Chapitre 38
Write by Myss StaDou
Chapitre 38
Je parviens à retirer l’argent de ma mère avant 17h et je me mets en route pour rentrer à la maison. Je ne suis pas très contente d’être partie de la sorte. Mais que faire ? Maman compte sur moi. Nous trainons un peu trainé en route à cause des embouteillages. Mais je dois reconnaitre que nous avons assez bien roulé. Je viens à peine d’entrer à la maison et remettre l´argent à ma mère qui est couchée au salon quand on sonne au portail de la maison.
− Nicole, va voir qui sonne, dit ma mère.
Le temps de faire un geste pour avancer vers la véranda, la personne qui sonnait pousse déjà le portail. Je m’arrête donc sur la véranda pour voir qui c’est. Malgré le fait que la nuit tombe déjà tout doucement je reconnais une des voisines du quartier Maman Pauline alias Ma’a Pau suivi d’un jeune homme. Avec qui est-elle ? L’homme marche à une bonne distance derrière elle. À bien y regarder je reconnais le mec qui traine avec Junior. Quelle audace ! Il ose se ramener jusqu’à chez nous ? Ma’a Pau s’avance vers moi, toute souriante. Elle me fait la bise et le jeune homme me dit juste un bonsoir auquel je réponds froidement. Je prie la voisine d’entrer rejoindre Maman au salon. À mon grand étonnement, le jeune homme entre aussi dans le salon et s’assied sur une chaise près de l’entrée de la maison. Qu’il ne se gêne surtout pas ! Je m’adosse sur le mur, pas loin du mec pour bien surveiller ses mouvements. On ne sait jamais…
Je regarde les deux femmes se saluer avec beaucoup de chaleur et ça me fait sourire. Recevoir de la visite ne peut que faire du bien à Maman:
− Eh Pauline, je suis contente de te voir.
− Ma sœur, tu vas mieux depuis l’autre jour ?
− Ah ! Tantôt ça va mieux, tantôt je rechute. C’est difficile.
Ma’a Pau secoue la tête compatissant.
− Heureusement que ma fille Nicole m’aide beaucoup. Elle prend bien soin de moi et de la maison.
Je souris, toute fière de cette remarque.
− Tu as beaucoup de chance, dit Ma’a Pau en me regardant.
− C’est une bénédiction de Dieu d’avoir des enfants qui savent qu’ils doivent s’occuper de leurs parents.
− Ça c’est vrai hein et très important.
Elles restent silencieuses un moment. J’entends soudain le jeune homme parler d’une voix basse derrière moi :
− Junior est là ?
Je l’ignore royalement. S’il pense que je vais tolérer le fait qu’il voie mon frère, il a frappé à côté ! Qu’il cherche les gens de son âge ! En y repensant… Je veux me retourner pour lui répondre vertement quand Ma’a Pau reprend la parole.
− Euh ma sœur, dit-elle avec hésitation. Je suis venue pour ce dont nous avons discuté l’autre fois.
− Ok.
À ma grande surprise Ma’a Pau se tourne vers moi et pointe le jeune homme.
− Nicole, ma fille, tu connais mon fils Stéphane?
Son fils ? J’ouvre les yeux, surprise. J’observe alors bien le mec en question et je vois de fins traits de ressemblance.
− Non, Tantine.
− C’est quand même normal. Depuis le temps.
Se tournant vers ma mère :
− Je t’avais dit que j’avais que ma petite sœur qui vit en Belgique avait pris mon fils unique quand il était en classe de troisième pour qu’il aille fréquenter en Europe. Depuis ce temps, il est là bas et ne revient que rarement au Cameroun.
− Ok. Je vois, dit Maman en souriant à Stéphane. Bienvenue mon fils.
Stéphane se lève :
− Merci Tantine.
Stéphane se rassoit et je l’observe en coin. Toute cette situation est louche.
− Il est là pour un certain temps avec nous, dit Ma’a Pau. C’est déjà un homme et je ne veux pas qu’il traine avec les mauvaises filles de Yaoundé.
Maman secoue la tête :
− Tu as trop raison. Les filles d’aujourd’hui n’ont plus de respect d’elles-mêmes !
− Oui oui. Justement. J’espérais que ta fille Nicole pourrait passer du temps avec lui.
Hein ? Quelle Nicole ? Passer du temps avec qui ? Je sens le nyè (le danger). On vous a dit que je n’ai rien à faire ?
− Je sais que ta fille est sérieuse et studieuse, continue Ma’a Pau. Elle pourra l’orienter même dans la ville vu qu’il n’était plus ici depuis longtemps.
− C’est vrai, appuie ma mère.
− Je suis fatiguée de le voir trainer au quartier sans rien faire. De plus, on ne sait jamais ce qui peut sortir de cette amitié.
− J’espère quelque chose de bien et de durable.
Maman me regarde soudain avec les yeux qui brillent. Non… Ce n’est pas ce que je pense. On est où là ? Dans les films nigérians ? Eh Zamba… Regardez comment ma mère me vend en plein carrefour au premier venu ! Et si c’était un bandit qui a fui l’Europe ? Ça ne l’intéresse pas. Comme d’habitude, on veut seulement marier les gens vite fait. Je suis très déçue par ce qui se passe sous mes yeux. Mais je ne peux pas le montrer devant ces femmes, sinon je les offenserais. Surtout ma mère qui ne rêve que de me voir mariée au plus vite.
− Les jeunes, dit Maman, prenez les chaises et allez causer dehors.
− Ok, Ma’a, réponds-je en boudant.
− Nicole, tu as entendu ce que Maman Pauline a dit ? Sois la fille sage que j’ai éduquée.
− Ok Ma’a.
Je pouvais entrer dans un trou maintenant et me cacher… Je quitte de ma position sur le mur et vais pour prendre des chaises contre mon gré et Stéphane se lève du même geste pour m’aider.
− Ça va aller !
− Non, c’est moi l’homme. C’est à moi de m’en charger.
− Je t’ai dit que ça va.
Stéphane rit :
− Laisse-moi faire.
Il me pousse sur le côté, passe et prend deux chaises. Les mamans éclatent de rire devant notre échange et je deviens pâle de honte. Il commence déjà à me rendre ridicule devant témoins. C’est un très bon départ ! Stéphane place les chaises sur la véranda et m’invite à m’asseoir. Je le regarde de manière très suspicieuse. Il ne faut pas qu’il vienne mettre du sable dans mon tapioca. J’ai déjà quelqu’un dans ma vie et aucune envie de jouer la Baby-sitter d’un mbenguiste qui s’ennuie. Je finis par m’asseoir après avoir tiré ma chaise plus loin de la sienne. Je ne veux pas être trop de lui. Il est hors de question qu’il se fasse des idées.
− Ça va toi ? demande Stéphane.
− Oui.
− Tu viens de rentrer des cours ?
− Oui.
Il rit sous cape.
− Le seul mot que tu connais, c’est oui ?
− Oui.
Je réponds sans réfléchir avant de me rendre de mon comportement ridicule, et d’éclater aussi de rire.
− Désolée, si j’ai l’air désagréable.
− Je te comprends. Je suis désolé pour ce qui arrive. Ce sont les plans de Maman.
Je reste silencieuse. Il est plutôt beau garçon, je dois dire. D’un teint bien clair, il semble très entretenu. Ce que je n’ai pas remarqué jusque-là tellement j’étais occupée à le toiser. Cette situation m’agace et je me lève.
− Tu sais quoi ? Je ne pense pas que nous n’avons pas grand-chose à nous dire.
Stéphane est plutôt étonné :
− Comment peux-tu être si sûre de toi ?
− Ce n’est pas important ! Je vais appeler Junior vu que c’est avec lui que tu préfères trainer. Mais s’il te plaît, ne lui donne pas de mauvais conseils.
Il affiche une expression outrée.
− Pourquoi penses-tu une chose pareille ?
− Je te préviens seulement.
Je traverse le salon et vais dans la chambre de Junior. J’ouvre la porte et le trouve couché en train de suivre la musique sur son téléphone. Je viens tapoter sur son épaule pour qu’il prenne conscience de ma présence.
− Junior, Stéphane t’attend sur la véranda.
− Stéphane ? demande-t-il, surpris. Tu connais son nom ?
− C’est une longue histoire. Il est venu avec sa mère. Dépêche-toi.
− Ok, dit-il en se levant déjà pour sortir.
− Je vais manger. Ensuite, je serai dans ma chambre.
Je vais me servir et je mange dans la cuisine. Je suis éreintée. Je vais ensuite m’allonger dans la chambre. J’évite soigneusement de me faire remarquer. Je ne veux pas parler avec ce Stéphane. Ma mère n’a qu’à causer avec lui, si elle veut. Il ne m’intéresse pas. Si sa mère et lui pensent que je vais trembler par ce qu’il vient d’Europe, ils ont menti !
Je dors depuis un moment quand mon téléphone se met à sonner. Je remonte depuis le fond des brumes où je nageais pour me rendre compte que c’est ma copine Josy qui m’appelle. Je souris.
− Allô ?
− Allô Ma copine. C’est comment ? Je te réveille ?
− Oui, mais ce n’est pas grave. Tu vas bien ?
− Oui et toi ?
− Ça va. Tu es bien rentrée sur Douala ?
Josy a une voix enjouée :
− Oui. Nous avons fait la fête jusqu’à mardi avant de rentrer. Nous avons même fait un saut à Kribi.
− Josy ! m’exclamé-je en riant. La fête t’a fait même quoi ?
− Je t’ai dit que je voulais aider cet homme à dépenser son argent. C’est tout. Je l’ai zappé direct après.
− Tu es terrible Josy. Les hommes doivent te fuir.
− S’ils me fuient, je vais encore faire quoi ? En parlant même d’ennui, tu viens me voir à Douala quand ? Nous passerons un peu de temps ensemble. Nous devons parler.
− C’est vrai ce que tu dis.
− Nous avons beaucoup de congossa à rattraper.
Je ris. Cette fille est toujours pleine de vitalité.
− Quand auras-tu du temps ?
− Ce week-end, je ne peux pas. Mais la semaine prochaine, je peux ne pas aller en cours le vendredi et prendre la route tôt et revenir le dimanche soir.
− Ce serait absolument parfait. Je suis trop contente.
− Moi aussi.
− J’ai trop hâte. Tu me tiens alors au courant.
− Sans faute.
− Ok, je te laisse dormir. Je dois sortir là.
− Josy !
− Laisse, ma chérie. Je vais chercher l’argent pour notre week-end.
− Ok, je ne dis plus rien, concédé-je en riant. On s’appelle alors. Bisous
− Bisous.
Elle raccroche et je regarde l’écran de mon téléphone en souriant. Elle ne cessera jamais de m’étonner cette fille. Il est déjà 23h. Je m’endors rapidement, rêvant de fêtes et de bon repas.
Les deux jours qui suivent se déroulent sans accroc. Je me lève très tôt pour faire la cuisine avant d’aller en cours. Je vais à la fac et passe du temps avec Jeanne avant de rentrer.
Le vendredi à 14h, Victor m’envoie un SMS comme quoi il serait déjà arrivé et m’attend avec beaucoup de bonnes choses. Je jubile. Mais il faut que je garde la tête froide. Je me dépêche de sortir du cours et prendre la route. Quand j’arrive devant chez lui, je frappe et j’ouvre directement la porte. Je sursaute quand je vois Victor debout avec une femme en face de lui. Elle est de dos et je ne peux voir son visage. J’espère que je n’ai rien interrompu d’important. La dame se retourne alors et je reconnais la mère de Victor.
− Bonjour. Excusez-moi de vous interrompre comme ça.
− Ça va, dit Victor en souriant. Entre.
La mère de Victor m’observe une seconde.
− Maman, je te présente Nicole…
Maman de Victor lui coupe la parole :
− Je la reconnais. C’est l’amie de Jeanne ?
Victor n’a même pas le temps de répondre qu’elle continue.
− Petite, va attendre dans la cuisine. Je dois finir de parler avec mon fils.
− J’y vais tout de suite.
Je me dépêche de me faufiler entre eux pour aller dans la cuisine et fermer la porte de celle-ci derrière moi. Mais vous connaissez mes puissants talents d’espion. Heureusement que j’ai ma ballerine noire aux pieds et pas des talons. Je colle vite mon oreille sur la porte pour entendre leur conversation. Il n’y a que quelque chose d’important qui peut emmener cette femme ici aujourd’hui. Je repense à sa conversation avec la mère de Jeanne et à toutes ses préoccupations.
− Maman, je t’ai dit que ce n’est pas le moment.
− Et quand est-ce que sera le moment ? Dis-moi, mon fils !
− Je viendrai à la maison. Nous en parlerons.
− C’est ce que tu dis depuis des mois ! Mais rien.
− Promis. Je viendrai ce weekend.
− Mon fils, arrête de tourner autour du pot. Tu connais la gravité de la situation.
Victor garde le silence et je fronce les sourcils.
− Sa famille est aussi derrière nous et ton père n’apprécie plus du tout ce qui se passe. Il faut que tu fasses rapidement quelque chose.
− Je ferai ce qui est nécessaire.
− Fais-le vite avant que ça ne dégénère.
− J’ai compris.
La voix de la maman de Victor se fait soudain triste.
− Nous ne rajeunissons pas, Victor. Il est temps que tu fasses ce qu’il faut et que tu nous donnes des petits-fils.
− Je sais, Maman ! dit-il avec agacement. Mais laissez-moi agir librement.
− Tu sais bien que nous ne pouvons pas. Nous attendpns depuis trop longtemps. En plus, tu connais les conditions de ton père. Plus tu tardes, plus la situation se détériore.
− Je sais tout ça.
− Mais pas de bâtards ! Ton père ne les acceptera jamais ! Compris ? Fais les choses comme il se doit.
− Je ne suis plus un enfant, tu sais. Je sais faire des choix.
− Je le pensais, Mais je ne peux plus l’affirmer avec le temps qui passe.
− Maman !
− Mon fils, fais très attention avec qui tu traines. Les filles de ce pays sont dangereuses.
C’est de moi qu’elle parle ? Ça commence bien.
− Fais attention à toi.
− J’ai entendu.
− Je vais partir. Je suis déjà en retard pour la réunion.
− Ok, viens. Je t’accompagne jusqu’à ta voiture.
Je les entends sortir de la maison. J’en apprends des choses ces jours-ci. Victor… Victor…
Je vais au salon et m’assieds. Victor revient quelques minutes plus tard. Il se dirige vers moi, tout souriant et je lève la main pour bloquer son élan.
− Vic. Il faut qu’on parle. C’est qui Élise ?
Son sourire disparaît. Silence de mort.