mon retour, je ne la vois pas au salon. Je panique aussitôt. Ouf. Je viens juste d'entrevoir sa silhouette sur le balcon.
- Milena, que fais-tu là toute seule ?
- Rien, papa.
- Milena, qu'est-ce qui ne va pas ? Pourquoi affiches-tu encore ce visage triste que tu traînes depuis des jours ?
- Je n'ai rien, papa !
- Tu n'es pas heureuse ici, avec moi ?
- Oui, mais…
- Mais quoi ? Allez, dis tout à papa.
- Tu risques encore de te fâcher.
- Non, je ne me fâcherai pas.
Elle se met à manipuler ses doigts.
- Eh bien… ce qu'il y a… c'est que…
- C'est que…, insisté-je.
Elle regarde ailleurs.
- C'est que… tata Nadia me manque beaucoup.
- Milena ! Je t'ai pourtant dit qu'elle ne pouvait plus vivre avec nous.
- Tu l'as dit, mais… je n'arrive pas à me passer d'elle !
Elle me supplie du regard. Je me lève, fais face à la rue et pousse un long soupir. Je suis déçu. Profondément déçu. Car malgré tous les efforts que je consens pour que ma fille et moi soyons heureux à deux, elle continue toujours de réclamer cette femme qui n'a pourtant aucun lien de sang avec elle.
Je reste là, face au vent quelques secondes avant de me retourner vers Milena.
- Tu veux vraiment que Tata Nadia revienne ?
- Oui, papa.
Je m'accroupis en face d'elle et prends ses mains.
- Je ne suis pas du genre à faire des promesses. Mais aujourd'hui je t'en fais une et je la tiendrai : Je ferai tout mon possible pour te ramener ta nounou.
- Vraiment ? s'enquiert-elle en me souriant largement.
- Oui, mon cœur. Que ne ferais-je pas pour toi !
- Merci papa.
Elle vient se coller contre moi. La voir si heureuse me réjouit l'âme.
Tard dans la nuit.
Ma fille dort. Moi pas. Je suis occupé à la contempler. A contempler cette partie de moi. A contempler ce beau cadeau que m'a donné Camila.
Je ne pensais pas qu'après tant d'années loin de cette petite, je serais aujourd'hui capable de l'aimer aussi fort, aussi grand au point de trahir la promesse que j'ai faite à Maëlly, au point de devoir retrouver PAGE !
Ce doit être ça la force du sang. Ce doit ça tout le mystère qui entoure l'amour d'un père pour sa fille et vice-versa.
J'espère juste qu'une nouvelle proximité avec PAGE ne me sera pas préjudiciable. Je l'espère vraiment.