Chapitre 7: Le débat
Write by Cornelie
a bourse octroyée couvrait les frais académiques, le logement et une partie des besoins essentiels. C’était à chacun de gérer son argent au mieux. Certains étudiants, en plus de la bourse, faisait des petits jobs pour subvenir à leurs besoins. Avec ma nouvelle copine camerounaise Agnès nous avons échangé sur la gestion de l’argent :
- Agnes : Marie, moi je veux tellement réussir que je vais me battre pour pouvoir me contenter de la bourse et à la limite faire quelques heures de baby-sitting
- Moi : oui ma chérie tu as raison
- Agnes : moi je suis une vraie Bamiléké (tribu du Cameroun), je ne dépense pas l’argent n’importe comment. Tu sais je suis orpheline des deux parents depuis l’âge de 14 ans. C’est ma grand-mère qui m’a élevé et m’a appris à gérer les sous. Je l’aidais dans son commerce de nourriture et elle me donnait un peu d’argent. Elle m’a appris à épargner l’argent que je reçois mais surtout elle avait un secret.
- Moi : un secret ? dis-moi stp stp
- Agnes : ahahahah Marie tu aimes alors ça !! Ma grand-mère prenait des enveloppes et chaque depuis de mois, elle répartissait l’argent dans chaque enveloppe. Il y avait une enveloppe pour les dépenses fixes (factures de courant et d’eau, nourriture), une enveloppe pour l’achat de la nourriture pour son tour-dos [sorte de petit restaurant de fortune], une enveloppe pour les gains quotidiens obtenus du tourne-dos, une enveloppe pour les cas sociaux (deuils, mariages …), une enveloppe pour l’épargne, une enveloppe pour les offrandes à l’église, une enveloppe pour les imprévus et une enveloppe de bonus. L’enveloppe des bonus c’est par exemple quand tu avais prévu 50.000 FCFA pour les dépenses fixes et tu ne dépenses que 45.000 FCFA. A la fin du mois, tout ce qui n’a pas été dépensé est reversé dans l’enveloppe de bonus. Pour le mois suivant, c’est à toi de décider si tu vas utiliser l’argent de bonus comme épargne ou tu vas l’affecter à une catégorie de dépenses.
- Moi : wouah c’est ingénieux ça !
- Agnes : oui hein. Et en plus de ces enveloppes, elle avait un cahier où elle tenait ses comptes. Je l’aidais à remplir son cahier. Elle n’aimait pas trop les histoires de placer l’argent en banque et préférait cacher l’argent dans sa chambre
- Moi : ahahaahahah ta grand-mère là est terrible hein elle n’avait pas peur des voleurs ?
- Agnes : non oooo elle disait que la personne qui volerait son argent allait s’attirer elle-même la malchance.
- Moi : ah ok
- Agnes : donc si on veut transposer le système des enveloppes à notre contexte d’étudiantes, vu que nous notre bourse est envoyée dans nos comptes bancaires chaque mois, nous pouvons faire des retraits, repartir l’argent dans des enveloppes et avoir un fichier excel dans lequel on note toutes nos dépenses. Qu’en dis-tu ?
- Moi : oui c’est une bonne idée. J’adopte à l’unanimité la méthode de ta grand-mère
- Nous deux : ahahahhaha
Après cette conversation avec Agnès, j’étais contente d’avoir appris comment gérer l’argent. J’ai fait une liste des diverses dépenses que j’ai ensuite classées en catégories et essayer d’affecter un montant à chaque catégorie de dépenses.
La vie à Lyon était belle les premiers mois. Après, l’hiver est arrivé et c’était la neige partout, le froid, la grippe… Quelle horreur !! Moi qui suis frileuse, ce n’était pas facile de supporter l’hiver avec les nuits plus longues que les jours. Heureusement tout de même que les pièces dans les bâtiments et même les bus étaient chauffés, il n’y avait qu’à supporter le froid en dehors de ces lieux. Je me rappelle d’une fois où en voulant rattraper le bus pour aller à l’université, j’ai couru et j’ai glissé. J’ai atterri les fesses par terre sur la neige parce que mes bottes avaient glissé. Heureusement que personne ne m’avait vu (rires). Je me suis relevée, le bus était passé et j’ai dû attendre quinze minutes pour avoir le prochain bus.
Il m’arrivait aussi d’avoir la nostalgie du pays, je pensais à ma maman, aux bons plats qu’elle me faisait, à mes amis …. Dans ces moments, je regardais les photos souvenirs, j’appelais maman et je discutais par réseaux sociaux avec Annie et Jean. J’écoutais aussi beaucoup la musique qui me faisait du bien.
Dans la promotion, le mec européen le plus beau s’appelait Bryan : blond, yeux bleus, grands de taille, musclé, vraiment comme dans les films. Presque toutes les filles fantasmaient sur lui et j’avoue que moi aussi (rires). Je le trouvais si mignon. Sans que je ne m’y attende, Bryan a commencé à s’intéresser à moi. Il me posait des questions sur certains cours, il m’invitait à prendre un café à certaines pauses … J’étais troublée parce que j’ignorais si c’était juste amical ou s’il y avait autre chose. Il était gentil, il me posait des questions sur ma vie, il m’a dit aussi avoir une copine … une fois il m’a invité à une fête qu’il organisait dans son appartement avec ses amis et m’a proposé d’y amener mes autres copines. Lorsque je l’ai annoncé à Agnès et aux autres camarades africaines, il fallait écouter les commentaires :
- Elles : Marie ooooo tu as trouvé ta part de blanc ! en plus beau et riche. Maman, fais nous vite les métis
- Moi : ahahah les filles arrêtez les blagues là. Est-ce que les blancs s’intéressent à mon genre de fille ? Eux ils aiment les filles minces
- Elles : maman, qui t’a menti ? tous les hommes même les blancs aiment les filles qui ont les formes et qui sont bien noires comme toi. Il a craqué sur tes formes de guitare. Ahahaaaha profite ooo, profite
- Moi : non je ne pense pas qu’il soit amoureux, il m’a dit avoir une copine
- Elles : et alors ? est ce qu’il lui a mis la bague au doigt. Comme on dit « tant qu’il n’est pas marié, c’est un cœur à prendre »
- Moi : non je ne veux pas
- Elles : ma chère arrête de faire ta Sainte Marie, toi aussi
- On a continué à discuter et elles me taquinaient.
Nous sommes allées à la fête de Bryan. C’était cool. On a dansé, rigolé. Moi je prenais seulement du jus, j’ai refusé l’alcool. Il n’a eu aucun geste déplacé envers moi mais il était très attentionné. Il m’a présenté sa copine que j’ai trouvé très belle.
Une fois à la pause déjeuner, autour d’un repas avec Bryan, il me demande de lui parler de ma vie amoureuse. Je lui réponds que je n’ai pas de petit ami et je n’en ai jamais eu. Il est très étonné et veut savoir pourquoi, je réponds :
- Au-delà du fait que personne n’a fait battre mon cœur, j’ai toujours rêvé d’un prince charmant qui saura me courtiser en me traitant comme une reine et qui allait m’épouser. Je ne veux pas d’aventures amoureuses, je ne veux pas passer de mecs en mecs jusqu’à trouver la bonne personne. C’est contraire à mes convictions religieuses
- Lui : wouah ! tu es chretienne ?
- Moi : oui tout à fait
- Lui : ah ok. Moi les histoires de religion très peu pour moi. Je suis jeune, je m’amuse en profitant de chaque instant de ma vie. La religion c’est trop d’interdits
- Moi : ahaha c’est dommage que tu le perçoives ainsi pourtant tu serais surpris de tout ce qu’il y a de bien dans la vie en Christ
- Lui : pardon ne m’évangélise pas hein
- Nous deux : ahahahahha
- Lui : en tout cas pour moi je pense que tout ce qu’on fait doit être le fruit des convictions. Moi je m’amuse mais je respecte aussi ce que tu fais, la manière dont tu as décidé de vivre
- La conversation a ensuite continué sur des sujets plus légers.
La vie estudiantine c’était aussi beaucoup de fêtes. Les camarades m’invitaient mais je refusais pour la plupart d’y aller et pour se moquer de moi, ils me nommaient « Ste Marie ».
Un jour après l’absence d’un professeur, un camarade a lancé un débat sur « la foi et la religion » auxquels tous les camarades avaient un mot à dire. C’était une discussion passionnée :
• Bryan : la religion c’est l’opium du peuple, ça sert à abrutir les populations
• Marc : oui toutes les églises de réveil dans nos pays africains, c’est juste pour arnaquer les populations, pour qu’elles ne s’intéressent pas à la politique et laissent les hommes politiques faire n’importe quoi
• Melissa : en plus il y a trop de travers dans les sectes et les églises : les pasteurs qui sortent avec des fidèles, des prêtres pédophiles ….
• Jules : les églises et les sectes sont comme la société c’est-à-dire qu’il y a aussi des travers à l’intérieur, des gens avec des défauts, des intrigues mais cela n’empêche pas qu’il y a des pasteurs et des prêtres qui sont des modèles pour les fidèles, qui leur apprennent à servir Dieu et à prêcher par leur mode de vie pour amener les autres à Christ
• Marie : oui la foi c’est d’abord la relation personnelle que nous avons avec Dieu au-delà de ce que fait le prêtre, le pasteur ou les frères en Christ. Quand tu sais qui tu es, peu importe les travers des pasteurs ou des autres fidèles, cela ne te détourne pas de Dieu. Au contraire, tu sais qu’il faut prier pour que Dieu les aide à changer, à se relever et toi tu demandes à Dieu de te donner un cœur semblable à lui qui se manifeste par des œuvres concrètes
• Sr Marie a parlé ooooooo crièrent certains
• Paluku : pour moi les africains doivent revenir à leurs origines, toutes les religions venant des occidentaux ont servi à asservir le peuple. Nous avions nos religions, une relation particulière avec la nature et les ancêtres. Nous avions recours aux plantes pour être soignés, des règles qui régissaient la vie en société. Par exemple, la polygamie était une façon d’avoir de la main d’œuvre avec les nombreux enfants et femmes. Lorsqu’un homme mourrait, sa veuve était épousée par un de ses frères pour ne pas qu’elle soit abandonnée à elle-même et les enfants restaient dans la famille du mari. Ce sont des valeurs prônées par nos religions ancestrales et qui sont abolies par les religions chrétiennes
• Clement : les religions ont entraîné des guerres de religions qui ont causé plusieurs morts ….
• Hervé : moi je pense que l’Europe même si elle ne pratique plus trop les religions et prône la liberté religieuse est restée profondément marquée par le christianisme. Par exemple la plupart des enfants sont éduqués à partager avec celui qui manque. On apprend dès l’adolescence aux jeunes à faire du bénévolat. Lorsqu’on a beaucoup d’argent on fait des œuvres caritatives ….
• David : le christianisme a certes des bons côtés mais n’oublions pas que les catholiques et les protestants sont passés derrière la religion pour obtenir gratuitement des vastes parcelles de terre dans plusieurs pays africains
• Marie : mais ils y ont construit des églises des écoles, des dispensaires. Ils sont les meilleurs en terme d’éducation et de santé
• David : oui mais pourquoi faire payer ces services si vous avez acquis les terres gratuitement ?
Le débat était tellement passionné que chacun campait sur sa position mais à la fin nous nous sommes séparés dans la bonne humeur.
C’était une période d’insouciance pour moi. J’ignorais ce qui m’attendait plus tard ….