Chapitre 63
Write by Auby88
"C'est très beau d'aller vers un solitaire, cela donne des frissons comme d'approcher un animal sauvage et doux. Le malheur c'est que, si vous réussissez à attraper un solitaire, vous le perdez : il n'est plus seul. (Christian Bobin)"
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Des années plus tard
Nadia Page AKLE
Mon cœur et le sien battent fortement tandis que nous approchons du tableau d'affichage.
- Regarde tata Nadia, mon nom est dessus. J'ai réussi au CEP !
Shola sautille frénétiquement, tel un poisson dans l'eau, puis vient se jeter à mon cou.
- Je te dois tant, je te dois tout, tata Nadia.
- Non, ma jolie, c'est le résultat de ton travail.
- Et je le pense aussi, ajoute Eliad qui vient de se rapprocher de nous.
- Vous êtes si gentils. Que serais-je devenue si vous n'étiez pas là ?
Elle fond en larmes. Et moi, je ne parviens plus à retenir les miennes.
- Il vaut mieux que nous allions à l'écart pour ne pas perturber les autres candidats.
- Tu as raison, Eliad, agréé-je en essuyant mon visage. Je pense même qu'on peut rentrer. A moins que Shola ait encore quelque chose à faire ici.
Elle secoue la tête.
- Ok, alors allons-y. On te déposera à la maison d'accueil.
- Merci.
J'acquiesce en souriant puis mets un bras autour de son épaule, tandis que nous avançons vers la sortie de l'école primaire...
Shola descend de la voiture et nous fait un signe de la main avant de disparaître derrière le grand portail de la maison MADELEINE.
- Tu y vas aussi ? me questionne mon époux.
- Non, Eliad. Pas maintenant. Dans l'après-midi, peut-être. Aujourd'hui, je suis tellement à fleur de peau que je risque de pleurer à tout bout de champ.
- Sache que j'ai une tonne de mouchoirs à disposition !
Eliad et ses blagues ! J'éclate de rire, tandis qu'il démarre la voiture.
- Je suis si heureuse pour Shola. Ses yeux brillaient intensément tout à l'heure. Aujourd'hui, elle est une jeune fille joyeuse et pleine de rêves, elle est une élève modèle qui vient d'obtenir son CEP et qui entrera très bientôt au Collège... Alors qu'avant elle traînait sur les trottoirs, le regard perdu et l'air complètement désespéré.
- C'est vrai. Elle a eu une vie bien dure, cette petite.
- Oui, Eliad ! Elle est passée par tant de malheurs... Mais elle tient toujours debout. C'est une vraie battante !
- Comme toi, PAGE ! Elle te ressemble beaucoup, tu sais.
- Oui, je pense aussi comme toi. C'est peut-être pour cela que je tiens autant à elle.
Il me sourit.
- Au fait, tes cours ça avance ? Tu t'adaptes bien ?
- Oui, Eliad. J'adore apprendre. Je croise les doigts en espérant que l'année prochaine, j'obtiendrai mon baccalauréat.
- C'est bien PAGE. J'attends avec impatience le moment où tu pourras enfin commencer les études de Droit et porter la toge.
- Ce n'est pas pour aujourd'hui, Eliad. Je ne sais même pas si j'aurais le courage d'aller jusque là-bas. Je prends de l'âge, tu sais et les enfants ont besoin de plus d'attention.
- Tu y arriveras, ma guerrière XENA à la béninoise !
Je souris grandement.
- Et puis, il n'y a pas d'âge pour apprendre. Quant aux enfants, il suffira juste de mieux s'organiser tous les deux.... Quoiqu'il en soit, je te soutiendrai toujours.
- Merci Eliad. Tu es mon meilleur, tu sais !
Il me fait un bisou à distance en gardant les yeux droit sur la route.
- Dis PAGE ! Tu sors cette nuit ?
- Oui.
- J'aurais bien voulu t'accompagner, mais j'ai un important projet d'architecture à livrer pour demain.
- Ne t'inquiète pas. Ce soir, je serai avec Kocou et Edric.
- Parfait ! Je suis rassuré… Je suis chaque jour un peu plus fier de toi, PAGE et fier de ce que tu accomplis pour aider les autres.
- Merci mon cœur.
Sa main vient brièvement reposer sur la mienne. Puis à nouveau, ses yeux se concentrent sur le volant.
Eh oui, il s'est produit beaucoup de changements dans la vie de PAGE. Comme par exemple ma nouvelle vocation : aider les femmes désireuses de quitter la prostitution à s'insérer socialement et professionnellement.
C'est dans cette optique que j'ai créé l'Association MADELEINE avec l'appui d'Eliad et d'Edric. Pour le moment, nous ne disposons que d'un seul Centre qui les accueille, les écoute et les accompagne, au cas par cas.
Celles qui le souhaitent peuvent y être hébergées et nourries gratuitement, tout au long de leur transition, l'objectif final étant qu'elles puissent être financièrement indépendantes ( par le biais d'un emploi salarié, de l'auto-entrepreneuriat, commerce...) Quant aux mineures, nous les aidons à reprendre le chemin de l'école et les prenons en charge jusqu'à ce qu'elles soient majeures.
Pour l'heure, nous travaillons avec des volontaires et des bénévoles. Et nous fonctionnons surtout sur fonds propres. Nous bénéficions des aides de quelques donateurs mais ce n'est malheureusement pas assez. Car il y a encore beaucoup à faire. Cependant, je ne désespère pas.
Mon travail n'est du tout pas facile mais j'adore ce que je fais. Surtout quand je vois le sourire sur le visage des femmes qui réussissent leur réinsertion. C'est cela qui me donne la force de laisser mes enfants et mon mari, de sortir deux nuits par semaine, pour parcourir les zones de prostitution, me confronter aux menaces de proxenètes, aux injures et provocations de certaines prostituées qui trouvent que je les dérange ou que je fais fuir leur clientèle.
Heureusement, je bénéficie pour ma protection de l'assistance d'Eliad, Edric et Kocou, un ancien sans-abri qu'Edric m'a présenté et qui connait bien les quartiers de Cotonou.
C'est au cours de l'une de ces nuits, où je parcourais les zones de Cotonou regroupant le plus de prostituées que j'ai rencontré Shola, une adolescente de 14 ans qui s'est retrouvée malgré elle dans l'enfer de la prostitution. Sa mère morte depuis deux ans était une prostituée que le SIDA (Syndrome Immunodéficience Acquise) avait fait passer de vie à trépas. La petite abandonnée de tous, avait alors délaissé l'école, trouvé refuge aux abords des marchés puis commencé à se prostituer pour pouvoir survivre. Elle a été mon coup de cœur, dès que je l'ai vue. Parce qu'elle me rappellait tellement moi avec cette sensibilité qu'elle avait et sa force de caractère malgré son jeune âge. Je suis tellement fière d'elle et de tout ce qu'elle a accompli depuis lors…
Et je suis tout autant fière de moi quand je parviens à sortir une fille, une mère, une soeur du joug de la prostitution, quand je parviens à lui redonner une certaine humanité.
Toutefois, j'essuie aussi beaucoup d'échecs. Il y'en a qui ont si peur du changement, peur de leurs proxenètes qu'elles refusent de se faire aider même quand elles le désirent. Il y en a qui sont si accro à la drogue qu'elles retombent dans la prostitution pour pouvoir s'en procurer, après tout le travail qu'on fait avec elles pour leur réinsertion… Et il y a aussi la grande masse de celles qui se plaisent dans ce qu'elles font et ne pensent jamais raccrocher.
De toutes façons, je ne force jamais personne. Même avec les protégées de l'Association, nous allons toujours à leur rythme, progressivement et sans les presser... En tout cas, je reste consciente que tant qu'il y aura des clients, il y aura toujours des femmes prêtes à se prostituer.
Malgré tout, tant qu'il y'aura des femmes désireuses de changer de vie, je continuerai de laisser mes enfants et mon mari deux nuits par semaine pour aller à leur rencontre dans les rues et leur tendre mes mains pour les tirer du gouffre dans lequel elles sont plongées.
Et d'une certaine manière, en agissant ainsi, j'ai l'impression d'avoir enfin l'opportunité d'aider Carine.
Carine ! (Long soupir intérieur). Elle me manque tellement. Ce matin, j'ai brûlé un énième cierge pour elle.
Carine ! J'aurais tellement aimé qu'elle soit en vie pour lui démontrer qu'il y a bien une vie après la prostitution quand on oeuvre pour cela et qu'on ne baisse pas les bras, malgré les épreuves de la vie. Et j'en suis un exemple aujourd'hui. J'ai un travail décent, je suis mariée et j'ai des enfants. Inimaginable, n'est-ce pas ?
Je me rappelle encore nos discussions où elle trouvait que je rêvais trop grand, que je ne serai rien d'autre qu'une prostituée, et que mon profil "mariée et mère de deux enfants" ne resterait que fictif, utopique.
Mais voilà, aujourd'hui, c'est une réalité.
Aujourd'hui, j'ai la certitude que notre passé ne détermine pas notre futur. Toutefois, il nous aide à le construire.
De toutes manières, je n'en veux pas à Carine de n'avoir pas cru en moi, en mon potentiel, de ne m'avoir pas poussée à changer de vie si elle m'aimait autant qu'elle le disait. Mais une chose est sûre, c'est que je comptais beaucoup à ses yeux et qu'elle comptait beaucoup pour moi.
Peut-être est-ce le viol qui l'a traumatisée et l'a rendue si insensible, si pessimiste, si inhumaine ! Peut-être que sa vision du monde aurait été differente si elle n'avait pas autant de dégoût pour son corps qu'elle trouvait trop sale ou si son beau-père n'avait jamais existé !
Peut-être qu'il faut avoir vécu tout ce qu'elle a vécu pour vraiment comprendre tout ce qui se passait en elle !
En tout cas, je sais que le viol, ça peut détruire toute une vie. Je n'en ai pas été victime — grâce à Carine qui m'a longtemps protegée — mais ma première fois si brutale n'en est pas loin non plus. Heureusement, je ne m'en souviens même plus. D'ailleurs pourquoi m'en souviendrais-je quand je suis avec un homme aimant qui ne couche pas juste avec moi, mais me fait vraiment l'amour ! Lui, mon Eliad !
Mes yeux convergent vers mon époux quelques secondes, tandis que mes lèvres s'étirent en un sourire discret. Il ne m'a même pas remarquée, tellement il est concentré sur la route.
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Nadia Page AKLE
Avec un gros pinceau, j'applique de la poudre libre sur mon visage. Aujourd'hui est un jour spécial, alors je me fais coquette.
- Hmm ! Ce parfum-ci peut m'achever, PAGE !
Ça c'est Eliad. Il vient de me déposer un baiser dans le cou.
- Es-tu es vraiment sûre que tu sors aujourd'hui ? Sinon je viens d'avoir un autre projet pour toi, tu sais.
- Monsieur le séducteur, Stop. Tu ne veux quand même pas que je sois en retard là où je vais.
- Tu diras que tu as porté assistante à une !personne en danger !
Je m'exclaffe.
- Je suis sérieux, PAGE !
- Je te promets que de retour de la séance, ton docteur personnel s'occupera bien de toi.
- Ouh ! Je sens déjà la fièvre venir.
J'éclate de rire.
- Allez, ça y est. On y va !
- Mais je n'ai pas fini mon maquillage !
- Depuis tout ce temps ?
- Mais c'est toi qui es venu me distraire !
Il s'empare d'un pinceau qu'il barbouille de poudre.
- Ce ne doit pas être difficile de peindre un visage. Laisse-moi faire, je suis un professionnel du dessin.
- N'essaie même pas.
- Sérieux, PAGE, laisse-moi faire !
- Arrière ! m'exclamé-je en me levant précipitamment.
Il se tord de rire et moi aussi. C'est fou comme parfois on se comporte comme des bambins, surtout lui. Je me demande si les enfants ne nous contaminent pas peu à peu.
Il dépose le pinceau puis vient m'enlacer. Je ne résiste pas. Il s'apprête à m'embrasser quand la porte s'ouvre et nous voyons Milena, Camilo et Adelmo, notre petit dernier.
Eliad me lâche aussitôt.
- Vous faites quoi ? demande Camilo.
- Rien. J'ajustais juste l'habit de maman.
Milena sourit brièvement. Petite espiègle oui. Hahaha.
- Mais dites, est-ce qu'on ne vous a pas dit de toujours frapper à la porte avant d'entrer ?
- C'est Adelmo qui a poussé la porte, papa. Pourtant Milena lui a interdit de le faire ! intervient Camilo.
Eliad fixe Adelmo, qui baisse la tête.
- Adelmo, qu'as-tu à dire ?
Il balbutie en jouant avec ses doigts :
- Mais elle ne… semblait pas… fermée à clé. Alors, je me suis dit… que je pouvais entrer.
Moi je n'ai rien compris. (Sourire)
Eliad inspire bruyamment avant de poursuivre.
- Qu'est-ce que vous voulez, tous les trois ?
- Moi je suis juste venue voir maman, commence Milena avant de se rapprocher de moi.
- Et vous deux ?
- On veut savoir qui est ton fils préféré entre nous deux.
Et c'est reparti, me dis-je intérieurement. Il vaut mieux que je continue mon maquillage. Je me rassois donc devant la coiffeuse avec mon assistante Milena à mes côtés. A son oreille, je murmure :
- Laissons les hommes régler leurs problèmes entre eux. Toi, tu n'as pas de souci à te faire car tu restes ma princesse, la seule d'ailleurs.
- Même quand j'aurai une petite sœur ?
- Eh bien, dans ce cas, vous serez toutes deux mes princesses. Tu ne comptes quand même pas agir comme tes petits-frères font avec papa !
- Non, maman !
- Là, je suis rassurée.
- Dis maman, quand comptes-tu enfin m'apprendre à me maquiller ?
- Pas aujourd'hui, ni demain.
- Et quand maman ? supplie-t-elle.
- Tu es très jolie, ma fille. Donc tu n'as pas besoin d'artifices, tu sais. Et puis j'aime bien regarder ce visage innocent que tu as !
- S'il te plaît, maman. Je suis déjà grande, moi !
- Tu ne m'auras pas en faisant cette mine-là. Je te connais très bien.
- Ok ! fait-elle en soupirant puis en croisant les bras.
Je l'épie en souriant puis retourne la tête vers les trois hommes de ma vie. Pauvre Eliad ! Il tente en vain de convaincre les deux chenapans. (Rire)
- Vous êtes tous trois mes préférés, je vous l'ai déjà dit des milliers de fois.
- Mais la maîtresse a dit qu'il n'y a qu'un seul préféré ! Pas deux ! s'oppose Adelmo.
- Je suis votre papa et vous devez écouter ce que je vous dis. C'est bien compris ?
- Mais moi je veux être ton préféré, papa ! rétorque Adelmo.
- Pas toi, mais moi ! objecte Camilo.
- Je vous le répète. Je ne peux choisir entre vous trois car je vous aime tous de la même manière ! Quand est-ce que vous le comprendrez enfin ?
- Mais moi je suis le plus petit et j'ai besoin de plus d'amour ! réplique Adelmo.
- Ne l'écoute pas, papa. Moi j'étais là avant lui. Je dois donc être ton préféré !
Eliad s'effondre sur le lit. Camilo et Adelmo n'abandonnent pas. Ils le suivent sur le lit et continuent de lui parler. Excédé, il finit par s'exclamer :
- Quelle vie de père !
Milena et moi nous nous regardons, puis rions sous cape.
J'ai même pitié d'Eliad. Tous les jours, il doit départager Camilo et Adelmo. L'un comme l'autre reste attaché à leur père, on dirait Colle extra forte. Hahaha.
La cause exacte, je ne la connais pas. Mais j'ai plusieurs hypothèses en tête.
L'attachement d'Adelmo à son père réside peut-être dans le fait qu'Eliad l'a fortement désiré. Il me suppliait presque pour qu'on conçoive un troisième enfant, alors que j'avais peur de revivre son rejet comme avec Camilo. Mais j'ai fini par accepter. Et je ne l'ai pas regretté. Il m'a suffi de voir comment il était heureux quand je lui ai montré les tests de grossesse positifs pour comprendre qu'avec ce nouveau bébé, ce serait différent. Et ça l'a été. L'une des plus belles expériences de femme enceinte. Eliad était si attentionné, toujours aux petits soins avec moi et parfois il désertait son bureau d'architecture pour rester avec moi à la maison. Je n'avais même plus le droit de sortir. C'est là que j'ai découvert les talents de masseur de mon mari. Hahaha. Le plus drôle, c'était sa libido en forte croissance à l'époque. Je me rappelle encore de son argument quand je le taquinais à ce sujet : " Ben PAGE, j'ai mis une graine en toi et il faut bien que je l'arrose ! ". Je ris encore rien qu'en y repensant. Voilà aujourd'hui Adelmo est plus que son ombre.
Quant à Camilo, son attachement à son père est sans doute liée à sa forte ressemblance avec lui. C'est comme s'il voulait toujours tout faire comme son papa.
Parfois aussi, je me dis que si Adelmo et Camilo préfèrent leur papa à moi, c'est peut-être parce qu'ils ont l'impression que j'ai plus d'affinités avec Milena ou c'est peut-être lié à mes avortements passés. Comme si les âmes des deux bébés s'étaient réincarnées en eux et qu'ils me détestaient pour ce que je leur avais fait... (Soupir)
Mais finalement, je me dis que Non. Ce ne doit pas être le cas. Il arrive parfois que les enfants aient une préférence pour un parent ou pour un autre. Et puis dire qu'ils me détestent, c'est un peu exagéré. Car mes joues reçoivent de temps en temps leurs bisous ou ils me disent parfois des mots tendres et font même des dessins pour moi. (Sourire)
Quoiqu'il en soit, j'aime mes trois enfants. Et ce, de la même manière.…
* *
*
Quelques heures plus tard.
Ça a pris beaucoup de temps, ça a demandé beaucoup d'effort, de réflexions sous la supervision de mon coach littéraire et éditeur Edric, mais finalement mon premier roman ÂMES SOLITAIRES a vu le jour.
Aux quelques mots qui constituent la préface écrite par l'écrivain de renom DELMUNDO, nous avons ajouté la citation de Jules Sandeau extraite de son roman Marianna, un portrait de la romancière George Sand :
" Une âme solitaire est la moitié d'un fruit qui cherche son autre moitié. "
Actuellement, je réponds aux questions des participants et journalistes présents. Tout va bien jusqu'à ce qu'on me pose la dernière question, celle que j'ai toujours crainte :
- Madame Nadia Page AKLE MONTEIRO, vous êtes la fondatrice de l'Association MADELEINE qui vient en aide aux prostituées désireuses de changer de métier et vous venez de sortir un premier roman dont l'héroïne principale est une ancienne prostituée. Alors, nous sommes curieux de savoir si cette femme décrite-là, c'est vous ? En d'autres termes, cette histoire est-elle la vôtre ?
J'hésite à répondre OUI car ainsi, ce serait admettre publiquement, peut-être même devant toute une nation que j'ai été une prostituée. Finalement, je contourne la question.
- L'héroïne principale n'a pas une identité donnée, ni un visage précis, ni une nationalité unique. Elle est tout le monde. Autant vous que moi. Une femme avec un passé de prostituée certes, mais qui reste humaine comme tout un chacun de nous, qui reste en dépit de son passé un modèle de force, de persévérance et de détermination pour toutes les femmes. Elle prouve qu'on peut partir de bien bas pour s'élever tout haut, pourvu qu'on y croit, qu'on agisse dans ce sens, qu'on s'entoure de bonnes personnes, qu'on tombe… mais qu'on se relève la seconde d'après... Et je vous laisse méditer sur cette citation de Ralph Wald Emerson : "When it is dark enough, you can see the stars" qu'on pourrait traduire par "C'est au cœur des ténèbres que l'on voit le mieux les étoiles".
Je viens de parler avec une forte émotion dans la voix. Un tonnerre d'applaudissements pour moi. Je suis si émue...
C'est la pause en attendant la séance Dédicace. Je suis avec Eliad et Edric.
- Tu as été splendide, PAGE !
- Merci, mon cœur.
- Je lui ai dit la même chose tout à l'heure.
- Merci à tous deux... Cependant, je n'ai pas eu le courage d'avouer que c'était moi. J'ai surtout pensé aux enfants. Je me suis dit que je devais les préserver à tout prix.
- Je comprends. Je t'ai déjà dit que c'était à toi de décider du bon moment. De toutes manières, je reste fier de toi.
- Rien n'aurait été possible si je n'avais pas eu ton soutien, Eliad et si je n'avais pas eu un coach littéraire aussi rigoureux et attentionné qu'Edric. Encore merci à tous deux.
- Tout le mérite te revient, Nadia ! réplique Edric... Bon, je dois vous laisser pour tout apprêter pour la séance de dédicaces. Prends le temps de souffler un peu. Donc Eliad, ne la dérange pas trop. C'est compris ?
- Allez, ouste ! lance-t-il affectueusement à son frère avant de me prendre par la main pour qu'on aille s'asseoir dans le canapé. Nous continuons de discuter.
- Au fait, PAGE, je sais que ce n'est pas le moment approprié, mais il faut qu'on en reparle.
- De quoi ?
- De ta famille. N'est-il pas temps que tu renoues avec elle ? J'aimerais enfin faire connaissance avec eux.
- Ma famille, tu la connais déjà.
Il écarquille les yeux.
- Je parle de toi et de nos enfants.
- Moi je parle de ton village natal.
- Je n'ai aucune famille là-bas ! rétorqué-je. J'y avais une mère et un semblant de père, mais ils ne sont plus vivants. Alors qu'irais-je encore faire là-bas ?
- Tu as encore des oncles, des tantes, des demi-frères et même ta belle-mère !
- Ne m'en parle surtout pas Eliad. Je t'ai déjà dit que je ne veux plus rien savoir d'eux. Je n'ai jamais existé pour eux. Ils n'ont jamais voulu de moi, sous prétexte que je suis un enfant adultérin. Pourquoi irais-je encore là-bas ? Pourquoi voudrais-je te presenter à eux ? Nous ne ferions que nous créer des problèmes inutiles, avec ces gens-là. Je te l'assure.
- Je n'insiste pas davantage aujourd'hui pour ne pas te stresser. Mais repenses-y, PAGE !
- Je n'ai pas besoin d'y repenser Eliad. Il y a longtemps que j'ai pris ma décision. Nous n'avons pas besoin d'eux.
- Je te comprends, PAGE. Mais tu oublies que ton nom devient de plus en plus public et qu'ils peuvent débarquer un jour pour te revoir.
- Je ne veux pas y penser.
- Tu viens de quelque part, PAGE, ne l'oublie pas.
- Oui, je sais. Mais entre d'où je suis née et où j'ai atterri, mon choix est déjà fait. Et c'est "Toi et nos enfants". Personne d'autre. D'accord ?
En parlant, je prends sa main.
Il expire bruyamment.
- Ok. Viens.
Je me blottis dans ses bras...
- Oh les tourtereaux ! lance Edric. Nadia, la séance de dédicaces débute dans 5 minutes. Toi Eliad, tu ne perds pas une seconde pour te coller à ta femme !
- Un bon coup sur la tête te fera respecter davantage ton grand-frère ! réplique Eliad en riant.
- Oh, vois comme je tremble.
- Attends que je t'attrape !
Eliad fait mine de se lever. Edric disparaît de la pièce.
Ces deux-là n'arrêtent pas de se taquiner. On dirait des gamins. (Rire)