Chapitre 7: L'orée de l'addition
Write by Lalie308
Une drogue, j'en goûte.Pour l'addiction, je suis en route.
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Harry
Ce soir, je décide de sortir pour échapper à cette routine qui m'emprisonne, comme un oiseau en cage. Le grappin mis sur un bar, je m'installe à une table reculée. Le tapage dans le bar, l'odeur de la sueur qui émane du corps des danseurs, la chaleur qui se dégage de leur fièvre ne me sont pas inconnus. Je choisis de ne pas danser parce que je ne me sens pas d'humeur à ça, j'ai perdu cette envie depuis que je me suis perdu. Je me plonge encore une énième fois dans la lecture du chef-d'œuvre qui sera bientôt lu par le monde entier : « Le cercle de la dérision ».
Cet auteur a un talent fou qui me captive et qui me rend accro à ses écrits, ses mots se détachent de leurs supports pour stimuler mes neurones, inhiber mes cellules. En plein milieu de soirée, je sens une présence en face de moi, remonte mon regard sur une frimousse enfantine adjaçant une crinière noire crépue : mon regard se détache de l'écran et se fige sur elle, elle est belle, non mignonne, excessivement adorable. Mes yeux restent fixés sur ses petites lèvres pulpeuses, ses yeux en amande pailletés jaune d'or, son petit nez retroussé. Je n'ai pas envie de compagnie ce soir, d'ailleurs je n'en ai jamais envie.
C'est assez ironique si on tient compte de mon métier qui m'oblige à être en contact permanent avec des gens. Je ne suis pas allergique à eux, enfin pas tant que ça mais j'aime la solitude. Il n'y a que mon amour pour le livre qui m'aide à former cette armure d'homme souriant et sociable, tout le contraire de ce que j'ai toujours été, la joie je ne la connais pas, je ne la connais plus.
Dans le monde des livres, tu es libre et personne ne contrôle ton monde, tu es l'auteur et eux les lecteurs. Au fond, je suis seul et je ne m'attache pas. Je n'arrive juste pas à éprouver une réelle affection pour les autres, elle est toujours factice, forcée, du moins à quelques exceptions près. Le petit soleil en face de moi me sourit, mais je ne le lui rends pas. Ce n'est pas de ma faute, mon corps ne m'obéit pas tout le temps. Il s'est refroidi et endurci, détaché et isolé.
— Vous êtes seul ? me demande-t-elle.
Non, avec mon beau manuscrit que je lis et que tu interromps. Je ne lui réponds pas, mes yeux la fixent toujours, et ne peuvent se détacher.
—Vous êtes un vampire ? Parce que vous leur ressemblez beaucoup, continue-t-elle.
Je reste surpris par sa question, mais comprends que c'est un personnage doré d'une épaisse couche d'atypisme. Je ne parle toujours pas parce que je suis plus actif mentalement que physiquement. Mes pensées comme des cellules en effusion, se démultiplient chaque seconde, comme la moisissure, s'imposent à une vitesse fulgurante, mais mon corps, morose ne s'exprime pas. Elle soupire d'exaspération et se lève. Mon masque d'homme sociable ne devrait pas rester accroché à mon visage d'homme perdu dans ce bar, il devrait le laisser respirer. Je n'ai pourtant pas envie qu'elle parte, elle captive mon attention.
—William et toi ? lancé-je involontairement.
Je ne veux pas qu'elle parte, mais elle n'a pas besoin de me connaître. Ce faux prénom sert à ça. Elle a l'air satisfaite puisqu'elle finit par s'installer de nouveau.
—Hailey, ment-elle.
Je lis facilement à travers les gens, comme le lecteur perspicace lit à travers l'écrivain. Mon humeur bascule encore sans crier gare, se matérialisant en une humeur joueuse. Je la vois comme une personne égarée qui peut me servir à aller mieux, à découvrir de nouveaux horizons. Parce que ma vie ne se résume plus qu'à ça, trouver un remède pour éteindre le feu qui calcine mon cœur.
— En recherche de l'amour dans un bar ? demandé-je, un sourire factice se dessinant sur mes lèvres.
Elle clignote des yeux à plusieurs reprises, sûrement déconcertée par mon lunatisme, je vis avec ma personne depuis toujours et je n'y suis pas habitué alors je ne pense pas qu'elle pourra. Elle retrouve finalement un peu d'assurance et rétorque :
—Plus du genre à avoir des crush.
—Elle aime donc flirter, conclus-je.
—Et elle oublie en une semaine, ajoute-t-elle.
Je vois bien son intérêt pour moi, cet intérêt qui ne vient qu'à l'instant et disparaît rapidement alors je m'en réjouis. Je me lève et me rapproche d'elle. Son parfum me paraît plus accessible, il est doux et fruité. Mes doigts frôlent involontairement les siens et mes lèvres, attirées par les siennes s'y joignent. Le baiser fut bref et sans artifices.
La raison de mon action incongrue m'échappe, je n'ai jamais été fan des jeux de séduction, parce que jamais réellement attiré par une fille, aucune, même pas sexuellement, à part les brides d'une adolescence sous la direction hormonale. Anormal ? Sûrement, mais j'assume. Je me relève et rejoins ma place. Et je ne vais pas mieux, c'était donc inutile.
Pour éviter de faire plus de dégâts, je concentre mon attention sur ma lecture et constate le départ de la jeune femme. Elle pourrait me juger et penser du mal de moi, je ne sais pas pourquoi, mais je m'attarde trop sur l'avis des autres, les plus blessants surtout. Mais heureusement, je ne croiserai plus son chemin.
Pourtant, le lendemain, lorsque pendant ma pause je décide de me promener dans le parc, chauffer mes muscles et prendre de l'air frais, seul, je vois soudainement cette même crinière à mes côtés. Aujourd'hui, mon cerveau décide que je sois plutôt joyeux. Alors, je me dis qu'elle ne gardera pas le même goût amer qu'hier. Mon regard se pose sur elle, elle arbore un sourire crispé. Je lui rends chaleureusement son sourire, ce même sourire qui me vient naturellement, par pur automatisme.
—Je suis une psychopathe, murmure-t-elle.
Cette fille m'intimide, elle est étrange.
—Je n'aurais pas deviné.
—Et tu es lunatique, continue-t-elle.
Je le sais.
—Peut-être, me contenté-je de souffler en souriant.
Mon sourire tend de plus en plus vers le naturel, il n'a plus l'air automatique, mais plus réel et mon cœur reçoit, ravi cette brise de bonheur qu'il a tant cherchée. Nous nous rendons dans un coin reculé et je m'adosse contre un arbre. Elle tremble si fort que j'ai peur qu'elle ne s'évanouisse.
—Toujours dans la phase coup de cœur ? je lui demande.
—Eh bien oui, répond-elle.
Je souris de nouveau face à sa franchise. Mon corps fait de nouveau des siennes et ma main se pose sur sa joue. Je me rapproche d'elle, doucement, mais finis par me redresser. Je m'égare et je suis assez égaré. Après une courte discussion, le ventre de Hailey, du moins de « je ne connais pas son vrai nom » gargouille. Je l'invite alors à déjeuner, sa compagnie est comme un antidépresseur. Nous nous rendons dans un restaurant, nos commandes passées et nos repas servis, nous nous livrons à une discussion détachée de nos personnes, du moins en partie. Elle tourne surtout autour des livres et le raisonnement de Hailey m'interpelle. Le tilt retentit dans ma tête. Cette imagination, cette maladresse, ce charme, c'est bien elle. Le cercle de la dérision porte sa signature. J'en suis certain. Michelle Lawson !
—Ils sont naturels tes cheveux ? me demande-t-elle, m'arrachant à ma rêverie.
—Je suis bien né avec oui, lui réponds-je.
Elle me donne une réponse digne de sa personne qui me pousse à esquisser un sourire vrai. Lorsqu'elle prononce presque son prénom, je décide de jouer avec.
—Ton prénom commence donc par un M. Intéressant. Madison ? Maddie ? Michelle ?
Elle fait les gros yeux, ses joues s'empourprent et ses pupilles s'étrécissent, je m'en régale. Elle finit par rouler des yeux en se donnant un air rassuré. Je l'ai pourtant cramée, pas ma faute si elle laisse tant sa personnalité sur ce qu'elle écrit. Nous discutons pendant des heures, je m'échappe plus de ce monde que je me suis inventé, mais nous finissons par nous séparer. Elle rentre chez elle et je me rends de nouveau au boulot, en retard.
Le soir, je conduis d'abord sur l'autoroute, puis débouche sur ce chemin non fréquenté pour débarquer dans l'espace naturel qui entoure ma demeure. Les arbres qui l'entourent donnent un aspect sombre qui me plait. Dallage en béton gravillonné, tomettes au coloris sombres, rez-de-chaussée surélevée coiffé d'un second niveau, charpente traversée d'une cheminée, poutres solides et modernes, cave voûtée, ma maison représente le socle de mon intimité, mon temple. Aussi impersonnel que le propriétaire. Je gare et rentre à l'intérieur de cette résidence digne d'un vieux jeu aux tendances modernistes. Cette maison est à mon image, isolée, mais si près du monde Je me livre à ma routine habituelle, qui me renforce de ma culpabilité.
Le vendredi, je me trouve dans l'une des salles de réunion avec Cyril et Sophia. Nous devisons sur les prouesses de la dernière parution qui éblouit déjà les vagues du bestseller. Lorsque Michelle fait son entrée, elle a l'air des plus timides. Elle lance un regard circulaire qui se fige sur ma personne. Elle salue maladroitement mes compagnons et répond nerveusement à ma salutation. J'aurais peut-être dû lui faire part plus tôt de mes soupçons sur qui elle était. Au moment de s'asseoir, Michelle trébuche et tombe.
Je réprime un fou rire alors que nous nous empressons de l'aider. Elle éclate de rire, sous les regards éberlués de nos compagnons. Elle souffle longuement pour se calmer, un poids semble libérer ses épaules pour s'envoler à travers une fumée opaque. Après la signature du contrat, je lui indique de me suivre dans mon bureau. Après une longue argumentation, elle finit par me proposer son amitié que j'accepte volontiers. Et une personne de plus avec qui je dois faire semblant. Elle passe la journée dans l'entreprise et fait déjà beaucoup plus que certains employés d'ici. Je la raccompagne chez elle après l'avoir convaincue d'accepter. Une fois devant l'immeuble et après notre petit karaoké — qui me rappelle tellement de choses amères dont Michelle refait le glaçage, sucré à souhait—, elle me glisse :
—Merci.
—De rien, Ginger, lui dis-je.
Elle roule des yeux, m'arrachant un sourire. Elle adore la chanson Pine and Ginger donc le surnom est logique. J'ai envie de la protéger, de la protéger contre tous les vices qui entourent Homel et dont le public n'a pas idée, j'ai envie qu'elle préserve cette âme joyeuse — loin des fêlures mornes de ce monde —, qu'elle ne finisse pas aussi brisée que moi. Je rentre finalement chez moi. Le samedi, je me rends à une soirée culturelle avec quelques membres de Homel et aussi Audrey Davis, ma petite amie. Je ne voulais pas y aller, antisociale que je suis, mais j'ai fini par céder. Et j'ai bien aimé, c'était bien organisé et enrichissant.
Le mardi, Michelle fait un tour à la maison d'édition, son livre est encore en correction. Après son entrevue avec le responsable de la couverture, je l'aperçois au niveau de l'ascenseur alors que je discutais avec un auteur à la réception et lui indique de se rapprocher. Elle hésite, mais obtempère. Je libère l'auteur puis signifie à Michelle de me suivre dans mon bureau. Elle a l'air différente, un peu froide, pire, moins étrange.
—Ça va ? lui demandé-je en fronçant les sourcils.
—Oui, répond-elle dans un souffle.
Quelque chose cloche bien.
—Michelle ? insisté-je.
—Je suis si facile ? vomit-elle en me regardant droit dans les yeux.
Sa question me surprend et je plisse les yeux.
—Tu n'as même pas jugé bon de me dire que tu étais en couple, continue-elle.
Je comprends tout de suite où elle en veut en venir. Ça peut être blessant de découvrir qu'un homme en couple ait flirter avec soi. Mais elle a bien tort, mon couple n'est qu'une belle façade. J'esquisse un petit sourire narquois.
—Et puis tu te moques ? s'indigne-t-elle en voulant se lever.
—C'est du fake, indiqué-je.
Elle se rassoit et concentre son attention sur moi, m'invitant à continuer mon explication.
— Comme je n'ai aucun type de relation personnelle et surtout pour l'image de Homel, Victoria a suggéré que je forme un faux couple avec sa fille, lui expliqué-je.
Elle fonce les sourcils, méfiante.
—Tu es en couple sous des ordres ?
—Oui, réponds-je.
Elle a l'air rassurée.
—J'adore Audrey, c'est une amie alors ça ne me gêne pas.
C'est bien vrai. Audrey et moi avons une relation particulière qui a vite débouché sur de l'amour pour elle, mais pas de mon côté, je n'aime pas, du moins, je n'aime plus. Elle a été là pour moi dans des moments assez difficiles et je lui en suis reconnaissant. Si j'ai accepté, c'est pour elle. Elle mérite au moins ce semblant de bonheur. Je fais quand même l'effort de lui accorder quelques attentions, je ne veux pas qu'elle souffre.
Elle est bien le contraire de sa génitrice. Victoria ne pense qu'au profit. Elle est la veuve d'Adam Davis. La famille Davis est fondatrice de Homel, mais après la mort d'Adam, une grande part des actions a atterri dans les mains de Victoria qui a transformé cette maison en produit de profit. Audrey et elle sont très différentes, et c'est pour ça que je la protège. Je parle d'un protecteur, je n'ai pourtant pas réussi dans le passé. J'avais été plus une menace, la flamme qui attise le feu, qu'un protecteur.
—D'accord, m'indique Michelle.
Je lis une pointe de déception, mais ne m'y attarde pas. J'ose un sourire qu'elle me rend. Je n'aime pas la voir ainsi alors je lui propose une petite sortie après le travail, elle hésite d'abord, mais finit par accepter. Mais elle exige que nous allions prendre des glaces. Le soir, LE SOIR. Pourtant, je ne m'y oppose pas. Je n'ai jamais invité personne de cœur franc, Michelle me rend naturel et ça me fait peur, pourtant je ne résiste pas parce que ça me fait du bien, un jet d'eau apaise le feu qui me brûle l'âme. La drogue une fois, sur le bout de ma langue, s'est incrustée dans mes os, m'a rendu accroc, en un laps de temps infinitésimal.
— Aller, à plus, nous lance joyeusement Aïden, le réceptionniste du hall principal quand nous sortons.
Nous sourions en guise de réplique.
*
— Tu ne passes pas beaucoup de temps avec tes autres auteurs ? me demande Michelle, les yeux navigants sur le paysage autour de nous, pendant que nous marchons dans le parc.
Le parc est différent le soir, il est encore plus attrayant, je ne l'aurais jamais deviné. Dans la pénombre, les arbres sont mélancoliques, les feuilles légères, les âmes frivoles et enfiévrées. Une odeur de terre, de parfums mêlés à faire déchirer les trompes odorantes et de la vie papillonne dans l'air. Nous avons nos glaces en main, une à la fraise pour chacun.
—Pas beaucoup, non, je lui réponds.
—Et pourquoi tu le fais avec moi ? m'interroge-t-elle en jetant un coup de langue atrocement adorable sur son cornet.
Je n'en ai aucune idée. Je me contente de hausser les épaules même si je ne suis pas sûr qu'elle l'ait remarqué.
— Ces lumières sont géniales, s'extasie-t-elle en faisant référence aux quelques pétales de lumière au coloris nuancé. Les arbres sont différents ou quoi ? continue-t-elle.
Je ne réagis pas puisque je ne sais pas trop quoi dire. Mes conversations ne dépassent pas souvent le domaine du livre ou encore des questions classiques posées aux auteurs et autres. Je ne suis pas très doué pour le naturalisme, pour la spontanéité et pourtant, ils diront que je suis tout le contraire. Ils ne me connaissent pas et ils ne me connaîtront jamais.
—Stop ! s'écrie Michelle.
Je reste de marbre pendant un instant puis m'arrête. Que veut bien encore cette petite folle ? Elle plisse les yeux, fait volte face pour me fixer longuement, je ne comprends pas ce qu'elle veut.
— Pourquoi dit-on que la lumière domine les ténèbres à ton avis ? continue-t-elle en reprenant sa marche.
Je suis laissé pantois, elle ne me laisse pas le temps de répondre et enchaîne :
— Parce que la couleur blanche de tes cheveux n'est pas trop visible dans le noir malgré la lumière.
Je fronce les sourcils et comprends finalement. Je souris légèrement et me dirige vers un endroit plus lumineux.
— Là c'est mieux, se réjouit-elle comme une gamine, son sourire Colgate pourrait concurrencer les éclats du soleil. J'adore tes cheveux.
J'esquisse un léger sourire. Je remarque la fine couche de glace qui habille le bord de ses lèvres, je me pose de plus en plus de questions sur son âge mental. Je sors un mouchoir de ma poche et lui nettoie habilement les lèvres. Elle avance sa tête comme une gamine qui attend que son père la nettoie. Quand je retire le tissu, pour vérifier que tout est clean, elle reprend :
—Merci, humble serviteur, déclare-t-elle d'un ton noble en clignant des yeux.
—A vos services, majesté, ironisé-je.
Son téléphone sonne dans sa sacoche et elle s'en empare, son visage s'illumine lorsqu'elle voit le nom qui s'affiche et décroche.
—Michelle, la fille la plus cool du monde, j'écoute, commence-t-elle en souriant.
Son air s'assombrit quelques secondes après et elle poursuit :
—Il y a un problème ? s'inquiète-t-elle. J'arrive alors, soupire-t-elle finalement.
Elle raccroche et plonge son regard sur moi.
—Désolé, mais je dois m'en aller. Mon meilleur ami a un souci, s'excuse-t-elle
—Sans problème, lui dis-je.
Elle acquiesce et je la raccompagne. Dès que je franchis le seuil de ma maison, ma réalité se heurte de nouveau à moi. Il n'y a plus de Michelle, il n'y a plus soleil, il ne reste que les ténèbres, mes ténèbres. Et si je ne considérais Michelle que comme une sorte de médicament qui m'aiderait à guérir ? Et si ce n'était que peine perdue ?
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Lalie