Chapitre 34 : Près d'elle ; Loin de lui

Write by Auby88

"Dans un amour vrai que l'on rompt, il y a toujours un cœur que l'on brise.

Jean-Napoléon Vernier ; Fables, pensées et poésies (1865)"


"Le vrai pardon d'une femme ne commence qu'à l'oubli, et l'oubli ne vient chez elle qu'avec l'indifférence ; l'indifférence, suprême et implacable vengeance de la femme aimée et offensée.

Pierre-Jules Stahl ; L'esprit des femmes et les femmes d'esprit."



Le lendemain. A la maison du soleil.

- Cica !

Marc et elle se retournent.

- Satine ! murmure-t-elle.

Satine accourt vers elle. Richmond s'approche et toise l'homme près de Cica. A son tour, Marc lui lance un regard foudroyant.

Dans le visage de Satine, Cica passe ses mains.

- Tu n'as pas changé, Satine. Tu es toujours aussi belle !

Satine sourit. Soulagée.

- Tu ne peux savoir combien j'ai attendu ce moment. Tu m'as tellement manqué, Cica. Tes paroles de grande sœur, ton soutien, ta gentillesse.

Des larmes de joie coulent sur la joue de Satine. Cica les nettoie. Quant à elle, elle a les yeux humides.

- Je m'excuse de t'avoir menti quand tu étais à Lomé. J'avais peur que tu souffres et que tu me rejettes. Par la suite, les circonstances entre ton frère et moi ne m'ont pas permis de te contacter. Mais je t'ai toujours gardée ici dans mon cœur.

En parlant, elle pose une main sur sa poitrine.

- Sache que je n'ai jamais douté de toi, Cica ! Ni avant, ni maintenant, ni jamais. Parce que tu es ma soeur. Et une soeur, on la garde pour la vie. On ne s'en sépare jamais.

- Je partage ton avis, Satine.

- Comment va mon neveu ou ma nièce ?

Satine pose une main sur le ventre de Cica.

- Très bien.

Richmond toussote. Il essaie d'attirer l'attention des deux femmes qui semblent l'avoir oublié. Cica lève les yeux vers lui.

- Bonjour Richmond.

Elle s'adresse à Marc, un peu trop occupé à reluquer Richmond.

- Marc, tu voudras bien faire visiter les lieux à Satine. Je dois m'entretenir avec … le père de mon bébé.

- Tu es sûr que tu n'as pas besoin de mon aide ? demande Marc.

Richmond ricane.

- Parce que tu es son garde du corps ?

Marc veut riposter. Cica l'en empêche. Elle prie Richmond de la suivre.

Ils vont s'asseoir dans une pièce vide au rez-de-chaussée. Sur la table sise dans un coin, elle prend un cartable et vient s'asseoir sur le banc qu'il occupe.

- Tiens, Richmond. C'est mon dossier de santé. J'en ai fait une copie pour toi. Tu pourras y trouver tous les détails sur ma grossesse, l'accouchement, les échographies et d'autres informations utiles.

Il ouvre le classeur avec enthousiasme. Un sourire se maintient sur son visage de futur père, pendant que ses doigts fébriles tournent les pages.

- Un garçon qui naîtra dans deux mois par là !

- Oui, répond-t-elle.

- Je l'imagine déjà.

- Moi aussi ! J'ai hâte de le serrer dans mes bras…

A un moment donné, ils demeurent silencieux. Richmond hésite à lui demander une petite faveur, digne envie de futur papa. Elle devine son intention. Elle lui prend la main, ce qui le surprend, et la pose sur son ventre.

- Je le sens bouger, fait-il.

Cica hoche la tête.

- Je suppose qu'il dit coucou à son papa.

Richmond est enchanté.

- Coucou, mon petit bonhomme. C'est papa. J'ai bien hâte qu'on se rencontre. J'espère que tu ne déranges   pas trop ta maman.

Il se penche et dépose un bisou sur le ventre rond. Elle le laisse faire.

- Merci, Cica.

Elle lui dit oui, avec les yeux. Il poursuit la conversation.

- Est-ce que cela signifie que tu m'as pardonné et que nous nous remettrons ensemble ?

Elle se lève. Il fait de même. Elle plonge son regard dans le sien. Avec assurance dans la voix, elle lui répond :

- Ne te fais pas d'illusion, Richmond ! Je t'accepte en tant que père de mon bébé mais pas en tant qu'homme. Je ne t'aime plus, Richmond. Je n'ai aucun doute là-dessus. Tu vois, je suis capable de te le dire en te regardant droit dans les yeux.

Ses propos l'affectent.

- Marc, n'est-ce pas ? C'est lui que tu aimes à présent ?

- Ne me dis pas que tu es jaloux. Nous ne sommes plus ensemble.

- Peut-être mais tu portes encore mon enfant ! riposte-t-il en haussant le ton. Tu ne peux te permettre d'avoir une relation maintenant. Je ne peux vous imaginer en train de vous embrasser ou plus.

- Tu n'es qu'un idiot, Richmond ! Cela prouve que tu ne me connais toujours pas. Je ne t'ai jamais dit que je sortais avec lui. Je ne suis ni en manque d'homme, ni en manque d'amour. Alors, arrête de jouer au papa surprotecteur, à l'amoureux frustré parce qu'éconduit. Ne me fais pas changer d'avis sur ta capacité à être père. Nous en avons fini pour aujourd'hui. Bonne journée.  

Il la retient.

- Je m'excuse, Cica. J'ai merdé. Oublie tout ce que je viens de dire. Je ne le pensais pas sérieusement.

Elle enlève sa main de la sienne.

- En fait, je voudrais que tu viennes habiter avec Satine et moi, pour que je puisse être près de lui, avant, pendant et après sa naissance.

- Je ne pense pas que ce soit une bonne idée.

- Pourquoi ?

- J'ai ma vie ici et tu n'arrives pas à accepter que je ne veux plus être avec toi.

- Certes, je ne renoncerai jamais à toi mais je suis capable de m'en tenir à ce que tu veux. J'ai vraiment besoin d'être près de mon fils.

Elle hésite.

- Je t'en supplie, Cica. La maison est assez grande.

- J'accepte, mais je te préviens. A la moindre tentative déplacée, je m'en vais. Garde à l'esprit que toi et moi, c'est bel et bien fini.  

Il soupire.

- Quand est-ce que je viens te chercher ? s'enquiert-il.

- Dans une semaine. Donne-moi le temps d'en parler à ma mère et de régler certains détails ici.

- D'accord.

- A présent, je dois te laisser. J'ai des obligations qui m'attendent.

- Je viens avec toi, chercher Satine. J'ai été ravi de pouvoir discuter avec toi.

Elle hoche la tête. Ils quittent la salle. Pendant qu'ils marchent, il la regarde. Belle et mature. Il sourit.

Satine est dehors, occupée à jouer avec des enfants, au dos de leurs jeunes mères.

- Je vois que tu ne t'es pas ennuyée ! dit Cica.

- Pas du tout. En haut, j'ai assisté les tatas pour la toilette des bébés et j'ai adoré la manière dont elles leur massaient le corps. Ce projet est vraiment génial. Je n'en avais jamais entendu parler.

- Quand j'ai quitté Abomey-calavi, je me suis retrouvée dans l'un de leurs foyers à Parakou et ensuite je suis venue ici. Ils sont formidables et j'adore les aider.

- C'est franchement passionnant, Cica. Les enfants sont surveillés pendant que les mères vont se faire former à la maison de l'espérance à côté.

- C'est exact ! reconnaît Cica.

Ils avancent vers le portail. Satine continue :

- Je pense y accorder du temps dès que possible.

- C'est une bonne idée ! approuve Cica.

- D'autant plus que Cica viendra habiter avec nous. Tu seras une bonne remplaçante.

- Vraiment ! s'émerveille Satine. Vous vous êtes remis ensemble ?

- Non, pas du tout, Satine ! réplique aussitôt Cica. C'est juste pour donner la possibilité à Richmond d'être près du bébé.

- C'est déjà un bon début. Je suis très ravie.

Marc apparaît.

- Cica, je ne voudrais pas vous déranger mais nos obligations nous attendent.

Elle prend congé de ses visiteurs et le suit.

- Je ne supporte pas ce type ! avoue Richmond.

- Il te le faudra pourtant. Il travaille ici. C'est juste un ami de Cica. Tu n'as pas à être jaloux.

- Tu aurais dû voir la manière dont il la regarde, l'attention qu'il lui porte. C'est à moi de jouer ce rôle et non lui. J'ai bien hâte de la ramener à la maison.

- Cela ne l'empêchera de venir la voir.

Sois patient, Richmond. Je suis fatiguée de t'entendre te plaindre tout le temps et de vouloir que les choses entre vous s'arrangent d'un coup de baguette magique ou de clic de doigt. Elle a accepté que tu fasses partie de la vie du bébé, elle a accepté de venir habiter près de toi, ce que peu de femmes dans son cas auraient fait. Alors plutôt que d'être aussi ingrat et égoïste, tu devrais remercier le ciel pour cette grâce. On se retrouve dans la voiture.

- Satine !

Elle s'en va. Il la suit.

- Je ne suis qu'un idiot !

Elle ne répond pas.

- Au fait, nous allons avoir un garçon.

Les yeux de Satine s'illuminent.

- Un garçon ! (Il hoche la tête ). C'est fabuleux​ !

- Nous pouvons donc commencer à aménager la chambre du bébé.

- Avec plaisir, je m'y mettrai. J'ai déjà plein d'idées dans la tête. Et je pense déjà à la baby shower.

- Nous ne sommes pas en Europe ici où on se permet de faire une fête pour révéler le sexe du bébé et recevoir les cadeaux. Tu sais bien qu'ici les femmes enceintes préfèrent vivre cachées pour ne pas attirer le mauvais oeil sur elle. Il est même interdit de les prendre en photo, quoique je trouve cela superstitieux. De toute façon,je doute que Cica veuille se prêter à ce jeu, d'autant plus qu'elle se considère comme mère célibataire.

- Okkkk.

Il démarre.


Une semaine plus tard.

Aux côtés de Richmond, Cica avance à petits pas vers le salon. Satine s'empresse de venir à leur rencontre. Cica regarde autour d'elle.

- Viens t'asseoir, fait Satine en pointant du doigt le canapé.

Ensuite, elle lui apporte de l'eau et prend place près d'elle.

Charles monte sa valise en haut.

- Bienvenue chez toi !

- Merci Satine. Mais cet endroit est celui de ton frère, pas le mien.

- Peut-être, mais tu t'y plairas à nouveau. Richmond et moi veillerons à ce que ce soit toujours le cas. Viens que je te montre l'endroit le plus magique de la maison. Elle se lève.


Ils sont tous trois dans la pièce. Les murs sont décorés par des papiers peints sur lesquels on distingue des animaux gais, au milieu de la savane africaine. Une commode en bois, couleur de la mer siège dans un coin.

Au milieu, sur une moquette immaculée, se trouve un lit de bébé à barreaux en bois, surmonté d'un ciel de lit blanc orné par endroits de carrés de tissu wax aux motifs majoritairement bleus. A l'intérieur, se trouvent les ensembles en pagne confectionnés par Satine. Contre l'un des côtés extérieurs du lit, est suspendu un hamac en wax, contenant des peluches.

En observant la salle, son regard croise celui d'un être inanimé posé sur la commode. Une sensation étrange parcourt son corps. Elle détourne son regard.

- On s'y est mis tous les deux avec d'autres aides externes.

Cica regarde en direction  de Richmond.

- Merci à vous deux ! C'est un endroit magique. Jamais je n'aurais imaginé une aussi belle chambre pour lui.

- En attendant qu'on installe le mobile bébé, la chaise à bascule, plein d'autres accessoires utiles et que mon neveu soit là, tu dormiras dans ma chambre.

Satine garde le bras de Cica.

- Ainsi, je pourrai être à tes petits soins, te dorloter, te masser les pieds … à moins que tu préfères laisser ce soin au père.

Satine fait un clin d'œil à Richmond et continue :

- Je ne serai qu'enchantée de le laisser jouer son rôle.

- Je n'ai aucune objection à rester avec toi, Satine. Ce n'est pas la peine de forcer mes sentiments. Je te le redis. Il n'y a plus rien entre ton frère et moi.

- Bah ! Bouche cousue ! fait Satine.

- Mais cela ne m'empêche pas de m'occuper de toi ! renchérit Richmond. C'est mon rôle de père.

- Je suis plutôt fatiguée. Allons dans ta chambre, Satine.

En quittant la pièce, Satine regarde en arrière et hausse les épaules en direction de son frère. Il est froissé.


Un peu plus tard, Cica sort de la chambre de Satine, qui est en bas dans la cuisine. A nouveau, elle pénètre dans la chambre du bébé. Vers la commode, elle se dirige. Elle tend une main tremblante vers l'objet qu'elle fuyait tout à l'heure, hésite d'abord à le toucher puis finit par le saisir.

"Nous ne serons plus deux, mais trois." murmure-t-elle.

Tout contre elle, elle serre la peluche. Celle qu'elle avait achetée pour Richmond, pour lui annoncer qu'il sera père. Contre toute attente, une larme têtue, pire traîtresse, parvient à sortir de ses yeux pourtant secs. Elle l'attrappe au passage, la balaie du revers de sa main et renifle pour emprisonner quelque autre larme qui oserait s'aventurer sur sa joue. Elle sort précipitamment de là, de ce lieu qui, en un court instant, l'a ramenée à un passé qu'elle essaie d'oublier, à une douleur qu'elle croyait bien enfouie, à une Cica trop émotive. Elle secoue la tête. Elle ne veut pas fléchir. Elle ne veut pas se sentir ou se montrer vulnérable. Elle ne veut pas douter, pas une seule seconde. Car douter, signifierait qu'elle pourrait s'attendrir face à Richmond.

"Jamais ! Jamais !" se dit-elle en boucle.

Elle descend les marches.

Richmond est en bas. Il la remarque, s'approche, veut l'aider. Mais elle refuse la main qu'il lui tend.

- Je sais me débrouiller toute seule !

- Je veux juste t'aider.

- Non ! crie-t-elle.

Contrariée, elle avance un pied sur la prochaine marche sans faire attention. Elle est sur le point de tomber. Il la rattrape, la tient par la taille. Ses yeux croisent les siens. Elle détourne son regard et essaie de se dégager de lui sans prendre le temps de le remercier.

- C'est bon. Tu peux me lâcher !

Il s'exécute.

Elle descend plus lentement cette fois-ci et se rend à la cuisine.

- Tu as fini de te reposer ? interroge Satine qui lui fait dos.

- Oui. Qu'est-ce que tu fais ?

Satine se retourne.

- Je bois du café au lait !

Cica soupire.

- Je reviens. J'ai besoin de prendre l'air.

- Il ne fait pourtant pas chaud ici ! réplique Satine.

- Ce doit être dû aux hormones !

Elle sort. Satine demeure perplexe. Devant Richmond, debout sur le perron de la terrasse, elle passe. Elle va s'asseoir sur l'une des chaises.

Richmond tire une autre chaise et s'assoit près d'elle.

- Quelque chose te tracasse l'esprit ?

- Non. J'ai juste besoin d'être seule.

- Pour …

- J'ai juste besoin d'être seule ! crie-t-elle. Qu'est ce que tu ne comprends pas dans cette phrase, Richmond ? Pourquoi as-tu constamment besoin d'être près de moi ? Je suis une grande fille et nous ne sommes pas un couple.

Ses propos le blessent profondément.

- Nous ne sommes plus en couple certes, mais tu portes une partie de moi. Je me dois donc de t'assister, de te protéger, t'écouter …

Elle le foudroie du regard.

- Laisse-moi seule. Je t'ai assez vu !

 Il est vexé. Il rentre à l'intérieur. Elle demeure pensive. Elle regrette avoir accepté de demeurer près de lui. Si elle a accepté sa proposition, c'est pas seulement parce qu'elle voulait qu'il soit près de son enfant, mais parce qu'elle était sûre de rester insensible à toute chose, à tout objet, tout endroit de cette maison qui pourrait lui rappeler les instants passés. Elle s'en veut terriblement de s'être trompée …


Dans la soirée, Marc, sa mère et le vieux viennent lui rendre visite. Satine est dans la chambre du bébé.

Richmond les salue puis préfère se mettre à l'écart, dans la cuisine. Par moment, il se met sur le seuil et les épie. Marc est tout près de Cica, ce qui l'irrite davantage. Certes, elle lui assuré qu'il n'y avait rien entre eux, mais il trouve que Cica ne délimite pas convenablement les frontières de leur amitié. Jaloux, il est. Terriblement.

Satine les rejoint au salon. Elle souhaite discuter avec Marc, quant à son désir de faire du bénévolat à la maison du Soleil ou celle de l'Espérance. Il est ravi. Avec joie, il lui donne tous les détails dont elle a besoin.

Pendant ce moment, Cica discute avec sa mère et son pseudo-père.

- Quand j'ai appris que tu étais ici, cela m'a vraiment attristé, commence le vieux. Mais ta mère m'a assuré que vous ne vous êtes pas remis ensemble.

- Entre lui et moi, tout est bien fini. Je n'ai pas l'intention de me remettre avec lui. C'est juste que j'ai décidé d'offrir tout ce qu'il y a de meilleur à mon enfant, ce qui inclut un père qui lui parle, qui le protège, qui lui donne de l'amour et qui est là pour lui.

- Tout cela est bien beau, Cica, réplique le vieux, mais la proximité peut faire renaître la plus miniscule flamme d'amour.

- Je suis sûre de ce que je dis, réplique-t-elle.

- Et après la naissance, vous continuerez à vivre ainsi sous le même toit, en ayant des vies séparées ?

- Je ne sais pas trop. Je n'y pense pas vraiment pour le moment.

- Michel, intervient Anne. Nous n'avons pas à nous précipiter par rapport au futur. Seul le présent compte. Et puis, ils sont assez grands pour prendre des décisions responsables. On ne pourra pas toujours s'immiscer dans leur vie.

- Je sais bien, Anne, mais j'ai toujours considéré Cica comme ma fille, et par moment, je suis trop protecteur et j'oublie qu'elle est grande.

- Ce n'est pas bien grave, reprend Cica. Je te comprends.

Satine et Marc rejoignent les autres. Richmond se rapproche.

- Tu peux être fière et rassurée, Cica ! Ta relève est assurée par la charmante demoiselle ici présente.

Il lui sourit.

- Ma soeur n'est plus un coeur à prendre ! lance Richmond.

- Mon frère … , réplique Marc.

- Je ne suis pas ton frère.

- C'était juste un compliment désintéressé envers ta soeur.

Le vieux toussote.

- Je suppose que c'est autant désintéressé que tes attentions envers la mère de mon enfant.

Marc ricane.

- Que les esprits se calment !  Richmond, tu te comportes comme un adolescent !

- Le vieux, je ne supporte pas cet intrus.

- Cela suffit ! ordonne Anne. Ma fille a besoin de calme. Si cela continue ainsi, je serai obligée de l'emmener avec moi !

Richmond rumine et monte en haut.


Durant les semaines qui suivent — et qui les rapprochent, chaque jour un peu plus, de l'arrivée du bébé —, Cica se refuse de plus en plus aux attentions de Richmond. Il est près d'elle. Elle est loin de lui. Et ce Marc qui vient souvent à la maison n'arrange pas les choses. A bout de nerfs, les deux hommes finissent par en arriver aux mains.


- Je t'interdis de remettre les pieds chez moi ! vocifère Richmond, dès qu'il aperçoit à nouveau Marc près de Cica, dans son salon.

L'autre se lève promptement et s'approche de lui. Cica est offusquée par l'attitude de Richmond.

- Tu n'es qu'un idiot, Richmond ! lance Marc.

- Avoue qu'elle te plaît !

- Oui, j'ai des sentiments pour elle. Et elle le sait. Mais tu l'as tellement détruite qu'elle n'est pas prête à aimer à nouveau. De plus, tu t'es bien chargé de la marquer, avec un enfant, pour qu'elle se rappelle de toi toute sa vie.

Richmond donne un coup de poing à l'autre qui riposte, l'envoie à terre et se jette sur lui. Une bagarre s'en suit entre les deux hommes.

- Ça suffit, vous deux ! hurle Cica. Vous voulez vous entretuer ? Alors faites-le !

Ils ne l'écoutent pas. Satine, alertée par les cris de Cica, s'amène en bas. Cica les laisse avec Satine et monte se réfugier dans sa chambre.

Satine demande du renfort. On parvient à les séparer. Marc s'en va...


- Tu n'aurais pas dû t'emporter ainsi, Richmond ! lui rappelle Satine en soignant ses blessures. Je ne te reconnais plus, Richmond. Tu es devenu violent et bagarreur.

- Tu devrais avoir honte, Richmond ! renchérit Cica qui est redescendue.

- Honte pourquoi ? Parce que j'ai remis ce type à sa place ?

- Je t'ai dit qu'il n'était qu'un ami !

- Un ami qui se pavane chez moi comme bon lui semble ! C'est plutôt toi qui devrais avoir honte, Cica !

- Je ne me reproche rien du tout, Richmond ! Nous ne sommes pas ensemble, je te le rappelle.

- Peut-être pas, mais tant que tu vis sous mon toit, tant que tu portes mon enfant, tu te dois de me respecter ! Ce n'est parce que je suis fautif envers toi, que je n'ai aucune dignité, aucune autorité. J'ai supporté ton indifférence, tes mots acerbes mais là cela me suffit. C'en est trop, Cica !

- Si cela te gêne si tant, je peux m'en aller !

- Vous devriez vous calmer tous les deux ! hurle Satine.

- Allez, oui, va-t'en ! Va-t'en près de lui ! reprend Richmond !

- Tu n'es qu'un égoïste, Richmond ! s'offusque Cica. Tout tourne toujours autour de toi ! Eh oui, je m'en vais d'ici avec grand plaisir. Adieu.

Il regrette ses mots.

- Cica, je ne pensais pas ce que j'ai dit. Ne pars pas. Attends !

Il essaie de la retenir. Satine l'en dissuade. Cica monte en haut.

- Il vaut mieux que tu la laisses tranquille, Richmond ! Tu l'as assez pertubée. Je vais lui parler et essayer de la calmer. Je te rappelle qu'elle est enceinte et presque à terme...

Elle le laisse seul au salon. Il s'affale contre l'un des murs et baisse la tête.


Dans la chambre de Satine.

Cica pleure à chaudes larmes. Devant le grand miroir, elle se met et caresse son gros ventre durant quelques secondes. A son bébé, elle murmure des mots.

- Je ne voulais pas te séparer de ton père mais il faut qu'on parte d'ici, mon coeur ! Je t'assure que tu ne manqueras jamais d'amour !

Ensuite, elle prend une valise et se met à y rassembler des vêtements. Satine la rejoint.

- Qu'est-ce que tu fais, Cica ?

- Tu as bien entendu ton frère. Il veut que je m'en aille et je n'en attendais pas mieux. Je ne supporte plus de vivre ici.

- Il l'a dit, sans le penser. Tu devrais te calmer. Rappelle-toi, tu es enceinte.

Cica s'arrête et se laisse choir sur le lit. Près d'elle, Satine vient s'asseoir.

- Dis-moi pourquoi il m'agresse, m'attaque ainsi, pourquoi il ne me laisse pas vivre tranquillement, pourquoi il me harcèle continuellement pour que je me remette avec lui, pourquoi il me considère comme sa propriété ?

- Pourquoi, tu dis ? Tu le sais très bien Cica. C'est parce qu'il tient beaucoup à toi, qu'il t'aime encore, qu'il t'a toujours aimée.

Cica secoue la tête.

- Non, Satine ! Comment peut-on dire qu'on aime quelqu'un et ne pas hésiter à lui faire du mal ? Ton frère ne m'aime pas et ne m'a jamais aimée, du moins pas vraiment. Il ne sait pas aimer. Il n'aime personne, à part lui-même.

- Et toi, est-ce que tu l'aimes encore ?

- Comment veux-tu que je ressente encore de l'amour, pour quelqu'un qui a bafoué les sentiments purs que j'avais pour lui, qui n'a pas tenu les promesses qu'il m'avait faites et qui m'a chassée de sa vie comme une ordure ? Comment veux-tu que j'aime encore Richmond ? Plus jamais, je ne pourrai à nouveau lui faire confiance. Il m'a profondément blessée, Satine ! J'ai cru que j'avais dépassé tout cela, mais à présent, je me rends compte que non.

Satine regarde son amie avec les yeux pleins de larmes.

- Si tu étais à ma place, Satine, pourrais-tu aimer un tel homme à nouveau ?

- Je ne sais pas, mais c'est sûr que ce sera difficile. J'aurais voulu t'épargner tout cela ! Je me sens coupable en partie, car c'est mon frère qui t'a fait souffrir. Je t'aime beaucoup, tu sais !

Cica prend la main de Satine.

- Satine ! Tu n'y es pour rien. Je sais combien tu m'aimes, moi de même, et je te remercie d'être toujours là pour moi. ( Elle inspire ). Mais, il est préférable que je m'en aille. Je ne supporte plus Richmond.

- Partir ? Tu comptes à nouveau t'éloigner de moi ?

- Satine ! Comprends-moi.

- Ne pars pas, s'il te plaît. Au moins, fais-le pour moi. Je t'en supplie.

- Je ne …

- Je te promets de lui parler.

Cica soupire longuement.

- D'accord.

Sur le visage de Satine, apparaît un large sourire de bonheur. Elle se font un gros câlin.

- A présent, il faut que toi et mon petit neveu prenez du repos.

En parlant, elle caresse le ventre de Cica qui se surprend à sourire.

- Merci, Satine.

Sans dire mot, Satine lui dépose un bisou sur la joue, puis l'aide à s'étendre sur le lit.


Quelques minutes plus tard dans le salon, elle est avec Richmond, occupée à discuter.

- Comment va-t-elle ? s'enquiert-il.

- Elle est plus détendue. Elle s'est endormie. Elle était sur le point de s'en aller, mais je l'en ai dissuadée. Mais j'espère qu'à l'avenir, tu n'agiras plus avec colère.

- Je suis ainsi Satine. C'est plus fort que moi ! Et puis, je ne supporte plus de l'avoir si près de moi et en même temps si loin. Elle dort à quelques centimètres de ma chambre, je la croise chaque jour. Si tu étais un homme, tu comprendrais tout ce par quoi je passe. Tu ne peux savoir à quel point je me fais violence pour ne pas lui voler un baiser, combien j'ai envie de la serrer dans mes bras, de me réveiller à ses côtés le matin après une nuit d'amour.

- Je ne suis peut-être pas un homme, mais je te comprends. Toutefois, il te faudra apprendre à contrôler ta colère, à ne plus être autant impulsif. Si tu l'avais fait auparavant, si tu n'avais pas chassé Cica de ta vie sous l'effet de la colère, vous seriez encore ensemble et tu aurais le privilège de partager toutes les joies de la grossesse avec elle.

-  Je ferai l'effort de changer. Je te le promets. S'il te plaît, Satine, parle-lui. Dis-lui combien je l'aime. Je souffre énormément.

- Je suis désolée, grand frère, mais cette fois-ci, je dis NON. Je ne veux plus jouer la médiatrice entre vous. Je ne veux pas perdre son amitié une fois encore. Elle ne veut pas se remettre avec toi et c'est son droit, son choix. Tu dois t'en tenir, être patient et moins égoïste. Parce qu'à chaque fois que tu parles, on n'entend que le pronom "Je".  Et là, ça me saoule.

- Satine, je …

- Shakespeare a dit qu'un coeur accablé ne tolère pas une langue obséquieuse. En d'autres termes, tes témoignages d'affection, de respect à l'excès, ta complaisance, tes attentions envers elle ne feront que l'agacer pour le moment. Médite là-dessus.

Elle le laisse seul. Il serre les dents.












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