Chapitre : 8

Write by MoïchaJones

Je ferme la double porte derrière moi, un sourire satisfait aux lèvres. L’exploit vient d’être fait. Je crois que j’ai réussi à les convaincre. Ils ne se sont pas clairement prononcés, mais j’ai pu voir sur leurs traits que nous carburions au même combustible. Je les ai mis dans ma poche. J’ai envie de le crier haut et fort. J’ai réussi.


Je sors mon téléphone de ma sacoche pendant que je marche d’un pas léger vers la sortie.


- Monsieur Ifousa, mettez le champagne au frais, j’arrive.


Il pousse un cri de joie et moi j’éclate de rire en l’imaginant esquiver quelques pas de danse. La semaine qui vient de s’écouler a été très difficile, mais aujourd’hui tout ce stress est juste un souvenir. Je peux simplement en récolter les lauriers. Je me suis jetée corps et âme dans le travail, rien d’autre n’avait d’importance. La technique de l’autruche, je sais, mais c’est toujours mieux que de me prendre la tête à écouter des calamités.


Je ne traine pas en route et arrive les bras chargés de pâtisserie et de boissons sucrées. Encore une chose que j’ai découverte ; ces enfants mangent comme des orgues. Ils me font ma fête quand je pose les paquets et moi aussi je leur fais leur fête, tout simplement parce que je suis heureuse. Les plus petits se laissent cajoler, les moyens rechignent sous mes baisers, et les plus grands les subissent malgré les regards menaçant dont ils m’affublent. Avec le temps j’ai fini par briser leurs barrières et me faire accepter d’eux.


Le remue-ménage qui prévaut suffit à informer Ifousa de mon arrivée. Il nous rejoint et nous célébrons tous ensemble. J’arrive à me libérer à temps pour aller récupérer Imani à l’école, avant de l’emmener finir la journée à la piscine. Après cette semaine, elle sera en vacance. Je pense à nous prendre des billets pour qu’on aille voir ma famille. En presque 8 ans, je n‘ai pas remis les pieds dans mon pays, je crois qu’il serait temps que je mette les voile. Ca nous fera du bien à toutes les deux et elle aura le l’occasion de voir ses grands-parents et le reste de ma famille


*

**


Il arrive aujourd’hui. Je suis dans tous mes états. C’est à peine si j’arrive à tenir en place. Je ne lui ai pas parlé depuis la dernière fois, quand il m’annonçait qu’il viendrait. Il est au courant de ce qui s’est passé, il n’y a aucun doute la dessus. Amaya est venue me voir le lendemain de cette nuit-là pour qu’on essaye d’en parler. Je me souviens l’avoir regarder avec effroi quand elle m’a dit d’une voix calme que son fils regrettait d’avoir portée main sur moi. Aussi simple que ça. Une insignifiante histoire de bastonnade. J’ai sondé son regard fuyant à la recherche d’un banal signe. Une minuscule preuve, aussi excusable soit-elle, qu’elle-même y croit quand elle le dit. Elle savait pertinemment ce qui s’était passé dans cette chambre, ou plutôt ce qui a failli arriver, mais encore cette affaire d’apparences à sauver. 


Le regard qu’elle m’a jeté, quand je me suis levée pour sortir du salon, la laissant en plan, a fini de me faire suffoquer. Quoi de plus normal qu’aujourd’hui j’appréhende l’instant où mes yeux vont croiser ceux de mon mari. Est-ce qu’il me prendra dans ses bras ? Et moi, vais-je lui tendre la main ? Je réfléchis à tout ça et j’ai juste envie de disparaitre. Moi absente, pas de retrouvailles.


Je me lève pour la Nième fois, les mains moites. Les locaux du centre sont presque vides. C’est vendredi, les gens sont partis tôt. J’entends toutefois des bruits çà et là, des retardataires qui n’ont rien de plus important à faire. Pas comme moi, mais j’ai trop la frousse pour rentrer à la maison. Je ne m’y suis pas attardée après avoir laissé Imani, je n’arrivais plus à contenir sa joie. La pauvre, elle n’a aucune raison de stresser. Elle est toute à son bonheur de prendre son père dans ses bras. Si elle pouvait se douter l’inquiétude qui me possède en ce moment.


18 heures 30 ! Il va bien falloir que je rentre. Je ne vais pas rester indéfiniment à me cacher ici. La porte de mon bureau est fermée à double tour, personne ne se doute que je suis encore là. 


Je me résigne enfin à récupérer mon sac sur la table et me dirige vers la sortie. Il faut encore que je fasse un tour à Kibera avant de rentrer. C’est l’anniversaire de Jason, je lui ai pris un cadeau qui je suis sûre lui plaira. Au moins un qui sera heureux aujourd’hui de me voir. 


Je souris. Tout le temps que j'ai eu à passer en sa compagnie, j'ai remarqué l'intérêt qu'il avait pour son téléphone, bien qu’il soit trop archaïque pour tenir le pas aux nouvelles technologies. Dans le magasin j'ai longtemps hésité devant le dernier IPhone. Pour un jeune ce serait ultra cool de l'avoir. Mais à Kibera, je ne sais pas trop. Même le tout premier de la gamme paraîtrait déplacé. Je me suis finalement rabattue sur un Huawei. Il faisait classe et aux dires du vendeur, c'était une bonne affaire. 


Le trajet se fait rapidement. C'est vendredi mais bizarrement les rues sont désengorgées. La salle commune est pleine comme d'habitude, mais je ne le vois nulle part. J'ai beau faire le tour, il n’est pas là. J'essaie son portable qui m'envoie directement au répondeur. Je me fonds dans la masse en attendant qu'il se décide à montrer le bout de son nez. Jusqu'à 2 heures plus tard il n'est toujours pas là et je commence à me faire du souci. Un jour comme celui-ci je me disais qu'il aimerait passer du temps avec ses amis. J'essaie d'avoir des renseignements auprès des autres sur son logement et je réussi à avoir un guide.  Je ne réfléchis pas longtemps,  il faut que je me dépêche si je veux être à la maison à temps. 


Il marche devant nous dans l'artère principale du quartier. La route est calme et pratiquement déserte, du peu que l’éclairage mal assortit fasse ressortir. Un coup d'œil à Aba qui adapte facilement son pas au mien, et je me rends bien compte de son désaccord. Je lui fais une grimace d’excuse, mais il ne réagit pas. Rien de surprenant de toute façon, si ce n’est pour les réprimandes il ne réagit pratiquement jamais. 


Plus on s'enfonce dans la noirceur, moins je suis à l'aise, mais je continue d'avancer courageusement. Il ne peut rien m'arriver. Je n'arrête de psalmodie dans ma tête. Comme une litanie à tous les saints du paradis. On est dans une zone que je ne connais pas,  il se fait tard,  je suis épuisée. J'aurai bien pu attendre demain pour lui remettre son cadeau, mais je veux juste être sûr que tout va bien pour lui. 


Au bout de 15 minutes de marches sans relâche, probablement dans des détritus, car seule la lune nous sert d'éclairage. Nous arrivons enfin au milieu d’un amas de cabanes en taules. 


- C’est là ! nous annonce le jeune en pointant du doigt l’une d’entre elles.


Je le remercie et m’avance vers l’entrée. Des cris nous parviennent de l’intérieur. Mon cœur fait un raté et j’accélère. Mon pressentiment ne m’a pas menti. Il se passe quelque chose. A l’instant où ma main se pose sur la mansarde, je sens une autre sur mon épaule.


- Laissez-moi y aller d’abord.


La voix d’Aba n’est qu’un murmure, mais elle me pétrifie d’un seul coup par son intensité. Tous les scénarii les plus loufoques me traversent l’esprit en une fraction de seconde. Encore plus encensé par les cris et pleurs qui ne cessent de nous parvenir de cette boite d’aluminium probablement jaunie. Il entre par la porte brimbalante qui grince en s’ouvrant.


- Ou est-il ?


La voix d’un homme en colère me parvient clairement. 


- Adjé je te jure que je ne sais pas.


Les pleurs de la femme se mêlent à ceux d’enfants en bas âges. Il ne faut pas être devin pour comprendre que le type cherche quelqu’un ardument. Un quelqu’un qui peut-être celui que moi aussi je cherche. 


- Qui êtes-vous ?

- Ce n’est pas important. Où est Jason ?

- Pourquoi vous le cherchez ?

- Ce n’est pas non plus important.

- Sortez de chez moi monsieur.

- Pas sans que vous ne répondiez à ma question. Où est Jason ?

- Vous…


La suite se transforme en un gémissement douloureux. Qu’est-ce qu’il lui fait ? J’ai envie de m’approcher pour jeter un coup d’œil, mais je sais qu’il ne va pas apprécier que je lui désobéisse encore une fois. 


- Lâche-moi vaurien.

- Où il est ?

- Il n’est pas ici… Laissez-nous tranquille... Il est parti à la tombée de la nuit.


Elle a parlé d’une voix désespérée et sanglotante. Elle a oublié qu’une minute plus tôt celui qu’elle défend follement l’a brutalisait. 


Le bruit sourd d’une chute s’élève à l’instant où Aba apparait de nouveau devant la porte.


- Il n’est pas là, me dit-il simplement.

- Si vous le voyez, dites-lui qu’il me doit 50 000 Shilling sinon il est un homme mort.


Je suis abasourdie par l’opulente silhouette qui apparait à l’embrasure de la porte. Comment un homme aussi baraqué a pu avoir une progéniture aussi frêle que l’adolescent avec qui je passe la plus part de mes soirées depuis bientôt 2 mois ? A moins que ça ne soit pas son père biologique. Ce ne serait pas surprenant, surtout vue les conditions dans lesquelles ils vivent. Il n’est pas rare de tomber sur des familles recomposées dans les bas quartiers. Le plus souvent c’est la mère qui arrive avec toute une marmaille d’enfant qu’un premier compagnon a arrêté de prendre en charge.


Je me tourne vers Aba qui me prend par le coude. Nous faisons chemin inverse et une fois en route, je griffonne rapidement mon numéro sur un bout de papier que j’ai récupéré de la boite à gant et le tend à notre guide.


- Si tu le vois, s’il te plait donne-lui ça pour moi.

- Oui Madame.

- Dit lui bien que j’attends son appel. C’est important.


Il secoue la tête vigoureusement et me regarde avec des yeux qui sont loin d’être muets.


- Je compte sur toi hein. J’ajoute en fouillant dans mon sac à la rechercha de la monnaie.


Je trouve un billet que je lui tends sous le regard réprobateur d’Aba. A force de froncer les sourcils, on croirait qu’ils font plus qu’une seule ligne broussailleuse. Je souris en me détournant d’eux. Je monte dans la voiture après une dernière recommandation au jeune et ferme la portière derrière moi.


Les phares balaient le parking, et je peux me rendre compte qu’il est déjà là. Son avion a-t-il atterrit il y a si longtemps que ça pour qu’il soit déjà là ? Moi qui pensais qu’il allait d’abord faire un tour chez ses parents, j’ai visé à côté de la plaque. Mon chauffeur improvisé de la soirée arrête le moteur et son bruit me parvient toujours clairement. Un coup d’œil au tableau de bord me fait comprendre que l’origine de tout ce bruit est en fait dans ma poitrine. C’est mon cœur qui vrombit de manière aussi assourdissante. Je tremble comme une feuille sous une rafale de vent. 


Le jeune homme remarque mon hésitation à descendre et pose sa paume chaude sur la mienne. Son regard est chaleureux mets du baume sur ma frayeur. Il sait et ça me rassure un tout petit peu. Au moins quelqu’un qui se rend compte de la gravité de la situation que tout le monde tant à minimiser. Ni l’un ni l’autre ne parlons et pourtant ce silence est lourd de paroles sages et réconfortantes. Je laisse reposer ma tête sur le dossier et ferme les yeux un court instant. Après une dernière tentative infructueuse de relaxation, je pose la main sur la portière qui s’ouvre avant que je ne puisse tirer sur le manche. 


Mon regard se noie dans le sien, sombre et profond. Mon Dieu, il est là devant moi. Je peine à le croire, on dirait un rêve. Il ouvre la portière en grand et se rapproche avant que je n’ai pu mettre un pied à terre. De toute façon je ne suis plus bonne à rien, mon cerveau a fugué. Je suis assommée par ce sex appeal qui transpire de tout son être. Comment fait-il pour être aussi dangereusement attirant sans s’en rendre compte. 


Je suis en feu. On en se quitte pas des yeux un seul instant et je sens que je transpire à grosses gouttes. Il n’y a plus rien d’autre sur cette terre à part nous. Lui. Moi. Seul face à l’autre. Seul dans le regard de l’autre. Il esquisse un geste dans ma direction et je peux enfin sentir la pression de sa main sur ma peau. Je me félicite d’avoir mis un chemisier aujourd’hui.


- Jioni njema !


Un simple bonsoir, dit avec une voix rocailleuse, finit de m’achever. Je me sens toute molle, et tout ce que je réussis à faire c’est de sourire bêtement. Il me rend mon sourire et entreprenant de me tourner complètement face à lui. Je laisse pendre mes pieds dans le vide et ne résiste pas quand il vient se loger entre mes jambes. J’ai le souffle court quand le sien est saccadé. Je porte lentement la main à son visage. Un geste tellement calculé qu’on croirait à un ralenti. J’ai peur que ce soit un rêve. Qu’il disparaisse comme la dernière fois. Que ce moment ne soit pas aussi sensuel. 


Qu’est-ce qu’il m’a manqué. Le voir, le toucher, le sentir, le goûter. J’ai besoin de ma nourrir de lui. Sa saveur s’est presque absoute de ma mémoire. Je n’ai plus d’un infime mouvement à faire pour remédier à cela. J’hésite un tout petit peu. Mine de rien j’ai encore envie de faire durer cet instant. Uhu n’est pas du même avis si j’en crois la hargne avec laquelle il s’empare de mes lèvres. Je ferme les yeux et me laisse gagner par la chaleur vive qui court dans mes veines. Malgré la brutalité de son baiser, j’arrive à apprécier la douceur de ses lèvres. L’accrochage luxurieux de nos langues fait naitre un frisson, qui sillonne mon corps sans répit. 


J’ai mal d’avoir faim de lui. Je souffre de ne pouvoir sentir sa peau sur la mienne. Je suis ravagée de ne pouvoir le sentir sur moi, en moi. J’ai mal tout simplement, d’avoir tout ce désir enfouit au plus profond de moi.


Il s’éloigne et je peux enfin respirer. Son front repose sur le mien et je peux sentir son souffle chaud sur mes lèvres encore humide de notre baiser. 


- Bonsoir.


J’arrive à murmurer malgré mes lèvres tremblantes.


- Tu t’es faite désirer.


Je souris de son empressement à me voir. Je lui ai manqué malgré tout, autant que lui aussi m’a manqué.


- Je ne t’attendais pas si tôt.


Il s’éloigne et me regarde étonné.


- Mon avion a atterrit il y a 30 minutes.

- Je croyais que tu irais chez les parents.


Je l’ai dit hésitante et sa réponse a fait tomber le poids de l’incertitude qui me clouait sur place


- Ma femme et ma fille sont censées m’attendre à la maison, pourquoi j’irai ailleurs ?


Je lis la sincérité de ses paroles dans son regard et je ne me retiens plus. Je reprends ses lèvres avec plus de douceur que je ne m’en croyais capable et savoure chaque parcelle de chair que j’ai sous la bouche. Ses lèvres sont encore chaudes de notre dernière étreinte et tout aussi savoureuses. Il me laisse faire, stoïque, et je ne m’en prive pas. Il est à moi, et je le lui fais sentir. Je suis à lui, et il le comprend. 


Pendant ce qui semble être une éternité, il me laisse m’empourprer dans une danse lancinante où je me meus avec grâce. Je l’attire encore plus à moi, et laisse mes mains se balader doucement sur son dos. A travers le tissu de ses vêtements, je sens ses muscles se contracter de désir. Je joue mollement avec ses lèvres passives, puis aspire goulument sa langue et c’est plus qu’il ne peut supporter. Il se colle à moi et je peux sentir l’objet de son désir s’encastrer parfaitement dans le ber qui le tient chaud. Nos corps sont en fusion malgré la barrière que constituent encore nos habits. N’eut été la carcasse de la voiture qui nous tiens en cage, nous serions déjà l’un dans l’autre.


Il veut se fondre en moi. L’ondulation de ses reins me le fait sentir. Et moi je veux qu’il se fonde en moi la pression de mes jambes nouées à rein le lui dise. Nous sommes habillés, mais faisons littéralement l’amour. Là sous le porche. Au vu et su de tout le monde. Sans aucune honte, ni aucune pudeur. Rien d’autre ne compte que de sentir la chaleur de son désir m’embraser, m’enivrer, me consumer. Je suis une flamme incandescente qui illuminerait l’enfer. Je suis une torche humaine et pourtant je n’arrive pas le bruler. 


- Ne t’arrête pas…


Je le sens qui ralenti le rythme


- Ma mère nous regarde.


Sa voix traverse difficilement les mailles de la toile qui obstrue mon cerveau.


- Quoi ? Je bégaye.

- On nous observe.


Je jette un coup d’œil par-dessus son épaule. Effectivement Amaya se tient sur le porche et nous regarde. A la distance où elle se trouve, je ne distingue pas nettement son visage, mais je suis sûre qu’elle ne rate rien de la scène que nous offrons.


- C’est pas vrai…


J’enfouie mon visage dans son cou et laisse retomber mes jambes douloureuses de s’être accrocher trop fort. 


- Ca va ?


Sa voix est roque et… amusée   


- Ce n’est pas drôle Uhu.

- On a failli traumatiser ma mère.

- Elle n’ignore pas comment on fait les bébés.

- Ce n’est pas pareil, je suis son fils.

- Qu’est-ce qu’elle fait là d’ailleurs ?


Je me redresse étonnée et le regarde de nouveau dans les yeux.


- Elle tenait à ce qu’on parle dès ce soir.


Je pousse un gémissement d’animal blessé et le repousse une bonne fois pour toute. La réalité a repris le pas sur le rêve. 

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