chapitre 6: Une lueur d'espoir
Write by Max Axel Bounda
VI
Mercredi 9 aout 2017
Zone Industrielle d’Oloumi
20 h 12
Un gyrophare tournait sur le toit d’une ambulance du SAMU garée derrière un fourgon de police en projetant des reflets rouges sur les murs.
Derrière le premier cordon de sécurité, les curieux habituels s’étaient regroupés en espérant apercevoir quelque chose de morbide qu’ils auraient à raconter sur les réseaux sociaux. Loin derrière, je parvins à distinguer une camionnette avec des antennes sur le toit et le logo d’une grande chaine de télé.
— Les journalistes sont déjà là, commenta Joristana dans mon dos. Et comme c’est G24 ça passera en boucle pendant une semaine.
Le lieu était sordide. Les poutres métalliques chargées de maintenir la structure étaient bouffées par la rouille, et une partie de la toiture s’était effondrée dans le fond de l’édifice, à proximité de l’endroit où se trouvait le corps. Je n’étais pas surprise par l’état de l’entrepôt. Le Chirurgien choisissait toujours avec soin l’endroit où il se débarrassait des corps.
En arrivant près du rassemblement, je reconnus le Sous-Directeur Nkulu, au milieu de l’équipe de Varama au grand complet. Je remarquai la fine silhouette de Joristana. Elle s’entretenait toute souriante avec le substitut du procureur Ulrich Bounguili.
Le médecin légiste avait terminé ses investigations. Il s’agissait du docteur Jean-Benoît Libama, un homme dans la fin de la quarantaine. Il était grand et sec avec des cheveux argentés et des lunettes à monture dorée.
Je m’approchai pour découvrir le cadavre, au-dessus duquel bourdonnaient quelques mouches. Il s’agissait d’une fille d’une vingtaine d’année possédant un corps magnifique. Elle était nue et je remarquai la plaie béante sous son sein gauche, et les mutilations sur ses seins et son entrecuisse. Il ne faisait aucun doute que ce nouveau meurtre était encore l’œuvre du chirurgien.
Des infirmiers s’approchèrent avec un brancard pour enlever le cadavre.
C’était un groupe de jeunes qui fouinaient dans le quartier qui avaient découvert le corps de la victime. D’après les premières constatations du légiste, la victime semble avoir été tuée entre vingt heures et quatre heures du matin et comme on pouvait s’en douter, le meurtre n’avait pas été commis à cet endroit. La victime avait subi des mutilations sur les seins et l’ablation du clitoris, et son cœur avait été proprement sectionné et enlevé, selon la signature du chirurgien. Sauf que c’était trop rapide. Deux meurtres en une semaine ça ne lui ressemblait pas.
— Je dis hein ? Le Chirurgien a tué deux filles en cinq jours. Habituellement il s’écoule deux semaines ou plus entre chaque meurtre. Fit Remarquer le substitut du procureur. Qu’est ce qui a provoqué ce changement ? Il a pris gout ou quoi ?
— Je crois que quelque chose a dû le déranger lors du meurtre de Rigoberta Nzouba, répondis-je. Il ne l’a pas torturée, il l’a étranglée et l’a mutilé après la mort. Il a tué cette fille quelques jours après parce que le meurtre de Rigoberta a été raté, il devait réussir celui-ci au plus vite, afin d’effacer les erreurs du précédent. Il faut absolument qu’on sache quel est l’élément déclencheur qui l’a poussé à passer à côté de meurtre de Rigoberta, et si on a de la chance, on pourra peut-être remonter jusqu’à lui.
Nous échangeâmes des regards silencieux, jusqu’à ce que le Sous-Directeur Nkulu vienne rompre l’état de découragement dans lequel nous étions tous plongés.
— Il faut donc trouver cet élément déclencheur Axelle-Marthe, dit-il. Il faut que l’on dissèque complètement la vie de Rigoberta jusqu’à ce que l’on comprenne ce qu’elle avait de particulier.
Si seulement les choses pouvaient être aussi simples…
***
Vendredi matin, je me vautrai sur mon fauteuil. Cassydie et Joristana ne bossaient pas ce jour-là. D’ailleurs je me demandais bien ce qu’elles faisaient en ce moment. Connaissant Cassydie, elle était certainement en train de regarder un bon film en blueray allongée sur son canapé, un bol de céréales entre les mains, et un bloc note avec le résumé de notre affaire posé non loin sur la table.
Joristana par contre, elle était la plus ordinaire de nous trois. Une fille normale au bon milieu n’est monde anormal. Elle pouvait être n’importe où, à faire n’importe quoi allant du shopping à un repas bien au chaud à la terrasse d’un café.
L’équipe de Christophe était allé réinterroger des collègues de travail à Rigoberta Nzouba. Restée seule au bureau, je fis un point rapide sur l’affaire. Il fallait que je concentre pour cerner toute la complexité de cette affaire. J’avais vu pire et j’avais été la meilleure partout donc cette affaire ne pouvait pas impossible à résoudre. Je devais comprendre, et penser comme le chirurgien. Ne pas me fier aux évidences.
Simone Wora et Samson Mbenguet avaient assisté à l’autopsie de la septième victime, qui pour l’instant, n’avait pas encore été identifiée. Nous n’avions rien appris de plus que pour les autres victimes. C’est-à-dire que les mutilations avaient été pratiquées à vif, et la cause du décès était l’ablation du cœur. Tout semblait rentré dans l’ordre, c’était le mode opératoire du Chirurgien, et nous ne savions toujours pas pourquoi il avait tué Rigoberta aussi maladroitement.
Mon téléphone vibra sur la table. Je me levai paresseusement et pris mon portable, je décrochai et y découvrit la voix de Charlotte Rignault. Je ne savais pas pourquoi mais mon intuition me disait qu’elle avait des informations qui nous seraient d’une importance capitale.
— Bonsoir agent spécial Koumba.
— Bonsoir mademoiselle Rignault, comment allez-vous ?
— Je tiens le coup. Elle me manque énormément.
— Je sais que ce n’est pas facile à vivre. J’ai moi aussi perdu mon coéquipier en mission il y a un an. Depuis je crois toujours qu’il va me dire bonjour un de ces quatre.
— J’ai vu sur Gabon24 que le Chirurgien a encore tué une autre fille...
— Oui, malheureusement.
— Vous savez, dit-elle timidement. J’ai inventé toute cette histoire de sortie avec des garçons. Je ne pouvais pas dire la vérité devant mon père. En fait, Rigoberta était restée chez elle. Elle s’est disputée avec son père il quelques mois, et il ne lui donnait plus d’argent. L’appartement était à elle, et payait pas de loyer, mais son travail ne lui rapportait rien comparé à son train de vie. Elle vivait dans le luxe. Elle aimait sortir et faire la fête. Ce train de vie lui coutait cher, surtout depuis qu’elle se droguait au Kobolo.
— Rigoberta se droguait ? Mais pourquoi ? Demandai-je en m’efforçant d’être apaisant.
Elle eut un instant d’hésitation puis répondit :
— Elle a commencé à le faire, après avoir coupé les ponts avec son père. Chaque fois qu’on sortait, elle en mettait dans son verre. Ça me faisait peur mais à beau parler elle ne m’écoutait pas.
— Où est-ce qu’elle se les procurait ?
Là, je commençai à tendre l’oreille.
— C’est l’un de ses nouveaux potes qui la ravitaillait, répondit Charlotte. Un gars de notre génération, riche et vraiment beau gosse. Je crois qu’elle l’avait rencontrée grâce à son travail. Au début, elle lui donnait de l’argent, mais après ils ont commencé à sortir ensemble. Du coup, elle l’a même emmené chez elle. On a fait des soirées avec lui, il a vendu des Kobolos à tous nos potes.
Je me redressai, car là, ça devenait véritablement passionnant.
— Vous connaissez cet homme ? Vous connaissez son nom ? Demandai je soudain très excitée.
— Oui, je l’ai vu plusieurs fois, fit-elle après quelques instants d’hésitations. Je…Je ne connais pas son nom…Bredouilla Charlotte. Il était toujours bien habillé et plein de pognon, n’hésitait pas à payer les bouteilles de champagne en boite, mais je ne sais rien de lui. Juste qu’il traine au Séisme, il est ami des propriétaires.
Charlotte se tue un instant.
— Quel est son nom ? Nous devons lui parler pour savoir s’il sait ce qui est arrivé à Rigoberta. Si ce type est coupable, nous le mettrons derrière les barreaux et nous vous protégerons. Vous pouvez me faire confiance.
Là-dessus je mentais. Il n’y avait pas de programme de protection des témoins au Gabon. On devait e créer un avec quelle force ? Avec les petits bandits que nous avons ici, ce n’était pas la peine. Mais comme il fallait qu’elle crache le morceau, j’étais bien obligée de mentir.
— Il s’appelle Landry Andjoua, concéda-t-elle. Mais tous nos potes le connaissent uniquement sous le pseudonyme de Highlander. Je suis la seule à connaître son identité. C’est pour ça que j’ai peur de parler.
— Vous savez où il habite ?
— Je n’en ai aucune idée. Il vit à Libreville, et qu’il voyage beaucoup c’est tout ce que je sais.
Je doutais fort que ce jeune émergent ait quoi ce soit à avoir avec notre affaire. Je doutais fort qu’il fut le Chirurgien. Une dernière pensée me traversa l’esprit.
— Une dernière chose. Andjoua était son petit-ami ?
Je sentais qu’elle choisissait ses mots avec attention.
— Non, pas du tout. Ce n’était pas officiel mais elle voyait quelqu’un.
— Elle avait une relation avec un homme pendant qu’elle sortait avec Andjoua, c’est ça ?
Charlotte éclata de rire.
— Toutes les filles le font, agent spécial. Landry, c’était juste pour le business. L’autre homme, c’était un peu plus sérieux. Il lui offrait des cadeaux et des bijoux de luxe.
— Vous connaissez son nom ?
— Non, elle n’a jamais voulu me dire qui c’était. Tout ce que je sais, c’est qu’il a une cinquantaine d’année et qu’il est marié.
Un homme marié ? J’étais surprise, mais je me souvins qu’Iris la sœur de Rigoberta avait laissé entendre que sa sœur avait une relation discrète. Cela voulait dire que l’on devait fouiller les relations des autres victimes, et vérifier si elles ne connaissaient pas un jeune émergent ou si elles ne sortaient pas avec un homme marié.
— Autre chose, je me suis souvenue que Rigoberta m’avait dit qu’elle avait fait un truc avec ce type marié avec qui elle sortait.
— Quoi donc ?
Elle marqua un temps d’arrêt, et j’en profitai pour m’interroger sur ce qu’elle pouvait vouloir me dire.
— Rigoberta m’a dit qu’elle avait une sextape avec son ordinateur, répondit Charlotte. Elle avait caché l’appareil pour pouvoir enregistrer la chose à son insu.
Je sursautai sur mon siège, ce qui n’échappa pas à Cassydie qui m’observa d’un air étrange. J’eus soudain le sentiment de comprendre un truc essentiel.
— Pourquoi a-t-elle fait ça ?
— Je n’en ai aucune idée, elle ne me l’a pas dit. Mais je crois qu’elle voulait qu’il quitte sa femme.
J’étais bien de son avis, et une supposition me traversa l’esprit. Charlotte n’avait plus rien à ajouter, et elle mit fin à la discussion.
— J’espère vous avoir été utile et que vous arriverez à coincer ce salopard.
— Merci pour ces informations, Charlotte, repris-je. Et ne vous inquiétez pas : je ne dirai pas à votre père que vous m’avez parlé.
Après le coup de fil, j’appelai Joristana mais elle ne décrocha pas. Je compris pourquoi quand je reçus son message. Elle était en rendez-vous galant d’après elle. Je me demandai bien avec qui. Je réussis à avoir Cassydie pour lui expliquer ce que Charlotte m’avait dit. Et je réunis mes collègues présents au bureau en même temps que moi.
— On n’a pas retrouvé de caméscope dans l’appartement de Rigoberta, fit remarquer Samson, et son ordinateur a été formaté. Tu crois que ça veut dire qu’elle s’est filmée en train de coucher avec le Chirurgien et qu’il l’a su ? Ce serait pour ça qu’il est devenu furieux et qu’il a fait disparaître toute trace de son passage chez elle ?
Je ne répondis pas, car j’étais en train d’élaborer un nouveau profil. Et je savais que ce n’était pas lui le chirurgien.
— On a le chirurgien dans une vidéo quelque part. Bordel de merde ! Je vais aller prévenir le Directeur Asselé !
Le Sous-Directeur Nkulu était surexcitée, et il bondit dans le couloir en direction du bureau du Directeur.
— Et si Le Chirurgien était le type marié ? lança Ludovic. Il a peut-être découvert que Rigoberta sortait avec Andjoua et il a craqué.
Ce n’était pas bête comme raisonnement.
— C’est bien possible, reprit le Sous-Directeur Nkulu. Mais pour l’instant, nous ne savons pas qui est le vieux de Rigoberta. L’équipe de Samson va essayer de découvrir si les autres filles sortaient avec des hommes mariés. Les autres se concentrent sur Landry Andjoua. Je veux qu’on trouve toutes les infos concernant cet émergent. On a peut-être trouvé le chirurgien. Au boulot !