Chapitre 6
Write by Auby88
Eliad MONTEIRO
- Là, il y a le restaurant… Ici les chambres avec les suites présidentielles... Là-bas, je prévois les salles de réception… De ce côté, se situe le hammam... Le parking est à gauche ici... Par là, le terrain de jeux.. Dans cette partie du hall, il y aura un ascenseur panoramique. Et …
- Panoramique, c'est-à-dire ? questionne mon interlocuteur.
- L'ascenseur disposera de parties vitrées qui donneront une vue sur l'extérieur.
- Je vois. J'ai déjà vu des modèles similaires ailleurs.
- Oui, c'est très tendance. Cette salle-ci est une bibliothèque. Il y en a à chaque étage, sauf si vous trouvez tout ça encombrant.
Je vois l'homme sourire.
- Oh non, Eliad ! J'adore ! C'est très original ! Les clients seront, à coup sûr, ravis de pouvoir s'évader au travers des livres. D'ailleurs, ne dit-on pas qu'une bibliothèque est un hôpital pour l'esprit ?
- En effet ! reconnais-je en esquissant un sourire. J'ai également prévu quelque chose d'original pour la piscine.
- Parle-moi, Eliad ! Oui, raconte-moi tout ! Je suis tout ouïe ! réplique-t-il avec excitation dans la voix.
- Plutôt qu'une piscine ordinaire, je propose une piscine à débordement qui aura la même couleur que la mer. Je veillerai à ce que l'alignement soit parfait et tous les détails seront étudiés avec minutie pour que la piscine se confonde totalement avec la mer.
- Je suis conquis ! Eliad, tu es un génie ! s'exclame-t-il en me souriant grandement.
- Oh non, monsieur GANDAHO, je fais juste mon travail.
- Tu as trop de modestie, mon fils ! Sache que c'est de jeunes comme toi dont le pays a besoin !
Je ne sais pas trop quoi dire, alors je mime un sourire pour ensuite ajouter :
- Voilà, j'ai fini ma présentation.
En parlant, je dépose ma tablette professionnelle et le stylet sur le guéridon devant nous. Je me lève du canapé et vais prendre un objet sur mon bureau.
- Sur cette clé USB, j'ai mis une copie de la maquette 3D de l'hôtel. Prenez le temps de la visionner à nouveau. Ensuite, vous me direz…
- Je n'en ai nullement besoin, Eliad ! Je suis à 100% en accord avec tout ce que tu viens de me montrer.
- Je tiens quand même à ce que vous…
- Je te le répète : ma décision est prise !
- Bien. Donnez-moi quelques secondes, que j'imprime le devis.
- Rien ne me presse, Eliad. Prends ton temps !
Je hoche la tête.
- C'est prêt ! dis-je en lui remettant le papier.
Tandis qu'il a les yeux sur le devis, je poursuis :
- Certains prix peuvent vous sembler élevés mais l'innovation a malheureusement un coût.
- L'argent n'est pas un problème pour moi, tu le sais très bien. J'ai lu le devis et je n'ai aucune opposition. Il est très réaliste et réflète tout à fait ton professionnalisme. Eliad, je suis une fois de plus séduit par tes compétences.
Je ne me suis jamais senti à mon aise avec les éloges, surtout quand elles ressortent à chaque phrase que prononce ce sexagénaire.
- Quand voulez-vous que nous débutions les travaux ?
- Dès demain, si possible !
- A proprement parler, dans une semaine serait plus réaliste. J'aurai ainsi le temps de mettre sur pied une équipe de professionnels dynamiques et efficients.
- Va donc pour une semaine !
- Bien.
- C'est toujours un plaisir de travailler avec toi, Eliad ! Tu es bien le digne fils de ton père. D'ailleurs, tout à l'heure j'appellerai mon vieil ami pour lui signifier une fois encore combien, oh combien je suis sastifait de son fils !
Il me tend une main que je m'empresse de serrer.
- Je vous en sais gré, monsieur Gandaho, mais je ne peux continuer d'accepter tant de compliments de votre part tant que je n'aurai pas rendu réel le projet.
- Tu ne m'as jamais déçu par le passé. Je reste confiant.
Mes lèvres s'étirent en un léger sourire.
- Je ne prendrai pas davantage de ton précieux temps ! achève-t-il en se levant du canapé.
- Bien, monsieur GANDAHO. Je vous raccompagne.
- Merci.
Je le précède pour ouvrir la porte de mon bureau. Sur le seuil, il me serre la main une dernière fois avant de s'éclipser. Je referme mon bureau puis commence à ranger mes affaires. Il sonne 19 heures.
* *
*
Sans me précipiter, je monte les marches qui me mènent au 2e étage de ma maison. Du côté gauche, me parviennent des cris d'enfant. C'est assez courant chez moi. J'ai du mal à le supporter, mais je n'y peux rien. C'est … ma croix.
J'emprunte le côté droit du couloir pour rejoindre ma chambre. Sur le lit, je vais m'affaler sans même prendre le temps d'ôter mes chaussures. Je me sens las. J'ai eu une journée de travail très épuisante.
Je ferme les yeux durant cinq minutes approximativement puis les rouvre.
Je me redresse du lit et me lève pour me diriger vers un côté du mur.
Là, il y a tant d'images d'elle. Tant de photographies de ma bien-aimée. Une centaine de captures de son sourire magnifique. Je ne me lassais jamais de la photographier. Elle était si belle, ma reine !
Mon amour ! murmuré-je encore et encore, comme si j'attendais qu'elle me réponde.
Mon rayon de soleil ! Tu es partie et m'a laissé seul dans le noir. Tu t'en es allée et m'as laissé tout seul ici ! Je t'aime tellement, si tu savais !
J'entends la sonnerie de mon téléphone. J'hésite à prendre mon mobile, mais finis par le faire. C'est peut-être un client !
Non, ce n'est pas le cas. C'est Maëlly qui appelle. J'inspire profondément et décroche.
- Bonsoir Eliad ! commence-t-elle avec une voie gaie.
- Bonsoir Maëlly, lui réponds-je sans laisser transparaître ma tristesse.
- Tu es rentré ?
- Oui, Maëlly ! Un souci ?
- Non. Je pensais faire un détour chez toi pour te saluer. J'espère que tu n'y vois aucun inconvénient !
- Non ! Dans combien de minutes, seras-tu là ?
- Dans 3/4 d'heure au maximum. Actuellement, le trafic routier est un peu lent dans la zone où je me situe actuellement.
- D'accord. J'ai donc assez de temps pour prendre une douche.
- Hmm ! J'aurais bien voulu t'y rejoindre !
- Maëlly ! Ne recommence pas, s'il te plaît ! J'ai déjà été assez clair avec toi !
- Il n'y a pas de quoi faire tout un drame, cher ami ! Je l'ai juste dit pour plaisanter ! Pourquoi le prends-tu si tant au sérieux ?
- Il vaut mieux que tu te concentres sur la route. N'oublie pas qu'il est interdit de passer des appels en conduisant, sous peine d'amende !
- Merci de t'inquiéter pour moi. Mais j'utilise un équipement bluetooth. Impossible de me faire repérer !
- Pourvu que tu ne tombes pas sur un policier trop zélé !
Je l'entends rire.
- D'accord, Eliad. A tout à l'heure donc !
- Oui ! achèvé-je.
Elle raccroche.
Une ènième fois, je contemple les photos de ma femme puis me débarrasse de mes vêtements, l'un après l'autre. J'ôte mes verres optiques et les dépose dans l'étui sur la table de nuit. Dans un coin des verres, j'ai fait graver mes initiales E et M.
Dans ma plus simple tenue, je me trouve à présent. Mes yeux convergent vers ce grand lit qui a accueilli tous les moments d'intimité entre elle et moi.
Mi belleza (ma beauté) ! Pourquoi a-t-il fallu que tu me quittes si tôt ? Pourquoi ?
J'inspire profondément puis à pas très lents, je me dirige vers la salle de bain...
Tandis que l'eau coule sur moi, depuis ma tête jusqu'à mes pieds, je laisse mes pensées s'envoler vers ... Barcelone.
**********
Des années plus tôt.
Barcelone en Espagne.
Eliad MONTEIRO
"Un visage d'ange me sourit. Beau comme un lever de soleil après un long temps glacial.
C'est une jouvencelle. Encore plus divine que la déesse Vénus. Elle a la peau blanche, de belles pommettes et des lèvres bien rosées. Elle porte une robe, avec plein de motifs fleuris. Aucun bijou sur elle. Elle ne semble pas maquillée. La brise caresse doucement ses cheveux bruns. Mon cœur s'emballe rien qu'en la voyant. Je tente de m'approcher d'elle quand ….un vacarme m'en empêche."
Brrrrrrrrrrrrrrrr ! Je reconnais le son assourdissant de mon réveil. Zut alors, ce n'était qu'un rêve. Un très beau rêve, en tout cas. Je m'éveille.
Je quitte précipitamment mon lit pour ouvrir mon dressing. En bas, je tire une malette. Vite, je prends un crayon et un papier dessin. Il faut que j'immortalise ce beau visage avant qu'il disparaisse de ma mémoire.
Ça y est. Je viens de finir le portrait. C'est bien ressemblant. Je le scanne dans mon ordinateur et utilise un logiciel spécial pour appliquer les couleurs.
Voilà, c'est prêt. J'en fais deux copies sur papier grand format et deux sur papier A4. Je contemple encore et encore mon chef-d'œuvre, puis colle une copie sur le mur. Je ne me lasse pas de la regarder.
A présent, il faut que je m'apprête pour me rendre aux cours. J'étudie l'architecture à l'École Technique Supérieure d'Architecture de Barcelone.
L'architecture a toujours été une passion pour moi. Tout a commencé au Collège français la Montaigne de Cotonou, avec les magnifiques portraits que je faisais de Naruto et d'autres personnages de mangas.
C'est aussi depuis le Collège que mon "amour" pour la langue espagnole a vu le jour. Me voilà aujourd'hui en Espagne pour mes études supérieures.
C'est ici à Barcelone qu'Antoni Gaudi, l'un des plus célèbres architectes de Barcelone, a étudié. Je reste à chaque fois ébloui devant ses oeuvres qui représentent "l'art nouveau".
Il est impossible de visiter Barcelone sans faire un détour devant ses merveilles architecturales dont 7 sont incscrits par L'UNESCO (Organisation des Nations unies pour l'Education, la Science et la Culture) au Patrimoine mondial de l'humanité.
D'ailleurs, je vis dans le district moderne de l'Eixample qui signifie extension en catalan, langue parlée à Barcelone en plus de l'espagnol. Là, j'ai le plaisir de passer chaque jour devant 3 oeuvres de Gaudi : la Casa Milà, la Casa batlló ainsi que la Sagrada familia, une cathédrale inachevée destinée à être un temple expiatoire de la Sainte Famille.
Je range mes affaires puis quitte mon luxueux appartement. En bas, je salue le concierge puis emprunte le passage souterrain pour atteindre le parking où est garée ma décapotable. Eh oui, j'adore la belle vie. Les filles aussi ? Oui. D'ailleurs quel mec ne les aime pas ! (Rire). Les gonzesses viennent à moi, sans effort je précise. Qui peut resister à une belle balade en décapotable luxueuse en compagnie d'un si beau mec comme moi ?
Oui, j'adore jouer au gosse de riche, frimer, mais je prends très au sérieux mes études. Car je suis bien conscient que "papa riche" ne veut pas dire "enfant riche" ! Jamais ! Malheureusement, beaucoup de jeunes comme moi font cet almagame, cette confusion et pensent à tort que l'argent de leurs parents leur appartient. Ils le dilapident inconsciemment et se plaisent à demeurer oisifs parce qu'il y a l'argent en abondance.
Or la vie est remplie de surprises. Il vaut mieux voir l'opulence de ses parents comme une possibilité d'avoir accès à des formations de qualité pour pouvoir soi-même acquérir son indépendance surtout financière.
En tout cas, c'est ce que je fais. Je suis inscrit dans l'une des meilleures écoles d'architecture au monde et je serai bientôt un grand architecte. En tout cas, j'y crois fermement.
Je monte donc à bord de mon cabriolet et ouvre la capote en cuir. Sinon à quoi servirait-il de garder fermée une décapotable chèrement achetée ? (Rire)
Je conduis, le sourire aux lèvres. Je sens qu'aujourd'hui sera une belle journée pour moi. Je chantonne sur l'air de "Un, dos, tres (1,2,3) de Ricky Martin" tout en manipulant le volant.
Même les feux tricolores ne m'énervent pas. Encore moins celui devant lequel je suis présentement. Rien ne peut entacher ma bonne humeur aujourd'hui. En attendant que le feu passe au vert, je regarde de part et d'autre de la voie...
Sapristi ! Que vois-je ? Non, plutôt qui vois-je ?
Elle ! La fille dans mon rêve ! Avec la même robe ! Elle traverse la voie. Je n'arrive pas à y croire. Vivement que ce foutu feu passe au vert. Au diable, la patience !
Enfin, ça y est ! Le feu est vert. C'est fou comme une minute à peine m'a semblé une éternité. Je klaxonne vivement pour que le chauffeur devant moi démarre et me libère le chemin.
Je viens de remarquer mon inconnue de l'autre côté de la voie. Alors plutôt que de continuer tout droit pour me rendre à l'Université, je bifurque à gauche et prends la direction qu'elle vient d'emprunter. Je l'ai encore dans mon champ de vision. Je me gare précipitamment puis marche à pas pressés pour la rattraper. Dans mes mains, je garde une copie du dessin de ce matin.
- ¡Hola, belleza! (Bonjour Beauté !)
Je me répète deux ou trois fois. Elle finit par tourner la tête.
- ¿Me habla? (Vous me parlez ?)
- Sí. (Oui)
- ¿Que quiere usted de mi? (Que me voulez-vous ?)
Je suis tellement "sonné" qu'au lieu de lui répondre, je lui montre juste le dessin.
- !Soy yo! (C'est moi ! ) s'exclame-t-elle.
Je hoche la tête en lui tendant le papier qu'elle prend de mes mains.
- Lo hice esta mañana cuando me desperté. (Je l'ai fait ce matin au réveil.)
Elle lève les yeux vers moi.
- Se que esto va a sonar increíble, pero he soñado con usted. (Je sais que ça peut paraître incroyable... mais j'ai rêvé de vous.)
- ¿Eso es una broma? (C'est une blague ?)
- No. (Non)
Elle éclate de rire.
- ¡Que gracioso! (Très drôle !)
- ¡Le aseguro a usted que es verdad! (Je vous assure que c'est vrai !) répliqué-je en plongeant mon regard dans le sien, ce qui ne semble même pas l'intimider.
- Usted es muy divertido, pero tengo que irme (Vous êtes très amusant, mais je dois m'en aller.), poursuit-elle en me remettant le dessin.
- ¡Guádarlo, por favor! (Gardez-le, s'il vous plaît !) dis-je en la suppliant du regard !
Elle ne s'y oppose pas.
- ¡De acuerdo, Gracias! ¡Adíos! (D'accord, merci ! Aurevoir !) me dit-elle en m'offrant son magnifique sourire.
- ¿Donde podré ver a usted? (Où pourrai-je vous revoir ?)
- ¡En sus sueños! (Dans vos rêves !)
- ¡No hablará en serio! (Vous n'êtes pas sérieuse !)
Je l'entends rire de moi.
- ¡Que tenga un buen día! (Bonne journée !) achève-t-elle en me faisant dos.
- ¿Como se llama la señorita? (Comment s'appelle la demoiselle ?)
- ¡Yo no doy mi nombre a los desconocidos! (Je ne donne pas mon nom aux inconnus !)
- ¡Por favor! (S'il vous plaît !)
Elle se retourne et revient vers moi.
- ¿Mira las telenovelas? (Vous regardez les feuilletons télevisés ?)
- No realmente. (Pas vraiment.)
- Si quiere saber mi nombre, busca el tema de la telenovela mexicana "Las dos caras de Ana". (Si vous souhaitez connaître mon prénom, cherchez le générique du feuilleton mexicain "Les deux visages d'Ana").
- ¡Gracias! (Merci ! ) répliqué-je en notant rapidement le titre du feuilleton dans mon téléphone.
En guise de réponse, elle m'offre une fois de plus son joli sourire.
A nouveau, elle me fait dos. Je ne la retiens pas car je pense la suivre. Malheureusement, je suis arrêté dans mon élan par des voix qui viennent de derrière et semblent m'interpeller en criant à répétition :
- ¡Mira su coche! (Regardez votre voiture !)
Je me retourne.
Putain ! Putain ! Quel con, je suis !
Dans ma précipitation, je me suis garé dans une zone interdite de stationnement. Oui, je n'ai pas remarqué les lignes jaunes sur le sol. Oui, pour les beaux yeux d'une inconnue, j'ai oublié qu'ici à Barcelone il y a toujours un agent de la fourrière tapi dans l'ombre, tel un lion qui guette sa prochaine proie.
Voilà, l'imbécile que je suis regarde impuissant sa voiture s'en aller à la fourrière.
Abattu, je me dirige vers l'endroit où se trouvait ma décapotable. Sur le triangle posé à la place vide laissée par mon véhicule, je lis le nom et l'adresse de la fourrière ainsi qu'un numéro de téléphone.
Je marmonne, rien qu'en pensant à l'horrible autocollant que la fourrière coincera à travers ma pare-brise et qui prendra un temps fou à enlever.
Je rumine, rien qu'en songeant à l'amende très épicée que je devrai payer tout à l'heure. Parce qu'ici, les amendes en matière d'infraction routière coûtent très chères. J'avais déjà eu pareille mésaventure à mon arrivée, il y a quelques années, sur le territoire espagnol et je m'étais promis de ne plus jamais me laisser prendre. Hélas, la fourrière m'a encore eu. Je ne pourrai aller aux cours tout à l'heure et "Ma beauté" s'est envolée. Quelle poisse !
Je me positionne au coin de rue pour tenter de trouver un taxi. Je viens d'en apercevoir un qui s'approche. Ici à Barcelone, on reconnaît les taxis par leur carrosserie jaune et noir. La lumière verte située sur le toit du taxi m'indique qu’il est libre. Alors, je lève les bras et le chauffeur s'arrête. Je m'assois à l'arrière. Tandis que la voiture avance, je repense à "Ma beauté". Je souris.
Vite, je sors mon téléphone de ma poche pour trouver la réponse à son énigme.
Dans mon moteur de recherche sur Internet, je tape " Tema de Las dos caras de Ana" et tombe sur une liste de résultats.
Je clique sur un lien au hasard et découvre ceci :
"Collectionistas de canciones del grupo "Camila"(Collectionneuse de chansons du groupe "Camila")
Camila ! murmuré-je encore et encore, le sourire au coeur.
**********
Retour au présent.
Eliad MONTEIRO
On vient de frapper à trois reprises à la porte de ma chambre. Je reviens à ma triste réalité.
J'enfile une serviette, puis me dépêche de quitter la salle de bain. Perdu dans mes pensées, je n'ai pas vu le temps passer.
- Qui est-ce ?
- C'est moi monsieur, me répond la gouvernante.
- Que voulez-vous ? m'enquiers-je depuis l'intérieur de ma chambre.
- Je viens vous informer que mademoiselle Maëlly FREITAS est là.
- Bien. Merci. Dites-lui que je descendrai dans dix minutes et veillez à ce qu'on lui offre un rafraichissement en attendant.
- Bien, monsieur.
* *
*
Je descends les marches qui me mènent au sous-sol de ma maison. C'est là que se trouve mon salon. Près de la grande bibliothèque murale, je passe pour rejoindre Maëlly qui m'attend, debout, près du buffet. Elle est occupée à contempler une photo d'elle, Édric et moi, amis depuis l'enfance.
- A chaque fois que je regarde cette photo, j'ai la nostalgie de cette époque.
- C'est pareil pour moi, renchéris-je en me rapprochant d'elle.
Elle dépose le cadre photo à sa place. Je l'embrasse.
- Alors comment vas-tu, Eliad ?
- Bien ! Asseyons-nous ! ajouté-je en indiquant le canapé en cuir. Et toi, comment vas-tu ?
- Je vais bien. Mais je me porterais davantage mieux lorsque tu …
- Arrête Maëlly, tu perds ton temps avec moi. Vois, tu prends de l'âge. Oublie cet amour insensé que tu ressens pour moi et construis-toi une vraie relation amoureuse.
- Je ne veux faire ma vie avec personne d'autre que toi !
- Maëlly ! Faudrait-il que j'use de force, que je commence à sérieusement te repousser pour que tu comprennes que je t'ai toujours vue comme une soeur, une amie et que je ne t'aime pas ?
- Tu finiras par m'aimer comme je t'aime ! J'en suis certaine !
- Maëlly, je te le redis une fois encore : je n'ai aimé et je n'aimerai qu'une femme. Et c'est Camila !
- Elle est …
- Non ! m'insurgé-je en me levant précipitamment. Pour moi, elle est vivante. Autant dans mes pensées, que dans mon cœur. Et je suis convaincu qu'elle est là avec nous, même si nous ne la voyons pas. Tu vois cette bague à mon doigt ? C'est le symbole de l'amour éternel entre elle et moi. Je lui ai promis amour et fidélité pour toute la vie et même-au delà devant Dieu, devant le prêtre, devant le maire et devant les hommes. Et je ne compte pas trahir ma promesse. C'est clair ?
Je viens de hausser le ton, pourtant son visage ne laisse transparaître aucune émotion. C'est comme si mes mots n'avaient aucun effet sur elle.
Elle se repositionne mieux dans le canapé et me dit avec un calme qui me déroute :
- Tout ça est insensé ! De toutes façons, tu finiras par m'aimer !
Ne sachant plus quoi dire ou faire, je reviens m'asseoir sur le canapé. Mais cette fois-ci à une bonne distance d'elle. Elle se rapproche de moi, tente de prendre ma main, mais j'esquive son geste.
- Message reçu ! Je n'insiste plus ce soir. Mais crois-moi, ma prophétie se réalisera, tu verras. Toi et moi, nous finirons ensemble !
Je soupire.
- Au fait, où est ...
- Dans sa chambre, répliqué-je avant qu'elle termine sa phrase.
- Est-ce qu'elle … ?
- Je n'ai pas envie de parler d'elle !
- D'accord ! Alors …
Maëlly met une pause à sa phrase. Quelqu'un vient de cogner contre la porte du salon.
- Qui est-ce ? m'enquiers-je en me levant pour me rapprocher de la porte d'entrée.
- C'est moi, monsieur !
Je reconnais la voix de la nounou.
- Entrez, c'est ouvert.
Je l'entends pousser la porte et la vois emprunter les escaliers pour me rejoindre en bas.
- Bonsoir, monsieur !
- Oui, Bonsoir ! agréé-je un peu intrigué. Que voulez-vous ?
- Je viens vous dire que je démissionne.
Elle semble bien décidée puisqu'elle me l'annonce d'un trait, sans même sourciller. Debout près de moi, se tient Maëlly.
- Pourquoi cette décision soudaine ?
- Parce que je ne supporte plus cette diablesse que vous avez comme fille !
Elle s'adresse à moi sur un ton arrogant, qui ne me plaît pas, mais je garde mon calme. Pas Maëlly.
- C'est ainsi qu'on s'adresse à son patron ? Où sont passées vos notions de civilité, de bienséance ? A moins que vous n'ayez jamais connu les bonnes manières !
Vers Maëlly, la nounou lance un regard des plus irrespectueux. Tous mes employés me savent intransigeant sur certains principes comme la discipline, la ponctualité, le respect...
Alors, si la nounou se permet de me parler ainsi, c'est qu'elle est sûrement très remontée contre celle dont elle a la charge.
- Maëlly ! Merci pour ton aide, mais je gère la situation. Pars te rasseoir. Je m'occupe d'elle.
- Non, Eliad !
- S'il te plaît, Maëlly !
- Non, je suis bien où je suis !
- D'accord !
A la nounou, je m'adresse à nouveau.
- Calmez-vous et reconsidérez la situation. Vous ne pouvez pas partir ainsi !
- J'en ai marre monsieur, vous comprenez ? Marre ! Si je reste une seconde de plus ici, je vais devenir folle. Voyez un peu ce qu'elle a fait à mes propres cheveux.
Elle se retourne et je remarque la vilaine coupe dégradée à l'arrière de sa tête. Des mèches de cheveux très courtes rivalisent avec des longues. C'est bien horrible à voir.
- Alors, c'est juste pour ça que cette bonniche prend autant d'air ! J'ai l'impression qu'elle a oublié que c'est juste un enfant !
- Une peste, oui ! Quant à vous madame Je-sais-tout, vous faites la candidate idéale pour me remplacer ! riposte la nounou avec ironie.
- Vous osez me parler ainsi à moi, Maëlly FREITAS !
J'interviens avant que tout dérape entre les deux femmes.
- Maëlly, va t'asseoir !
- Mais Eliad...
Je la regarde avec un visage grave. Elle comprend que je lui parle au sérieux.
- D'accord, je vous laisse.
- Je comprends que votre tâche n'est pas aisée. Cependant, je vous demande de rester et vous promets de revoir votre salaire à la hausse.
- Non, monsieur je n'en veux pas. Même pas pour tout l'or du monde.
- Ça, c'est le monde à l'envers ! rouspète Maëlly depuis sa position. Une minable qui se croit tout permis.
Je fais semblant de n'avoir rien entendu et poursuis mon dialogue avec la nounou.
- Je vous réitère mon offre.
- Je regrette monsieur. Je ne veux plus …
- D'accord ! J'accepte votre démission ! finis-je par dire.
Je ne compte pas me rabaisser davantage pour une personne qui ici dépend financièrement de moi. Dans les relations avec le personnel, il y a bien des limites à ne pas franchir.
- Vous devriez en principe attendre quelques jours, le temps que je trouve une nouvelle nounou. Mais comme vous semblez bien décidée à partir, je ne vous retiendrai pas davantage. Tout à l'heure, je vous ferai un chèque pour solde de tout compte.
- Merci, monsieur.
Je hoche juste la tête. Elle semble plus détendue.
- Par contre, gardez bien à l'esprit que dès que vous aurez franchi le portail de ma maison, vous n'aurez plus le droit d'y revenir. En d'autres termes, je ne vous reprendrai plus si vous changez d'avis. Me suis-je bien fait comprendre ?
- Oui, monsieur. Je tiens à m'excuser pour tout à l'heure.
- Je vois. Vous pouvez disposer.
- Bien, monsieur.
Elle s'en va et je me retrouve seule avec Maëlly.
- Tu aurais dû me laisser réprimander, comme il se doit, cette impertinente !
- Oublie-la. Elle n'en vaut pas la peine. Je reconnais quand-même qu'elle était en droit d'être en colère, même si sa réaction était trop désinvolte.
- Et que penses-tu faire à présent que "Milena" est sans nounou ?
- Tu sais bien que je n'aime pas entendre ce prénom !
- Excuse-moi. J'avais complètement oublié.
Entendre ce prénom "Milena" me fait terriblement mal à chaque fois. D'ailleurs, en sept années, je ne l'ai jamais prononcé.
- Je n'ai pas d'autre choix que d'en trouver une autre. Et ce très vite.
- Tu veux que je t'aide ?
- Non, je vais m'en charger.
- J'imagine que la situation est bien compliquée. En un an, la petite a droit a au moins 6 nounous. Et cela se repète chaque année. Qu'est-ce qu'elles ont toutes à crier forfait devant une gamine ?
- Tu voudrais la garder ?
Sa réponse, je la connais par avance.
- Oh non, je t'aime mais je ne suis prête à m'occuper d'une fillette. Je ne dispose pas de temps libre pour materner un enfant ; or les enfants hyperactifs comme elle ont besoin de beaucoup d'attention.
Intérieurement, je souris. Sacrée Maëlly ! Tu ne changeras jamais !
- Il ne me reste donc plus qu'à m'activer pour trouver une nouvelle nounou !
- Oui ! Une compagne aussi !
- Maëlly ! Plus entêtée que toi, je n'en connais pas.
- Entêtée ! Oh non ! Plutôt Endurante.
- Maëlly ! achèvé-je en souriant.
Elle en fait autant.