
Chapitre II
Write by EdnaYamba
Harry
NDONG OSSAVOU
La devise de madame
Jackson devait certainement être : mettre les petits plats dans les grands
et faire de la plus basique des réceptions un évènement extraordinaire. Encore
ce soir, Le diner d’anniversaire du patriarche en est une fois de plus la
preuve. Je navigue entre les invités une coupe à la main, un sourire mécanique
accroché à mon visage. Il est impératif que je ne la rencontre pas.
Après le mariage de
Tia, elle s’est donnée pour nouvelle mission de me caser.
Personne n’oserait
douter de ses grandes capacités de marieuse.
Elle atteint toujours
son but quand elle est déterminée. Tia a bien perdu son combat et là voilà
mariée.
Je l’aperçois le
ventre rebondi, souriante aux côtés de son époux, rayonnante. L’engagement
n’est finalement pas une mauvaise idée quand on a trouvé la personne qui nous
convient. Peter qui me voit le premier se penche à l’oreille de son épouse pour
lui chuchoter quelques mots, elle se retourne vers moi, l’expression moqueuse
et me fait signe de la main de les rejoindre.
Je m’approche. Entre les
filets de Liliane et subir les piques de Tia, mon choix est vite fait.
Pourtant, je ne suis
pas serein. Tia n’est certainement pas une échappatoire.
Soupir
-
Tu
penses fuir maman toute la soirée ?
-
J’essaie
mais elle est déterminée. Elle m’a présenté déjà à 3 demoiselles qu’elle trouve
charmantes. Toi et moi connaissons le message derrières ces jolis
qualificatifs.
Celle qui est ma
meilleure amie depuis une éternité déjà éclate de rire sans la moindre once de
compassion.
-
Peter,
tu n’aurais pas dû l’épouser si vite, elle serait encore le centre d’intérêt de
Madame Jackson.
Toute l’année
précédente, marier Tia était son cheval de bataille. Maintenant que cette
dernière a fini son épreuve, elle se moque de moi
-
J’aurai
dû saisir la perche quand elle a voulu m’épouser.
Peter rit gaiement.
Il enlace son épouse. Tout le monde sait qu’il n’a jamais été question d’amour
entre nous. Dès le début de notre amitié, nous avons su que nous nous aimerions
comme des amis et des frères.
-
Tu
aurais pu mais tu as laissé passer ta chance. Moi, quand je vois une
opportunité, je la saisis !
-
Et
on peut dire que tu sais contraindre les gens à faire ce que tu veux, ajoute
Tia avec tendresse.
-
Oui
et tu es plutôt du genre à tomber sous mon charme et à me laisser faire.
Elle lui met gaiement
une tapette par-dessus sa tête.
-
Prétentieux va !
Il rigole de plus
belle.
-
Je
pense qu’il était temps de la sortir du marché du célibat, réplique-t-il en
posant un baiser sur la tête de son épouse. Mais je compatis Harry.
-
J’en doute, fais-je.
-
Dis-toi
que c’est encore mieux que d’être dans les filets d’Evelyn SIMA, elle serait
capable de sortir une vieille ex du placard pour que tu te maries.
Il parlait en
connaissance de cause, c’est d’ailleurs pour éviter le piège de sa mère qu’il
avait entrainé Tia dans une mascarade amoureuse. Ils avaient mis en place une
ruse pour duper leurs parents. Ils avaient prétendu être amoureux et au final,
ils s’étaient faits prendre à leur propre jeu. Aujourd’hui, ils attendent un
enfant.
Je regarde Tia. Elle
est heureuse. Et ça me serre. Pas de jalousie. Plutôt… une fracture interne,
une sensation de manque. J’ai trente ans. Je pourrais me marier. Je n’en ai pas
peur. Mais je suis trop lucide pour me laisser prendre.
Le reste de la
conversation s’efface. Je souris quand il faut. Hoche la tête. Mais mes pensées
s’égarent
-
Harry, approche donc ! m’interpelle
Robert Jackson.
Robert Jackson vient
d’entrer dans mon champ de vision. Vêtu d’un costume sombre, il a la stature
d’un chêne rassurant. Je redresse instantanément les épaules.
Il est accompagné
d’un homme, d’une cinquante d’années aux cheveux grisonnants, témoins du
passage du temps.
-
Monsieur,
Harry. Il est comme un fils pour moi !
Il vient de
m’arracher un sourire.
Nous procédons aux
civilités alors que Robert Jackson vante nos mérites à ses interlocuteurs qui
l’écoutent religieusement. Ils me jaugent silencieusement alors que fièrement
Robert s’épand
-
C’est
à Tia et à Harry que je dois certaines réussites du cabinet, j’ai de la chance de
les avoir recrutés à la sortie de leur université et qu’ils aient accepté de
travailler pour moi.
Je m’incline
modestement. Pourtant, ma mémoire balance aussitôt l’image d’un dossier
négligé, d’un jeune condamné. Je raffermis mon sourire ; pas question que la
fissure apparaisse.
-
C’est
un réel plaisir de travailler à vos côtés monsieur Jackson.
Il m’offre ce sourire
généreux dont il a secret.
-
Votre
réputation n’est plus à prouver, intervient celui qui nous a été présenté comme
Marcel SOUNA.
Visiblement séduit,
il poursuit :
-
D’ailleurs,
je vais saisir l’occasion pour vous demander un rendez -vous pour un conseil
juridique. Lequel de vos poulains me conseillez-vous ?
-
L’un
ou l’autre , réagit Robert Jackson avec fierté. Passez au bureau en semaine et
Harry se fera un plaisir de vous entretenir.
D’une voix posée, je
confirme.
-
Effectivement,
ce sera un Plaisir !
La vérité est bien
loin d’être cette réalité. Chaque nouveau dossier est un défi personnel stimulé
par une volonté puissante de réussir. Pourtant chaque réussite me rappelle
qu’un jour, j’ai échoué ! et que rien n’effacera cette erreur !
Victoria LECKA
« Qui marche à pas prudents est plus sûr que celui qui court »
C’est la réflexion que je me fais quand je vois tous les autres
stagiaires agglutinés près de la photocopieuse, cherchant tous une tâche à
accomplir par volontariat ou par pur désir de se faire remarquer. Dans un autre
coin, à deux pas de moi, Etienne anime un débat sur les faiblesses du système
judiciaire au Gabon en matière de jugements des mineurs.
Crispée, je tiens mon dossier contre moi quand je les entends évoquer les
peines qu’ils attribueraient à tous ces malfrats de rue. Un sort qui aurait pu
être le mien. Un sort qui pourrait être le mien. Surtout qu’aucune cour ne
pourrait m’offrir des circonstances atténuantes, moi qui applique la loi le
jour et la viole la nuit.
Le sujet m’embarrasse mais je ne laisse pas transcrire mes émotions.
Une présence imposante nous surprend soudainement.
Le silence s’installe automatiquement.
C’est lui, habillé dans un costume clair qui ressort la couleur
châtaignée de sa peau
Il ne sourit pas.
Son expression toujours neutre parcourt la troupe puis son regard se pose
une fraction de seconde sur moi. Mais assez pour qu’il me voit.
-
Bonjour ! Chers tous, vous
trouverez vos dossiers à la salle de Réunion !
Le groupe se déplace silencieusement !
-
Mademoiselle LECKA !
Instinctivement je m’empêche de sursauter.
Toujours garder le contrôle !
-
Suivez-moi !
Je sens déjà le
reproche. La porte se ferme derrière moi alors qu’il s’assoit en face de
moi !
-
Asseyez-vous !
C’est presqu’un
ordre !
Je m’exécute
gardant le regard calme !
-
Vous êtes arrivée en retard une fois de plus ce
matin !
Deux
malheureuses petites minutes de plus ! Est-ce vraiment cela qu’il appelait
retard ? il me jauge !
Me juge-t-il ou
m’analyse-t-il simplement ?
Je pourrais lui
servir un discours politiquement correct d’excuses, employé un ton de détresse
pour l’attendrir si son cœur de pierre peut fondre mais je choisi de ne pas le
faire ! une semaine déjà que je viens dans ce cabinet et son regard ne
semble pas avoir en ce qui me concerne.
-
C’est exact ! je m’en excuse !
Je suis
peut-être audacieuse mais je ne saurais supporter son regard !
Les yeux de ce
dragon lanceurs de flammes pourraient eux aussi me bruler !
-
Etudiante modèle, de bonnes notes et appréciations de vos
professeurs, vous avez visiblement selon votre professeur une culture sur le
droit très satisfaisante !
Il a lu mon
dossier !
-
Oui, je me suis toujours appliquée à enrichir ma culture
sur le droit, j’ai beaucoup lu…
-
Peut-être pas assez sur la ponctualité !
Touchée, je
ravale ma fierté.
Qu’est-ce qu’il
est énervant !
-
J’ai
ce dossier pour vous. Montrez-moi que vous ne brillez pas uniquement par vos
retards !
Je me lève. Il me
tend un dossier cartonné. Mon doigt frôle le sien par accident. Juste une
seconde. Mais mon cœur rate un battement.
Je me détourne sans
un mot de plus et sors du bureau.
Dans le couloir, je
laisse enfin mes épaules retomber.
Il est dangereux, ce
type. Pas pour moi, pas encore.
Mais pour ce que je
m’efforce de tenir en cage.