Chapitre 6

Write by leilaji

La Mater

Episode 6


La douleur. Encore et toujours cette même douleur lancinante qui le torturait par vague irradiante et  faisait trembler ses mains comme un malade de Parkinson. Le souffle court, il peinait à emplir ses poumons d’air. A chaque coup, il tentait de protéger son visage de ses bras mais cela ne suffisait jamais. Le dernier choc reçu l’assomma pour de bon, coupa en lui toute velléité de résistance. Il put se laisser glisser dans les bras de l’inconscience après un gémissement qui fut aussi terrible que court. 


Noah ne se réveilla que lorsqu’un seau d’eau lui fut versé sur la tête. Combien de secondes, de minutes ou d’heures était-il resté inconscient ? Il n’en avait aucune idée. D’ailleurs, il ne savait même pas depuis combien de jours il était resté captif de ses ravisseurs. Vu le traitement qui lui était réservé depuis son enlèvement, Noah se doutait bien que s’il ne s’échappait pas, il allait mourir ici. Mourir seul dans cet endroit inconnu qui puait la pisse et le sang séché. L’homme s’en alla.


Son œil droit gonflé par un crochet de droit ne s’ouvrait plus. Sa lèvre inférieure, fendue par un coup reçu la veille pendait mollement. Ses poignets lui faisaient mal à chaque mouvement. Il tenta une nouvelle fois de tirer les liens qui le maintenaient attaché à la grille soudée au mur. Mais ils ne cédèrent pas. Ces fichus liens tenaient mieux leur promesse qu’un homme politique africain. Un bruit de clef qui tourne dans une serrure rouillée parvint à son oreille et glaça son sang dans ses veines. Non. Pas déjà ! se dit-il tandis que les larmes lui montaient aux yeux. 


L’homme venait-il encore une fois lui servir son plat de coups de pieds et de poings ? 


Il entra dans les lieux, tête cagoulée. Pourquoi prendre cette précaution, alors que la pièce entière était plongée dans les ténèbres et qu’il se contentait d’éclairer ses pas avec une lampe tempête à la vitre noircie par le pétrole brulé ? Du peu que Noah avait pu percevoir, l’homme était grand de taille. Il ne parlait jamais de sorte que Noah n’avait jamais pu entendre sa voix. Mais le plus troublant pour le jeune homme, c’était la stature de l’homme qui lui semblait puissamment familière.


Un pain sec fut jeté à ses pieds ainsi qu’un sachet d’eau. La faible lumière éclaira fugacement le visage cagoulé avant de jeter ses pales raies sur le sol. Puis l’homme repartit sans rien ajouter. C’était bien la première fois qu’il entrait dans la pièce sans le frapper. Noah en aurait pleuré de soulagement s’il ne s’était pas juré de ne pas verser une seule larme. La pièce fut de nouveau plongée dans le noir lorsque la porte se referma derrière l’inconnu. Le ventre de Noah émit une protestation qui fit fléchir le jeune homme. Il n’avait plus le choix, il lui fallait manger ce qui se trouvait par terre au risque de commencer à délirer lorsque son corps allait réclamer avec plus d’ardeur à manger. Du pied, il tata les alentours. Lorsqu’il sentit au bout de ses orteils la dureté du pain, il le ramena vers lui. Ainsi que le sachet d’eau. Au moment où il allait en couper un bout, il entendit un petit couinement dans son dos, on aurait dit un rat. Il bougea avant de se rendre compte que se tourner ne lui servait à rien puisqu’il n’y voyait rien. Mais son geste fit détaler l’animal apeuré. Ce n’est que quelques secondes plus tard qu’il se rendit compte que le rongeur avait fui avec son pain. 


Un bout de pain ranci. Mais du pain quand même. De quoi calmer la faim. 


D’abord ses épaules furent secouées puis ce fut tout son corps avant que sa bouche ne libère un long cri de désespoir. 


*

**


Véronique plongea la main dans la boite et en ressortit un lot d’enveloppes blanches timbrées au nom de Stella Allogho. Elle connaissait bien une Stella mais elle ne se nommait pas Allogho. Il lui fallut une petite seconde pour comprendre pourquoi ce nom lui paraissait si familier. Sa meilleure amie s’appelait Stella Biteghe. Mais Biteghe était le nom de son mari. Longtemps Stella avait décliné son nom de jeune fille : Allogho. 


— Pourquoi tu fais cette tête ? lui demanda posément Otsiemi tout en la dirigeant vers sa voiture. 


Le choc fut tel qu’elle se laissa mener sans résistance, comme une enfant. 


— Je… ne comprends pas. Ce n’est pas possible, bégaya Véronique. 


La tête lui tournait. Elle prit place dans la voiture et Otsiemi démarra juste après. Il n’avait aucune intention de trainer encore dans les parages. Ils avaient eu beaucoup de chance de ne pas s’être fait prendre à cambrioler une boite postale. Tout le long du trajet, il ne fit aucune remarque sur la pâleur de son visage. 


La question tournait en boucle dans la tête de Véronique. Pourquoi le nom de sa meilleure amie, marraine de son fils unique apparaissait sur des courriers destinés à la boite postale cachée de son mari ? Elle n’osait tirer les conclusions qui s’imposaient à elle. Et par conséquent, elle n’osait ouvrir les enveloppes. 

Quelques minutes après, Ostiemi se gara à l’ancienne SOBRAGA, devant l’étale d’un vendeur de coupé-coupé. Le quartier baptisé du nom de la société des brasseries nationales, l’avait conservé alors même que la brasserie avait déménagé son siège. Otsemi sortit son portefeuille et compta les quelques billets bleus qui lui restaient. La paie de fin de mois ne se profilait pas vraiment à l’horizon. Mais il fallait qu’elle se mette quelque chose sous la dent. Si elle résistait, il avait bien l’intention de la gaver de force. Lui-même habitué à vadrouiller partout dans la ville le ventre vide de nourriture et plein de bière commençait à sentir la morsure de la faim dans son estomac.


Il s’occupa d’elle comme un homme s’occupe d’une femme timide à un premier rendez-vous. Il leur trouva deux chaises vides ainsi qu’une table propre, commanda les lamelles braisées de viande de bœuf agrémentées d’oignon coupé en fines rondelles. Le vendeur avait badigeonné leurs plats de moutarde et de piment en poudre avant de jeter des morceaux de pain et de manioc dans deux autres assiettes. Sans rien lui demander Otsiemi se rendit à la superette d’à côté et acheta une bouteille de jus d’orange. Et parce que c’était Véronique, il acheta du vrai jus d’orange et non pas la mixture orangée et sucrée qu’on appelait pop orange. Il remplit leur verre et poussa le second plat vers Véronique.  Il n’y avait pas de fourchette, mais une floppé de cure dent à utiliser comme couverts.


— Mange d’abord ! On réfléchira après. 

— Je ne peux pas. J’ai comme une boule dans la gorge depuis la disparition de Noah. Est-ce qu’il a mangé ? Est-ce qu’il est saint et sauf ? Me poser la question me torture. 

— Je comprends. 


Elle ne toucha pas à son plat préférant émietter le pain d’un geste nerveux.


— Je pensais connaitre les gens qui m’entourent. Mais en vérité on ne sait jamais rien de très certain sur les autres.

— Quand tu le retrouveras, il aura besoin d’une maman en pleine forme et non pas d’une loque affamée. Véronique, s’il te plait ma chérie mange.


Le ton caressant employé par le policier la fit sortir de sa torpeur. Pourquoi lui permettait-elle d’utiliser ce petit nom affectueux ? Elle ne le savait même pas elle-même.

Véronique lui sourit, mais son sourire n’atteignait pas son regard. Elle picora dans son assiette et but le jus d’orange. Il n’était pas très frais mais elle ne s’en plaignit pas. Puis comme si manger lui avait donné de l’assurance, elle ouvrit toutes les enveloppes, en étalant le contenu devant eux. Ils les examinèrent ensemble. Il s’agissait de virements faits par son mari sur un compte ouvert à la Banque Atlantique. Les montants des sommes virées non plus. Et c’était d’autant plus étrange que les sommes étaient conséquentes. Encore une fois, elle était dans une impasse. Il lui fallait accepter ce qu’elle voyait ou fermer les yeux. 


— Il faudrait que j’appelle Stella. 

— Et peut-être lui mettre la puce à l’oreille si elle est complice des faits ? Creusons d’abord un peu. 

— Stella est comme une sœur pour moi. Je ne vois pas dans quel intérêt elle souhaiterait faire du mal à Noah.  Quel pourrait être son mobile ? Tout ça n’a pas de sens.

— Est-elle mariée ? A -t-elle des enfants ? Si elle avait une liaison avec ton mari et souhaitait prendre ta place…

— C’est Impossible.

— Laisse-moi terminer. Un enfant est un lien fort qui pousse certains hommes à demeurer dans des mariages qui ne leur plaisent plus, ou du moins c’est la raison qu’ils donnent à leur maitresse. Peut-être qu’elle s’en est prise à Noah pour qu’il n’y ait plus d’entrave entre ton mari et elle. Ne me foudroie pas du regard, ce ne sont que des suppositions. Un simple courrier ne peut confirmer une relation extra conjugale. 


A une certaine époque, beaucoup des amies de Véronique, qu’elle ne fréquentait d’ailleurs plus, lui avaient conseillée de s’éloigner de Stella. Pour la simple et bonne raison que Véronique venait de se marier et qu’en tant qu’épouse d’un homme plein de charme comme Ndong, elle ne devait plus trainer dans la ville avec une célibataire endurcie. Les femmes gabonaises avaient plus peur des autres femmes, celles qui n’avaient aucune alliance à l’annulaire que de leur mari. La plupart des femmes mariées craignaient bien plus leurs amies célibataires, les secrétaires et ménagères un peu trop belles que les prostituées. Comme si la trahison ne pouvait venir que de proches. Stella, médecin au grand cœur avait toujours eu du mal à laisser un homme mettre le grapin sur elle. Belle, intelligente et indépendante, ses amies lui avaient toutes tournée le dos dès qu’elles s’étaient mariées. Véronique était la seule à avoir fait peu cas des mises en gardes. 


Devait-elle le regretter à présent ? Stella entretenait-elle une liaison avec son mari ? Non, elle ne pouvait le croire. Cependant, elle devait bien s’avouer que cette boite postale ne pouvait plus être une erreur puisque quelqu’un qu’elle connaissait y était liée. 


— Tu veux vraiment lui demander des comptes à elle ? questionna Otsiemi en poussant son assiette devant lui. 

— Je me suis toujours dit que je ne serais jamais celle qui accuse la maitresse et épargne le mari. Stella ne m’a pas juré fidélité en amitié mais Ndong m’a juré fidélité en amour. Si quelqu’un a fait défaut c’est lui. 

— Donc elle tu l’épargnes ? 

— Je n’ai pas dit ça, dit-elle ne se levant brusquement. 


Un jeune couple s’attabla non loin d’eux. Véronique les observa. Ils semblaient si amoureux l’un de l’autre. Ils ne prêtaient aucune attention à ce qui les entouraient mais semblaient ne voir le monde que par les yeux de l’autre. Elle sera le poing. Elle avait envie de faire déchanter la jeune fille. De lui dire de ne pas faire confiance à ce regard tendre qui glissait sur sa peau nue, à ces lèvres douces qui ne chuchotaient que des mots d’amour. Avec le temps, tout cela s’effritait, s’asséchait et perdait son éclat. Avec le temps, l’amour n’était plus que trahison. 

Ils montèrent à nouveau dans la voiture d’Otsiemi. Déjà le soleil commençait à décliner à l’horizon. Les toits de Libreville se paraient d’or.


— Je sais que tu as hâte d’aller en découdre avec ton mari mais ne penses-tu pas qu’il te faudrait avoir des munitions avant de partir en guerre ?

— De quoi tu parles ? 

— Je sais comment fonctionne les hommes. C’est vrai que ça n’a jamais été mon genre de refuser d’avouer la vérité mais j’ai tous mes amis qui l’ont fait au moins une fois. 

— Explique-toi. 

— Si je sais que je t’ai trompée, que je risque gros, que je risque de perdre la moitié de tout ce que j’ai bâti dans un divorce long et douloureux, ce n’est pas avec de simples enveloppes contenant le nom de ton amie que je me sentirais menacé. Je nierai tout. Et tu ne pourras plus rien ajouter. Il te faut plus que des virements…

— Je me suis longtemps voilée la face peut-être. Mais je dois lui parler. Je ne peux pas continuer à faire des suppositions. 

— D’accord mais faisons d’abord un tour chez une de mes amies journalistes. Elle travaille dans cette banque, elle pourra peut-être nous donner des informations. 

— C’est censé être confidentiel, elle ne pourra rien nous dire. Je ne veux plus perdre de temps Otsiemi. 

— Ok. Ok. 


Il leur fallu moins d’une demi-heure pour se garer en bordure de route non loin d’une pharmacie. Ils étaient dans un quartier très populaire. Les bars crachaient de la musique urbaine et les jeunes se regroupaient en petite bande pour bavarder entre eux. Véronique se sentit mal à l’aise. Que faisaient-ils là ? 


— Tu as une tête de déterrée. Tu viens à la maison…

— Quoi !!! T’es fou ou quoi ? je n’ai pas que ça à faire. 

— En tout bien tout honneur, je te le promets, s’exclama-t-il en levant les mains en signe d’innocence. Tu prends une douche puis après je te ramène chez toi pour affronter ton mari. Ton fils a disparu ! Tu as besoin de toute ta tête pour questionner ton mari. Depuis quand ne t’es-tu pas reposée ? Depuis quand ?

— Je n’ai pas de temps à perdre avec ces bêtises…


Au loin, les jeunes éclatèrent de rire à l’évocation d’une gifle donnée par une Mater. Ce surnom affectueux que lui donnait son fils. L’entendrait-elle encore une fois de sa bouche. Le rire des jeunes hommes libres, si insouciants, la déstabilisa. Elle ouvrit la portière sans même regarder la route. A peine posa-t-elle les pieds sur le goudron qu’une voiture fit une embardée en l’évitant. Le chauffeur la traita de conasse sans s’arrêter. Son cœur sauta trois battements. Elle posa sa main sur sa poitrine pour se calmer. Elle faisait vraiment n’importe quoi. En fermant les yeux, elle revit l’image de son fils pleurant lorsqu’il s’était fait mal. Il lui fallait tenir. Trouver des réponses. Plus de réponses.


— Je ne peux pas rester ici. Je n’ai pas besoin de me reposer. J’ai besoin d’avoir des réponses et de retrouver mon fils. Je vais voir mon mari. Tu me ramènes ou je prends un taxi.

— Je ne te ramène pas. Pas maintenant.

— Alors je vais prendre un taxi. 


Otsiemi fit le tour de sa voiture pour vérifier qu’elle n’avait rien. Par deux fois Véronique vacilla mais à chaque fois, Otsiemi la reteint. 


— Bon assieds-toi, je vais acheter une bouteille d’eau Andza. Tu vas te laver le visage et je te ramène. 


Véronique reprit place au bord de la vieille voiture et laissa Otsiemi s’éloigner. Elle chercha son téléphone afin de ne pas l’oublier dans la voiture. Son mari devait être très en colère. Et sa famille aussi. Peut-être même la cherchait-on. Quelle idée de passer la journée avec un ex et ne pas donner de signe de vie. 

Le voir s’occuper d’elle comme il l’avait fait des années auparavant la rendait nostalgique. Avait-elle fait le bon choix ? Se battre pour le bonheur et la réussite d’un homme en estimant que c’était aussi la sienne, en valait-il la peine ? Elle se posait trop de question. Quand on aime éperdument, on pardonne de la même manière. Eperdument. Pouvait-elle pardonner Ndong si la noirceur qui se révélait à elle à chaque découverte était vraie ?


Elle se concentra de nouveau sur sa recherche. Peut-être pourra-t-elle charger son téléphone chez Otsiemi avant de rentrer chez elle. Il avait été si serviable depuis leur rencontre. Elle pouvait bien lui faire confiance encore une fois et se reposer un peu chez lui avant d’affronter la tempête. Mais elle ne voyait le portable nulle part. Où avait-elle bien pu le mettre ? Elle fouilla la boite à gants, en ressortit un tas de bric à brac puis tomba sur une photo qui lui coupa la respiration. 


Ses yeux devaient lui jouer un tour. Ce n’était pas possible.

Sa main tremblait mais il s’agissait bien d’une photo de son fils. 


Une photo de son fils dans la boite à gant d’Otsiemi ? Il était censé ne pas connaitre Noah. 

Que faisait là cette photo ? Etait-il mêlé à la disparition de Noah ? Etait-ce pour cela qu’il tenait tant à rester avec elle, à savoir exactement ce qu’elle pensait, ce qu’elle allait faire ? A la mener sur la fausse piste de l’opposant ? Les questions fusèrent dans tous les sens, lui donnant envie de prendre ses jambes à son cou et de s’enfuir loin, très loin. 


Tout le monde la trompait, tout le monde lui mentait. A qui pouvait-elle désormais faire confiance ? A Ndong ? A Stella ? A Otsiemi ? 


Non ! A elle-même.

La Mater