Chapitre 38
Write by Auby88
Aurore AMOUSSOU
- Papa est là ! Papa est là. Il t'appelle. Viens !
- Il m'appelle ! m'étonne-je.
Arabella insiste tant que je dépose mon couteau et enlève mon tablier. Les pommes de terre à éplucher peuvent attendre.
Son père est bien là, assis dans un des canapés du salon. Dès qu'il nous aperçoit, il se lève.
- Enfin, je te vois ! commence-t-il.
C'est bien vrai que notre dernière rencontre remonte à la fois où il est venu à l'atelier. D'ailleurs, ce sont mes occupations à l'atelier qui me prennent tout mon temps ces jours-ci. Aujourd'hui si je suis à la maison, c'est parce que j'ai décidé de passer du temps avec Arabella.
- Bonjour, Femi ! réponds-je en souriant.
- Bonjour, Femi, répète Arabella.
Femi sourit. Moi, je la corrige.
- Pour toi, ce sera toujours PAPA. C'est compris ?
- Oui, maman ! réplique-t-elle sans trop prêter attention à moi. Vers son père, elle lève les mains. Il la soulève de terre et la garde dans ses bras.
- Arabella m'a dit que tu cuisinais. J'avoue que j'ai été agréablement surpris de l'entendre.
- Eh bien.. disons que j'ai fini par suivre tes pas.
- C'est génial ! Je me rappelle encore tes débuts.
- Ne m'en parle surtout pas ! fais-je en cachant mes yeux. J'ai honte rien qu'en pensant aux oignons.
Il pouffe de rire.
- Il suffisait que tu les mettes sur la planche pour qu'ils s'enfuient, tellement ils craignaient tes maladroits coups de couteau !
Femi est toujours aussi plaisantin ! Je ris à mon tour. Arabella en fait pareil, même si je parie qu'elle n'y comprend rien.
- Je vois que tu es devenue un vrai cordon bleu aujourd'hui, au point où la farine ne veut plus quitter ta joue !
- Oups ! m'exclame-je en tentant de nettoyer ma joue.
- Attends, je t'aide.
Je sens son doigt sur ma joue. Tout en moi frémit.
- C'est bon. En fait, si je suis venu ainsi, à l'improviste, c'est pour vous amener toutes les deux manger des glaces.
- Toutes les deux ? m'enquiers-je.
- Oui, Arabella et toi.
- Tu n'es pas obligé, tu sais. Vous pouvez y aller tous les deux.
- Je tiens à ce que tu nous accompagnes.
- C'est gentil, mais je ne peux pas vous suivre. Je dois finir de cuisiner.
- Qu'est-ce que tu concoctes ?
- Un gratin de pommes de terre et un gâteau au Nutella. C'est ce qu'Arabella aime le plus.
- Intéressant ! Je peux t'aider si tu veux.
- Non, surtout pas. Tu risques de salir ta jolie chemise.
- Merci pour le compliment, réplique-t-il en esquissant un sourire. Trouve-moi quand même un tablier.
- Femi, tu ne …
- Tu ne me feras pas changer d'avis.
- Eh bien… j'accepte ta proposition.
Dans la cuisine, Femi s'affaire comme à son habitude. Il tient à tout faire. Alors je ne me fais pas prier. Ce n'est pas tous les jours que j'ai droit à cela. (Sourire)
Plus tard.
Nous revenons d'un salon de glaces, nouvellement installé à Abomey-Calavi. Femi a insisté pour me porter de la maison à sa voiture, de la voiture à la devanture du salon de glaces et vice-versa. J'ai adoré me retrouver dans ses bras, même si ça n'a duré que quelques secondes.
- Terminus, vous descendez ici ! dit Femi en se garant dans le parking de ma maison.
- Merci pour cette petite virée.
- Tu n'as pas à me remercier. Ce fut un réel plaisir.
Il se tourne vers Arabella et la prend dans ses bras.
- Papa, tu t'en vas déjà ?
- Oui, ma jolie princesse. Nous nous reverrons très bientôt. En attendant notre prochaine rencontre, je déposerai sur tes petites joues plein de bisous.
Il joint l'acte à la parole. C'est si beau de les voir ainsi.
- Et maman, tu ne lui donnes pas de bisous ?
Je suis horriblement gênée par la requête d'Arabella. J'interviens aussitôt.
- Sache Arabella que tous les bisous de Papa sont uniquement pour toi.
- Mais maman …
- Qui a dit ça ?
C'est Femi qui me parle.
- N'oublie pas que quand il y en a pour un, il y en a pour deux.
Il fait descendre Arabella et sur mes joues, il vient déposer deux tendres bises. Je sens son souffle chaud. Arabella applaudit. Elle semble tellement heureuse. Moi aussi.
- Alors, vous n'êtes plus fâchés ? demande Arabella.
- Fâchés ! rétorque son père. Pourquoi tu dis cela ?
- Parce que tu ne souris pas et tu ne ris pas avec ma maman.
- Pourtant, je lui ai souri tout à l'heure ! Et puis, nous rions aussi. C'est toi qui n'y fais pas attention !
- Mais papa...
Il n'y a pas plus entêtée qu'Arabella.
- Les enfants se doivent de croire leurs parents. C'est compris ?
- Oui, papa.
La mine qu'elle fait m'arrache un léger sourire.
- Allez, offre-moi ton plus beau sourire.
- D'accord papa.
Elle s'exécute. Il la reprend de terre. Sur sa joue, elle y dépose un bisou.
- Je t'aime papa.
Moi aussi, je t'aime Femi ! murmure-je au dedans de moi.
- Je t'aime aussi ma princesse.
Son mobile sonne. Il le retire de sa poche et décroche l'appel.
- Allo Paula... Je suis allé rendre visite à ma fille... Je passerai chez toi en rentrant....A tout.
Désillusionnée, je suis.
" A quoi d'autre t'attendais-tu Aurore ? Il est en couple, tu l'as oublié ou quoi ! Femi n'est plus pour toi. Cesse de penser à lui ! S'il est aussi gentil avec toi, c'est certainement pour faire plaisir à Arabella. Rien de plus. " me repète-je.
Il remet le téléphone en poche.
- Je dois m'en aller. Portez-vous bien.
- Toi aussi.
Il monte dans sa voiture. Je le regarde s'en aller en soupirant. Au moins, nous nous entendons mieux ! C'est l'essentiel.
Une fois toutes deux.
- Maman, veux-tu jouer avec moi ?
- Eh bien, Arabella, je …
- Dis Oui. S'il te plaît.
Je n'ai pas d'autre choix que d'accepter, sinon elle me déversera une mare de larmes. (Sourire)
* *
*
Une demi-heure plus tard.
Je bois du thé avec ma fille. Ou plutôt du thé imaginaire servi dans des dinettes. Que ne faut-il pas faire pour rendre un enfant heureux ?
Je repense à Femi. C'est vrai qu'il m'avait promis d'être plus courtois avec moi, mais aujourd'hui il était extrêmement gentil. Je me remémore ses bises en touchant mes joues. C'était si agréable.
Je me demande ce qui a bien pu autant le changer. Tout à l'heure, j'ai eu l'impression d'avoir en face de moi l'ancien Femi, celui dont je suis tombée amoureuse.
Ne trouvant pas de réponse plausible à mon interrogation, j'abandonne mes réflexions.
- Maman, je peux montrer mon album photo à papa ?
Ce n'est pas la première fois qu'elle fait cette doléance. J'avais pour habitude de lui dire Non. J'avais peur que Femi soit davantage contrarié en voyant ces photos qui lui rappelleraient le temps passé loin de sa fille. Et ce par ma faute. Mais aujourd'hui, je change d'avis.
- Oui, ma chérie. Tu le lui montreras la prochaine fois qu'il viendra.
- Super ! s'extasie-t-elle.
Je me rapproche de l'étagère qui contient l'album photo. Surprise ! Il n'y est pas.
- Dis ma puce, tu as pris ton album ?
Elle secoue vivement la tête.
C'est bizarre. Un album ne peut pas disparaître ainsi. Quelqu'un doit l'avoir pris ou juste déplacé. Peut-être que mémé l'a fait. Je dois en avoir le coeur net.
- Ma puce, je reviens tout de suite.
- D'accord, maman. Ne tarde pas trop.
Je hoche la tête et sors de la chambre pour me diriger vers celle de maman. Elle est ouverte. J'entre et je la vois. Elle est encore occupée à faire des rangements. D'ailleurs, elle en fait presque tous les jours quand elle s'ennuie. Heureusement qu'Arabella est là pour changer ses journées !
- Maman ! Tu ne te reposes donc jamais ?
- Eh bien, tu sais …
Avant qu'elle ne commence ses longues explications que je connais par cœur, je lui livre la raison de ma venue.
- Dis maman, tu n'aurais pas pris, vu ou déplacé l'album photo d'Arabella ?
- Zut ! s'exclame-t-elle. Où avais-je la tête ? J'ai oublié de te dire que Femi l'a pris.
- Femi ! m'étonne-je.
- Oui, Femi, le père d'Arabella ! Il y a deux jours, il était là. Toi tu étais absente et Arabella dormait encore dans sa chambre. Je lui ai proposé de monter la voir. Quand il est redescendu, il avait l'album en main. Il désirait l'emporter et le ramener plus tard. Je n'ai pas refusé car c'est son droit absolu. J'espère que cela ne te dérange pas.
- Non, au contraire, fais-je la tête encore dans les nuages.
- Un souci ?
- Non, maman ! dis-je en affichant un grand sourire. Je te laisse poursuivre tes éternels rangements. Quant à moi, je retourne dans la chambre de la tigresse avant qu'elle crie mon …
J'ai à peine le temps de finir ma phrase que j'entends :
- Maman ! Maman !
- Comme le dit l'adage : Quand on parle du loup…
- ... on voit sa queue ! complète maman.
Nous rions.
- Maman ! Maman ! entends-je une deuxième fois.
Je me hâte d'aller rejoindre Arabella avant qu'elle crache du feu. (Sourire).
*********
Femi AKONDE
Je m'empare de l'album photo posé sur ma table de nuit et entreprends de le regarder pour la … fois. Je l'ai tellement vu que j'en ai oublié le nombre de fois.
A chaque fois que je tourne les pages, j'ai l'impression d'être à Paris, depuis la naissance d'Arabella jusqu'à ce jour. A chaque fois que je visionne les DVD qui y sont, je me réjouis. J'ai pu la revoir encore toute petite dans le ventre de sa mère, l'entendre dire papa et maman, la voir marcher pour la première fois...
J'ai l'impression de rattraper le temps perdu avec Arabella. Je me sens revivre... Je me sens plus détendu… Je me sens heureux...
Mes pensées s'envolent.
Flashback
Deux jours plus tôt.
Je viens d'entrer dans le salon des AMOUSSOU. Je suis accueilli par la maîtresse des lieux, la mère d'Aurore.
Cette brave dame, je la respecte beaucoup. Car en dépit des différends entre sa fille et moi, elle est toujours restée aimable avec moi.
Grâce à elle, j'apprends qu'Aurore est partie tôt à l'atelier et qu'Arabella est encore endormie.
- Tu peux monter voir Arabella.
Je décline son offre.
- Non maman, je préfère attendre qu'elle se réveille.
- Mon fils, jusqu'à quand continueras-tu de faire l'étranger dans cette maison dont tu connais tous les coins et recoins ?
C'est vrai que je refuse chaque fois de monter à l'étage. Mais pas aujourd'hui.
- D'accord maman. Vous avez raison.
- Bonne décision, Femi. La chambre d'Arabella est près de celle d'Aurore. Tu verras une pancarte en forme d'ours sur la porte.
- Bien, dis-je en avançant vers les marches qui mènent en haut.
Je les monte deux par deux puis longe le couloir. L'endroit n'a pas changé. Je vois la porte d'Aurore et la reconnais. En un instant, je me sens emporté des années en arrière. Cette chambre a été témoin de plusieurs scènes de baisers passionnés entre Aurore et moi.
J'inspire profondément pour redescendre sur terre.
A coté de la porte d'Aurore, je remarque une autre avec l'ours en papier. Les mots écrits dessus me volent un sourire. " Bienvenue dans le monde merveilleux d'Arabella "
La porte est entrouverte. Je la pousse tout doucement pour ne pas réveiller ma princesse. Elle est là sur son lit rose en forme de carosse. Elle dort à poings fermés.
J'ai l'impression d'être dans un monde féerique. Une vraie chambre de princesse que la sienne, avec des papiers peints fleuris sur les quatre coins du mur et des stickers de princesses Disney. Sur le mur, je remarque également un arbre généalogique, avec une photo de moi suivie de la mention PAPA. Dans un coin, se trouve une étagère remplie de jouets et à côté une grande maison de poupée. Je n'aurais jamais pu penser mieux pour ma fille. Je dois reconnaître qu'Aurore s'est surpassée.
Je lève la tête et remarque en haut un mobile bébé à pinces sur lequel sont accrochés d'autres photos d'Arabella, Aurore et moi. Il y en a même qui remontent à bien loin avant sa naissance, comme celle où j'embrasse Aurore, celle où nous sommes dans la piscine, dans mon vieux chez moi (sourire), à la cuisine…
Fasciné, je suis. Je regarde autour de moi et continue à sonder ce endroit paradisiaque pour découvrir tous les trésors dont il regorge.
Au niveau de l'étagère, je remarque un gros bouquin. Curieux, je m'en approche. Je reste émerveillé par ce que je vois. Ce n'est pas un livre, mais un album photo. Celui d'Arabella. Son nom est inscrit dessus avec un coeur.
Je m'assois dans le petit canapé puis m'empresse de l'ouvrir.
Je découvre des photos d'Arabella depuis sa naissance, avec un détail qui revient à chaque fois dans le décor de fond : une photo de moi avec la mention Papa.
Je suis profondément ému. Je viens de me rendre compte qu'Arabella, avant de me rencontrer, avait toujours su qui j'étais : son père. Moi j'étais dans le déni total tandis qu'elle apprenait chaque jour un peu plus sur moi.
Je comprends maintenant comment cette fillette de 3 ans m'a reconnu parmi tant d'hommes au défilé.
J'ai peut-être été trop dur avec Aurore. Certes elle a mal agi en me cachant ma paternité, mais je ne la remercierai jamais assez pour tous les efforts qu'elle fournit au quotidien. Je pourrai tout lui reprocher, mais pas d'être une mauvaise maman.
* *
*
Retour au présent.
Je referme l'album photo et le redépose sur la table de nuit.
Aurore ! Chaque jour, je suis un peu plus fier d'elle.
Je souris en pensant à elle. Je me rappelle tous les bons moments d'aujourd'hui. Les bisous sur sa joue, la cuisine….
Je l'avais en face de moi au salon de glaces. Elle était belle dans cette robe d'un blanc éclatant.
L'avoir dans mes bras m'a ramené au passé. J'ai dû me faire violence pour ne pas l'embrasser passionnément.
Aurore ! murmure-je.
Je prends mon téléphone et compose son numéro. Il est bien tard mais je ne peux m'en empêcher. J'ai besoin d'entendre sa douce voix avant de m'endormir.
- Allô !
- Allô, Femi.
- J'espère que je ne te dérange pas.
- Non. Je suis encore debout, occupée à lire un conte à Arabella.
C'est vrai que c'est une couche-tard.
- Bon travail donc !
- Merci, papa Arabella.
Je souris en repensant à ce matin quand Arabella m'a appelé par mon prénom.
- Au fait, j'appelle surtout pour te dire que j'ai emprunté l'album photo d'Arabella.
- Maman me l'a dit. Tu peux le garder autant que tu le voudras.
- D'accord.
Je prends une petite pause avant de continuer :
- Aurore, je …
- Oui...
- Aurore, je … vous souhaite une bonne nuit.
- Merci Femi. Bonne nuit à toi aussi.
- Merci, conclus-je en coupant l'appel.
En réalité, c'est AURORE, JE T'AIME que je voulais lui dire. Mais j'ai hésité.